De nombreuses collectivités publiques se demandent comment favoriser les collaborations entre les différents acteurs de leur territoire. La ville de Mulhouse (68) a développé un lieu, le Tuba, pour répondre à cette problématique. Il permet aux citoyens, aux entreprises et aux associations de se retrouver pour imaginer ensemble le futur. En favorisant l’implication et l’engagement de tous, il permet à la ville de voir naître et se développer des projets innovants. Les animateurs de ce lieu se basent sur la co-construction et le design thinking pour réussir à ce que l’ensemble des acteurs puissent avancer plus vite !
Nous avons interviewé Tanguy Selo, directeur du Tuba et chargé de l’innovation numérique à la ville de Mulhouse.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
Qu’est-ce que le Tuba ?
La Tuba est un living lab. C’est un laboratoire qui nous permet d’expérimenter grandeur nature sur un territoire de nouveaux services à destination des citoyens et des citoyennes. Il y a un lieu équivalent à Lyon depuis 4 ans. Nous avons décidé de créer ce genre de dispositif à Mulhouse pour avoir un meilleur ratio coût/efficacité entre nos investissements et les besoins des citoyens. Il y a 18 mois, nous avons donc créée ce « Tuba », il y a 18 mois. Il est à disposition des collectivités, des industriels et des usagers qui souhaitent déployer de nouveaux services.
Quelles ont été les étapes de mise en place ?
Nous avons expliqué nos idées pour ce projet aux acteurs du territoire de Mulhouse. Nous en avons profité pour évoquer les résultats qui étaient attendus, mais sans rien imposer. Nous avons ensuite fait des ateliers de co-construction avec des acteurs de l’éco-système et des usagers afin de construire l’offre de service. Parmi les acteurs présents, il y avait des entreprises privées, des dispositifs d’accompagnement de porteur de projet (et d’accompagnement de start-up), et des acteurs comme la Chambre de Commerce, etc. Nous avons construit l’offre tous ensemble. Il y avait même des usagers ! Le but de ce lieu est de répondre aux besoins des acteurs du territoire, qu’ils soient citoyens, acteurs issus d’entreprises ou d’associations. D’ailleurs les entreprises présentes nous ont dit qu’elles voulaient faire partie du projet, car c’est un outil capable de les aider pour leurs nouveaux projets. Ils ont dû se dire que cela les obligerait à penser différemment les nouvelles offres pour leurs clients. Tout de suite, nous avons pu réunir l’ensemble des acteurs souhaités. Nous avions aussi plusieurs lieux possibles pour nous accueillir. Une fois choisi, nous avons fabriqué ce lieu ensemble pour qu’il réponde à toutes les attentes.
– Le projet aujourd’hui –
Concrètement, comment fonctionne ce lieu ?
Ce lieu est ouvert toute la semaine du lundi au vendredi et certains week-ends s’il y a des demandes spéciales. C’est un lieu qui nous sert à expérimenter de nouvelles idées. Nous faisons beaucoup d’ateliers et de réunions de co-constructions avec les usagers. Nous avons aussi une partie événementielle qui nous permet de faire des conférences sur différents sujets et sensibiliser les usagers. Cela peut-être sur l’utilisation des données ou simplement se demander ce que deviendra la ville de demain, quelle place les jeunes auront…
Par quelles étapes passe une idée qui arrive au Tuba ?
Quand un projet nous arrive, nous sommes dans la logique de nous tourner vers les usagers (entreprises, associations, citoyens, quartiers, etc.). Nous nous tournons vers eux et essayons de savoir par rapport à l’idée du service, quels sont exactement les besoins, les contraintes, les attentes des possibles futurs utilisateurs. Nous voulons être certains que ce que nous allons développer répondra exactement à leurs attendes. Pour y arriver, nous faisons donc des ateliers de co-construction avec les usagers. Nous leur posons une série de questions ouvertes. Au bout de deux ou trois ateliers, cela peut par exemple déboucher sur la création d’une application numérique. Dans ce cas, nous leur faisons valider la logique du parcours client sur l’application. Nous construisons le service avec l’usager et les services concernés de la collectivité. Cela peut aussi passer par une phase de maquette et/ou de prototype.
Sur quel projet travaillez-vous aujourd’hui ?
Nous avons travaillé sur un projet appelé « le compte mobilité ». C’est un compte en ligne qui donne accès à l’ensemble des services de déplacement de l’agglomération avec une facturation globale. C’est une nouvelle façon de penser l’inter-modalité dans les transports. Nous avions l’intuition d’associer les acteurs du transport en commun à d’autres comme les locations de voitures « citiz », les locations de vélos, les transports en commun de la ville, les parkings, etc. Nous avons mis tous acteurs autour d’une table en leur disant que nous voulions réfléchir à une nouvelle façon de concevoir un service de mobilité sur le territoire de Mulhouse Alsace agglomération. Dès le départ, nous avons décidé de co-construire ça avec les usagers du transport pour savoir quel service et quel niveau d’information ils attendaient. Dans les derniers ateliers, nous leur avons fait valider la logique du parcours client de l’application que nous avions validé ensemble. Nous savons que ce sont eux qui utilisent les transports, ce sont eux qui paient en fin de mois et nous voulions leur garantir qu’ils avaient le meilleur service possible.
Combien de temps dure un processus d’expérimentation de service en moyenne ?
Le processus peut durer plus ou moins longtemps en fonction du nombre d’ateliers que nous voulons faire. Souvent, il s’étale sur plusieurs mois. Il faut aussi que les gens soient disponibles. Si c’est un service simple, ça peut se faire entre deux et six mois. Le temps n’est pas ce qui est le plus important. Ce système nous permet d’éviter de faire des investissements qui ne correspondent pas aux besoins des usagers. Ça évite de dépenser des centaines de milliers d’euros sur des projets. Le but de ce lieu est de répondre aux besoins des acteurs du territoire, que ce soient des citoyens, des entreprises ou des associations.
– S’inspirer du projet –
Quels retours avez-vous eu ?
Nous avons des retours très positifs après une année et demie d’existence. Les grands groupes partenaires utilisent bien nos outils, nos méthodologies et le lieu pour penser différemment leurs nouveaux produits. Nous avons eu des retours des usagers. Ils nous disent qu’ils aiment cette nouvelle approche. C’est une autre manière de penser sur le territoire.
Réussissez-vous à mesurer les impacts ?
Nous avons mis en place un système d’évaluation avec un questionnaire à la fin de nos ateliers. Les réponses sur plutôt positives. Pour ce qui est des projets, nous n’existons que depuis début 2018, donc ce n’est pas assez mesuré.
Avez-vous rencontré des difficultés ?
Nous utilisons un ensemble d’outils et de méthodologies liées au design-thinking. Ces outils demandent à observer et questionner les usagers. Toutefois, ces méthodologies sont encore nouvelles en France donc il faut toujours convaincre les collectivités que c’est une nouvelle façon de penser. Il faut convaincre les services, les élu·e·s, que c’est intéressant. Il faut le faire au quotidien donc ça peut être difficile, mais ça en vaut la peine.
Quel coût à ce projet ?
Les entreprises partenaires financent au 2/3 le dispositif. Le reste, ce sont les collectivités et de la prestation de services. Nous avons un budget de fonctionnement de 250 000 euros. Cet argent vient d’une subvention de Mulhouse Alsace agglomération et de la ville de Mulhouse. En début 2020, nous devrions être sur un budget de 300 000 euros. L’argent qui nous est donné en début d’année est une sorte de chéquier pour penser des projets. Par exemple, EDF nous donne une cotisation en début d’année. Ils savent que sur cette somme, ils peuvent utiliser environ 60 % pour des projets. Soit pour des projets de nouveaux services soit pour des projets internes. Ça peut être soit des projets dans lesquels ils s’associent autour d’un sujet soit ils peuvent l’utiliser pour que nous leur animions des ateliers. Ça paie les équipes, les intervenants extérieurs, les frais divers.
En ce moment, nous sommes en train de rentrer sur la phase deux d’un gros projet autour des données issues des compteurs communicants en eau, gaz et électricité. Il y a plein de données générées et nous devons voir avec les usagers de cette énergie, comment, concrètement nous pouvons mieux utiliser ces données et faire en sorte qu’ils aient des gestes éco-responsables. Ainsi, ils pourront faire des économies sur leurs factures.
Quels conseils donneriez-vous à un territoire souhaitant faire un projet similaire ?
C’est la méthodologie de design thinking qui est intéressante. Il faut regarder si ça correspond à un besoin sur le territoire. L’adéquation avec le besoin du territoire est importante. Il ne faut pas en créer un juste pour avoir un living lab. Il faut rassembler les bons acteurs autour d’une table. Les faire réfléchir, voir leurs approches en gouvernances, offre de service. Il faut savoir trouver les financements et un lieu. Chaque territoire est unique et il ne faut pas copier exactement ce qui est fait à Lyon, à Mulhouse, etc.
Propos recueillis par Claire Plouy