Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à une initiative de la communauté de communes de l’île d’Oléron. Depuis le printemps 2018, les habitants peuvent avoir accès en quelques clics au potentiel solaire de leur toiture. Tous les bâtiments publics ont également été étudiés et 2000 m2 de panneaux solaires ont déjà été installés. Objectifs ? Pousser les citoyens à passer à l’acte et atteindre le statut de territoire à énergie positive en 2050.
Nous avons interviewé Joseph Hugues, directeur général des services de la communauté des communes.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
Comment cette idée vous est-elle venue ?
C’est assez simple. Dans le cadre de notre projet de transformer l’ile d’Oléron en un territoire à énergie positive, nous avons dû regarder les ressources disponibles. Nous avons des limites clairement identifiées puisque nous sommes entourés d’eau. Nous savons que nous n’avons pas à notre disposition des hectares de terrains disponibles. Nous avons également des espaces naturels et agricoles que nous souhaitons valoriser. L’idée n’était donc pas de développer une centrale photovoltaïque au sol. Nous misons donc sur les espaces urbanisés c’est à dire les parkings et les toitures. Il a fallu que nous identifions les toitures publiques et privées qui pouvaient avoir la bonne orientation et suffisamment de surface pour accueillir des panneaux solaires.
Comment la mise en place du projet a-t-elle commencé ?
Quand vous avez 40 000 logements privés et de grands bâtiments publics à auditer, c’est un travail énorme. Il a fallu que nous trouvions un moyen d’automatiser cette démarche. Nous avons commencé avec le système d’informations géographiques (photos aériennes + cadastre) à regarder les grandes toitures (+ de 200 m2) car cela nous semblait être une priorité. Nous avons fait appel à deux stagiaires. Ils ont mis au point une méthode. Dans un premier temps, ils faisaient un repérage sur la base du SIG et des photos. Puis ils se rendaient sur place pour observer en détails le bâtiments au niveau des ombres sur les arbres, du type de bâtiment ou de toiture… Ils ont pu faire un premier diagnostic. Celui-ci nous sert encore aujourd’hui à avancer. Nous avons ensuite dû nous attaquer aux logements individuels.
Ce qui était déjà beaucoup plus long comme opération…
Oui. C’était un énorme travail. Nous avons été obligés de passer par une société spécialisée. Elle s’appelle « In Sun We Trust ». Elle s’appuie sur le cadastre pour pouvoir réaliser son repérage. Nous avons signé un partenariat et elle met en ligne gratuitement pour les usagers une information pour leur dire si leurs toitures possèdent un potentiel ou non. Ils doivent uniquement taper leur adresse et la réponse intervient en quelques secondes. Dans un second temps, cette plateforme met en relation l’habitant avec la collectivité ou des artisans qui sont en capacité de proposer des solutions techniques.
Ce cadastre solaire vient s’insérer dans une politique plus large autour de l’énergie solaire sur l’île ?
Absolument. Notre objectif est d’être en 2050 un territoire à énergie positive. C’est une véritable gageure. C’est ambitieux. Le travail que nous menons se porte également sur le gaspillage des ressources car la meilleure énergie cela reste celle que l’on ne produit pas. Dans la production, nous travaillons sur le solaire, les éoliennes en mer ou la géothermie. Nous avons également une réflexion autour de la biomasse et des déchets de mer. Le panel des énergies renouvelables est assez large.
Derrière le cadastre solaire, quelle est votre idée, c’est un outil pour inciter les citoyens à s’engager ?
Pour nous, la première base était de dire à nos habitants que nous sommes dans une région très ensoleillée et qu’ils ont des toitures qui peuvent accueillir des panneaux photovoltaïques. Nous leur avons dit que c’était une opération rentable. On ne fait pas fortune comme cela a pu être le cas, mais c’est encore financièrement intéressant. Nous voulions donc qu’ils se renseignent. À côté de cela, la communauté de communes proposent aux villes d’aménager tous les bâtiments publics comme les crèches ou les écoles. Nous avons fait le travail de diagnostic pour favoriser le passage à l’acte. Nous avons passé un accord avec les huit communes du territoire, ce qui est une première en France, pour réaliser ce travail de recherche. Ensuite nous disons soit vous faîtes et nous vous accompagnons, soit nous faisons directement avec la communauté de communes. L’idée, c’est de ne laisser aucune toiture publique qui peut accueillir du solaire sans panneaux. Nous voulions accélérer la tendance car cela fait des années que l’on parle de solaire et malheureusement nous en avons pas suffisamment.
– Le projet aujourd’hui –
Techniquement, comment fonctionne le cadastre solaire ?
Pour les bâtiments privés, la personne va sur internet. L’accès se fait via une plateforme qui se nomme « In Sun We Trust ». Les habitants accèdent à une photo aérienne de leur logement. Avec un système de couleurs, le site vous dit si votre toiture a une orientation qui est très favorable, favorable ou pas du tout favorable pour installer des panneaux solaires. L’information est immédiate et la plateforme très facile d’usage. Finalement vous allez avoir un oui ou un non. À partir de là, si cela vous intéresse vous pouvez passer à l’étape suivante c’est à dire quelles sont les conditions, comment je me renseigne, quels sont les organismes qui peuvent m’aider ou les artisans qui peuvent intervenir… Notre idée, c’était vraiment que n’importe qui, depuis chez lui, puissent obtenir cette information. Petite précision, cette information est gratuite.
Combien de personnes ont utilisé votre outil depuis qu’il a été mis en ligne ?
Nous l’avons mis en place à la fin du printemps et depuis nous avons eu 1300 connexions. Nous avons également installé des bornes dans des lieux publics. Cela permet à ceux qui le souhaitent d’avoir accès à cette base de donnée. Nous avons fait une campagne de communication pour informer les habitants de cette possibilité. Il faut préciser que cela a eu un réel impact puisque nous avons déjà eu 27 demandes de devis.
Avez-vous eu des retours de la part des habitants ?
Oui. Nous avons eu beaucoup de commentaires positifs. Il faudra voir maintenant si c’est suivi d’un passage à l’acte. Car après l’avis du cadastre, il faut encore étudier si la charpente peut accueillir des panneaux solaires et d’autres petites choses primordiales. Mais notre outil permet de déclencher chez certaines personnes une envie. C’est le cas chez ceux qui se posaient la question depuis quelques temps sans agir. Nous avons également remarqué que l’engagement de la collectivité permettait de rassurer les habitants. Il y a eu de nombreuses arnaques dans le domaine des panneaux solaires. Là nous avons passé une convention avec un site sérieux, nous mettons en relation ceux qui souhaitent s’engager avec des artisans reconnus, sérieux et labellisés. C’est un élément important. Il y a l’outil mais aussi le gage de confiance entrainé par la plateforme. En plus de cela, nous avons ouvert un espace d’information neutre et gratuit.
Politiquement c’est un vrai engagement que vous avez pris…
L’île d’Oléron est effectivement engagée dans une démarche de développe durable depuis déjà quelques années. Nous avions lancé un premier agenda 21 en 2008. Il y avait déjà eu des expérimentations avant. Nous avions un fil directeur depuis de longues années. Nous avons renouvelé l’agenda 21 en 2014. C’est à ce moment-là que la question de l’énergie est devenue plus prégnante. Avec la COP21 et une volonté de la région de s’engager, plusieurs facteurs indiquaient que nous avions des possibilités. Notre slogan est « Oléron, mon île à énergie positive ». L’idée est qu’il puisse y avoir une appropriation des habitants de notre volonté politique. Nous sommes sur une île qui est plate. Le réchauffement climatique et la montée du niveau de la mer sont des sujets qui préoccupent les habitants. Un certain nombre considère que nous avons une double responsabilité et qu’il faut s’engager encore plus qu’ailleurs. Il a donc été facile de déterminer cet engagement comme fil rouge pour la communauté des communes.
– Dupliquer le projet –
Avez-vous des élus d’autres collectivités qui se sont intéressés à votre cadastre solaire ?
Oui nous avons des contacts réguliers avec des techniciens ou des élus. On nous a demandé d’intervenir à plusieurs reprises dans des colloques ou des séminaires d’associations d’élus. Nous avons également intégré l’association TEPOS qui est la première fédération des territoires à énergie positive. Dans quelques jours, nous allons par exemple recevoir une délégation d’élus corses en partenariat avec l’ADEME.
Combien cela vous a couté ?
Pas grand chose. Pour la partie bâtiments publics, les deux stagiaires ont réalisé un travail formidable pour un coût réduit. Pour la plateforme « In Sun We Trust », c’est un partenariat développé avec eux. Nous ne payons pas. Ils ont un mode de financement qui fonctionne sur les devis réalisés par les entreprises présentes sur leur site. En revanche, pour animer le programme, il a fallu embaucher un chef de projet. Nous avons aussi recruté un technicien photovoltaïque qui gère les études sur les bâtiments publics. Plus récemment nous avons engagé une personne pour gérer l’espace info-énergie. Enfin nous avons accueilli un conseiller en énergie partagée pour mettre en place des solutions d’économie d’énergie dans les bâtiments publics. Ce sont des postes co-financés par la région et l’ADEME. Nous payons donc environ 60% de ces postes.
Pour financer la pose de panneaux sur les bâtiments publics, avez-vous dégagé un budget spécial ?
Nous avons créé un budget annexe pour pouvoir investir nous même sur la pose de panneaux solaires. Certains territoires choisissent de créer des sociétés d’économie mixte, d’autres financent des structures départementales, nous avons souhaité prendre en charge directement ces dépenses. Nous faisons donc une opération classique d’emprunt et d’investissement. Nous avons déjà 2000 m2 de panneaux solaires posés à ce jour. En 2019, il y aura 3000 m2 de plus. Puis nous allons agir au niveau des parkings. Il y aura alors beaucoup de possibilités. Nous aurons par exemple une piscine qui sera en auto-consommation grâce à une installation de 2000 m2.
Cela correspond à un montant de combien ?
En 2018, pour l’année, cela correspond à 1 Million d’euros. C’est un budget important pour une collectivité comme la nôtre. Mais si vous regardez bien, ce sont tous des investissements qui sont rentabilisés. Les projets les plus rentables le sont en huit ans et les moins rentables en quinze ans. Alors que les produits que nous installons sont garantis vingt ans. En amortissant l’investissement sur la durée, c’est rentable. C’est un système classique d’emprunts avec les banques. Je ne comprends pas pourquoi il n’y pas plus de collectivités qui lancent ce genre de projet.
Avez-vous mesuré l’impact du projet ?
Pour le privé, c’est encore trop tôt pour mesurer. Pour les bâtiments publics, nous étions à 3400 MW.H produits en 2016. En 2020, il faudra y ajouter 2500 MW.H en plus. Cela nous permet pas d’atteindre nos objectifs mais nous avançons. Nous allons avancer progressivement. Nous avons un souci sur l’île, c’est la loi littoral. Peu de gens le savent mais elle est applicable sur toutes les communes qui ont une façade maritime. Sur notre île, cela signifie toutes les communes. Si nous voulons installer des panneaux solaires au sol, nous devons le faire en continuité de l’urbanisation. C’est une aberration. Nous avons fait intervenir nos parlementaires pour faire évoluer cette loi mais nos amendements ont été refusés. Nous demandions juste à pouvoir poser des panneaux solaires dans les lieux dégradés comme des sites industriels en friche etc. C’est dommage car nous avons de gros projets qui sont bloqués.
Avez-vous rencontré des difficultés politiques ?
Non. Nous avons validé les objectifs et ensuite cela a bien marché puisque le vote a été réalisé à l’unanimité. Après il y a toujours des personnes qui portent le projet plus que d’autres… Les huit maires ont signé avec la communauté des communes pour mettre à dispositions leurs toitures. Il y a vraiment eu un engagement politique. Les problèmes ont plus été d’ordre réglementaire avec la loi littoral dont je vous parlais et le fait que nous sommes un territoire classé. 83% de l’île est en site classé. Quand nous réalisons un projet dans cette zone, nous devons avoir l’autorisation du ministre, de la commission départementale, et du représentant de l’état. Il y a également le problème de l’architecte des bâtiments de France qui émet son avis. Parfois, il dit « je ne trouve pas cela joli à cet endroit-là ». Il y a donc de nombreux projets qui ont été refusés par exemple sur les bâtiments ostréicoles dans les marais. Ce sont des bâtiments industriels mais ça ne leur plait pas. Il faut vraiment se battre pour réussir à faire passer chaque projet.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne
Photos : CDC Oléron / In Sun We Trust / Sisssou