Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à une initiative de la ville de Limoges. Après avoir réalisé un audit sur l’une de ses crèches, la ville a entamé une série de 147 actions afin d’éradiquer au maximum les perturbateurs endocriniens de ses lieux d’accueil des enfants. Au programme, un plan de formation du personnel, de l’information pour les parents et des changements sur le court et le moyen terme.
Nous avons interviewé Nadine Rivet, adjointe au maire chargée de la Petite Enfance et des Accueils de Loisirs à la mairie de Limoges pour en savoir plus sur cette initiative.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
Comment cette idée est-elle arrivée ?
Le déclic est intervenu lors de la signature de la charte « Ville Santé Citoyenne ». Cela a eu plusieurs conséquences. Par exemple, nous avons abattu certains arbres allergènes, comme les bouleaux, dans les cours des écoles et des crèches. C’était une première étape. L’année suivante, nous avons réduit le sel dans les cantines. Puis l’an dernier, nous nous sommes attaqués à la réduction de gras. Cette année, c’est maintenant le sucre. Nous avons aussi controlé la qualité de l’air dans nos écoles et de nos établissements pour personnes âgées. La dernière action concernait la sensibilisation des parents et du personnel aux effets des perturbateurs endocriniens.
Comment s’est déroulée la mise en place de cette dernière partie ?
Nous avions décidé de fonctionner en quatre étapes. La première consistait à identifier les perturbateurs endocriniens au sein de nos crèches. Cela a été réalisé via un audit qui s’est intéressé aussi bien aux objets du quotidien qu’à l’environnement de l’enfant. Ensuite, nous avons dû sensibiliser et former notre personnel puis informer les parents. Enfin, nous généralisons la démarche. Nous sommes actuellement dans cette étape, nous généralisons la démarche.
Comment s’est déroulé cet audit ?
Nous avons lancé une expérimentation dans une crèche. Nous avons volontairement choisi la plus récente afin de ne pas pouvoir se dire que les problème étaient dûs à la vétusté. Nous avons fait réaliser un audit en septembre 2016 afin de savoir si les matériaux que nous avions choisi, étaient conformes ou s’il continuait à exhaler les perturbateurs endocriniens… Ils se nichent dans la colle, les peintures etc. L’audit nous a permis de voir que nous étions à un niveau correct mais qu’il fallait agir pour améliorer la situation.
Quels ont été les résultats de cet audit ?
Les experts du cabinet ALICSE ont audité 103 points. Ils ont rendu un rapport contenant 14 thématiques, regroupés sous trois axes : lieux, pratiques et produits. Au total, ils ont identifié 147 points d’amélioration possibles. Nous avions sur ces points 34 modifications faciles et réalisables immédiatement. Cet audit a été financé par l’ARS.
– Le projet aujourd’hui –
Vous avez pu voir qu’il y avait des petites actions à réaliser…
Pas que des petites actions… Il y a de nombreuses choses à changer pour être dans un cadre sain. Par exemple, si on prend une action qui ne coûte rien mais qui est vraiment importante, c’est l’aération des locaux. En hiver, nous ne voulions pas qu’il fasse froid pour le personnel ou les enfants. Maintenant dès que les enfants sortent d’une pièce, nous aérons pendant quatre minutes. La qualité de l’air s’en ressent immédiatement. Nous n’utilisons quasiment plus de produits pour le soin des bébés. Nous le faisons avec de l’eau. Quand vraiment, il y a un besoin c’est de l’eau et du savon sans perturbateurs endocriniens. Ce que le personnel a pu constater, c’est que les fesses des enfants ne sont pas plus malmenées qu’au temps des produits. Nous avons un état sanitaire qui est parfait.
J’imagine qu’il a fallu persuader le personnel ?
Oui. Le personnel est particulièrement concerné. Nous avons donc commencé la sensibilisation par nos agents avant même les parents. Le personnel a été associé à notre démarche. Il a compris l’intérêt. Après avoir informé les parents, nous avons formé nos agents avec des ateliers. Il y a d’abord eu ceux de la crèche de l’expérimentation et cette année nous généralisons le processus.
Il faut beaucoup de pédagogie avec tout le monde…
Oui mais c’est assez facile. Lors des formations, nous faisons intervenir des médecins qui montrent les effets des perturbateurs endocriniens. Les réticences tombent alors assez vite.
En plus du volet formation, vous avez mis en place un plan d’actions avec du court et du moyen terme ?
À court terme, je vous en ai cité. Il faut ajouter que nous achetons des nettoyeurs vapeurs. Cela a un coût. C’est 3000 euros pour chaque achat. Nous utilisons également des produits Ecocert. Il a fallu s’intégrer dans un marché public et cela n’a pas été simple. C’est un changement total de conception et de mentalité. Nous sommes en train de changer la vaisselle. Au delà des assiettes ou des verres, il faut également voir les poêles… Nous avons onze cuisines ce qui veut dire de nombreux ustensiles à changer. C’est un coût important donc nous changeons progressivement.
Il y a également des actions sur le long terme ?
Oui il va falloir changer petit à petit tous les jouets et l’environnement qui accueille les enfants. C’est impossible de tout faire ensemble. Pour les jeux, il faut par exemple aussi former le personnel. Mais je ne considère pas que ce soit du long terme. Pour moi, c’est du moyen terme. Nous voulons réaliser toutes les actions le plus rapidement possible. En revanche, nous avons des objectifs dans le temps comme l’extension de toutes les mesures que j’ai pu citer aux écoles maternelles voires élémentaires.
– Dupliquer le projet –
Avez-vous eu des obstacles politiques ?
Nous n’avons eu aucun obstacle. Tout le monde s’accorde à dire que c’est une très heureuse initiative. Je ne vois pas ce que l’on pourrait reprocher à cette démarche environnementale et de santé.
Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Au démarrage, il y a tout de même eu une réticence du personnel à changer leurs pratiques de travail. C’est vrai que cela peut engendrer des difficultés dans la réalisation de travaux. Par exemple, dans l’action « Jouer autrement », nous avons l’habitude de proposer des ateliers de peinture. Or désormais, nous n’utilisons plus de peintures. C’est plus compliqué de faire un atelier avec du jus de betterave ou de carotte plutôt que d’ouvrir une gouache. Nous avons dû faire une revue de tous les jeux qui pouvaient présenter un danger. Et nous les avons jeté. Au faire à mesure que le matériel déjà présent dans nos crèches va s’user, nous allons le renouveler en respectant complètement les termes de notre deal.
C’est à dire ?
Nous allons par exemple acheter des meubles avec de la colle à l’eau. Mais nous n’avons pas énormément de professionnels qui mettent en application ces règles de développement durable. J’ai été au salon de la petite enfance à Paris. Cela n’a pas été simple mais j’en ai trouvé un qui affiche très clairement que tous les jeux de type mini-cuisine sont réalisés avec des colles à l’eau. Ce n’est pas répandu malheureusement. Il faut donc une vigilance de tous les instants. L’écueil que nous rencontrons se situe au niveau des marchés publics. En tant que collectivité de 140 000 habitants, nous devons les appliquer. Ils ne prennent pas en compte ces exigences donc sur les marchés en cours, nous sommes condamnés à voir avec les prestataires s’ils ont des produits qui correspondent à nos exigences. Ce n’est pas toujours facile.
Avez-vous pu chiffrer le coût de l’ensemble de ces actions ?
C’est une question délicate. En réalité, comme nous le faisons au faire et à mesure du remplacement des produits, c’est compliqué de chiffrer. Il y a en plus des économies réalisées. Si vous prenez les nettoyeurs vapeurs. C’est 3000 euros investis mais après il n’y a plus de produits à acheter… L’un dans l’autre, c’est souvent un coût immédiat qui va générer des économies. Après il est certain que quand on achète une poêle en inox, cela coûte trois ou quatre fois le prix d’une poêle Tefal. Mais c’est un choix. C’est une révision des procédures qui coûte en revanche le temps de formation des personnels mais c’est également très difficile de l’estimer.
En terme d’impact, combien touchez-vous d’enfants ?
Nos crèches accueillent environ 1000 enfants. Notre audit nous a permis d’avoir une analyse de notre point de départ. Nous allons mesurer l’impact de nos mesures mais il faut attendre qu’elles soient toutes mises en œuvre. Dans trois ans nous pourrons faire une évaluation. Nous savons que nous sommes sur le bon chemin.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne