Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à une initiative mise en place par le Cantal. Pour lutter contre la désertification médicale et notamment l’absence de certains spécialistes sur son territoire, le département met progressivement en place tout un maillage visant à améliorer l’accès aux soins. Une quinzaine d’établissements situés un peu partout sur le territoire sont déjà équipés d’un dispositif permettant à leurs patients d’être auscultés à distance. Pour l’instant, les actes de télémédecine sont majoritairement réservés aux personnes âgées et handicapées.
Pour en savoir plus, Territoires-Audacieux.fr a interviewé Anh-Thu Tazzioli du service innovation et numérique (pôle attractivité et développement du territoire) du département du Cantal.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
D’où vous est venue l’idée de cette initiative ?
Nous avons décidé de répondre à un appel à projet de notre Agence Régionale de Santé sur la télémédecine. Nous avons répondu à cet appel car nous étions déjà très tournés sur le numérique et l’innovation. Nous voulions aussi une solution pour permettre un meilleur accès aux soins en zone rurale.
Quels sont les enjeux auxquels vous répondez avec cette initiative ?
Nous souhaitons une amélioration de l’accès aux soins. Avant de s’engager dans cette voie, nous étions, dans ce domaine, sur une expérimentation pour les résidents en établissements médicaux sociaux avec pour objectif de limiter l’état de fatigue des résidents. Il s’agit également d’améliorer notre attractivité territoriale.
Comment avez-vous réalisé ce besoin ?
Nous avons répondu à l’appel à projet de l’Agence Régionale de Santé. Cependant, elle n’a pas donné suite. Elle a préféré bâtir une plateforme régionale de télémédecine. L’ARS nous a tout de même redirigé vers un appel à manifestation d’intérêt pour des fonds européens afin de financer notre projet. Nous avons donc choisi cinq établissements sur notre territoire pour débuter une expérimentation. Nous avons été accompagnés par le groupement de coopération sanitaire d’Auvergne. Il s’est occupé du choix du matériel. Nous avons acheté cinq chariots de télémédecine pour équiper les établissements. Nous les avons aussi équipés d’une connexion internet dédiée. Nous avons recensé les besoins de santé des établissements. Ce qui ressortait en premier, c’était la dermatologie. Nous avons la chance d’avoir eu une dermatologue du centre de santé d’Aurillac qui était favorable à cette expérimentation. Nous avons rédigé avec elle le projet médical de télémédecine en dermatologie et il a été validé par l’Agence Régionale de Santé. Par la suite, il y a eu un contrat entre le centre hospitalier et l’Agence Régionale de Santé pour autoriser cette activité de télémédecine dans le champ d’une expérimentation. Nous avons ensuite installé les chariots et formé le personnel sur l’utilisation de ceux-ci. Nous les avons ensuite accompagné pour la partie technique.
Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?
En 2014-2015, nous avons fait l’expérimentation. Les actes de télémédecine n’étaient pas rémunérés par la sécurité sociale. Les élus ont décidé de prolonger jusqu’au 31 décembre 2018 pour attendre la tarification nationale. En parallèle, ils ont aussi voté le lancement d’une nouvelle expérimentation. La première expérimentation fonctionnait, mais avec la licence, le coût de maintenance, le chariot, la ligne dédiée pour internet nous étions à plus de 30 000 € de dépenses par établissement. Nous avons donc lancé une nouvelle expérimentation qui permettait de tester un matériel plus léger et moins cher grâce à des tablettes. Entre temps, en septembre 2018, nous avons été accompagné par le groupement de coopération sanitaire d’Auvergne-Rhône-Alpes qui a développé une application de télé-médecine. Cette application est plus légère et elle est utilisable sur un smartphone, une tablette ou un ordinateur. Elle est gratuite pour les personnels de santé. Nous avons débuté en 2016 cette deuxième phase et nous avons choisi dix nouveaux établissements. Au total, nous sommes aujourd’hui à une quinzaine d’établissements. Nous avons quelque chose qui fonctionne même si la tablette est moins performante que le chariot car il possède une caméra de haute définition (pivotable à distance par le médecin). Malgré tout, cela n’empêche pas les résultats d’être tout aussi bons, même si cela nécessite des précautions. Le rapport qualités/coûts est bien meilleur sur une tablette. En décembre, nous nous sommes retirés du champ expérimental. Maintenant tous les établissements sont totalement autonomes pour faire de la télémédecine.
Avec quels acteurs ces différentes étapes se sont-elles déroulées ?
L’Agence Régionale de Santé, les médecins spécialistes, les équipes des équipes d’établissements médicaux sociaux, le groupement de coopération sanitaire et le conseil de l’ordre des médecins. Ils ont validé les projets médicaux.
– Le projet aujourd’hui –
Comment fonctionne le projet au quotidien ?
L’établissement de santé va détecter un problème sur un résident. C’est le médecin traitant du résident qui va demander (et autoriser) la demande d’un acte de télémédecine. C’est l’infirmier·e qui, généralement, complète le dossier en ligne. Ensuite, deux types d’actions sont possibles : la télé-expertise et la télé-consultation. La première est une demande d’avis médical sur un dossier. Celui-ci est consulté par le spécialiste à distance. Après l’avoir étudié, il va rendre son diagnostic. Pour la télé-consultation, le patient va être installé devant le chariot avec un ou une infirmier·e d’un coté. À distance le ou la spécialiste va se connecter sur la plateforme régionale de télémédecine pour mener l’entretien.
Qui peut en bénéficier ?
Après cinq ans d’expérimentation, nous avons abouti à un modèle médical économique viable sur le terme technique, santé et économique. Maintenant, nous sommes dans de l’accompagnement. Si un établissement (centre de santé, maison de retraite…) nous appelle parce qu’il veut faire de la télé-médecine, je vais lui expliquer le processus et le matériel nécessaire. Le dispositif est principalement réservé aux personnes qui peuvent difficilement se déplacer. Ces sont des personnes âgées ou handicapées principalement. Nous avons volontairement choisi des sites qui étaient les plus éloignés des centres hospitaliers. Nous avons également des maisons de retraite et des foyers d’accueil médicalisés.
Quel rôle joue le département ?
Je vais aussi l’adresser au groupement de coopération sanitaire pour la création des comptes sur l’application. Nous avons mis en place tout un système qui permet aux établissements de faire de la télémédecine.
Quels impacts voyez-vous ?
Ce projet permet d’éviter la fatigue et la désorientation du patient. Certaines personnes âgées ou handicapées le sont quand elles sortent de leurs contextes, avec parfois des conséquences sur leurs états de santé. Cela permet aussi d’améliorer les délais d’accès aux soins puisque, avec les expertises, nous pouvons faire le tri de ce qui est urgent et ce qui l’est moins. Cela permet d’avoir une meilleure orientation du patient sur son parcours de soin. Notamment, s’il y a un souci et que le patient doit être hospitalisé, il va atterrir aux urgences, sans forcément un examen poussé de son dossier médical. Il va donc être réorienté dans un service. En télé-médecine, s’il y a un souci et qu’une hospitalisation ou consultation en présentielle est nécessaire, le patient va être immédiatement orienté dans le bon service avec le dossier médical qui suit.
Avez-vous des retours des malades ?
Ils et elles sont majoritairement content·es. Au début, nous pensions que l’écran allait perturber les patient·es dans la relation aux médecins. Toutefois, nous n’avions pas réalisé qu’il n’y avait aucune limite ou frein par rapport à cette interface numérique pour s’adresser aux médecins. Au contraire, les personnes étaient plutôt contentes de pouvoir rester avec les équipes médicales qu’elles connaissent. Nous nous sommes aussi aperçus que cela permettait d’éviter un renoncement aux soins. Nous avons eu deux cas où une personne refusait d’aller aux rendez-vous de peur de rester à l’hôpital. La docteure a admis qu’une consultation à l’hôpital aurait été mieux mais étant donné le refus, la télé-consultation était un bon plan B. Il y a aussi eu un cas où le transport pour aller jusqu’à l’hôpital était très cher en taxi pour faire deux heures (aller-retour). Dans ces cas-là, la télémédecine permet simplement d’accéder aux soins.
– Dupliquer le projet –
Combien cela vous a-t-il coûté ?
Le budget global de l’expérimentation des deux premières années s’élève à 370 000 € sur deux ans. 50 % du financement a été assuré par le FEDER Massif Central (fonds européens), 42 % par le Conseil départemental du Cantal et 8 % par le Conseil régional d’Auvergne. Pour la deuxième expérimentation, qui était de réduire les coûts pour le généraliser, nous avons dépensé 265 000 € sur trois ans. Pour un territoire qui voudrait se lancer aujourd’hui, cela coûtera bien moins cher car en cinq ans le prix du matériel a baissé.
Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer ?
L’implication des professionnels de santé en structure n’a pas été évidente à gérer. Ils vous disent qu’ils en ont besoin et quand vous le leur apportez, ils ne l’utilisent pas forcément. Certains médecins ne veulent pas l’avis d’un autre médecin, car ils disent qu’ils savent faire et gérer. De leur côté, les patients étaient plutôt contents de pouvoir rester avec les équipes médicales qu’elles connaissent. Certains médecins ne veulent pas l’avis d’un autre médecin, car ils disent qu’ils savent faire et gérer. Certains établissements l’utilisent beaucoup d’autres moins. Ça dépend vraiment des équipes. D’ailleurs, si vous n’avez pas quelqu’un qui est moteur dans la structure, qui prend l’initiative de faire de la télé-médecine, qui peut faire remplir par le médecin la fiche puis qui retourne le dossier, il n’y a rien. En télémédecine, il est facile de penser que cela conduit à une déshumanisation, mais pas du tout ! L’humain est primordial.
Quel conseil donneriez-vous à un élu ou une élue qui veut se lancer dans le projet ?
Il faut absolument travailler avec le groupement de coopération sanitaire et l’ARS. Les deux peuvent mutualiser l’outil sur la région pour que les outils soient compatibles. Ainsi, la télé-médecine peut être partout dans la région. C’est très important que dans une région, il y ait un outil qui soit uniforme, homogène. Autrement, ça ne sert à rien. Déjà, je ne comprends pas que chaque Agence Régionale de Santé ait fait sa propre stratégie. Il en aurait fallu une qui soit commune aux ARS pour pouvoir faire de la télémédecine compatible nationalement. Nous sommes encore en train de nous limiter géographiquement. Il ne faut pas faire son projet dans son coin.
En amont de tout cela, il faut aller voir les professionnels de santé pour demander leurs besoins. Si cela part d’une collectivité et que les professionnels de santé n’en veulent pas, ça ne sert à rien. La seule chose que la collectivité doit faire, c’est gérer le projet. Elle peut aussi trouver du financement si possible. Aujourd’hui, elle n’a pas à financer beaucoup d’étapes. Avec les outils qui existent déjà, mettre des dizaines de milliers d’euros n’est pas nécessaire. C’est beaucoup plus simple de mettre en place un projet de télémédecine. Il y a moins besoin d’étapes d’expérimentation. La télémédecine devient de plus en plus populaire, car depuis septembre 2018, il y a une clarification de la sécurité sociale pour la télé-consultation. De ce fait, il n’y a plus besoin non plus de rédiger des contrats avec l’ARS. Il y a des formulaires simplifiés qui existent de déclaration d’activité de télémédecine. Toutes les démarches sont plus faciles. Les outils et logiciels sont bien au point.
Propos recueillis par Claire Plouy