Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à la ville de Bruges. Grâce à un projet coordonné par une association, cette municipalité belge peut se targuer d’être la première ville “dementia friendly”. S’il n’existe pas de traduction exacte pour ce terme en langue française, il s’agit de créer un territoire plus accueillant pour les personnes qui souffrent de maladie comme al-zheimer. Nous avons rencontré Bart Deltour, le coordinateur du projet qui se bat depuis vingt ans afin de transformer sa ville.
– Introduction –
Comment faire en sorte que les personnes qui souffrent de troubles cognitifs puissent conserver une certaine autonomie au sein d’un territoire ? Cette question Bart Deltour, le coordinateur du projet Familiezorg West-Vlaanderen de Bruges, tente d’y répondre depuis plus d’une vingtaine d’années. Pour lui, il faut agir en plusieurs étapes. La première (et la plus importante pour lui) consiste à réussir à faire changer les attitudes des aidants et des citoyens envers les malades. Ensuite, il faut alors créer les conditions nécessaires à ce que les malades puissent continuer à bénéficier d’une certaine liberté dans la ville. C’est pourquoi son projet se base sur la formation de toutes les personnes pouvant être au contact de personnes atteintes de maladie de type al-zheimer. A Bruges, il commence désormais à s’infiltrer dans toutes les couches de la ville. Pour cela, il travaille par exemple avec la police municipale et une centaine de commerçants.
– Mise en place du projet –
Comment avez-vous eu débuté la mise en place de votre projet ?
Nous avons fait une petite étude sur les besoins que les malades d’al-zheimer et maladies apparentées pouvaient avoir à l’échelle locale et de façon globale. Nous avons créé un projet avec quelques grandes lignes importantes comme changer les représentations de la maladie, donner des formations ou du training, apporter des informations et s’infiltrer dans la ville.
Après cette étude, il a fallu mettre en place le projet sur le terrain ?
Nous avons commencé par les formations pour les volontaires, les professionnels et les aidants dans les familles. L’idée c’était qu’ils soient bien informés, sur la maladie et sur comment on peut communiquer avec les malades. Il y avait également un grand focus sur les clichés préconçus. Nous voulons changer ces images négatives pour créer une société qui soit accueillante.
Derrière cela, il y avait la volonté d’agir sur le territoire ?
Oui et c’était cette partie qui était la plus ambitieuse. Depuis 7ans, nous avons demandé aux familles de témoigner et de donner des signes aux personnes clées dans la ville. Il fallait viser tous les secteurs de la ville que soit le domaine culturel, éducatif ou économique. Le but c’était de faire passer un message de la part des malades disant « nous pouvons faire beaucoup nous même mais nous ne pouvons pas le faire seul avec nos aidants. Nous avons besoin de toute la ville ». Si on prend l’exemple des magasins, ils doivent changer leur façon d’accueillir les malades.
Le premier objectif doit donc être de changer les mentalités ?
Depuis 20ans que le projet existe, nous avons fait des projets pour influencer les perceptions que les gens ont de la maladie. Trop souvent c’est négatif. Le malade est vu comme un enfant, comme une personne qui n’a pas de conscience. C’est tout à fait faux. On dit la maladie c’est indigne mais ce que nous avons constaté nous, c’est que la maladie donne certes des problèmes mais la grande indignité c’est la manière dont on traite les personnes. L’indignité se trouve dans nos institutions, dans la façon dont nous communiquons – pas – avec les personnes malades.
Quels besoin particuliers ont les personnes atteintes de troubles cognitifs ?
Ils ont les même besoins que nous tous. De la sécurité, de l’attention, du confort, d’un comportement qui exprime de l’égalité. Ils y a aussi un réel désir d’autonomie et de liberté. Ce sont des droits universels…
… alors plutôt que leur manquent-ils ?
L’attitude. C’est la clé. Si l’attitude de tout le monde change avec plus d’égalité et de respect alors nous pourrons y arriver.
Il faut donc juste agir sur les attitudes ?
Nous avons fait beaucoup de projets. C’est important pour réussir à s’infiltrer sur de nombreux niveaux. Mais ça ne sert à rien si on n’arrive pas à changer les mentalités. Par exemple, nous avons fait un film avec un groupe de théâtre pour sensibiliser. C’était des professionnels mais le résultat a été désastreux. C’était tout le contraire de ce que nous voulions. Pourquoi ?Car tous les stéréotypes étaient là dedans. Cela nous avait coûté beaucoup d’argent mais on a tout supprimé. Et les personnes malades sont venues vers nous en nous disant mais pourquoi vous ne nous filmez pas nous ? Ca aurait du être naturel mais on avait pas osé leur demander. Il y avait une idée de les protéger qui n’était pas nécessaire.
– L’analyse –
Qu’avez-vous mis en place à Bruges pour changer ces attitudes ?
Nous avons par exemple réalisé des projets artistiques. Nous essayons toujours de nous infiltrer dans divers domaines. A Bruges, il y a eu les magasins, les restaurants, les cafétérias… Mais c’est dur de réussir à mobiliser. Nous avons fait plusieurs actions pour tenter de vulgariser. Le but était que les commerçant qui participe à la ville accueillante mettent un logo avec nœud de solidarité pour afficher cela auprès des malades. Aujourd’hui, je pense qu’à Bruges seulement 100 magasins l’ont mis, ce n’est pas assez.
Il faut multiplier les initiatives ?
Nous disons toujours que le fort de notre projet c’est qu’il est très global, très divers. Tous les éléments sont importants. Ils font tous partie d’un puzzle. On doit changer les attitudes et les perceptions. Plus on le fait, plus on crée une culture, une société qui est prête à accueillir les personnes avec la maladie.
Vous avez beaucoup travaillé avec le secteur culturel ?
Nous avons essayé d’être présents dans les musées. Il y a sept ans, on avait fait plusieurs tentatives pour les motiver et qu’ils travaillent avec nous. Sans résultat. Et il y a deux ans, un musée a voulu créer un musée pour accueillir les personnes ayant des troubles cognitifs. Ils nous ont contacté et nous l’avons créé ensemble. On doit travailler sur une longue durée. Maintenant, nous commençons à avoir des résultats. Nous travaillons aussi avec les écoles.
Il faut aussi collaborer avec les acteurs locaux, comme vous l’avez fait avec la police ?
Nous avons donné une formation à la police pour qu’ils connaissent la maladie, pour changer leur représentation de celle-ci. Mais aussi qu’il puisse y avoir un protocole quand quelqu’un est perdu. Qu’on puisse le retrouver très vite. Il y a aussi une fiche d’identification que l’on fait en amont. Seuls les vêtements restent à ajouter. Les premiers moments, où quelqu’un disparaît, sont très importants. J’ai un bon exemple de ce protocole. Une personne d’une maison de retraite était perdue. On a très vite lancé le protocole et informé la police. Grâce à une centrale, les chauffeurs de bus ont aussi été informés. L’homme disparu se trouvait dans un bus et un chauffeur a pu le reconnaitre. On a évité quelque chose de grave.
En quoi votre projet est-il différent de ce que l’on peut voir en France ?
Je pense que la spécificité de Bruges, c’est vraiment la globalité du projet. Dans les villes françaises, mais aussi dans d’autres pays européens, plusieurs organismes s’occupent de plusieurs choses pour créer une société plus accueillante. Nous, nous essayons d’investir dans tous ces éléments. Et lorsque tout est rassemblé, on a une plus grande force. Et c’est seulement maintenant, que nous constatons qu’il y a un changement.
– Dupliquer le projet –
Comment avez-vous financé votre projet ?
Dès le début, nous avons assumé notre projet grâce à des financements sur un an. Nous avons demandé aux élus de l’aide. Nous avons aussi reçu des contributions de la part de fondations. Certaines personnes qui nous supportaient et nous ont donné de l’argent.
Les élus doivent plus investir dans ce domaine ?
Je pense que c’est très important de financer les initiatives. Travailler avec des bénévoles, on peut se dire que ça ne coûte rien mais ils doivent être formés, entrainés et sélectionnés. Il faut des bons volontaires partout. On doit investir dans des coordinateurs pour qu’ils puissent travailler avec ces bénévoles. Il existe des grands plans, comme nous avons en Belgique, mais je ne perçois rien. C’est bien d’avoir un grand plan mais quand il n’y a pas de financement derrière c’est dommage. Les finances nous servent à investir. Et là où nous investissons le plus, c’est dans la prévention. Tout ce que nous faisons dans ce domaine permet à l’État d’épargner. On constate, et ça a été prouvé par une professeure américaine, que nous avons moins besoin de généralistes, de médecins pour les personnes atteintes de la maladie. Mais aussi pour les familles, il y a moins de jours dans les hôpitaux. On peut également reculer la date de départ dans une maison de retraite d’au moins un an. Cette prévention est très importante et ce que l’on peut épargner avec est très grand. Il faut investir dedans. Mais les personnes atteintes de la maladie ne sont pas assez rassemblées pour donner un signe aux politiciens pour les faire bouger.
Quel soutien le maire de Bruges vous apporte-t-il ?
Il nous a peu aidé financièrement, malheureusement. Nous recevons 5 000 euros par mois de la ville, ce n’est pas beaucoup. Mais la mairie s’engage dans la logistique du projet. Nous pouvons utiliser une grande salle de concert gratuite pour des événements. Lorsque nous devons écrire une lettre pour un magasin, c’est elle aussi qui paie. Nous avons pu mettre un poème sur une tour dans la ville de Bruges. C’était vraiment exceptionnel car il y a des lois qui l’interdisent. Mais il était motivé pour le faire. Ce poème a été écrit par une personne atteinte de la maladie. La voix de cette personne s’adresse aux habitants de Bruges mais aussi à tous les touristes avec ses propres mots. Et je peux parler de beaucoup de petits projets, qui sont toutes des petites pierres, des petits éléments pour travailler jour par jour, semaine par semaine, mois par mois, an par an … pour créer une société plus accueillante pour les personnes atteintes de la maladie.
Faut-il des pré-requis pour réussir à devenir une ville accueillante ?
Créer une culture de compassion, c’est très important. Nous avons créé une plateforme de coordination avec les hôpitaux, les maisons de retraite ou les maisons d’aide à domicile. Mais nous sommes très ouverts. Nous ne sommes pas dans un modèle bureaucratique ni administratif. On se réunit quatre à cinq fois par an pour regarder ensemble ce que l’on peut faire.
Quel impact votre présence dans la ville peut avoir au quotidien ?
C’est important pour une ville d’avoir une place, comme la maison de Foton où les malades ou leurs proches peuvent se rendre. Il ne doit pas y avoir de barrières pour y aller. Chez nous, il y a de la documentation avec beaucoup de livres et de films pour tout âge. C’est une maison très accueillante et très accessible. Cela fait vingt ans que l’on existe et pourtant encore beaucoup de gens dans la ville ne nous connaissent pas. C’est la perception, quand on a pas besoin de quelque chose, on ne l’entend pas. Même s’il y a beaucoup d’articles de ce que nous faisons dans les journaux.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne.