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À Dunkerque, un réseau de transports urbains gratuits


Avec ses 200 000 habitants, la communauté urbaine de Dunkerque est en passe de devenir la plus grande agglomération proposant la gratuité de ses transports en commun. Un projet entamé il y a plusieurs années, dans le cadre de la refonte complète du réseau. Depuis septembre 2015, les usagers peuvent déjà utiliser les transports librement les week-ends, les jours fériés et les
jours de pollution. Une première étape qui a permis de constater une hausse de la fréquentation et une baisse des incivilités, confortant les porteurs du projet dans leur démarche.
Pour nous éclairer sur ce sujet, nous avons rencontré Xavier Dairaine, responsable du projet DK Plus de mobilité à la communauté urbaine de Dunkerque.
Sommaire:

– Introduction –


L’ interview de Xavier Dairaine est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.

– Mise en place du projet –

Quelle a été l’origine du projet ?

Il y a plusieurs projet. D’abord un projet de restructuration du réseau de transports collectifs, mis en place afin de pouvoir proposer la gratuité des transport à l’ensemble des Dunkerquois. C’était une promesse de campagne de l’équipe municipale de Dunkerque. Le président et l’ensemble des élus de la communauté urbaine ont décidé de mettre en œuvre cette gratuité pour proposer un réseau de transport facile d’accès, tout en redonnant du pouvoir d’achat aux Dunkerquois.
Quel est l’objectif de la mise en place de la gratuité ?

L’objectif chiffré, à l’issue du projet, est de doubler la part de déplacements en bus dans l’agglomération, qui est actuellement de 5%. Nous sommes une agglomération où l’on se déplace beaucoup en voiture, notamment parce que l’on y circule très bien, même aux heures de pointe, et qu’on y trouve des places de stationnement sans problème. Par conséquent, la voiture reste le mode de transport dominant. Jusqu’ici, le bus était réservé à ceux qui n’ont pas le choix : ceux qui n’ont pas le permis, comme les jeunes, les scolaires, ou ceux qui n’ont pas de voiture.
Quelles sont les différentes étapes du projet ?

Dès septembre 2015, on a mis en place une première étape, avec la gratuité des week-ends, des jours fériés et des jours de pic de pollution. Pourquoi avoir limité la gratuité à ces périodes-là ? Tout simplement parce que la capacité du réseau actuel ne permettrait pas d’absorber l’augmentation d’une fréquentation en semaine. Nous faisons actuellement les travaux pour offrir un réseau de transport plus performant, qui nous permettra d’étendre la gratuité à tous les jours de la semaine.
Avez-vous pensé à la tarification solidaire ?

L’agglomération dunkerquoise était une des première à mettre en place la tarification solidaire. C’est encore en vigueur aujourd’hui. Or, on reste sur un mode de transport qui avec cette méthode n’absorbe que 5% des déplacements, ce qui est très peu. Avant la mise en place de la tarification solidaire, c’était 6%. Depuis, les déplacements en voiture ont encore plus augmenté. La tarification solidaire n’a donc pas eu l’effet escompté, et on constate qu’elle est moins efficace que la gratuité de ce point de vue-là. L’une des raisons, c’est que l’on propose la gratuité sans carte. Le président de la communauté de communes à l’habitude de dire qu’il préfère le mot anglais « free » plutôt que gratuit, car c’est vraiment un accès libre aux bus.
 

– Le projet aujourd’hui –

La gratuité partielle vous permet-elle déjà d’observer les comportements des usagers ?

On profite de cette période transitoire pour analyser les comportements des usagers. Il y avait des idées préconçues, notamment sur le fait que la gratuité entraînait une augmentation des incivilités. On a fait mener une étude par des chercheurs lyonnais, qui ont constaté une augmentation de la fréquentation de 30% le samedi et de 80% le dimanche. Concernant les incivilités, tout le monde est unanime : à la fois les usagers, qui découvrent un réseau sans les problèmes qu’ils pouvaient imaginer, mais aussi les conducteurs, qui observent un état d’esprit beaucoup plus apaisé. On remarque par ailleurs que certains habitants de la partie EST de la ville, plus aisés, ont fait le choix de poser leur voiture et de prendre le bus, et que ceux de la partie ouest, d’habitude plus immobiles, ont fait le choix de se déplacer. Cette mixité sociale a permis de faire nettement baisser les incivilités depuis la mise en place de la gratuité.
Au-delà de la gratuité, ce projet s’inscrit dans le cadre d’une refonte complète du réseau de transports…

Au départ, l’idée était simplement de faire un bus à haut de niveau de service, parce qu’on a une agglomération un peu particulière, très étirée en longueur, et on sentait qu’il fallait créer une ligne structurante d’est en ouest. Lorsqu’on a lancé ce projet, on a décidé de refondre complètement le réseau pour rendre un meilleur service aux usagers. On constatait en effet qu’il était injuste, car on déservait mieux la partie est de la population, qui est plus aisée, que la partie ouest, qui est en besoin de transports collectifs. On a donc profité de la restructuration du réseau pour le rééquilibrer. Par ailleurs, on a essayé de le rendre plus efficace, en adaptant les lignes et les arrêts à la structure de l’agglomération. Notre réseau avait 40 ans, alors que l’agglomération a beaucoup évolué depuis.
Comment le projet est-il financé ?

Aujourd’hui, les recettes de billetterie sont de 4,5 millions d’euros, pour une réseau qui coûte plus de 45 millions d’euros par an. La part de billetterie est donc très faible, par rapport à d’autres grosses agglomérations. Par ailleurs, pour restructurer le réseau de transport en 2011, on a augmenté le « versement transport », une contribution des entreprises, ce qui a permis d’apporter les recettes nécessaires à l’investissement. Les 7 millions d’euros annuels que cela représente seront ensuite affectés au fonctionnement du réseau. C’est comme cela que l’on réussit à financer un réseau de transports plus efficace, et gratuit.

– Comment dupliquer le projet  –

Peut-on répliquer cette initiative partout ?

La première spécificité qui nous a permis de mettre en place la gratuité, c’est la faible part des recettes de billetterie. Ce n’est pas le cas à Paris, à Lille, ou à l’étranger, où les recettes de billetterie sont beaucoup plus importantes. Pour autant, plusieurs agglomérations ont réussi à rendre leur réseau de transports gratuit, chacun avec ses raisons et ses méthodes : certains le font avec une carte, d’autres réservent la gratuité aux habitant d’une ville et non de l’agglomération entière, etc. Ce projet peut donc être répliqué, mais il faut s’adapter aux particularités économiques locales, car les enjeux ne sont pas les mêmes pour tout le monde.
Quels problèmes avez-vous rencontré lors de la mise en place de la gratuité ?

Quand vous dites aux gens que le réseau de bus va être gratuit, et que ce réseau est utilisé pour 5% des déplacements de l’agglomération, la majorité des personnes – qui n’utilise donc pas le bus – vous dit : « je ne veux pas payer pour quelque chose que je n’utilise pas ». Il faut donc savoir être très pédagogue, et expliquer comment est financé le projet. En l’occurrence, au regard de nos recettes de billetterie, c’est la contribution publique qui finance déjà en grande partie le réseau. Sachant cela, le regard des gens change. Au-delà de ce premier obstacle, il y a de grosses inquiétudes de la part des conducteurs de bus, des contrôleurs, des agents qui vendent les tickets. Demain, que feront-ils ? Il faut donc être capable de répondre à toutes ces inquiétudes. Au final, pour faire fonctionner le futur réseau, on va embaucher 30 conducteurs supplémentaires. Il faut donc prendre le temps d’expliquer, être très pédagogue, notamment avec le personnel du réseau car c’est aussi lui l’ambassadeur du projet.
Avez-vous un conseil à donner à un élu qui souhaiterait se lancer dans un projet similaire ?

Si vous faites la gratuité sur un réseau qui n’est pas efficace, cela ne sert à rien. On ne peut pas faire ce projet sans réfléchir au service en lui-même. Il faut également penser à la manière dont on met en place la gratuité. Nous avions essayé d’imaginer un service avec carte, pour pouvoir compter les usagers, se dire qu’il y avait une démarche d’adhésion, mais on a très vite abandonné : si c’est gratuit, il faut que ce soit « free », que ce soit libre. En parallèle de la gratuité, il faut donc aussi maîtriser l’offre de service, et son évolution dans le futur, pour que le système fonctionne.
 
Propos recueillis par William Buzy