La gestion des eaux de pluie est un enjeu majeur pour toutes les collectivités publiques. La métropole lyonnaise est une des pionnières en France dans ce domaine. Elle mise sur la désimperméabilisation des sols afin d’éviter les inondations mais souhaite également voir l’eau de pluie comme une ressource. Son projet, Ville Perméable, met en avant les différentes techniques alternatives qui permettent d’éviter le rejet systématique des eaux pluviales dans le réseau de canalisations. L’objectif est aussi de sensibiliser tous les acteurs du territoire (architectes, urbanistes, maitre d’œuvre…) à l’importance d’agir concrètement dans ce domaine.
Territoires-Audacieux.fr a interviewé Hervé Caltran, responsable d’unité à la Délégation Développement Urbain et Cadre de Vie Direction de l’Eau / Service Etudes / Unité « Etudes et projets rive gauche » de la métropole du Grand Lyon.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
Comment vous est venue l’idée de cette initiative ?
C’est un processus continu qui débute dans les années 1980 quand le Grand Lyon pour accompagner l’urbanisation de l’est lyonnais a mis en place des bassins de rétention. Nous avons travaillé pour réinfiltrer les eaux de pluie des zones d’activité au lieu de les envoyer dans les réseaux d‘assainissement. Plus tard, au début des années 1990, le Grand Lyon a intégré la gestion des eaux de pluie dans son PLU. Nous avons défini des zones de production de ruissellement, de transfert et d’accumulation d’eau pluviale pour prendre en compte la problématique « eau de pluie » dans l’urbanisation. Sur chaque zone, une réglementation spécifique s’appliquait, l’idée était de limiter l’imperméabilisation et de protéger les personnes et les biens contre les inondations. En parallèle, les techniques alternatives de gestion des eaux de pluie se développaient. L’objectif de ces TA est de retrouver un cycle plus vertueux de gestion des eaux de pluie en milieu urbain. Il s’agit d’éviter de les collecter dans les réseaux unitaires (qui mélangent les eaux usées et les eaux de pluie). En 2012, le Grand Lyon a participé à un projet européen Aqua-add avec 11 autres villes européennes. Le sujet en était l’eau et la nature en ville, afin de prendre en compte parmi d’autres sujets les inondations liées à imperméabilisation des sols et au changement climatique, ainsi que les questions de bien-être et santé publique. Pour autant au Grand Lyon, cette notion de gestion des eaux de pluie était essentiellement portée par la direction de l’eau. C’est pour démultiplier la démarche et en particulier auprès des autres directions (aménagement urbain, voiries, ….) que le projet ville perméable est né en 2014 à la suite d’Aqua-add.
Pourquoi agir sur les eaux de pluie ?
L’eau de pluie a longtemps et reste encore bien souvent vue comme une nuisance : la source d’inondations en ville. Elles ont été collectées dans des réseaux pour être conduites dans les cours d’eau plus ou moins loin des habitations et des espaces publics. Ces réseaux sont ensuite collectés les eaux usées. Aujourd’hui, avec l’urbanisation et l’imperméabilisation des sols (l’équivalent d’un département tous les 10 ans en France), les eaux de ruissellement en milieu urbain augmentent. Pour les évacuer, des canalisations de plus en plus grandes sont nécessaires. Les coûts de construction et de gestion deviennent très importants. Par ailleurs pour éviter que les réseaux ne se mettent en charge et débordent en ville, ces derniers sont équipés de déversoirs d’orage qui entraînent un déversement direct du surplus d’eau dans les cours d’eau. Ces déversements de mélange d’eaux usées et d’eau pluviale polluent le milieu naturel. Enfin, pour protéger les stations d’épuration quand il pleut et que les volumes à traiter sont trop importants, des systèmes de by pass existent. Les eaux usées sont directement rejetées au milieu naturel sans traitement. L’objectif est donc d’éviter que ces eaux de pluie ne soient collectées dans les réseaux, on évite ainsi la pollution des milieux naturels et d’avoir à construire des réseaux d’assainissement énormes. L’eau de pluie peu polluée retrouve un statut de ressource. Elle peut être utilisée comme eau d’arrosage, eau d’agrément dans des bassins en ville, elle peut être réutilisée pour le nettoyage des locaux, pour l’alimentation des toilettes… À Amsterdam, une bière est même fabriquée à partir de l’eau de pluie après traitement. Enfin cette eau de pluie qui s’infiltre dans le sol permet de recharger les nappes phréatiques ou de réalimenter les ruisseaux. Si une gestion à la parcelle n’est pas possible, il faut stocker l’eau de ruissellement et la faire rejoindre les réseaux avec un débit limité pour éviter les débordements.
Comment s’est déroulée la mise en place ?
Pour mettre concrètement en œuvre la désimperméabilisation des villes, la direction de l’eau a débuté par la mise en place d’un projet appelé ville perméable. Son objectif était de montrer concrètement que la désimperméabilisation via les techniques alternatives était efficace et de lutter contre les a priori négatifs de ces méthodes : inefficacité, difficulté d’entretien, coût élevé. Un groupe de travail comprenant les directions de l’eau, de la propreté, de l’aménagement, de la logistique/ patrimoine/bâtiments du Grand Lyon et de la direction des espaces verts de la ville de Lyon s’est réuni. Quatre groupes thématiques ont été constitués : un sur la pollution, un sur le changement climatique, un sur le coût global et le dernier sur le niveau de service. Plus d’une vingtaine d’ouvrages ont été visités afin d’évaluer les réalisations puis d’identifier les freins ainsi que les réussites. À partir de ces éléments des guides techniques ont été réalisés et des formations pour les agents mises en place. Chaque direction (et service) s’est ainsi trouvée engagée dans cette démarche. Il y a eu un véritable échange et partage. Aujourd’hui, dans chaque projet, qu’il soit porté par des acteurs de l’aménagement urbain, de la construction des bâtiments métropolitains ou de la voirie, la question des eaux pluviales est identifiée. Des solutions pour la gestion de ces eaux par infiltration sont mises en place dès que c’est possible (noues, tranchées d’infiltration, bassins d’infiltration en structure alvéolaire ultra légère, matériaux poreux,.)… Sur les projets, une très grande majorité des eaux de ruissellement est gérée à la parcelle. Si la gestion à la parcelle n’est pas possible des techniques de rétention puis de rejet à débits limités sont proposées (pour éviter des surcharges des réseaux).
En quoi la désimperméabilisation d’une métropole est un travail à effectuer sur le long terme ?
L’imperméabilisation des sols s’est faite progressivement au cours des siècles. Les projets en centre urbain de grande ampleur sont relativement rares. Donc la désimperméabilisation se fait lentement, petit à petit, sur des petites surfaces lorsque la ville se reconstruit sur elle-même. Il faut que les constructeurs soient sensibilisés dès qu’on construit un nouveau bâtiment il faut gérer à la parcelle les eaux de toitures, les eaux des terrasses, les eaux des voies d’accès. Pour la collectivité c’est dès qu’un espace public est refait qu’il faut penser gestion à la parcelle, pour les places, les voiries, les trottoirs, les bâtiments administratifs, les écoles… La désimperméabilisation se fait donc lentement. Il est plus facile de couler du béton ou du goudron et donc d’imperméabiliser que de supprimer ces revêtements et de les désimperméabiliser. Les contraintes sont nombreuses : en ville le sous-sol est très encombré et surtout très remanié, parfois pollué. On parle aujourd’hui d’anthroposol, des sols créés par l’homme, qui n’ont plus rien à voir avec un sol naturel. Le long terme intervient aussi pour changer les habitudes de réfléchir (envoyer les eaux pluviales au réseau d’assainissement), les habitudes de faire (pose de tuyaux). Il faut convaincre les services et les habitants des villes.
– Le projet aujourd’hui –
Quelles actions menez-vous au quotidien ?
C’est un accompagnement de nos collègues des autres directions en charge des projets urbains pour les aider à trouver des solutions techniques ou pour dimensionner ces ouvrages de gestion des eaux pluviales. Ce sont aussi des discussions avec les maîtres d’œuvre privés, avec les particuliers lors des dépôts de permis de construire. Un logiciel (PARAPLUIE) développé avec l’INSA a d’ailleurs été mis gratuitement à disposition sur internet pour les particuliers, les aménageurs et les petits bureaux d’études pour les aider à dimensionner les ouvrages de gestion des eaux pluviales. D’autres collectivités peuvent également s’en servir. On a également beaucoup réfléchit à la rédaction des documents réglementaire en particulier le règlement d’assainissement dans lequel la collectivité réaffirme qu’elle n’est pas tenue d’accepter les eaux pluviales dans ses réseaux. Le PLUH de la métropole est en cours de révision et dans son règlement cette nouvelle façon de gérer les eaux pluviales est également clairement soulignée dans plusieurs articles. Des cartes de zonage des risques sont présentées avec pour chaque zone des niveaux plus ou moins exigeant de gestion à avoir ou de niveau de pluie à gérer.
Comment récupérer à l’échelle d’une métropole les eaux de pluie ?
Cela dépendant de ce que vous entendez par récupérer. Est-ce que c’est récupérer pour une utilisation (arrosage, nettoyage, eaux sanitaires, …) ou récupérer ces eaux de pluie pour qu’elles évitent d’aller dans les réseaux d’assainissement ? Dans le premier cas, il faut absolument conduire les eaux de pluie dans des bassins étanches. Ce sont les eaux de ruissellement qui sont collectées sur des surfaces imperméables via des avaloirs puis conduites dans les bassins par un réseau de tuyaux spécifiquement dédié à l’eau de pluie. Le bassin joue le rôle d’une citerne dans lequel on va puiser l’eau pour l’arrosage des plantes en ville, le nettoyage des rues, ….. Pour cela, on creuse des bassins enterrés ex nihilo ou on peut aussi réutiliser des anciennes infrastructures. C’est ce qui a, par exemple, été fait rue Garibaldi à Lyon, une ancienne trémie (tunnel au niveau de carrefour routier) a été conservée. Elle est aujourd’hui complétement fermée et sert de stockage pour les eaux de pluie qui tombent sur les trottoirs et les voies bus en site propre. L’eau sert à nos collègues de la voirie pour les balayeuses et sert à arroser des arbres en période chaude pour favoriser l’évapotranspiration et le rafraîchissement local de l’atmosphère. L’eau des toits peut également être récupérée dans des citernes à l’intérieur des bâtiments pour le nettoyage des sols ou l’alimentation des sanitaires. En exemple, je peux citer le gymnase Equinoxe à Saint Genis Laval.
Dans le second cas, l’eau de pluie est récupérée via des tuyaux ou alimente directement par ruissellement des noues, des tranchées d’infiltration, ou des bassins d’infiltration (à ciel ouvert ou enterrés). L’eau n’est pas directement utilisée puisqu’elle retourne dans le sol pour réalimenter les nappes ou les ruisseaux. On peut également récupérer l’eau via les toitures végétalisées. Outre des bâtiments privés, des bâtiments métropolitains commencent à utiliser cette technique (collège Cazeneuve dans le 8ème arrondissement de Lyon). L’eau de pluie est stockée dans des structures alvéolaires en toiture sous la végétation et sert à arroser des plantes (essentiellement des vivaces, des graminées ou des gazons, plus rarement des arbustes). Enfin on voit apparaître de plus en plus des matériaux perméables (bétons, enrobés…) qui laissent passer l’eau. Chacune de ces techniques à des avantages et des inconvénients, elles sont chaque fois à adapter en fonction du contexte superficiel (orientation, présence de végétaux à proximités, de source de pollution ou de ruissellement de boue, ….), du contexte sous terrain (perméabilité du sol, pollution du sol, risque géotechniques, encombrement du sous-sol, ….) et de l’usage qui va être fait de l’espace ou du bâtiment.
Quelles adaptations cela demande ?
La première adaptation est celle du mode de faire et de penser. La gestion des eaux de pluie doit être anticipée très en amont de la conception du projet. On ne peut plus laisser cette question arriver en fin de projet en se disant, j’arriverai toujours à tirer un tuyau et rejeter les eaux pluviales dans le réseau. Il faut se demander comment les eaux pluviales vont être gérées, où sont les points bas, où l’eau va être stockée, où sont les meilleures perméabilités sur le terrain. Les projets urbains sont également à découper très rapidement en petits bassins versants. Dans le cas contraire et lors d’une approche globale des surfaces imperméables, les premières estimations du volume d’eau à gérer vont être très importantes. Il est alors tentant de dire qu’il n’y a pas suffisamment d’espace sur le projet pour tout gérer.
La gestion des eaux pluviales demande également une adaptation des bâtiments, des matériaux et de l’espace. Au niveau du bâtiment, il faut éventuellement prévoir une infrastructure pouvant supporter une toiture végétalisée ou des cuves sur les parties hautes pour le stockage d’eau pluviale appelée à alimenter un réseau sanitaire. Dans le cas de création de bassin de rétention ou rétention infiltration dans le bâtiment une place suffisante doit être réservée dans les parties souterraines. En milieu urbain dense où l’espace et le foncier sont chers, les maîtres d’ouvrages cherchent à rentabiliser chaque m2, garder de l’espace pour des bassins est parfois une vraie gageure. Pour limiter les volumes d’eau à gérer, il faut également très en amont adapter le projet et engager une réflexion sur la manière de limiter au maximum l’imperméabilisation. Par exemple à l’échelle d’une place doit-on entièrement l’imperméabiliser ou peut-on laisser des espaces de pleine terre et travailler sur les circuits de déplacement des personnes. Comment adapter ma topographie et le pendage des pentes pour favoriser le ruissellement dans des zones de pleine terre ?
Il y a également des adaptations techniques sur lesquelles je ne reviendrai pas. Il y a de nombreuses solutions techniques, chacune doit être adaptée au contexte.
La deuxième grande adaptation est celle des modes de vie en ville. Aujourd’hui, les collectivités ont tellement recherché à évacuer la totalité de l’eau, à faire disparaître toute eau non domestiquée de la ville, que les moindres inondations ou stockage temporaires sont très mal acceptés. Cette course en avant entraîne la construction d’ouvrage de plus en plus importants et dont les coûts de gestion deviennent prohibitifs. Il faut réapprendre à vivre temporairement avec une certaine quantité d’eau, toute proportion gardée et variable en fonction des lieux, cela va de soi, quand il pleut. Le temporaire peut être de quelques heures. Il est tout à fait envisageable d’imaginer des parcs publics qui puissent stocker de l’eau de pluie, puis l’infiltrer. Le parc qui prend une dimension multiusage peut être fermé pendant l’épisode pluvieux et quelques heures après ouvrir à nouveau (certaines collectivités le font déjà). Il en est de même pour des parkings, sur lesquels une lame d’eau de quelques centimètres peut être stockée avant infiltration ou renvoi au réseau à débit limité.
Une dernière adaptation, concerne les services d’exploitation et l’entretien de ces ouvrages. Certains ouvrages ont des rôles multiples comme une noue qui peut être un espace vert, un espace de détente et un espace de gestion des eaux de pluie. Les services de la collectivité qui interviennent peuvent également être multiples, le service espace vert pour l’entretien des plantations, le service nettoiement pour l’enlèvement des déchets et le service en charge de la gestion de l’eau. Il faut donc adapter et les services et passer outre le cloisonnement technique. Dans les collectivités, dont les services de l’eau ne s’occupent historiquement que de l’assainissement et de l’eau potable, la gestion des eaux de pluie fait apparaître un nouveau métier ou de nouvelles compétences techniques à acquérir.
Dans quel état sont les nappes phréatiques actuellement ?
La Métropole de Lyon étant très étendue, la qualité des nappes est variable tant qualitativement que quantitativement en fonction des lieux. Les nappes qui font l’objet de plus d’attention et de suivi sont la nappe de l’est lyonnais et la nappe d’accompagnement du Rhône puisqu’elle est utilisée pour la production d’eau potable. Dans l’est lyonnais la nappe est très fortement sollicitée par les collectivités, les agriculteurs et les industriels. Il y a quelques années son niveau piézométrique avait baissé et la qualité des eaux brutes était plutôt moyenne pour de nombreux paramètres. Un schéma d’aménagement et de gestion des eaux a été mis en place pour assurer une gestion concertée. Ce Sage et les efforts consentis par l’ensemble des acteurs portent ses fruits, la qualité de l’eau s’améliore sur certains paramètres et le niveau piézométrique a remonté.
À quelles pollutions faites-vous face ?
Pour les nappes phréatiques les pollutions peuvent être d’origine industrielle (composés chlorés…), agricole (pesticides, nitrates…) ou celles issues de l’activité du quotidien, par exemple via les infrastructures de déplacements (micro-polluants, risques d’accidents…). Ce sont des pollutions plus ou moins importantes, avérées ou potentielles. Il est difficile de dresser un portrait général, vu la superficie de la métropole, la quantité de molécules pouvant être mises en cause dans des pollutions et les contextes locaux, Ce que l’on peut dire c’est que dans tous les cas, il convient de protéger au maximum les nappes afin de ne pas aggraver les situations.
Comment permettre cette récupération malgré les problématiques de pollution ?
L’eau de pluie avant d’arriver au sol contient déjà des traces de pollutions très minimes. Il s’agit de polluants émis dans l’atmosphère par l’activité humaine. Néanmoins cette pollution est pour l’instant tellement faible dans notre région que l’on considère l’eau de pluie comme propre. La charge en pollution de l’eau de pluie varie en fonction du temps, des mouvements des masses d’air… En revanche, l’eau de pluie peut se charger très fortement en polluants lors de son ruissellement sur les bâtiments ou sur le sol. Le lessivage des peintures, infrastructures métalliques, des revêtements, des voiries et parkings, des déchets sur ou dans le sol, des espaces verts (si traitement par phyto sanitaires et engrais) est la principale source de pollution des eaux pluviales. Dans ces conditions comment s’affranchir du problème de pollution ? La première solution est de gérer les eaux de pluie au plus près de leur point de chute et d’éviter des longs cheminements. C’est ce que l’on appelle la gestion à la source. Plus le parcours de l’eau est long, plus l’eau pluviale se charge en polluants.
La deuxième solution est l’infiltration. Le sol est pour de nombreux polluants (les polluants particulaires) un excellent filtre. En revanche le sol est sans effet pour les polluants solubles comme les nitrates ou les pesticides. Cette filtration dépend de la nature du sol, de sa perméabilité. Une perméabilité trop importante ne permet pas de filtrer efficacement. La vie et la diversité des espèces vivantes du sol jouent également un rôle important (micro-organismes, vers, …). Pour éviter de polluer les nappes on va donc chercher à garder une zone insaturée (sans eau) entre le niveau auquel l’eau va s’infiltrer et le niveau de la nappe phréatique dans le sol. Les collectivités demandent des épaisseurs de zones insaturées plus ou moins importante entre 1 et 2 m en général. Le Grand Lyon impose une épaisseur de 1 m puisqu’on sait que les polluants particulaires sont arrêtés dans les premiers centimètres de sols. Cette filtration ne règle pas le problème de la pollution puisque les polluants s’accumulent dans le sol, mais empêche une certaine pollution des nappes phréatiques. Enfin il est possible de faire décanter l’eau avant son infiltration. Depuis plus d’une trentaine d’années, le Grand Lyon travaille avec le GRAIE (www.graie.org) et des universitaires pour suivre le devenir des pollutions dans le sol et l’état des nappes de grands bassins de rétention infiltration dans l’est lyonnais. Certains bassins sont instrumentés pour suivre la qualité de l’eau et de la nappe depuis de nombreuses années. Les résultats confirment en tous points les préceptes précédents, à savoir que la pollution soluble atteint la nappe quelle que soit l’épaisseur de sol (il faut alors travailler à réduire la pollution de l’eau de ruissellement) et que la pollution particulaire est filtrée par les sols. Cela nous permet d’être très sereins sur cette question de pollution. Les résultats sont confirmés par d’autres collectivités qui travaillent avec d’autres structures du type du GRAIE comme à Nantes ou à Paris.
Les citoyens ont-ils conscience de l’enjeu ?
Pour l’instant le grand public est peu informé des enjeux de la gestion des eaux pluviales. La sensibilisation sur le risque d’inondation se fait au gré des catastrophes locales. Des inondations à répétition font prendre localement conscience du besoin de limiter l’imperméabilisation des sols et des gérer autrement cette eau de pluie. En ce qui concerne les enjeux de pollution, les notions et connaissances du citoyen sont beaucoup plus floues. Le Grand Lyon a participé à un programme de recherche intitulé Micromégas. C’est un des projets retenus dans le cadre d’un appel à projets « lutte contre les micropolluants dans les eaux usées » lancé en juin 2013 par le Ministère en charge de l’Écologie, l’Onema et les Agences de l’eau en partenariat avec le ministère de la Santé. Une des facettes était de caractériser les perceptions et les représentations des micropolluants qu’ont les usagers et les gestionnaires des techniques alternatives. Il s’avère que la définition des micropolluants est très peu connue et que la plupart des personnes interrogées considérait que la question des micropolluants liés aux eaux pluviales n’est pas une question prioritaire. Sur le campus universitaire de la Doua, où le personnel et des étudiants ont été interrogés, les techniques alternatives, qui permettent de rendre la ville perméable, sont peu ancrées dans le quotidien et le discours des usagers de l’espace et qu’elles sont peu visibles par les différents acteurs. Ces acteurs qui devraient être sensibilisés en fait ne le sont pas, donc autant dire que le commun des mortels n’est absolument pas conscient des enjeux.
– Dupliquer le projet –
La Métropole de Lyon est l’une des pionnières dans ce domaine, travaillez-vous avec d’autres collectivités pour faire avancer les réflexions dans le domaine ?
La Métropole de Lyon travaille avec d’autres collectivités de la région Rhône Alpes, Chambéry Métropole, l’agglomération de Grenoble, la Roannaise de l’eau… Ces collectivités ont formé un groupe de travail sur les eaux pluviales avec l’Agence de l’eau, des entreprises privées, des EPCI sous l’impulsion du GRAIE. Des liens et des échanges se font également à l’échelle nationale via la FNCCR ou via des contacts bilatéraux par exemple avec le Douaisi et l’association Adopta, avec Nantes, ou plus récemment Paris. Les échanges sont des échanges techniques sur la désimperméabilisation, la rédaction de guide, une formalisation de bonnes pratiques, des argumentaires ou parfois des points réglementaires. De nombreux échanges de documents sont faits, mais également des participations croisées à des colloques ou des journées techniques. Cette désimperméabilisation et la gestion des eaux de pluie intéressent les villes mais également les secteurs plus ruraux où des expériences intéressantes sont aussi menées. Les échanges se font alors par le biais de l’association Rivières Rhône Alpes Auvergne (www.arraa.org) qui fédère les structures qui ont une approche plus globale de la gestion de l’eau et des milieux aquatiques.
La question sur la désimperméabilisation avance justement au travers de ces échanges entre collectivités mais aussi avec les autres acteurs, les aménageurs, les urbanistes, les fabricants de matériaux, etc. Cette métallisation de connaissances et ces retours d’expérience sont fondamentaux non seulement pour éviter des erreurs, voir ce qui fonctionne bien dans certains contextes mais également pour faire diffuser l’information et faire évoluer les pratiques.
La récupération des eaux de pluie est elle suffisamment prise en compte par les collectivités publiques françaises ?
À ce jour elle l’est encore trop peu, pour plusieurs raisons. La première, c’est que cette prise en compte est relativement récente et qu’elle induit une autre façon de penser. On l’a vu plus haut, on ne gère plus l’eau en la collectant dans des tuyaux pour l’évacuer le plus vite et le plus loin possible mais on doit la traire et la gérer sur place. C’est une petite révolution qui se met en place. La deuxième raison est une question financière et budgétaire. La gestion des eaux de pluie nécessite des aménagements dont le coût se reporte sur le budget général de la collectivité. Elle impacte donc les projets généraux qui sont peut-être plus médiatiques. La gestion des eaux pluviales via les réseaux d’assainissement est parfois intégrée dans le budget assainissement qui est un budget annexe alimenté au travers des factures d’eau aux citoyens. Dans ce cas le budget général de la collectivité n’est pas impacté. Nous faisons un travail important pour montrer qu’en coût global (investissement et fonctionnement) la gestion des eaux par les techniques alternatives et la désimperméabilisation des villes coûte beaucoup moins cher que la construction de réseaux, de stations d’épuration et surtout leur entretien.
Pour financer cette gestion des eaux pluviales et limiter l’imperméabilisation une taxe avait été mise en place mais sa mise en œuvre était tellement compliquée que très peu de collectivités l’avait utilisée. Elle a donc été supprimée il y a quelques années. Aujourd’hui c’est par la réglementation (définition de zonage pluvial pour les collectivités) et par les incitations financières des Agences de l’eau que les collectivités vont devoir prendre en compte cette récupération des eaux de pluie. Il faut aussi préciser que les collectivités ne vont pas pouvoir tout faire, et que cette question doit avant tout être prise en charge par chaque citoyen sur son terrain, sur sa parcelle. C’est aussi le particulier qui dans un aménagement décide d’imperméabiliser ou non son terrain. C’est aussi l’usager de la ville qui va plus ou moins accepter de voir de l’eau dans la ville.
combien coûte cette initiative à la métropole de Lyon chaque année ? ?
Donner un cout n’a pas vraiment de sens hors de son contexte. Et ça laisse entendre qu’il n’y a pas de gain. Pour le projet de désimperméabilisation, on a essayé, plutôt que de mesurer des coût, de comparer ce que coûtait une gestion des eaux avec une méthode par tuyaux et différentes méthodes avec une gestion des eaux par techniques alternatives. On a fait cette comparaison en coût global (investissement + fonctionnement) auquel on a ajouté les externalités positives. On a pris comme hypothèse la création d’une voirie en secteur urbain à double sens avec une piste cyclable, des trottoirs et une rangée d’arbres. On a estimé à partir de coûts réels les investissements puis la gestion (exploitation et maintenance) et ce sur une durée de 60 ans. Les résultats montrent clairement que la création de noues ou de puits est la solution la plus avantageuse et que la création de réseau unitaire est la moins avantageuse.
Clairement cette désimperméabilisation, ne coûte pas plus à collectivité et au contraire fait faire des économies dès que l’on réfléchit en coût global. Si dans certains cas des ouvrages sont plus chers à la réalisation (créer un bassin d’infiltration enterré est plus onéreux que de raccorder la voirie à un réseau) les gains sur les investissements à venir et sur le fonctionnement sont très importants. On évite de surdimensionner les réseaux et les stations d’épuration, on évite parfois tout simplement la mise en place de réseau. En revanche il y a un transfert des coûts de fonctionnement entre services urbains. Par exemple, en créant des techniques alternatives végétalisées les coûts de fonctionnement passent du service des eaux au service en charge des espaces verts. Cela doit être anticipé. Il faut aussi mettre en regard les gains environnementaux (limitations des pollutions) et de santé humaine (bien être en ville, îlots de fraicheur, …) et également la limitation de l’encombrement des sous-sols urbains qui devient une réelle problématique.
Avez-vous pu commencer à en mesurer l’impact ?
La mesure de l’impact en est à son tout début. En ce qui concerne uniquement l’aspect quantitatif et qualitatif de l’eau pluviale la direction adjointe de l’eau de la métropole est en train de cartographier précisément les secteurs désimperméabilisés. C’est la première étape pour estimer la quantité d’eau qui ne part plus au réseau. Une première estimation de l’impact est attendue d’ici un an. Dans un premier temps, l’impact risque cependant d’être très modeste la désimperméabilisation de l’espace publique va être de l’ordre de la centaine d’hectares alors que les surfaces imperméables se chiffrent en milliers d’hectares. L’impact sera vraiment mesurable d’ici quelques années lorsque le nouveau PLUH qui impose une gestion des eaux à la parcelle aura commencé à faire sentir ces effets.
En revanche en ce qui concerne les effets îlots de fraicheur, la rue Garibaldi donne des premiers résultats tout à fait intéressants. La désimperméabilisation et de la plantation d’arbres, permet de gagner 1° C par rapport à un environnement urbain purement minéral. Si on parle de température ressentie, le gain est de la dizaine de degrés. On est en train d’essayer de quantifier les gains dûs à l’évapotranspiration.
À quelles difficultés êtes-vous confrontés ?
La première difficulté, c’est de lutter contre les habitudes d’aménagement : imperméabilisation, ruissellement et récupération des eaux dans un tuyau. La deuxième difficulté c’est que souvent la problématique de gestion des eaux, comme nombre de thématiques environnementales, arrive très tard dans la gestion des projets. On a plutôt l’habitude d’adapter l’environnement au projet et plus rarement le projet à l’environnement, ce qui est indispensable pour la gestion des eaux. C’est qui est également compliqué c’est de tordre le cou à des a priori comme la désimperméabilisation ou le fait que les techniques alternatives ne sont pas efficaces, les matériaux poreux sont sensibles au gel, on ne peut pas desimperméabiliser à cause du sel et de la viabilité hivernale… Le nombre d’acteurs à convaincre est aussi un frein dans un projet urbain. Il y a les architectes, les urbanistes, les aménageurs, les maîtres d’ouvrages, les maitres d’œuvres, les entreprises, les gestionnaires, les différents services de la métropole…. Les niveaux de connaissance et les convictions des uns et des autres étant très hétérogènes, les réticences peuvent être nombreuses. Cependant le projet ville perméable a enclenché une véritable dynamique au sein des services métropolitains.
Est-ce un projet qui peut être porteur politiquement ?
Tout à fait puisque ce projet est intimement lié aux questions environnementales, cadre de vie et surtout santé humaine. La désimperméabilisation n’est pas qu’une question technique c’est avant tout une question humaine et d’adaptation au changement climatique. Elle permet aussi d’agréger des politiques de l’eau avec la politique de l’arbre en ville, la politique des déplacements, celle de l’aménagement de l’espace. Elle permet de faire travailler les différents services entre eux. Et bien sûr plus cette politique sera portée politiquement et surtout intégrée par les professionnels de la construction de la ville et appropriée par les citoyens, plus elle aura de chance de réussir.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne