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Pour favoriser l'occupation temporaire, Paris se dote d'une charte co-signée par les acteurs de l'immobilier

Cette semaine, la lettre de l’impact positif vous propose un focus sur une initiative de la ville de Paris. Après plusieurs années d’expérimentations autour de la notion d’occupation temporaire, les élus ont décidé de favoriser celle-ci grâce à une charte signée par les acteurs du monde immobiliers, la collectivité et la Caisse des Dépôts. Objectifs ? Expérimenter de nouveaux usages, ouvrir la ville à des acteurs alternatifs et soutenir des activités d’intérêt général en utilisant les mètres carrés en attente d’utilisation sur le territoire.
Pour en parler, les équipes de Territoires-Audacieux.fr ont interviewé Carine Saloff-Coste, directrice de l’attractivité et de l’emploi à la mairie de Paris.
En introduction, vous pouvez télécharger cette charte (signée le 26 août 2019) en cliquant ici.
Sommaire:

– Mise en place –

D’où vous est venue l’idée de travailler autour de cette charte ?
Elle est l’aboutissement de plusieurs années de pratique de l’occupation temporaire sur notre territoire. Nous avons lancé cette idée depuis trois ou quatre ans. Nous avons voulu expérimenter des lieux d’occupation temporaire dans Paris sur des sites qui n’étaient pas utilisés. Cela pouvait être soit des terrains soit des immeubles. Ils étaient voués à rester inoccupés avant d’accueillir leurs occupants définitifs. Nous avons donc fait des occupations et nous avons essuyé les plâtres. Il faut savoir que ce n’est pas simple d’accueillir des occupants temporairement dans un immeuble. Il peut y avoir des travaux à faire. Il faut être sûr que les occupants seront accueillis dans de bonnes conditions et que tout soit prévu juridiquement. Nous devons également être sûrs que les occupants quitteront bien le bâtiment à la fin de l’occupation. Enfin, il faut également évoquer le prix et l’animation de l’occupation. Il faut donc mettre en place tout un tas d’outils. Ces premières années de test à Paris nous ont permis d’ajuster et de fiabiliser nos propres outils. Nous disposons aujourd’hui d’un kit de l’occupation temporaire qui permet de proposer cette charte pour que l’ensemble des acteurs bénéficient de notre expérience.

À quels enjeux d’un territoire l’occupation temporaire répond-elle ?
Paris est l’une des villes les plus denses du monde. Cela veut dire que l’espace est très rare et donc très cher. La réflexion de la mairie a donc été de se dire que c’était un peu fou de voir tous ces mètres carrés en attente d’utilisation alors qu’il y a quotidiennement des porteurs de projets qui cherchent des lieux. Ceux-ci n’ont pas forcément l’assise financière pour payer des loyers parisiens. C’était donc notre point de départ. Nous ne voulions pas laisser cette ressource inutilisée. C’est important car à Paris nous avons pu voir que des immeubles achevés restent vides pendant plusieurs années. Le modèle est simple. Il correspond à la construction d’un immeuble puis la recherche d’un locataire définitif. Il vous faut alors quelqu’un de très solide afin de revendre votre immeuble de la meilleure de manière. C’est pendant la période de recherche que les immeubles restent vides.

Alors même que de nombreuses personnes sont en recherche ?
Oui il y a de nombreuses personnes qui cherchent et qui ne correspondent pas. Elles ne sont pas intéressées par ce tarif-là ou ne sont pas toujours capables de tout occuper. Notre idée, c’était, de façon temporaire, d’éviter que l’immeuble reste vide en permettant à des gens de l’occuper. Mais c’est compliqué. L’occupation doit être bornée dans le temps. Le système des baux commerciaux est très protecteur pour les locataires. Il fallait donc trouver de nouveaux outils et des modes contractuels différents pour permettre les occupations. Par ailleurs, il y a les volets liés au juridique et à l’animation des lieux où des tiers ont émergé. Ils sont de vrais opérateurs pour les acteurs immobiliers qui souhaitent faire de l’occupation temporaire. C’est un métier différent.

Les tiers dont vous parlez ont-ils montré l’efficacité de leurs dispositifs ?
Oui. Ils ont montré qu’ils étaient capables de gérer ces occupations. Par ailleurs, ils nous ont montrés qu’il y a des retombées positives y compris pour le projet définitif lui-même. Par exemple, sur notre territoire, pour les Grands Voisins, il y a eu des expérimentations qui ont été des succès. Elles vont rester sur le site. Dans ce cas, il y avait un grand lieu de vie. L’occupation temporaire a permis de savoir où le positionner. C’est donc l’occasion de bâtir des projets qui sont plus adaptés aux besoins des futurs utilisateurs. Une occupation temporaire permet également d’éviter des frais de gardiennage. Il y a donc tout un aspect très positif. Surtout si on ajoute que c’est aussi l’occasion de faire connaître le lieu et de lui donner une image. À la fin, tout le monde est donc gagnant. Il faut juste de l’imagination et être ouverts à de nouvelles façons de fonctionner. Mais si nous en sommes à cette charte c’est que plusieurs opérateurs immobiliers s’y sont retrouvés.

– Fonctionnement au quotidien –

L’idée d’une charte c’est d’encadrer ? De sécuriser ?
La charte est là pour rendre visible et créer un corpus de l’occupation temporaire. C’est une façon de dire nous sommes mûrs pour le faire et si d’autres opérateurs veulent s’engager dans ce genre de démarches, nous avons l’arsenal juridique et opérationnel pour le faire dans des conditions tout à fait bénéfiques pour le propriétaire. Dans les vingt signataires, certains n’en ont pas encore fait. Nous espérons que leur signature va les pousser à s’engager. Nous allons continuer à animer cette charte pour pousser le partage de bonnes pratiques entre ceux qui ont l’expérience et ceux qui souhaitent se lancer.

Qui sont les signataires de la charte ?
Il y plusieurs types de personnes. Tout d’abord, nous trouvons des aménageurs, mais il y a aussi des bailleurs, des foncières (sociales ou privées) et une collectivité qui est la Mairie de Paris. Enfin, il y a la Banque des Territoires. Elle s’occupe du volet financement.
L’ensemble des signataires est à retrouver ici : https://www.paris.fr/pages/paris-signe-une-charte-pour-les-projets-d-occupation-temporaire-7094

Les tiers sont-ils signataires de la charte ?
Non. Ce sont les acteurs de l’immobilier qui se sont engagés avec cette charte.
Retrouvez quelques exemples de tiers ici : Plateau Urbain (https://www.plateau-urbain.com/) Yes we Camp (http://yeswecamp.org/)

En quoi est-ce le rôle de la collectivité de jouer les facilitateurs ?
Pour nous, c’est intéressant. Le rôle d’une collectivité, c’est de permettre à ses forces vives de réaliser ses projets. J’aime bien le terme d’empowerment. Paris est la capitale de l’innovation. Ce n’est pas pour rien. Nous avons des acteurs qui innovent ! Et pour cela il faut des espaces dédiés. Souvent pour mener un projet, ce qui le déclenche c’est le fait qu’il puisse atterrir de façon temporaire ou définitive. Pour nous, c’est très intéressant de pouvoir débloquer des mètres carrés stérilisés pour le mettre à disposition de porteurs de projets.

Comment va se dérouler l’animation de la communauté créée par cette charte ?
Pour commencer, nous souhaitons que les premiers signataires soient rapidement rejoints par d’autres. Nous allons donc faire du prosélytisme autour de cette charte pour essayer d’embarquer d’autres acteurs. En parallèle, l’idée est de lancer une animation pour les aider à rencontrer les précurseurs pour qu’ils échangent autour des bonnes pratiques. Nous souhaitons aussi leur permettre d’avoir accès aux différentes structures opérateurs comme Plateau Urbain qui facilitent et organisent les occupations temporaires.

Etait-ce une demande des acteurs de se retrouver autour de la table ?
Je pense que pour un acteur qui n’a jamais fait d’occupation temporaire et qui voudrait se lancer, c’est très rassurant de voir que d’autres l’ont fait. C’est aussi une mise à disposition des outils juridiques et opérationnels. Il y a tout pour que cela se passe bien et c’est une bonne chose car on ne se lance pas comme ça vu le prix du bâti à Paris. Nous le proposons car nous savons que cela peut marcher. Avec notre expérience, nous savons aussi que nous allons gagner du temps pour lancer de nouvelles occupations temporaires. C’est positif. D’autant plus qu’il y a des conséquences que nous n’avions pas imaginées au départ qui se sont révélées très positives. C’est le cas de l’émergence de nouveaux services, la visibilité du lieu et la connaissance du site. Mais c’est aussi les économies dans la gestion intercalaires des sites.

L’occupation temporaire la plus connue est celle des Grands Voisins (Paris XIV). Pouvez-vous nous la raconter ?
Les Grands Voisins, c’est un projet qui a été basé sur le lieu de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul dans le XIVème arrondissement de Paris. La ville a pris possession de ce terrain via un aménageur. Mais il y avait un certain nombre d’études à faire avant de lancer les travaux définitifs sur le site. Nous étions en contact avec des acteurs. Ce sont eux qui nous ont poussés vers l’occupation temporaire. Nous avons donc décidé de se servir de ce lieu comme un test. Nous avons organisé cette occupation temporaire grâce à trois acteurs Yes We Camp, Aurore et Plateau Urbain. Nous leur avons laissé ce territoire en leur disant « Voilà, trouvez des gens qui veulent venir… ». Nous avons eu des activités très diverses allant de l’hébergement d’urgence à des lieux de vie comme des cafés ou des espaces de débat. Il y a également eu un projet autour du compost qui a travaillé avec tout le quartier sur la récolte des déchets. Nous en avons profité pour travailler avec tout le quartier à la question du compostage. Nous avons donc eu une mini-ville avec des expériences qui sont terminées et d’autres qui vont rester de façon de définitive sur le site. Cette expérience a fait évoluer la ville sur la gestion future des pieds d’immeuble de l’opération. Une régie va rester propriétaire pour leur conserver des activités en lien avec ce qui a été expérimenté avant.

– Éléments pour dupliquer –

Votre initiative a-t-elle un coût ?
Non. Cela ne nous coûte rien. Un peu d’énergie. Nous allons également devoir animer la charte et donc une mobilisation des équipes de la ville. C’est léger par rapport à ce que nous pouvons en retirer quand on connaît le prix du foncier parisien.

Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Les difficultés se concentrent sur le montage des opérations. À chaque fois, cela demande beaucoup de travail. Il faut trouver des acteurs qui acceptent de l’organiser. Il peut y avoir des travaux. Cela demande de l’opérationnel. Ce qui peut être compliqué, c’est qu’il n’y a pas de standardisation. Nous avons un kit d’outils mais chaque site doit être traité différemment. Ce n’est pas la même nature d’occupants. Ce n’est pas la même durée… Il faut pouvoir être agile. Il faut convaincre à chaque fois…

Il faut dire que c’est un changement de mentalité ?
Tout à fait. C’est un changement complet. Antérieurement, il y avait la livraison des bureaux en blanc et il fallait attendre d’avoir LE locataire mega-solide. Inversement dans les zones d’aménagement, on prévoyait tout comme on pouvait. Mais cela amenait à des productions standardisées. Là c’est une façon beaucoup plus agile de faire de l’immobilier. C’est centré sur les usages. C’est aussi plus agile dans la gestion du patrimoine. C’est sûr que cela demande un peu d’huile de coude. Mais dans la mesure où c’est du gagnant-gagnant, les acteurs et les opérateurs ont envie de se lancer.

Propos recueilli par Baptiste Gapenne