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A Mouans-Sartoux, un maraîcher municipal permet aux enfants de manger 100% bio à la cantine

La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à la commune de Mouans-Sartoux (06). Cette ville de 9550 habitants est considérée comme une pionnière dans le domaine de l’alimentation bio pour ses cantines scolaires. Il y a dix ans, l’équipe municipale a décidé de permettre à tous les enfants de ses écoles publiques de manger de la nourriture issue de l’agriculture biologique et provenant de fermes locales. Ne parvenant pas à trouver suffisamment de quantité de fruits et légumes dans un rayon de 50km, elle a pris une initiative unique en France : préempter un terrain et embaucher un maraicher municipal. Le résultat est spectaculaire. Et cela ne coûte plus cher ni aux parents, ni à la collectivité.
Pour nous éclairer sur ce sujet, nous avons rencontré Gilles Pérole, adjoint au maire en charge du projet.
Sommaire:

– Introduction –


L’ interview de Gilles Pérole est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.

– Mise en place du projet –

Comment l’idée de ce projet vous est-elle venue ?

L’idée est venue du maire précédant André Aschieri. Il a travaillé sur une mission parlementaire Santé/environnement. Il a rencontré beaucoup de scientifiques qui l’ont alerté notamment sur ce que les problèmes d’alimentation pouvaient générer comme soucis avec le cumul des pesticides etc… On a eu l’habitude à Mouans-Sartoux de préserver le bien-être de nos habitants. Alors on s’est dit que s’il y avait un risque, il fallait qu’on essaye de le lever. Et pour y arriver, on a décidé qu’il fallait passer les cantines de nos écoles en bio. Quitte à le faire, nous ne devions pas nous fixer comme objectif 20% mais 100%. On a mis quatre ans pour y arriver mais aujourd’hui, nous avons du 100% bio pour l’ensemble de notre restauration collective.
Par où avez vous commencé ce changement ?

C’est quand même difficile de changer toutes les pratiques et les approvisionnements tout en maîtrisant les coûts pour passer au 100% bio. C’est pour ça que l’on préconise ce que l’on a fait : un changement par gamme de produits. Il est très facile d’atteindre les 20% de bio en changeant 4/5 produits comme le pain, les pommes ou les laitages. Ensuite, il suffit chaque année de changer une nouvelle gamme. C’est pratique car comme cela les équipes aussi s’entraînent à les cuisiner et les enfants s’habituent au goût. Cela permet aussi de suivre les budgets de plus près.
Comment s’est déroulé votre passage au 100% bio ?

À partir de 2008, on a commencé par des aliments que les enfants mangeaient beaucoup. Ainsi nous avons vite pu faire du volume. C’était les pommes, les laitages et le pain. Puis nous avons passé les fruits et légumes, l’épicerie et nous avons terminé par les viandes. C’est la bascule la plus difficile et la plus chère car le prix du kilo de viande demande un budget élevé. Mais en quatre ans, cela nous a permis d’apprendre à cuisiner la juste quantité d’aliments à cuisiner car c’est comme cela que nous avons réussi à ne pas augmenter notre budget cantine tout en passant au 100% bio.
Qu’avez vous mis en place pour financer le projet ?

Nous avons montré que nous pouvons lever un des deux freins prioritaires que soulèvent les élus que nous rencontrons : le surcoût du bio. Quand nous étions à 20% de bio, nous avions un coût d’achat matière à 1 euro 92 et à 100% de bio, nous étions 1 euro 86. Nous avons baissé de 6 centimes exclusivement en réalisant des économies sur ce que l’on cuisinait et qui finissait à la poubelle. Depuis 2010, nous pesons nos poubelles tous les jours. Nous étions à 147 grammes par repas, nous sommes aujourd’hui à 30 grammes. Cette diminution du gaspillage alimentaire qui correspond à des aliments non achetés nous a permis une économie de 20 centimes par repas. C’est cette économie récupérée dans la poubelle qui a financé le passage en bio. C’est important car il est indéniable que le bio revient plus cher. Il faut d’autant moins le gaspiller.
Quel est le deuxième frein ?

C’est l’approvisionnement de proximité. Nous avons travaillé aussi sur ce domaine. D’abord nous avons adapté les lots de notre marché avec la capacité de production locale. Par exemple, si vous faîtes un lot « viande », personne ne répondra à l’appel d’offre. Aucun producteur n’élève du porc, de l’agneau, du veau et de la volaille. Il faut donc segmenter les lots pour correspondre à la réalité de la production. Dans les Alpes-Maritimes, nous avions une difficulté supplémentaire, il n’y a quasiment plus d’agriculture. Et l’agriculture bio locale n’a pas de problème de débouchés car il y a une population importante qui écoule les produits en circuits courts. C’est pour ça que nous nous sommes dit nous allons le faire nous-mêmes. Nous avons créé une régie municipale agricole. Nous nous sommes dit, en faisant cela, les légumes seront locaux. Ils seront frais et nous pourrons les ramasser la veille au soir ou le matin même pour les cuisiner pour le repas de midi. Cette idée, nous l’avons eu fin 2008 et nous avons embauché notre premier agriculteur en mars 2011. Depuis nous ne sommes jamais revenus sur cette idée. Aujourd’hui nous sommes autonomes à hauteur de 85% de nos besoins en produisant 24 tonnes légumes.
Cela vous a permis de créer une dynamique dans la ville ?

Oui car avec cette régie municipale, nous avons un véritable outil pédagogique. Les élèves des écoles peuvent venir voir ce qu’est l’agriculture biologique, ce qu’est le maraichage mais aussi à quoi ressemblent les légumes avant qu’ils les consomment. Du coup, ils les mangent d’autant mieux. Parfois, ils sont venus les planter, les récolter… puis ils les mangent. Ça marche tout seul. C’est un projet qui nous a aussi mené à avoir une réflexion et un projet municipal sur comment nourrir la population avec des produits bio et locaux. C’est à partir de ce projet que nous avons modifié notre PLU pour tripler les surfaces agricoles et actuellement nous avons des spécialistes qui essayent d’installer des agriculteurs sur notre territoire.
 

– Le projet aujourd’hui –

Comment cette régie fonctionne-t-elle au quotidien ?

Nous fonctionnons exactement comme une exploitation maraichère classique. Il y a Sébastien qui est le chef de culture, il reçoit l’aide ponctuelle des espaces verts, il a des saisonniers pendant les grosses périodes et il construit son plan de culture en fonction des besoins de la restauration scolaires. Il faut donc une bonne communication entre lui, l’agriculteur, et le responsable des cuisines. Ils construisent le plan de production pour que les légumes arrivent au bon moment dans les assiettes des enfants. Pour ça, nous avons appris à travailler différemment. Nous n’avons plus des menus prêts plusieurs mois à l’avance comme cela se trouve en restauration collective. Nous avons un plan alimentaire qui dit « crudité de saison », « gratin de légumes de saison ». Dans la semaine avant nous fixons la recette à partir des légumes disponibles dans les champs. Nous sommes revenus à une véritable cuisine de marché de saison. Tout se construit dans le dialogue et le vendredi, toutes les recettes sont arrêtées pour la semaine suivante. Certains légumes sont parfois stockés en chambre froide mais tout ce qui est salade ou épinards, c’est ramassé le matin même puis cuisiné et dégusté dans la foulée. C’est extra frais !
Cela demande une sacrée coordination ?

Voilà il faut une communication entre tous les acteurs municipaux. Il y a aussi une phase de test qui est primordiale. Chaque année, Sébastien décide avec l’économe de tester des nouveaux légumes. Dans ce cas, la première année, il n’en plante pas trop. Cela laisse le temps aux cuisiniers de s’adapter, d’apprendre à le travailler. Si ça fonctionne bien, l’année suivante, il en plante plus ! Nous avons aujourd’hui une cinquantaine de légumes différents, ça commence à faire. Nous essayons d’être vigilants sur nos semences pour aussi préserver la bio-diversité.
Comment réussissez vous à tenir toute l’année ?

C’est la question systématique des élus que l’on peut recevoir : l’été que faîtes-vous des légumes ? Et en hiver comment réussissez-vous à produire ? Déjà nous travaillons beaucoup en tunnel afin d’avoir de la primeur et du post-saison. Nous avons aussi lancé une nouvelle initiative cet été : nous transformons certains de nos légumes en surgélation, nous sommes à 1,5 tonne pour cette année. Nous allons pouvoir les servir vers les mois de mars et avril. C’était souvent un moment où nous étions obligés d’acheter.
En vous écoutant, on se rend compte que ce n’est finalement qu’une question de mentalité ?

Oui. Nous, notre objectif était d’offrir une restauration scolaire qui respecte la santé et l’environnement. Pour la santé, nous voulions du bio, des menus équilibrés et diversifiés. Pour l’environnement, nous avons un mode de production qui respecte l’environnement. Mais ce sont aussi des méthodes de nettoyage des cuisines qui respectent l’environnement, une gestion du gaspillage alimentaire qui respecte l’environnement… C’est à travers ce filtre que l’on passe toutes nos actions. Nous n’avons pas tout fait à la fois, nous avons commencé il y a une dizaine d’années et on se transforme au fur à mesure. Mais tout ce que nous faisons doit répondre à des critères de santé et d’environnement.
Ce système est unique en France ?

C’est un cadre emploi qui n’existe pas dans la fonction publique. Sébastien, notre maraîcher, a passé un concours pour devenir titulaire. Sa mission, c’est bien d’exploiter le terrain et de faire le métier qu’il a toujours fait. C’était important pour nous de ne pas aller chercher quelqu’un des espaces verts mais bien un vrai agriculteur qui avait les compétences pour produire du bio. Il fallait aussi qu’il connaisse les contraintes du poste en termes d’horaires et de saisonnalité…
Ce qui a fait de lui le premier maraîcher municipal ?
Oui, c’est le seul maraîcher municipal de France. Même si d’autres projets de régies agricoles sont en train de se développer sur d’autres communes. Je pense qu’il va bientôt être rejoint par des collègues.
Quelles sont vos prochaines perspectives ?

Nous avons planté quelques fruitiers comme des cerises ou des abricots. Ils correspondent à notre terroir. Mais nous n’avons pas vocation à faire 100% de nos fruits car nous n’avons pas le terroir pour faire de la pomme ou de la poire. Nous avons d’autres stratégies. Nous essayons par exemple d’installer d’autres agriculteurs pour nous aider sur la restauration collective et permettre aux citoyens de se fournir localement. Nous cherchons des producteurs de volailles, d’œufs ou de légumineuses. Nous nouons également des partenariats avec des agriculteurs un peu plus éloignés (dans les Hautes-Alpes) pour qu’ils nous livrent du bœuf ou des pommes.

– Comment dupliquer le projet  –

Dans la perspective de dupliquer le projet, recevez-vous régulièrement des élus ?

Nous avons de nombreuses demandes de visites. Les élus cherchent à comprendre comment nous avons obtenu notre 100% de bio ou comment nous avons pu mettre en place une régie agricole. Nous recevons beaucoup mais nous avons souhaité aller plus loin car souvent le taux appropriation du projet est très faible. Ce n’est pas qu’ils n’adhèrent pas au projet, mais c’est que les élus se disent « c’est trop compliqué pour moi ». Ils voient un projet abouti qui a dix ans de mise en œuvre. Nous avons dû passer par de nombreuses étapes pour en arriver là ! Il faut du temps pour s’engager dans ce projet. C’est pour cela qu’en partenariat avec l’université Cote d’Azur, nous avons décidé de créer un diplôme universitaire « chef de projet alimentation durable ». Il débutera en janvier 2018 et devrait permettre d’avoir une vision globale sur les enjeux. Durant les six mois de formation, les étudiants devront élaborer un projet sur un territoire. Je pense que c’est un point important pour l’essaimage. Il y a également notre association Un plus bio qui a pour but de favoriser les échanges entre élus voulant s’engager dans ce domaine (voir article). Enfin, nous avons créé la maison de l’alimentation durable en 2016 et dernièrement nous avons au niveau européen été labellisé « good practice » pour notre cantine. Dès le mois d’octobre, nous allons présenter notre initiative à 29 autres pays et proposer la création d’un réseau de transferts des bonnes pratiques.
Quel a été l’impact social de votre projet sur le territoire ?

L’impact social est fort. D’abord certaines personnes ont directement changé leurs habitudes alimentaires. C’est le cas de 85% des parents d’élèves, c’est énorme. Cela a un impact économique aussi. Nous avons créé un emploi, plus celui des saisonniers. Mais le fait que la ville de Mouans-Sartoux favorise l’installation des agriculteurs, cela crée aussi des emplois et ce sont des emplois non-délocalisables. Mouans-Sartoux a également une offre en alimentation bio extrêmement importante. Bien plus que d’autres villes. Cela draine l’économie et ce n’est pas neutre. Quand on commence à porter ce genre de projet, cela a aussi des conséquences sur le bien vivre-ensemble.
Quel a été le coût final du projet ?

Le projet alimentaire de Mouans-Sartoux de la commune n’a amené aucun surcoût à la ville. La régie agricole est absorbée par le budget de l’alimentation qui n’a pas augmenté. Pour toutes les actions d’éducation, nous avons trouvé des financements via le ministère de l’agriculture ou des crédits européens. C’est un budget constant au niveau communal et nous avons même créé des emplois. C’était important car nous avons beau être sur la Côte d’Azur, nous n’avons pas plus d’argent que les autres.
Avez-vous eu des oppositions politiques lors de la mise en œuvre du projet ?

Non, c’est un projet consensuel. Le bio dans notre restauration scolaire n’a pas coûté plus cher aux familles dont c’est vraiment très bien passé. Nous avons fait un sondage 99% des parents étaient satisfaits de la cantine et 96% des enfants. C’est assez rare ! Nous avons augmenté la qualité mais pas les coûts. Personne ne va s’opposer à un tel projet. Le sujet le plus délicat a été le passage de 40 à 112 hectares classés agricoles dans le PLU en urbanisme. Car quand on touche au foncier sur la Côte d’Azur, il y a des enjeux financiers importants derrière. Mais en 2014, la majorité a été réélue à plus de 70% donc on peut estimer qu’une large majorité de la population adhère.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne