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Une épicerie collaborative pour mettre du lien dans le village

Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse au village de Châteaufort (77). Avec ses 1500 habitants, il lui était impossible de garantir à un commerce de proximité une rentabilité suffisante pour s’installer. Mais les citoyens se sont montrés ingénieux et ont décidé de monter eux-même leur épicerie collaborative. Grâce à l’aide de la commune qui fournit gratuitement le local, le projet est économiquement viable et apporte à Châteaufort une dynamique très positive pour les relations entre habitants.

– Introduction –

Quand s’est posée la question de l’implantation d’un commerce de proximité au sein du village de Châteaufort, les études demandées par la mairie ont toujours prouvé qu’il ne serait économiquement pas viable. De la concurrence des grands supermarchés des alentours au bassin de population trop éclaté, les problèmes sont les mêmes dans de nombreuses communes françaises. Mais dans ce village des Yvelines, un groupe de citoyen a lancé une expérimentation inédite en France. En constituant une association, ils ont créé une épicerie collaborative. Pour la gérer, chaque famille membre donne deux heures de son temps chaque mois. Il s’agit de tenir l’épicerie, d’aller chercher des produits ou de préparer la prochaine commande. Le local étant fourni gratuitement par la mairie, l’épicerie fonctionne sans le moindre frais. Elle peut donc redistribuer les produits sans prendre de marge et proposer des tarifs imbattables. Et comme ce sont ceux qui achètent qui font les commandes, ils choisissent des produits éthiques, locaux et, dès qu’ils le peuvent, bio. Lancée il y a un an, l’épicerie, nommée l’Épi, regroupe désormais une centaine de famille et a permis de développer un vrai lien social entre les habitants.

Pour évoquer le projet de l’Epie de Châteaufort, nous avons rencontré Françoise Forzani, conseillère municipale pour le village et Théophile Poullot un des adhérents et co-fondateur de Monépi.fr. Vous pouvez également voir les deux interviews en version vidéo

– Mise en place du projet –

Comment l’idée d’une épicerie collaborative vous est-elle venue ?

Françoise Forzani et Théophile Poullot

Françoise Forzani: Les citoyens et les élus se sont retrouvés derrière une idée commune, celle de trouver un autre mode de consommation. C’était une philosophie de vie. Il y a un volet écologiste mais pas seulement. C’est plus que ça. Il y a de la convivialité, c’est consommer et se rencontrer.

Théophile Poullot: Cela remonte à 2015. Au départ, l’idée était d’implanter un commerce dans le village et de recréer de la vie. Aucune enseigne n’a souhaité le faire car la rentabilité n’était pas bonne. Partant de ce constat, quelques habitants et élus du village ont trouvé l’idée de créer une épicerie participative qui n’aurait besoin d’aucun investissement, d’aucun seuil de rentabilité et pouvant être mise en place en très peu de temps.

Encore fallait-il réussir à la faire tourner…

T.P.: Étant donné qu’on ne pouvait pas payer de salariés, il a fallu trouver une solution. Nous avons décidé de donner chacun 2h par mois pour faire fonctionner l’épicerie sans avoir à impacter le coût du salarié sur les produits. Pour coordonner le tout, plusieurs membres fondateurs qui savent coder ont créé une plateforme informatique pour faciliter la gestion. L’objectif était de faciliter la gestion au quotidien. Que tout se gère automatiquement.

Comment avez-vous pris les premières décisions ?

T.P.: Lors de la création de notre Épi, le choix du nombre d’heures et des premiers produits ont été décidé par les membres fondateurs. Aujourd’hui plusieurs adhérents forment le groupe “Produits” qui s’occupe de sélectionner les meilleurs produits bios locaux pour l’épicerie et les décisions se prennent par petits groupes.

Comment avez-vous élargi le projet des membres fondateurs à tous les habitants ?

T.P.: On a proposé aux habitants d’adhérer via les brèves de Châteaufort, qui ont annoncé le projet ainsi que par l’assemblée constitutive de l’association de l’Épi.  Nous avons ensuite accueilli beaucoup d’habitants de Châteaufort.

– Le projet aujourd’hui –

Pouvez-vous nous raconter comment fonctionne l’Epi au quotidien ?

T.P.: L’épicerie est juridiquement une association. Il y a donc un conseil d’administration et des adhérents. Chacun donne de son temps (2h par mois) pour faire fonctionner l’épicerie. Il y a plusieurs tâches différentes comme tenir l’épicerie, aller chercher les produits chez les producteurs pour les ramener au local. Le tout fonctionne de façon participative via une plateforme qui permet de coordonner les actions. Au début, certaines personnes étaient réticentes mais en pratique cela fonctionne très bien.

Le système des deux heures par mois est-il bien respecté par tout le monde ?

T.P.: Pour certaines personnes, c’est un peu compliqué. Pour d’autres, c’est plus facile. Le tout fait que cela se compense et fonctionne très bien. Certains donnent plus de leur temps car le système leur plait. Ils aiment le lien social qu’ils y retrouvent. On a réussi à créer de la vie au sein du village.

Comment fonctionnez-vous pour réussir ?

T.P.: Au quotidien, notre plateforme permet de gérer toutes les commandes automatiquement. Cela permet de gagner du temps. Après les adhérents peuvent choisir leurs créneaux avec trois mois d’avance. Ils décident de la tâche qu’ils veulent effectuer. Tout le monde peut voir le planning et personne ne « chapote » l’épicerie ou donne les grands axes, les choses à faire. Nous sommes vraiment en mode participatif. Cela sort un peu de l’économie traditionnelle et cela marche à la confiance.

La plateforme informatique permet la coordination ?

La plateforme qui gère le planning des tâches

T.P.: Oui, par exemple, si on prend l’achat des produits, le système s’auto-régule sans gestionnaire et les commandes sont envoyées automatiquement dès que le stock est trop bas. Le conseil d’administration peut-être présent si besoin. Nous améliorons constamment la plateforme pour offrir le plus de confort aux futures épiceries.

On peut considérer l’Épi comme un projet citoyen qui nécessite plusieurs soutiens ?

T.P.: Oui. Le concept de l’Épi c’est plusieurs briques. La collectivité apporte le local, les citoyens créent l’association, les agriculteurs produisent les denrées… Tous ces éléments coordonnés entre-eux permettent le bon fonctionnement.

Quels produits peut-on retrouver dans l’épicerie ?

T.P.: Il y a un peu de tout… Des boissons, du sec, mais aussi de la semoule ou des pâtes. Il y a également du frais distribué tous les samedi matins. Pour cette dernière option, chaque adhérent peut faire une pré-commande puis quelques un vont chercher les produits chez les producteurs locaux et on les redistribue.

Cette idée de produits locaux est-elle importante ?

T.P.: Oui, car nous voulons que plus de 75% des producteurs soient à moins de 15km. L’objectif est d’utiliser un maximum de producteurs bios et locaux. Nous voulons favoriser la production locale. Il faut savoir qu’un produit acheté 10 euros à un producteur sera revendu 10 euros aux adhérents. On ne fait aucune marge ce qui permet que tout le monde soit gagnant.

De nombreux produits sont désormais disponibles

Quels sont les effets de ce circuit court ?

T.P.: Cela permet de décarboner. L’idée c’est d’agir pour l’environnement. Que ce soit avec les produits ou le système d’achat. On va chercher les produits à proximité du local, les adhérents viennent à pied à l’épicerie car elle est au centre du village. Cela nous permet de réduire notre consommation de CO2.

Quels sont les avantages liés à ce système ?

T.P.: Pour les adhérents, il y en a trois. Le premier, c’est le lien social. Tout le monde se retrouve au sein de l’épicerie. Le second, c’est la qualité des produits. En choisissant des produits bios locaux, on valorise la qualité mais on peut surtout aller voir directement chez le producteur comment ça se passe. Et le troisième, c’est le prix. Étant donné qu’on achète au prix de gros et qu’on a aucune marge, les produits sont pour la plupart moins chers qu’en grande distribution. Il y a par exemple une réduction de 20 à 30% par rapport aux produits bios que l’on peut trouver en grande surface.

F.F.: Dans le village, le projet nous a permis de développer la collaboration mais aussi la convivialité et l’écoute. On a pu apprendre à se connaître d’avantage. Dans l’Épi, j’ai retrouvé un voisin avec lequel j’ai charrié de la paille et du fumier… Je peux vous assurer que cela crée des liens ! Sans que nous soyons des précurseurs, je crois que les gens ont besoin de développer le « vivre ensemble ». Le côté consommation de bons produits était également essentiel.

Avez-vous noté un impact social lié à ce projet ?

F.F.: Oui l’impact est très marqué. Si on doit prendre un exemple, lors de l’assemblée générale de l’Épi, nous étions plus d’une centaine de personnes ! Pour une commune de 1500 habitants, aucune association ne fait un tel chiffre. En un an, on voit bien que les gens ont été satisfaits. Je connais aussi des personnes qui se sont installées récemment et qui sont curieuses. Elles adhérent et voient que c’est un avenir. Ça ne remplace pas toutes les courses que l’on peut faire par ailleurs – ce n’est pas le but – mais ça marche.

T.P.: Le mode participatif permet aussi de développer des valeurs différentes comme la confiance. On retrouve à l’épicerie des choses que l’on ne trouvera pas en grande surface. On y voit ses voisins en épicier et quand ils vous font un sourire, ce n’est pas pour vous vendre des produits, car ils n’ont aucun intérêt dessus. Il y a un bon état d’esprit et des valeurs. Et avec notre expérience, on peut voir que cela fonctionne.

– Comment dupliquer le projet  –

Quelle est la démarche à suivre ?

T.P.: N’importe qui peut aujourd’hui créer un épi. Il suffit de s’inscrire sur notre site Monepi.fr, de créer virtuellement l’épicerie puis fonder l’association. Il s’agira ensuite de trouver un local et c’est là que le rôle des élus et des collectivités territoriales est très important. Les épis peuvent voir le jour n’importe où, que ce soit en milieu rural ou urbain. On peut le créer dans un village comme dans un quartier d’une ville, c’est un système qui sait s’adapter.

Il y a des pré-requis pour réussir ?

T.P.: Pas vraiment si ce n’est de la motivation. Il vaut mieux avoir un groupe de trois ou quatre personnes très motivées pour lancer le projet. Après, il est certain que si la commune intervient pour mettre à disposition un local gratuitement, forcément cela facilite le projet.

Comment transmettez-vous la plateforme ?

La plateforme de gestion Monépi.fr

T.P.: Nous mettons gratuitement à disposition de tous la plateforme Monépi. Pour les particuliers, les associations, les mairies etc… Les fournisseurs/producteurs qui ont les plus gros chiffres d’affaires participeront aux frais de fonctionnement de la plateforme (hébergement, développement, etc.).

Quels obstacles peuvent se dresser ?

T.P.: Au-delà du fait de trouver un local si la mairie du village ou du quartier ne s’en occupe pas, je n’en vois pas. Pour les membres fondateurs, il y a un peu plus de travail au départ mais dès le lancement, le mode participatif réparti bien la charge de travail.

F.F.: C’est vrai qu’on est une commune rurale, mais on reste en zone urbaine. Trouver des locaux municipaux disponibles et adaptés à ce genre d’activité n’a pas été facile mais c’était une évidence. Leur permettre d’être au cœur du village était important. Il fallait qu’elle soit accessible aux personnes âgées. Pour nous, c’était vraiment l’occasion de revitaliser le cœur de bourg et de ramener de la vie dans le village.

Quel a été le coût pour la mairie ?

F.F.: Absolument aucun. Nous avons simplement eu la volonté de donner le local et de fournir l’électricité et internet. La mairie ne donne aucune subvention à l’association. Elle a simplement passé des conventions pour le local (pour l’épicerie) et le terrain (pour le potager). C’est notre rôle d’accompagner et de faciliter. Une mairie doit créer des projets et en accompagner d’autres. C’est notre cas.

Quel a été l’impact politique pour vous ?

F.F.: Cela ne peut pas être un argument politique. On ne va pas se gausser d’avoir accompagner l’épicerie. C’est le but d’une commune. Si le maire voulait se représenter pour un nouveau mandat, il ne l’utiliserait pas comme un argument de campagne. Cela montre juste sa philosophie et celle des habitants du village.

– Interviews vidéo –

– Le potager –

La mairie a laissé à disposition des citoyens un terrain municipal

Pour pousser l’expérience à son maximum, certains adhérents de l’épi ont décidé de créer un potager en commun. Sur un terrain municipal, prêté gratuitement par la commune, les volontaires se relaient pour cultiver un maximum de légumes de façon la plus naturelle possible. Sur le même principe que l’épicerie, chacun doit donner 2h par mois. Il accède ensuite au partage des récoltes vendues par grand panier au prix modeste d’un euro. Une bonne manière de renforcer la convivialité créée par l’épicerie.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne