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Les écoles de la deuxième chance, un dispositif efficace œuvrant à l'intégration des jeunes en difficulté


Les « écoles de la deuxième chance » accueillent les jeunes de 16 à 25 ans en voie d’exclusion, sans emploi ni qualification. Elles proposent une formation permettant de s’insérer professionnellement et socialement. La durée de formation est variable et le jeune est rémunéré. Le but est qu’en fin de formation, le jeune ait accès directement à un emploi ou qu’il puisse intégrer une formation professionnelle.
Territoires-Audacieux.fr s’est intéressé à ce concept à travers l’une des dernières École de la deuxième chance (E2C) créée, celle de Hérouville-Saint-Clair (14). Ouverte depuis 2017, elle a pour objectif d’aider les jeunes de son territoire à déterminer un projet professionnel afin qu’ils et elles puissent entrer dans le monde du travail. Nous avons interviewé Karim Slama, Directeur de l’E2C Normandie.
Sommaire:

– Mise en place du projet –

Pouvez-vous me parler de l’école de la deuxième chance ? 
Le concept de l’École de la deuxième chance a été pensé par Édith Cresson en 1995 lorsqu’elle était commissaire européenne. Son livre blanc (intitulé « Enseigner et apprendre : vers une société cognitive ») était tourné vers la problématique de la lutte contre le décrochage scolaire. Le gros problème qui perdure depuis des années en France est de savoir quoi faire avec les personnes ayant décroché du système de l’Éducation Nationale. Ces décrocheurs correspondent à un public très fragilisé et éloigné de l’emploi. Ce sont des jeunes sans diplôme ni qualification. Les chiffres en France sont assez effrayants. Il y a cinq ans, nous étions à 130 000 décrocheurs par an. Aujourd’hui nous sommes entre 80 000 et 100 000 décrocheurs chaque année. Le nombre est encore trop élevé. Ce sont des jeunes, qui pour la plupart, ne trouvent pas de solution vers une insertion sociale et professionnelle. C’est pour cela que les écoles de la deuxième chance sont des opportunités. 
Le livre blanc de Mme Cresson s’appuie sur trois points :

  • Les façons de prendre en compte la situation sociale et l’exclusion des jeunes 
  • L’association des entreprises à l’effort de formation (dispositif alterné) dès le départ
  • La fondation d’une pédagogie active sachant que chaque jeune bénéficie d’un parcours individualisé pour changer complètement du système scolaire classique. 

La première école du réseau a ouvert en 1997 à Marseille. C’est une des plus grosses écoles du réseau aujourd’hui. Le réseau s’est structuré dans les années 2000 sous l’égide d’une association nationale des écoles de la deuxième chance. C’est un réseau qui accueille plus de 15 000 jeunes par an, répartis sur 54 écoles sur le territoire national, et qui gèrent en tout 128 sites. Beaucoup d’écoles sont multi-sites. 
Pourquoi avez-vous décidé de créer une école de la deuxième chance sur le territoire de Hérouville-Saint-Clair ? 
Nous sommes l’une des plus récentes écoles du réseau. Nous avons ouvert en janvier 2017 sous l’initiative de Rodolphe Thomas, le maire d’Hérouville Saint-Clair. Il est d’ailleurs aussi le président de l’école. L’ouverture de cette école est le résultat d’un effort de plusieurs années de travail. C’est la seule de Normandie malheureusement. Nous aimerions la déployer sur d’autres territoires normands, car nous avons une grosse demande. En 2017, l’école a accueilli 104 jeunes. En 2018, nous avons en accueilli 140. Pour cette année, ce sera 150 ! À partir de janvier 2020, nous allons recevoir 200 jeunes par an. Nous avons des résultats tangibles et nous sommes connus. Nous avons un taux de sortie positif. Notre taux de placement en emploi ou en formation est de plus de 65 %. Nous arrivons à trouver une solution pour deux jeunes sur trois. 
À quel besoin la ville a-t-elle répondu quand elle a décidé de créer cette école ?
Nous avons constaté qu’il y avait pas mal de jeunes inactifs âgés de 16 à 25 ans. Sur notre territoire, il y a un besoin énorme pour ces jeunes. Notre école de la deuxième chance à Hérouville est une réponse aux décrocheurs sans diplôme ni formation. Ce sont des jeunes qui ne peuvent pas aller dans un centre de formation, car ils n’ont pas les pré-requis. Notre mission est d’accueillir des jeunes sur un parcours de neuf mois. Toutefois, notre objectif est de leur trouver une solution à six mois. C’est ce que nous appelons le parcours moyen. Une de nos spécialités, ici en Normandie, c’est que nous accueillons aussi des bénéficiaires du RSA. Ils peuvent avoir plus de 30 ans. Le plus âgé de cette école avait 37 ans. Il a aujourd’hui un emploi. 
L’école est basée à Hérouville, mais nous accueillons tous les jeunes de la région Normandie. Environ 83% de nos jeunes sont issus de l’agglomération de Caen-la-mer. Cette école est une initiative de la ville d’Hérouville pour répondre en partie à la problématique des jeunes décrocheurs. Notre maire est très actif dans le domaine de l’insertion des jeunes défavorisés. 
Comment avez-vous réussi à ouvrir cette école ?
La première condition d’ouverture a été l’accord de la Région. Aucune école ne peut être créée sans l’accord de la Région. Tous les bénéficiaires de l’école bénéficient du statut de « stagiaire professionnel ». C’est une compétence régionale. À ce titre, nous avions besoin de son aval. Cela signifie également une subvention pour le fonctionnement. La Région finance donc en moyenne un tiers du budget annuel de l’école. À cela, s’ajoute la rémunération des stagiaires. Pour que ces derniers puissent tenir pendant leur parcours, ils et elles bénéficient d’un petit salaire pour pouvoir se nourrir et se déplacer. L’État est aussi fortement engagé auprès de ce réseau. Il est aussi l’un des financeurs majeurs. Il y a deux services de l’État : la DIRECCTE et le CGET. Une des indicateurs de l’État est le taux de recrutement dans les quartiers prioritaires de la ville. Nous devons donc recruter 40 % des jeunes issus de ces quartiers. La dernière partie de financement vient des collectivités (dont Hérouville, l’agglomération de Caen, et ainsi que le Département du Calvados). Le financement de l’école est donc à 98% public ! Le restant est issu de la collecte de la taxe d’apprentissage, car nous sommes légitimes à la collecte du hors-quota. De plus, nous avons une implication forte de certaines grandes entreprises, comme EDF ou Orange.

– Le projet aujourd’hui –

Comment fonctionne l’initiative au quotidien ? 
À l’échelle de la ville, nous avons imaginé le concept atour de trois pôles : 

  • Un pôle entreprise. C’est l’interface entre l’entreprise et les jeunes pour trouver les terrains de stage. Ensuite, ce pôle aide les jeunes à trouver une alternance ou un emploi. 
  • Un pôle de recrutement et d’accompagnement social. Le recrutement est réalisé sur un simple entretien de motivation. Nous mettons l’accent sur l’accompagnement social, car nous recevons des jeunes ayant des difficultés et/ou des freins périphériques. Cela peut être des problèmes de logement, d’addiction, familiaux, de santé, etc. Pour cela, nous avons tissé de nombreux partenariats avec des acteurs locaux pour répondre à ces problèmes. Nous avons même créé un dressing solidaire au sein de l’école. 
  • Un pôle pédagogique. Sa mission première est d’accompagner le ou la jeune de son entrée à sa sortie. Nous avons un programme de remise à niveau avec des ateliers centrés autour de trois objectifs principaux : français, mathématique (et logique) et technologie de la communication (et de l’information). Un des leviers de cette école est la lutte contre la fracture numérique. Nous avons monté un partenariat avec un fablab, permettant aux jeunes de manipuler une imprimante 3D, de travailler avec une soucoupe laser, mais aussi de travailler sur des technologies nouvelles de communication, etc. Nos jeunes travaillent sur une approche de validation de compétence. Chaque jeune se voit attribuer des badges en fonction des compétences qu’il ou elle a acquis dans son parcours. L’objectif n’est pas uniquement de découvrir, mais aussi de mobiliser des associations locales. Par exemple, nous travaillons avec des associations de mal-voyants et nous leur fabriquons des objets. Nous travaillons aussi sur le concept de ville connectée. Nous travaillons sur des sujets d’actualité, qui les intéressent et les mobilisent. Ainsi, ils et elles peuvent avoir un sentiment d’utilité dans la société.

Nous rentrons des promos tous les mois. Nous ne fonctionnons pas selon un schéma scolaire classique. Si un jeune décroche, nous n’allons pas le laisser attendre plusieurs mois avant qu’il ne puisse rentrer dans notre école. Nous avons une nouvelle promo de 15 jeunes tous les mois. Cela permet aussi un meilleur suivi. 
Dans quel genre de parcours professionnels formez-vous ces jeunes ?
Nous sommes en ce moment une équipe de douze personnes. Nous allons passer à dix-huit personnes en janvier au vu de l’accroissement de l’école. 
L’école propose une formation de six à neuf mois pendant laquelle les jeunes sont amenés à faire plusieurs choses : 

  • Une remise à niveau 
  • Travailler sur un projet professionnel. Un contrat d’engagement est signé entre l’école et le jeune. Nous ne demandons pas au jeune d’avoir un projet, car l’objectif de notre école est de l’aider à formaliser ce projet. Toutefois, nous lui demandons de s’engager. Le parcours est différencié sous quatre étapes : 
    1. Une période d’intégration de six semaines qui permet de travailler avec le ou la jeune dès son arrivée. Cette période permet de parler avec le ou la jeune des fondamentaux du savoir être. C’est-à-dire de la ponctualité, l’assiduité, le savoir-vivre ensemble, le respect des autres ou du mobilier, etc. À travers cette période, il y a une première expérience en entreprise de quinze jours. À la fin de cette période, il y a un bilan individuel pour valider la suite du parcours en donnant des objectifs spécifiques par rapport à ce que nous avons observé. 
    2. La deuxième période correspond à la préparation et l’émergence de projet. C’est à ce moment-là que le jeune part à la découverte d’un métier. Nous proposons des stages alternés aux jeunes en fonction de leurs aspirations. Nous y ajoutons les potentialités de l’emploi. L’objectif est d’arriver sur un métier qui intéresse le ou la jeune et ainsi de la confirmation d’un projet. 
    3. La troisième étape permet de travailler le projet retenu.
    4. La dernière étape est la préparation à l’emploi et/ou à la continuation de formation. 

Nous travaillons avec 450 entreprises partenaires. C’est le point fort de notre école. Nous ne sommes pas dans la théorie, nous sommes tournés vers la formation professionnalisante. Chaque période de stage est ponctuée par un suivi avec le maître de stage pour savoir les points forts (et faibles) du jeune. D’ailleurs, des entreprises viennent présenter leurs métiers aux jeunes de manière régulière. Cela permet aussi de briser les fausses visions des métiers. Certains jeunes ont par exemple la vision de Charlie Chaplin pour l’industrie, avec que du travail à la chaîne. Hors, les usines d’aujourd’hui ont changé. Certains jeunes pensent que les métiers du bâtiment demandent de porter des lourdes choses toute la journée alors que ce n’est plus vrai. Ces métiers ont évolué, ils se sont mécanisés. 
Quel rôle joue la mairie ?
La mairie a travaillé sur le concept de l’ouverture de cette école. Aujourd’hui, la ville met à disposition gratuitement les locaux d’un ancien collège qui a été fermé. La mairie de la ville souhaitait que ces locaux disponibles puissent bénéficier à un projet d’insertion professionnelle. Des jeunes devaient s’y installer. Avoir ces locaux est très important, particulièrement au niveau du budget. 
Quel impact voyez-vous sur ces jeunes ?
Ce sont des jeunes qui sortent méconnaissables de la formation. Ils ont repris confiance en eux et elle. Il se trouvent utiles et intégrés à la société. 

– Dupliquer le projet –


Quelles difficultés rencontrez-vous ?

50 % de l’effectif sont des jeunes de 16 à 18 ans. De ce fait, il est impératif de trouver une alternance à un jeune de cette tranche d’âge à la fin de la formation. Le nombre de mineurs inactifs dans la région est problématique. Une bonne partie de ces jeunes est défavorisée dans tous les sens du terme. Je ne parle pas qu’au niveau économique. Beaucoup de ces jeunes ont eu des problèmes sociaux. C’est-à-dire que beaucoup ont connu un noyau familial désintégré. Ils sont entrés dans la délinquance à un jeune âge. Nous avons aussi beaucoup de cas de phobie scolaire. C’est-à-dire des jeunes qui ont eu du mal à s’adapter, que ce soit à cause de la violence à l’école ou l’exclusion. Nous avons aussi des jeunes venant de « bonnes familles ». Dernièrement, il faut le dire, le mécanisme de l’Éducation Nationale exclu beaucoup de jeune, dont la majorité possède un beau potentiel. La levée des freins qui pèsent sur la vie des jeunes (comme la mobilité, le logement et les problèmes sociaux) est une véritable difficulté. 98 % de nos jeunes n’ont pas leurs permis de conduire par exemple. Je souhaite d’ailleurs recruter un.e assistant·e social·e l’année prochaine. Je souhaite renforcer le taux d’encadrement dans notre école pour être sûr que les jeunes ne re-décrochent pas une nouvelle fois.
Quel est le budget annuel de cette école ? 
Le budget est de 730 000 euros par an. Chacun de nos financeurs y trouve son compte. Chacune des collectivités qui investissent verra moins de jeunes en difficulté d’insertion. Nous oublions beaucoup le coût de l’inactivité d’un jeune. Le chiffre est 23 500 euros par an. Que ce soit exactement ce chiffre ou pas, le coût pour la société est énorme ! Le coût moyen d’un jeune pour notre formation est 4 300 euros. 
Quel conseil donneriez-vous à un territoire essayant de mettre en place une école de la deuxième chance ?
Mon conseil pour les autres territoires et surtout les élu·e·s serait que c’est un dispositif qui a largement apporté ses preuves en terme d’intégration citoyenne et professionnelle des jeunes. Il faut donc contacter dans un premier temps des écoles proches de vos territoires et œuvrez à la création de tels dispositifs pour les jeunes décrocheurs qui nécessitent un accompagnement intensif pour le retour vers l’emploi. Les E2C constituent un fort engagement politique en faveur des plus défavorisés.
Propos recueillis par Claire Plouy