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Loire-Atlantique : le département expérimente "l'accueil solidaire" des jeunes migrants

Le Département de la Loire-Atlantique expérimente depuis 2015 « l’accueil solidaire », un dispositif qui sollicite les familles de la région pour héberger des jeunes migrants. Objectif ? Mieux honorer l’obligation qui lui est faite de prendre en charge tous les mineurs sur son territoire tout en permettant à de nombreux jeunes d’apprendre les codes de notre société. En engageant sa responsabilité civile, le Département apporte également une sécurité aux familles souhaitant s’engager dans cette démarche d’accueil. En tout 42 familles sont passées dans le dispositif depuis son lancement.
Laurent Gollandeau, directeur enfance familles du conseil départemental de la Loire Atlantique a répondu aux questions de Territoires-Audacieux.fr.
 
Sommaire:

 

– Mise en place du projet –

À quel besoin avez-vous répondu ?
Philippe Grosvalet (président du département) et Fabienne Padovani (vice-président aux familles et à la protection de l’enfance) ont eu cette idée car le Département augmentait le nombre de places d’accueil pour les jeunes migrants. Deux idées nous ont guidés. La première c’est que nous sommes face à un phénomène qui ne va pas être juste passager. Il faut changer les modèles car accueillir des migrants sera un défi sur le long terme. La deuxième, c’est qu’il faut trouver d’autres solutions que les réponses traditionnelles car les jeunes migrants ont des profils différents. Par exemple, nous ne pouvons pas rester sur le même modèle dans la protection de l’enfance.Pour les mineurs étrangers, ils ont souvent développé un certain sens de l’autonomie pour arriver ici. 
Qu’est-ce que l’accueil solidaire des jeunes migrants ?
Il y a eu une arrivée importante de migrants en France. En Loire-Atlantique, nous les accompagnons depuis l’année 2015. Nous voulions des solutions alternatives à ce qui existe dans le domaine de la protection de l’enfance telles que les maisons d’enfants à caractère social ou autre accueil familial. L’idée était aussi de mieux impliquer les citoyens dans le système en leur offrant la possibilité de candidater pour accueillir chez eux des jeunes migrants, mineurs. C’est un croisement de plusieurs enjeux en matière de politique publique et de protection de l’enfance. À la fois nous essayons de sortir de la protection de l’enfance traditionnelle et en même temps nous impliquons le citoyen dans cette thématique. Nous y arrivons en offrant des modalités d’accueil qui permettent à des jeunes mineurs migrants de se retrouver dans un cadre familial, qui leur permette effectivement de comprendre d’un point de vue culturel la manière dont nous évoluons.
Pourquoi agir dans ce domaine ?
Nous répondons à des objectifs politiques. En impliquant les citoyens de Loire-Atlantique dans l’accueil de cette population, nous leur permettons de mieux comprendre les enjeux liés à l’immigration. Il y avait une véritable volonté d’expérimenter d’autres systèmes d’accueil. Les jeunes arrivent avec des objectifs de vie. Ils veulent pouvoir s’insérer dans nos sociétés. En partant de cela, ils sont souvent moteurs de leurs projets personnels et professionnels. Nous essayons de leur offrir un cadre permettant de mettre en œuvre ces objectifs.
Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?
D’abord, il a fallu réfléchir au système que nous voulions mettre en place. Nous sommes dans un système de bénévolat, ce n’est pas du tout dans une logique de rémunération. Il a donc fallu penser au dispositif, voir quelles étaient les conditions de sa mise en œuvre, quelles conditions nous attendions de la part des familles en matière de capacité à accueillir. À partir de là, nous avons fait de la communication pour susciter l’intérêt des ménages. Ces derniers pouvaient s’inscrire sur un dispositif de présentation de ce qu’est l’accueil solidaire. Suite à cette présentation, si la famille confirmait son engagement dans la démarche, elle devait passer une évaluation sur sa capacité à accueillir. Si le ménage réunit toutes les conditions, nous procédons à la mise en relation avec les jeunes migrants volontaires. Nous voulons être sûrs que c’est toujours une décision volontaire et jamais dans la contrainte. Notre but, c’est de créer une rencontre entre une famille et un jeune. Au début, c’est le temps d’un week-end, puis ça s’allonge jusqu’à devenir du long terme dans le cas échant. Il faut créer une volonté entre la famille et le jeune. Cela doit correspondre à un besoin du jeune à un moment donné. Ce besoin peut aussi évoluer dans le temps. Dans ce cas-là, il est possible que cela s’arrête avec la famille et que nous passions sur d’autres modalités. C’est un dispositif d’accueil plutôt adapté pour des jeunes qui arrivent avant l’âge de 16 ans.

– Le projet aujourd’hui –

Comment se passe l’intégration du jeune dans la société ?
Le jeune est intégré dans une famille, mais à côté, il est scolarisé. Il n’y a pas de différence entre un jeune qui est mis dans une famille ou un jeune qui serait prit en charge dans un dispositif classique de protection de l’enfance en terme de scolarisation et de prise en charge.
Quels sont les critères pour qu’une famille puisse accueillir un jeune ?
Ce n’est pas nécessairement une famille comme nous l’entendons avec deux parents et des enfants. Cela peut être une, ou des personnes, vivant dans un habitat et ayant une chambre de libre et qui veulent accueillir un jeune. Tout d’abord, il y a des conditions matérielles. Le jeune doit avoir sa propre chambre. Ensuite, nous évaluons ce que la famille recherche derrière cet accueil. Nous voulons être sûrs que les ménages soient dans un accueil solidaire. Il faut que la famille ait la bonne distance par rapport à cet accueil. Il faut garder en tête que nous sommes sur un dispositif provisoire, qui pourra évoluer. Le jeune peut vouloir partir à tout moment, vers plus d’autonomie par exemple. Il faut que la famille soit consciente de tout ça et qu’elle comprenne les besoins fondamentaux du jeune. Il y a des différences culturelles et la famille doit être en capacité de l’accepter et de le comprendre.
Comment se passe l’échange une fois que le jeune arrive dans la famille ?
Il y a une indemnité versée de 16€60 par jour à la famille. C’est une indemnité qui couvre l’ensemble des frais occasionnés par la présence du jeune. Pour le reste, étant donné que le Département dispose de la tutelle, nous prenons en charge les frais de scolarité, santé, d’activités, etc. Financièrement pour la famille, il était important que ce soit neutre. Le jeune n’est pas juste laissé dans la famille. Il a un référent social au niveau de notre service ou bien nous déléguons ce travail à une association qui nous aide. Le travailleur social doit aussi être le référent de la famille. Le jeune est intégré dans une famille, mais à côté, il est scolarisé. La famille n’est pas isolée et ne fait pas ça toute seule. Il y a un système d’accompagnement pour les familles et pour les jeunes. 
Avec combien de famille travaillez-vous ?
Nous avons 21 familles qui accueillent des jeunes et trois familles en cours d’évaluation. En tout 42 familles sont passées dans le dispositif depuis son lancement. Nous avons commencé avec cinq familles. Nous utilisons beaucoup le bouche-à-oreille, par les campagnes de communication que nous avons pu faire, des articles dans la presse etc. 
Quel rôle joue le Département dans tout cela ?
Le Département exerce la tutelle par rapport au jeune. Il est garant des conditions d’accueil pour la famille. C’est lui qui évalue les conditions d’accueil et les capacités de la famille. Une fois le jeune mis en relation, le Département s’assure que la famille est à sa juste place vis-à-vis du jeune. Il faut un équilibre pour cela. Enfin, le Département est garant de l’intérêt supérieur du jeune et de la bonne qualité de sa prise en charge. 
Que se passe-t-il quand le jeune atteint les 18 ans ?
Le jeune peut continuer à être accompagné par le Département au delà de ses 18 ans avec un contrat de jeune majeur si sa situation le justifie. Cela lui permet de continuer à être pris en charge par la collectivité si cela est nécessaire. Le jeune a le choix de quitter le système de la protection de l’enfance à partir de 18 ans. C’est à lui de décider en fonction de son contexte et de ce qu’il a envie de faire. Une fois le jeune mis en relation, le Département s’assure que la famille est à sa juste place vis-à-vis du jeune.

– S’inspirer du projet –

Quels retours avez-vous des ménages d’accueils ?
Le retour est globalement positif. C’est une rencontre entre des jeunes qui ont 15 ou 16 ans et une famille. Cela crée du lien. Nous avons un fort turnover des familles, car une fois qu’elles se sont investies, c’est souvent difficile de se réinvestir dans une nouvelle relation. En même temps, nous sommes sur un dispositif mis en place en 2015 donc nous n’avons pas un retour d’expérience suffisant. 
Quelles difficultés rencontrez-vous ? 
Le turnover des familles et la capacité de renouveler les familles qui veulent bien s’engager auprès de nous. Nous arrivons tout de même à maintenir le nombre de ménages qui s’engagent. L’année dernière, nous avons fait le choix de mobiliser deux associations qui vont nous accompagner dans le champ de l’accueil solidaire. Elles vont intervenir sur le développement de cette action auprès des familles. Nous aurons donc trois vecteurs de communication : le Département, et ces deux associations. Cela nous aidera à structurer le réseau de familles pour augmenter le nombre d’accueils solidaires. Sur le reste, le système fonctionne globalement bien. Il donne satisfaction à la fois aux jeunes et aux familles. C’est pour cela que nous continuons de développer cette modalité d’accueil.
Combien cela vous coûte ?
En 2013, le budget départemental était de 300 000 euros pour l’accueil des jeunes migrants. En 2018, nous sommes à 24 million d’euros. Il y a beaucoup plus de mineurs pris en charge par le département aujourd’hui qu’il y a 5 ans. Le Département prend en charge tout ce qui est frais de santé, scolarité, activités sportives et culturelles et il verse à la famille 16€60 par jour. Avec ceci, nous en sommes autour de 35 à 40 euros par jour.
Quel conseil donneriez-vous à un territoire souhaitant faire mettre en place une action similaire ?
Il faut faire une bonne évaluation de la situation et bien mobiliser le réseau existant pour faciliter la diffusion de l’information. Il existe beaucoup de réseaux solidaires donc ça peut être intéressant pour un territoire de pouvoir mobiliser les réseaux associatifs pour relayer l’initiative et la structurer avec eux. 
Propos recueillis par Claire Plouy