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“Développer une mutuelle municipale, ce n’est pas un projet qui se porte en un mois”

Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à la question des mutuelles municipales. Pour en parler, nous vous proposons l’interview de Véronique Debue. Adjointe au maire du village de Caumont-sur-Durance (Vaucluse), elle est à l’origine de la première initiative de mutuelle municipale.

– Introduction –

De plus en plus de villages ont lancé ces dernières années leur mutuelle municipale. A chaque fois, c’est la même idée: proposer aux habitants de se regrouper pour négocier un contrat de complémentaire santé collectif.  Ainsi ils peuvent bénéficier de tarifs intéressants pour des mutuelles de qualité. Si l’idée a pu séduire de nombreuses communes, elle n’est pas si simple à mettre en place.

Comment l’idée d’une mutuelle municipale vous est-elle venue ?

Véronique Debue

Avec mon poste d’adjointe au maire chargée des affaires sociales, je suis vice-présidente du CCAS (Centre communal d’action sociale) de Caumont-sur-Durance. Nous recevons régulièrement des demandes d’aide financière. Entre 2011 et 2012, nous avons reçu plusieurs demandes liées à la santé. Cela m’a interpellée et j’ai décidé d’aller au-devant de la population pour en savoir plus. J’ai été atterrée des réponses. Énormément d’habitants de notre ville étaient en difficulté pour accéder à des soins ou simplement à des lunettes. Quand j’évoquais les complémentaires santés, certains n’étaient pas satisfaits de leur contrat et les autres ne pouvaient pas du tout s’en payer.

À ce moment-là aucun projet de mutuelle municipale n’existait ?

Non. Aucune solution n’était proposée par des mairies. J’ai décidé d’agir. Comme j’ai travaillé en tant que commerciale, je savais que tout est négociable. Alors je me suis dit : pourquoi ne pas regrouper des citoyens pour négocier un tarif de complémentaire santé ? On m’a traité d’utopiste et d’idéaliste. Moi j’ai juste pensé à la phrase de Mark Twain : « ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait ». Je me suis mis en tête de trouver une solution décalée qui sorte de la norme.

Comment le projet s’est-il concrétisé ?

Pour réussir, le projet ne devait pas être individuel. Il fallait que tout le monde participe. Je suis donc allée chercher mandat auprès de la population. Fin septembre 2012, j’ai écrit une lettre aux habitants pour expliquer le projet et proposer un questionnaire afin de connaître les besoins. Nous avons reçu rapidement plus d’une centaine de réponses. C’était bon signe et notre projet commençait à prendre forme. En mars 2013, il y a eu un emballement médiatique autour de notre idée. Cela nous a permis de voir que nous répondions définitivement à un réel besoin et que nous avions un soutien, un courant rassurant derrière nous.

Ce n’était plus utopique ?

Non, cela nous a d’ailleurs permis de mettre en place la deuxième phase. Nous avons créé un comité de pilotage avec des professionnels du monde de la santé : des pharmaciens, des médecins, des dentistes, des infirmiers… C’était comme un puzzle où chacun amenait des informations liées à son métier et à sa personnalité. Nous pouvions nous baser sur les besoins de leurs patientèles. Les professionnels savent très bien les domaines pour lesquels leurs patients ne se soignent pas à cause de leur budget. Avec ce comité, nous avons également pris le temps d’apprendre à décortiquer tous les contrats de mutuelles. Avec toutes ces informations, nous avons pu mettre en place notre grille de critères.

En parallèle, vous deviez rester en contact avec la population…

Oui, c’est pourquoi nous avons réalisé plusieurs réunions publiques à partir du printemps 2013. Le but était d’informer, que tout le monde comprenne bien les enjeux mais également les contrats. Par exemple, pour des lunettes, votre mutuelle propose 400% de remboursement par rapport à ce que fait la sécurité sociale, ça peut paraître bien. Mais si la Sécu donne quatre euros et que votre paire coûte 400 euros, il vous reste une grosse somme à dépenser… Notre but était de mettre les citoyens en co-construction du projet avec des mots très simples, que ce soit accessible à tous.

Par la suite, comment avez-vous reçu les différentes offres ?

Une fois que nous étions prêts au début de l’été 2013, nous avons informé les complémentaires, assureurs et courtiers que nous pouvions recevoir leurs offres. Nous en avons reçu une douzaine. Grâce au comité de pilotage, nous étions devenus des « interlocuteurs performants » capables de disséquer toutes les petites lignes. Nous avons donc bien souvent demandé aux mutuelles de revoir leurs copies afin que cela colle vraiment à nos exigences. Nous n’avions alors plus qu’une dizaine de propositions. Nous avons étudié les dossiers et trois d’entre-elles tenaient suffisamment la route pour être jugées recevables.

Il ne restait plus qu’à sélectionner la bonne ?

Là encore, nous avons décidé de prendre notre temps. Nous avons fixé des critères liés notamment à la relation avec les futurs clients. Par exemple, nous ne voulions pas de standard téléphonique. Nous voulions quelque chose de facile et d’accessible pour les habitants du village. Cela peut paraître évident mais nous souhaitions une complémentaire humaine. Nous avons mené un travail de petites souris en enquêtant sur les trois finalistes. Début septembre 2013, nous avons fait notre choix définitif.

C’est un choix que les habitants ont pu valider par la suite ?

Le 25 septembre 2013, nous avons tenu une dernière réunion publique avec notamment des membres de la complémentaire santé choisie. Nous avons exposé le contrat et avons pris près de deux heures pour le décortiquer. Nous avons pu voir s’il correspondait à tout le monde. Chacun est reparti avec une plaquette pour analyser la proposition. Le mercredi suivant, ceux qui le souhaitaient, pouvaient venir en mairie pour comparer et signer définitivement le contrat. Pour ceux qui n’en avaient pas, notre mutuelle commençait tout de suite. Pour les autres, ils ont pu avoir accès à leur nouveau contrat au 1er janvier.

– Le projet aujourd’hui –

Combien d’habitants se sont engagés ?

Le village de Caumont-sur-Durance

Au début de l’année 2014, il y avait 280 foyers engagés dans cette expérience de mutuelle municipale. C’était déjà à l’époque une vraie réussite puisque Caumont-sur-Durance compte environ 4000 habitants. Désormais, nous sommes à 400 foyers ayant pu souscrire. De façon très légitime, certains étaient peut-être un peu dubitatifs et ont préféré attendre de vérifier que cela fonctionnait bien avant de s’engager.

Y-a-t-il un profil type parmi eux ?

Non et c’était un de nos objectifs. Le contrat que nous avons proposé devait correspondre à tous les habitants. Quand nous avons réalisé la souscription à la mairie, nous avons vu débarquer aussi bien des cadres en costume que des ouvriers agricoles en tenue de travail. Nous avons également des chômeurs, des jeunes et des personnes plus âgées. Chacun a pu voir que cela leur apportait une couverture santé plus importante tout en réalisant des économies. Tout le monde était gagnant.

À quel tarif proposez-vous cette mutuelle aujourd’hui ?

Nous sommes aux alentours de 56 euros par mois. Contrairement à beaucoup de mutuelle, il n’y aucune différence de prix en fonction de l’âge de la personne. Et sur les remboursements, nous avons mis l’accent sur des offres de soins cohérentes en nous préoccupant particulièrement des domaines suivants : dentaire, optique, audioprothèse, médecines parallèles (ostéopathie) et cures.

Quel a été le coût pour la mairie afin d’arriver aujourd’hui à ce système ?

Rien du tout. Le comité de pilotage s’est autogéré. Nous avons profité de la mairie pour faire les photocopies des questionnaires et c’est tout. Cela a surtout été une action citoyenne. Bien que le déclenchement provienne d’une action politique, il y a aussi eu une large participation de la société civile et du monde de l’entreprise. C’est le maillage des trois qui a permis à tout cela de fonctionner. Si vous faîtes un projet pour vos habitants, il faut les impliquer. Nous les politiques, nous n’avons pas la science-infuse. Une mairie qui ferait un projet dans son coin toute seule irait droit vers le couac.

– Les obstacles et pièges à éviter –

Quels ont été les plus gros obstacles lorsque vous avez monté votre projet ?

Le plus compliqué est de rester dans un cadre juridique correct. En octobre dernier, un avocat est par exemple descendu de Paris pour étudier le projet, et vérifier si nous étions attaquables ou pas. À la fin, il est reparti en tirant son chapeau-bas. Tout était légal. Nous avions fait très attention à tout cela mais il y a eu plusieurs attaques. C’est aussi pour cela qu’il faut avancer pas à pas, en marchant sur des œufs pour ne pas se retrouver coincés. Heureusement, nous avons été bien conseillés.

Mais qui aurait intérêt à attaquer votre projet ?

C’est très simple : quand vous faites gagner de l’argent aux uns, vous en faites perdre à d’autres… À un moment donné, on nous avait laissé faire pensant que cela ne marcherait pas, mais finalement nous avons réussi à le concrétiser. Certaines personnes ont dû se dire : mais si ce système fait boule de neige que va-t-il se passer ? Heureusement, notre projet recevait une forte adhésion, notamment chez les journalistes, qui trouvaient que c’était une vraie solution. Avec ce vent positif derrière nous, c’était plus compliqué de nous attaquer.

Y-a-t-il eu des oppositions politiques face à votre projet ?

Certains ont douté de notre projet mais personne ne l’a contesté. Ces questionnements nous ont servi à nous remettre en cause pour mieux avancer. Et lors des élections municipales, aucune des listes concurrentes n’avait prévu d’attaquer la mutuelle municipale.

Lors de ces élections, vous avez pu mesurer le poids politique de votre mesure ?

C’est très difficile à dire. J’ai pu lire ou entendre parfois que cela m’avait donné une crédibilité politique d’avoir réussi à mener cette expérience jusqu’à son terme et de réussir à créer pour la première fois en France une mutuelle municipale. Beaucoup nous ont dit que ce projet avait permis à notre liste de gagner les élections. Ce qui est sûr, c’est que pour une fois on a débattu d’autre chose que des routes ou des panneaux de signalisations. L’élection s’est jouée à une vingtaine de voix, alors certains m’ont dit « heureusement que ce projet a existé ».

– Dupliquer le projet –

Avez-vous eu des contacts avec d’autres municipalités souhaitant dupliquer votre expérience ?

La Mairie de Caumont-sur-Durance

Nous avons reçu de nombreux appels à la mairie. Surtout qu’en 2014 quand nous avons réussi à mettre en place la mutuelle municipale, nous arrivions près des élections municipales. Certains candidats voulaient bien faire et d’autres souhaitaient faire pour faire car c’était dans l’actualité. Par la suite, il y a eu des projets réussis et d’autres un peu moins. Certains organismes de santé ont aussi voulu monter des projets clés en main. Des élus les ont signés mais c’est une erreur.

C’est-à-dire ?

Il ne faut rien signer tant que l’on ne connait pas les tenants et les aboutissants. La première chose, c’est de se retrousser les manches et d’aller au contact de la population pour savoir ce qu’elle attend vraiment. Par ailleurs, il faut absolument savoir lire les petites lignes des contrats. J’ai vu que des mairies se sont retrouvées avec des contrats qui n’étaient pas viables sur le long terme. La première année, la proposition était hallucinante et alléchante puis la seconde il y a eu 80% d’augmentation. Une autre, il y a quelques temps, m’a appelée pour me montrer son contrat : il était fermé aux plus de 75 ans. Vous allez dire quoi dans ce cas-là à la population ? Que ce n’est pas pour tout le monde ? Quand on m’appelle aujourd’hui, j’avertis : ce n’est pas un projet qui se porte en un mois.

Propos recueillois par Baptiste Gapenne