Cette semaine, la lettre de l’impact positif vous propose de découvrir le quartier pour seniors construit par la mairie d’Épervans. Dans ce hameau, le bâtiment central abrite une cuisine destinée à animer le lieu autour de la gastronomie. Outre les différentes activités proposées, une école de cuisine a également posé ses bagages sur place, créant ainsi du lien intergénérationnel entre écoliers et habitants.
La Part du Colibri a rencontré à Éric Michoux, maire d’Épervans, à l’origine de ce projet.
Sommaire:
– Introduction –
L »interview d’Éric Michoux est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.
– Mise en place du projet –
Comment avez-vous eu cette idée ?
Lors de notre premier mandat, on s’est dit qu’un élu devait prendre des décisions pour le long terme. On s’est donc posé une question : quelle va être l’évolution de la population dans le village ? Or, comme partout on France, on se dirige ici vers un vieillissement de notre population, ou plus exactement vers une population qui va vivre jeune plus longtemps, car à 60, 70 ans, on fait encore preuve d’un dynamisme fou. On a donc des personnes entre 65 et 80 ans en pleine forme, qui ne sont pas faites pour aller dans les maisons de retraite. Il faut donc leur trouver un nouveau lieu, qui répond à leurs besoins du moment. On a donc pensé ce lieu qui permet à cette population de se rassembler autour d’un thème, en l’occurrence la gastronomie, et de créer du lien social et intergénérationnel.
Pourquoi le thème de le cuisine ?
C’est ce qui lie le mieux les gens. La nourriture est quelque chose qui unit les génération. Cela permet de valider le lien entre les seniors et les jeunes. Autour de ce thème, on peut élargir les activités, avec le jardin par exemple, et l’école de cuisine qui nous avons intégrée ici. On forme des CAP en six mois, et ces jeunes vont ensuite enrichir l’économie rurale. Le lieu existe grâce à l’aide du bailleur social, qui a payé pour les 17 maisons, et grâce à la chambre de commerce, qui distille la formation.
Votre objectif était-il de créer du lien intergénérationnel ?
Oui, dès le départ. Ici l’école est avant tout un lieu d’échange. On est tous l’élève de quelqu’un. Les plus anciens ont davantage d’expérience et peuvent en faire bénéficier les élèves. L’enseignement général se fait grâce à internet, et les formateurs peuvent ensuite passer plus de temps sur les cas particulier. On transforme ainsi les différences de chacun en richesse pour apprendre. Nos élèves ont souvent eu des parcours difficiles voire chaotiques, mais ce lieu n’exclut personne et transforme tout cela en richesse collective grâce au partage avec les anciens. 100% des élèves passés ici ont eu leur CAP et ont trouvé du travail.
Comment s’est déroulée la mise en place ?
J’ai été épaulé par mon Conseil municipal, qui a porté le projet. Nous avons été aidés par la SEMCODA, un bailleur social qui a financé l’ensemble des habitations. Par ailleurs, la chambre de commerce nous a accompagné et a développé la formation CAP, qui fonctionne si bien que l’on doit désormais refuser des élèves par manque de places.
Quelle a été la réaction des différents acteurs quand vous avez présenté le projet ?
Cela a été très rapide. Le projet a immédiatement plu au bailleur social. La Chambre de commerce a suivi, car elle souhaitait décentraliser la formation professionnelle, et l’amener en milieu rural. Ce test sur 5 000 m2 fonctionne bien, et on va lancer un nouveau projet sur 7 hectares atour de l’artisanat, des PME et des start-up en milieu rural.
– Le projet aujourd’hui –
Comment le hameau fonctionne-t-il au quotidien ?
C’est un peu comme un village de vacances. Chaque résident vit dans ses maison, mais tout le mode se connaît. Il y a une gardienne qui gère le quotidien, et un centre d’action sociale qui anime le quartier. Nous devons cependant être vigilant à ce qu’il n’y ait pas de clivage entre les résidents de ce quartier et le reste du village. Tout cela est géré par le CCAS, et nous avons créé depuis une association, qui aide à utiliser la cuisine comme vecteur de lien social, mais aussi d’enseignement, par exemple pour apprendre comment se soigner grâce à son alimentation.
Comment le lien se crée-t-il ?
D’abord de manière simple et spontanée, ensuite de façon plus académique. Deux à trois fois par semaines, les élèves cuisines pour les seniors. Cela permet aux seniors d’avoir un bon repas, équilibré, et pour certains jeunes qui ont des difficultés relationnelles, cela les oblige à aller vers l’autre. C’est une démarche qui n’est pas forcément naturelle pour cette génération. Les anciens peuvent aussi apporter un retour sur la cuisine, ce qui permet un enrichissement supplémentaire.
Les personnes âgées peuvent utiliser les locaux de l’école…
Oui, elles peuvent y recevoir leur famille. C’est un endroit qui permet de dîner à 25 personnes environ, et chaque résident peut le réserver et l’utiliser.
Combien cela a-t-il coûté au total ?
Ça a coûté 1,2 million d’euros. On parle d’un terrain de 6 000 m2, de 15 maisons d’environ 60 m2, au plus haut niveau d’isolation thermique et d’une maison centrale de 100 m2 avec une cuisine professionnelle dessinée par des chefs étoilés. Les loyers sont compris entre 350 et 450€ par mois et par maison. La plupart des anciens ont environ 200€ d’APL, ce qui fait un loyer relativement bas pour eux, notamment compte tenu du service autour.
Combien coûte le fonctionnement quotidien ?
Au quotidien, cela ne coûte absolument rien à la mairie. On a même gagné de l’argent en vendant le terrain. La formation est financée par des systèmes propres au Pole Emploi. Tout le monde est gagnant : la mairie qui crée du lien social, le bailleur qui encaisse les loyers, l’organisme qui fait sa formation, les jeunes et les anciens qui bénéficient de tout ça.
– Dupliquer le projet –
Avez-vous rencontré des difficultés particulières lors de la mise en place ?
Pas spécifiquement. Notre seul enjeu était de trouver un moyen de le faire sans trop d’argent, mais chaque partie a tout de suite compris l’intérêt du projet. Aujourd’hui nous recevons de très nombreuses visites d’élus qui voient très vite comment le mettre en place chez eux, ça les inspire. Chacun peut ensuite le mettre en place chez lui, à sa manière, en l’adaptant à ses spécificités. On peut changer la thématique, organiser ce lien autour de l’artisanat plutôt que de la nourriture par exemple : le système s’adapte, l’important est de donner du sens. Si vous faites cela, les gens s’unissent et suivent. On aurait pu faire autre chose, construire un EHPAD par exemple, mais d’une part cela aurait coûté beaucoup plus cher, et d’autre part je ne suis pas certain que les résidents auraient été plus heureux.
Politiquement, avez-vous dû faire face à des oppositions, ou à des retours difficiles de vos administrés ?
Dès lors que vous représentez un courant politique, le courant politique adverse va tenter d’expliquer en quoi votre idée est mauvaise. On peut toujours trouver des défauts à un projet et dire qu’on aurait pu mieux faire, mais en tout cas nous avons fait ce projet sans argent public.
Avez-vous un nouveau projet ?
Nous travaillons sur un projet beaucoup plus important, avec du monde autour. Nous réfléchissons à la manière dont le numérique peut être vecteur du développement de la ruralité. On va donc passer au spectre du numérique tout ce qui fait la vie en milieu rural : les problèmes de dépendances, les transports, le commerce, la petite enfance, l’artisanat, les petites entreprises, et même les start-up, dont on dit qu’elles ne peuvent pas vivre en milieu rural, ce qui est une erreur absolue. Ce projet est prévu sur 7 hectares, avec les mêmes acteurs (chambre de commerce, chambre des métiers, chambre d’agriculture, la CPME…) et avec l’objectif d’inventer la ruralité moderne.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne