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À Orléans, le LAB’O accélère la croissance des entreprises du numérique

Cette semaine, la lettre de l’impact positif vous propose de découvrir une initiative menée par la mairie d’Orléans. Pour aider les entreprises liées aux nouvelles technologies, la métropole a réhabilité une ancienne usine pharmaceutique pour la transformer en “accélérateur de croissance”. Baptisé le LAB’O, ce lieu est à la fois un espace de co-working, un agence d’intelligence économique, un pôle d’innovation, un atelier d’outils industriels et une école. Il permet aux entrepreneurs de bénéficier de services tout en les regroupant pour créer une dynamique sur le territoire.

Pour en parler, Territoires Audacieux a passé une journée au LAB’O et rencontré Olivier Carré, le maire d’Orléans.

– Introduction –

L’ interview d’Olivier Carré est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.

– Mise en place du projet –

Comment l’idée vous est-elle venue ?

Cela faisait déjà un certain temps que nous tournions autour des nouvelles technologies. Un collectif d’entrepreneurs me disait qu’il fallait foncer dans l’aventure de la French Tech. Notre territoire a toujours été très marqué sur l’économie. Par exemple, les secteurs de la cosmétique, de la logistique ou de l’agro-alimentaire sont très dynamiques. Mais il manquait un relais. Dans les années 2000, Orléans n’avait pas bien pris en compte l’enjeu du digital au niveau des entreprises. Ce manque et la présence de toutes ces initiatives ont fait prendre conscience à tout le monde et notamment au milieu politique qu’il était possible d’aller en avant. Pour cela, il fallait se doter d’un outil qui gère la convergence entre le monde des nouvelles technologies et celui de l’économie traditionnelle. La ville voisine de Tours menait une initiative parallèle. Nous nous sommes rencontrés afin de créer une dynamique commune. Il fallait ensuite créer un lieu totem et dans les deux villes nous avons décidé qu’il serait sur des sites industriels reconvertis.

Quels étaient ces lieux ?

À Orléans, c’est le site de Famar. C’était une ancienne usine pharmaceutique située à deux pas du centre-ville. Elle a été rachetée par Orléans quelques années auparavant car les unités de l’entreprise avaient été transférées dans de nouveaux locaux à quelques kilomètres. C’était un deal de racheter les locaux afin de les reconvertir. Et sur Tours, c’était une ancienne imprimerie. Ici, nous avons acté le projet fin 2014. Les entrepreneurs étaient dans les starting-blocks et nous même nous avons investi pour 15 000m2 à peu près 12M d’euros. L’idée était de faire de ce lieu un HUB pour accueillir des entreprises innovantes. Nous voulions aussi qu’il fasse le lien avec l’économie plus traditionnelle. C’est là que pour réaliser ce projet, nous nous sommes appuyés sur une équipe d’entrepreneurs de toutes tailles qui ont pris le projet à bras le corps. La ville a assuré la maitrise d’ouvrage du projet mais il était piloté par les entrepreneurs. Nous avons payé les travaux mais l’équipe a choisi tous les agencements, les matériaux et la façon de conduire ces travaux.

Il y avait donc une logique de co-construction public/privé…

Oui. C’était du co-développement. C’est ce que nous essayons de réaliser à Orléans. C’est important car cela permet d’embarquer l’ensemble de l’écosystème. Alors que quand cela vient uniquement du monde politique, il faut une autre démarche pour embrayer. Nous n’avons pas forcément les meilleures idées. Nous avons juste une vision globale du territoire et nous savons comment cet outil va s’insérer d’un point de vue stratégique dans nos politiques publiques. Mais le savoir-faire, ce sont ceux qui vont utiliser ce lieu qui l’ont. Cela fait gagner du temps et en créant un écosystème viable, il y a une pertinence à investir de l’argent public.

Dynamiser le territoire en réemployant un bâtiment, c’est un double bénéfice ?

Absolument. Le bâtiment était une friche et était situé en plein cœur de la ville. Il était important qu’il soit reconverti. Architecturalement, il a été construit dans les années 50 par un architecte renommé Jean Tschumi. Le projet a permis que cette architecture soit récupérée. Nous n’avons pas pu faire un bâtiment aux normes RT 2012 mais tous les approvisionnements sont en énergie verte. Par exemple, le chauffage est en géothermie. Nous avons réussi à ce que son empreinte carbone soit la plus faible possible. Mais les murs ne sont pas tout. Au-delà de l’âme entrepreneuriale, nous y avons ajouté différents acteurs qui jouent un rôle sur la création de valeur. Il y a par exemple une école de coding qui permet de labelliser en six mois des personnes qui sont immédiatement employées à des salaires très corrects… Il y a 25 codeurs formés par promotion. Il y a aussi une agence qui est piloté par la métropole qui fait de l’intelligence économique. Elle met en relation des financeurs, des labos de recherche, des entreprises ou des gens qui ont juste des idées.

Il y a également votre industry lab ?

Nous avons une expérience unique en France. C’est au-delà des fablabs qui proposent de créer des prototypes et de les mettre en œuvre via des imprimantes 3D. Mais ce n’est pas suffisant pour étudier la viabilité économique d’un projet. Nous avons investi plus d’un million dans du matériel que nous mettons à disposition des entrepreneurs. Ils peuvent y faire leur première série d’un composant. Beaucoup fabriquent par exemple des capteurs pour après utiliser les données dans des algorithmes qui rendent un service. Dans ce cas, il en faut souvent 20, 30 ou 40 et le prototype créé par machine 3D s’essouffle alors que nous avons des machines capables de créer des outils dans les mêmes conditions que dans l’industrie. Cela permet de produire pour pas trop cher et donne aux entrepreneurs la possibilité de se tromper. Cela permet aussi de voir quelle est la faisabilité en termes de process en vue de confier la fabrication à un sous-traitant plus tard. C’est un élément auquel je tiens beaucoup car il fait le lien entre la data, les services, les objets connectés… Nous sommes dans un univers performant et prometteur.

C’est un projet global…

Nous avons aussi un cluster qui fait de l’innovation par les services. L’essentiel des innovations porte sur les nouvelles technologiques et les services. Les deux sont en train de converger. Le big data amène des réflexions dans ce domaine. Les algorithmes servent à optimiser des fonctionnements publics ou en B to B. A partir de là, nous vivons dans une société qui tourne beaucoup autour des services. Il faut viser l’économie de rupture car cela permet d’aller assez loin dans les process et la façon dont les sociétés innovantes peuvent creuser leur sillon. Tout cela a permis d’accélérer la croissance des entreprises. En seulement quatorze mois, les entreprises ont presque toutes eu un bilan très positif. Certaines sont bien en avance sur leur plan de financement et nous sommes sur une logique d’accélération de croissance. On a un espace de coworking où des entrepreneurs peuvent juste louer un bureau mais nous allons beaucoup plus loin et c’est une véritable réussite.

– Le projet aujourd’hui –

Au quotidien, comment faire pour que le LABO soit un lieu de rencontre ?

Les forums ou la virtualisation c’est très bien mais à un moment il faut se rencontrer. Les lieux de convergence le permettent. Ils créent un dialogue et un échange. Ce n’est plus que skype ou un écran. Il y a aussi tout le partage d’émotion, de réussites ou d’échecs. A un moment donné, si on veut accélérer la croissance, il faut être dans un environnement stimulant. C’est possible par le coaching mais il faut d’abord une base. Pour nous, c’est le lieu. Je ne parle pas des quatre murs, c’est tout ce qu’il y a autour. Nous avons des partenaires qui aident les entrepreneurs en RH, en brevets, en comptabilité ou en fiscalité. Tout ce qui va bien pour qu’une entreprise fonctionne.

Pour créer les conditions de cette accélération, vous avez aussi créé un fond d’investissement…

Nous avons fondé avec la ville de Tours et la région, un fond d’investissement qui dépasse maintenant les 20M d’euros. En proportion, c’est deux tiers d’acteurs privés et un tiers d’acteurs publics. Ce fond intervient lorsque l’entreprise n’est pas à son démarrage mais qu’elle n’a pas encore tout à fait réussi. C’est ce moment que l’on appelle dans le jargon la « vallée de la mort », quand l’entreprise a mangé tous ces fonds propres et où elle doit fournir de fonds de roulement. C’est souvent durant cette période que les boites ferment ou sont rachetées pour un bas prix. Ce fond doit permettre aux entreprises de passer ce cap puis de se développer. Les entreprises du Labo sont éligibles mais également toutes celles de la région. Nous sommes fiers d’avoir réussi d’avoir mené ce projet avec la ville de Tours. C’est un signal fort envoyé au monde de l’entreprise. Cela montre que les territoires ne sont pas en concurrence mais en collaboration pour tirer tout le monde vers le haut.

Comment faire pour que les différents acteurs se parlent ?

Une des raisons du succès du Labo, c’est que c’est un lieu d’échange. La croissance et l’accélération vient du mélange de compétences et de présences. C’est un état d’esprit plus qu’une addition d’entreprises. Pour le gérer, nous désignons tous les ans un chef de tribu. Son mandat est de faire en sorte que l’ensemble du site fonctionne bien. Il s’appuie sur une entité nommée Orléans Pépinière qui gère tous les éléments communs et le fonctionnement technique du bâtiment. Le chef de tribu est aussi là pour veiller au bon état d’esprit et piloter le comité d’agrément. Il ne faut pas que nous acceptions tout le monde au LAB’O. Il faut préserver l’envie des entrepreneurs qui sont sur place. Les projets doivent être viables et incorporer de la technologie. Avec cet équilibre, le LAB’O permet un mélange de compétences.

Quels sont les avantages pour le territoire ?

Il y a de nombreuses possibilités. Tout d’abord nous sommes sur un bassin économique qui a besoin de se ressourcer. Le Labo sert de point d’appui. Les entreprises dites classiques viennent très souvent pour des colloques mais elles en profitent aussi pour échanger avec des entreprises plus innovantes. Par exemple, récemment nous avions une entreprise de cosmétique qui avait décidé de se spécialiser dans les produits bios. Sephora qui a toute sa base logistique dans notre région a pu les rencontrer pour évoquer des partenariats. Notre projet permet donc de valoriser tous les petits éléments qui peuvent servir de ressources pour enrichir ou développer des nouvelles stratégies pour les sociétés plus traditionnelles. Dans un environnement où la croissance repose souvent sur des ruptures et des captations de marchés à l’échelle mondiale, c’est très intéressant dans un bassin que nos entreprises puissent avoir un lieu où puiser de bonnes idées.

En tant que collectivité publique, est-ce que le LAB’O vous apporte quelque chose ?

Un service public par définition cela doit être très robuste. Il faut être fiable pour la cantine, pour distribuer l’eau ou pour garder les enfants. Il faut être fiable dans tous les domaines. Cette robustesse, elle peut parfois être orthogonal avec l’agilité nécessaire à la remise en question. A ce moment-là, si nous faisons appel à de jeunes sociétés innovantes, il est possible de leur demander d’imaginer des solutions pour tel ou tel type de services. Nous les rémunérons pour cela et leur agilité nous offre une solution que nous pouvons intégrer dans nos services. C’est cette mutation qui est aujourd’hui à l’œuvre. C’est évidemment modeste en termes de poids global des services que nous fournissons mais je suis sûr que cela va prendre de l’ampleur.

Quelles démarches administratives doivent effectuer les start-ups pour entrer au Labo ?

Elles doivent passer par le conseil des tribus afin que nous étudiions le stade de maturité de son développement. Pour les questions de loyer, cela dépend de son chiffre d’affaires. C’est parfois très faible et par moment cela monte jusqu’à un loyer normal. Il faut savoir aussi que dans quelques mois l’ensemble du site sera loué. Nous aurons un niveau de rentabilité assez fort. Le déficit du site est équivalent à la taxe foncière qu’il paye. C’est une opération qui aura été auto-financée.

Comment réussir à faire collaborer les acteurs privés et publics ?

Je connaissais un certain nombre d’entrepreneurs. Je les ai invités à être des acteurs. Je considère que l’institution est garante d’un certain nombre de choses. Les élus ont une vision qu’il faut partager. Par contre, il faut conditionner l’administration pour qu’elle accepte de lâcher prise. Ce n’est pas toujours facile. Les entrepreneurs savent ce que sont les chiffres. Ils ont découvert la joie des marchés publics. Mais finalement nous avons réussi à aller assez vite. Il faut que chacun prenne le meilleur de l’autre. Les services sont très efficaces quand ils sont bien pilotés. Là le groupe d’entrepreneurs a réussi ce pilotage et j’en suis ravi.

– Comment dupliquer le projet  –

Aujourd’hui quelle valeur crée le Labo ?

Un outil comme le labo aide à construire les chainons manquants entre les différents acteurs. Par exemple, dans la région, nous avons une spécificité sur la métrologie. Il y a peu d’endroits en Europe où il y a autant de compétences sur les mesures et la captation. Nous allons les soutenir pour créer un ensemble cohérent. Aujourd’hui c’est un domaine pionnier mais demain avec le big data il va y avoir un grand développement. C’est intéressant pour le territoire de repérer cela. Un outil comme le Labo aide beaucoup, j’y crois pour redensifier les emplois à forte valeur ajoutée dans les années à venir.

Combien a couté ce projet ?

Pour les 15 000m2 de ce bâtiment, cela nous a coûté 12M d’euros. Soit 800 euros du m2. Il faut rajouter que nous avions racheté le bâtiment 8M d’euros il y a quelques années. Soit un budget total de 20M d’euros. Ensuite, le budget de fonctionnement est pour l’instant déficitaire de quelques centaines de milliers d’euros mais quand l’ensemble du site sera opérationnel, nous serons dans ce que nous appelons un « petit équilibre ». Tous ces éléments font que le projet est relativement rentable. Pour l’agence d’intelligence économique, c’est 1M d’euros par an. L’industry lab sera rentabilisé dans deux ans. Il est en plein croissance et avait été co-financé par la région et la métropole. Chacun a apporté 500 000 euros.

Par rapport à son coût, êtes-vous satisfait de son impact ?

Par rapport à d’autres activités publiques que nous générons, c’est un très bon rapport qualité prix. Il y a de la création de valeur, de la valorisation de territoire… Nous ancrons une véritable dynamique. L’orléanais est le 10ème PIB de France, la métropole est la 21ème en termes de taille. Le Labo joue un rôle en valeur absolu qui est faible. Mais en termes de dynamique, il est fondamental. En économie, il faut souvent cette petite condition initiale déterminante qui change tout. Je suis très heureux de la réponse de l’ensemble de l’écosystème économique à notre initiative.

Avez-vous mesuré précisément son impact ?

Nous pourrions avoir déjà de nombreux chiffres. Notamment car les entreprises présentes ont embauché. Mais ce ne serait pas à l’échelle de la nature de l’investissement. Dans le futur, nous verrons l’impact. Je vois des entreprises très importantes qui en ce moment réfléchisse à s’installer vers Orléans car le Labo est présent. Ces éléments-là, en seulement deux ans, nous permettent dans un domaine comme l’agriculture numérique d’envisager la création d’un autre pôle comme le Labo. Tous ces éléments montrent bien un cercle vertueux de croissance.

Avez-vous des élus qui se sont intéressés à votre projet ?

Parmi les élus de notre territoire, il y a ceux qui étaient convaincus dès le départ et ceux qui ne l’étaient pas. Je crois qu’aujourd’hui cela fait l’unanimité. Nous recevons également des visites d’élus d’autres territoires. Ils viennent voir nos différences. Cela passe notamment par notre attachement à la logique économique. Si on regarde ce qui se fait par exemple en Allemagne ou dans la Silicon Valley, les bassins sont très irrigués par des agences. Il y a beaucoup d’interventions publiques qui pilotent des éléments clés de cette chaine de valeur. Je crois que c’est l’avenir du développement économique sur les territoires. Il faut savoir où sont les éléments clés qu’il faut créer ou développer alors que le reste de l’écosystème s’auto-nourrit par son propre développement. Les agences d’intelligence économique ont un vrai rôle à jouer.

Avez-vous eu une opposition politique ou citoyenne lors du développement du projet ?

Non. Il n’y a pas eu d’opposition mais une crainte. Celle qu’il n’y en aurait que pour les entreprises de technologie. J’ai passé du temps à essayer de rassurer en indiquant que le lieu serait ouvert à tout le monde. Le plombier, il participe aussi par ce que l’on appelle le génie climatique à la transformation des maisons. Lui aussi, il va rendre la maison intelligente et avoir besoin de capteurs pour cela. Là vous avez des gens qui considèrent que ce n’est pas pour eux et d’autres qui s’intéresse. Mais ça c’est la vie économique… Ce qu’il faut, c’est ne pas avoir de préjugés. Il faut dédramatiser l’aspect geek-techno.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne