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Bordeaux tente de devenir un territoire zéro mégot de cigarette

Cette semaine, la lettre de l’impact positif met en lumière une initiative co-développée par une ville et une start-up de l’Économie Sociale et Solidaire. Bordeaux collabore avec Ecomégot afin de réussir à devenir le premier territoire zéro mégot de cigarette. L’enjeu est de taille : chaque année 50 milliards de mégots sont jetés par terre et la pollution qui en découle est colossale. La start-up propose des actions efficaces et souhaite autant avoir un impact sur l’environnement que sur l’emploi local.
La Part du Colibri a rencontré à Bordeaux Rachel Richard, chef de projet et Matthieu Fosse, chargé de mission à EcoMégot.
Sommaire:

– Introduction –


Les interviews de Rachel Richard et Matthieu Fosse sont disponibles au format vidéo ou texte pour chaque question.

– Mise en place du projet –

Comment l’idée vous est-elle venue ?
L’idée est venue en juillet 2016 lorsque nous avons fait le constat que le mégot de cigarette est un petit déchet qui traîne partout dans les rues. Il a un fort impact environnemental car il met jusqu’à douze ans à se décomposer. Un mégot peut polluer jusqu’à 500 litres d’eau. Il y en a environ quarante milliards qui se retrouve par terre chaque année en France. Nous nous sommes dit qu’il fallait faire du mégot de cigarette un sujet porteur de sens tant au niveau de l’environnement que de l’emploi local.

C’est une pollution à laquelle nous sommes tous habitués…
Oui. Nous y sommes habitués car nous la voyons partout. Cela ne choque plus les gens. Nous nous sommes rendus compte qu’un Français peut jeter un mégot de cigarette par terre alors qu’il ne jetterait sûrement pas un autre déchet. Ne même plus chercher une poubelle à côté de soit est devenu un réflexe. Il y a 57% des cigarettes fumées dans la rue qui se retrouvent par terre. Nous avons beaucoup de travail au niveau de la sensibilisation. Il faut faire prendre conscience aux gens que le mégot est un petit déchet mais qu’il a un gros impact. Nous devons également permettre aux fumeurs d’avoir des cendriers de proximité. Il ne faut pas qu’ils aient plusieurs mètres à faire pour pouvoir jeter leur mégot de cigarette.

Quel est le concept ÉcoMégot ?
Notre projet repose sur une structure de l’économie sociale et solidaire qui dépollue la ville et le milieu naturel des mégots de cigarette. Notre objectif est de faire des villes de demain des villes zéro mégot tout en créant de l’emploi pour ceux qui en sont éloignés. Nous voulons accompagner des structures partenaires qui peuvent être des collectivités publiques, des entreprises, des campus ou des événements dans la création d’espace zéro mégot via de la sensibilisation, de la collecte et de la valorisation de déchets.

Que menez-vous comme opération de collecte ?
Nous allons collecter les cendriers écomégots que nous implantons sur voie privée ou publique. Ils sont fabriqués par un chantier d’insertion qui s’appelle Fil de fer situé tout près de Bordeaux. Un cendrier créé, c’est sept heures de travail pour une personne éloignée de l’emploi. Nous allons collecter directement les cendriers à vélo. C’est comme cela que nous fonctionnons avec les collectivités publiques. En revanche, pour les entreprises ou les campus, les agents d’entretien mettent les mégots dans des bidons que nous mettons à disposition. Nous passons ensuite les collecter plus ou moins fréquemment.

C’était important d’avoir une dimension d’insertion ?
Oui, c’était très important. C’est une volonté de notre fondateur Erwin Faure. Il veut qu’il y ait du sens à recycler le mégot de cigarette. Nous réussissons à faire de l’insertion via notre partenaire Fil de fer mais nous visons également d’en faire à terme en interne. Pour la collecte, nous sommes actuellement en train de stabiliser notre concept puis l’objectif sera de se tourner vers des personnes éloignées de l’emploi pour leur permettre de trouver un travail.

 

– Le projet aujourd’hui –

Aujourd’hui que faites-vous des mégots récupérés ?
Actuellement nous avons engagé une cellule en recherche et développement au niveau local. Elle travaille sur la caractérisation des mégots de cigarette. Il y a eu peu d’études sur leur composition. Il faut donc trouver les composants chimiques et déterminer une méthode de recyclage optimale. C’est-à-dire trouver comment dépolluer les mégots de cigarette et les transformer en matière plastique. Ce qu’il faut savoir c’est qu’il y a le papier, le tabac et le filtre. Le papier peut-être recyclé à nouveau en papier. Le tabac, il est possible d’en faire du compost. Et le filtre c’est de l’acétate de cellulose comme nous avons dans les lunettes. Il est donc possible de le recycler en matière plastique. Mais actuellement dans le monde, il n’y a pas de techniques optimales qui permettent de dépolluer correctement les mégots. C’est notre objectif.

Sommes-nous encore loin d’y arriver ?
C’est possible. Il y a déjà des initiatives qui ont fonctionné sur ce sujet. Il faut maintenant que l’on puisse y arriver en circuit fermé. Il faut réussir à faire en sorte que l’acétate de cellulose recyclée soit moins chère que celle en sortie d’usine. Si ce n’est pas le cas, il n’y aura pas d’intérêt économique à faire du recyclage de mégots. Nous, les mégots sont actuellement stockés pour réaliser des tests avec nos partenaires. Sinon ils servent à réaliser de la valorisation énergétique.

Comment convaincre au quotidien les habitants de jeter leurs mégots ?
Cela passe par beaucoup de sensibilisation. Nous mettons des cendriers de proximité sur la voie publique. Nous faisons clairement un pas vers les citoyens. Lors des différentes opérations de sensibilisation que nous menons, nous leur demandons donc d’en faire un vers nous. Nous allons quatre heures par semaine près des arrêts de tramway, sur les temps les plus fréquentés, pour leur expliquer notre démarche. Nous insistons sur le processus qu’il y a derrière le fait de jeter son mégot par terre. Ce n’est pas juste le mettre dans une nouvelle poubelle. C’est vraiment enclencher une nouvelle dynamique basée sur l’environnement et l’emploi.

Comment réussir à changer les habitudes ?
Pour jouer sur les habitudes, nous avons mis le haut de nos cendriers en orange pour que les gens puissent avoir des repères. Il faut que l’habitant qui se balade dans une ville puisse se créer un réflexe. Il doit les repérer partout et se développer une nouvelle habitude. Nous avons également mis des panneaux pour expliquer que nous recyclons. Nous pensons vraiment que jeter son mégot est un geste venu d’une habitude. C’est pas une volonté réelle de polluer ou de dégrader l’espace public. Nous voulons changer ce réflexe mais nous savons que cela va prendre du temps. Nous sommes en revanche persuadés que nous pouvons y arriver. Si on accompagne les gens, il n’y a pas de raison qu’ils ne jouent pas le jeu.

À quoi ressemblent vos actions de sensibilisation ?
Nous allons à la rencontre des gens pour leur expliquer ce que nous faisons et la démarche d’ÉcoMégot. Nous insistons sur l’impact du mégot. Nous expliquons par exemple qu’un seul mégot peut polluer jusqu’à 500 litres d’eau, qu’il va mettre douze ans à se dégrader dans le milieu naturel et qu’il contient plus de 2500 substances toxiques ou chimiques. Nous nous apercevons qu’il y a beaucoup de personnes qui ne sont pas au courant. Quand ils prennent conscience de l’impact et du coût que cela représente pour la collectivité nous avançons. Nous leur expliquons combien cela peut coûter de dépolluer les eaux ou de nettoyer les grilles qui filtrent. Les gens prennent conscience de cela. Ensuite nous leur expliquons le côté création d’emplois grâce à notre concept.

Comment fonctionnez-vous au quotidien dans la structure ?
Au quotidien, nous avons beaucoup de rendez-vous avec des partenaires pour étudier comment nous pouvons les accompagner dans leur volonté de devenir ÉcoMégot. Et sinon, nous avons une véritable partie collecte à Bordeaux. Dans la ville, une fois par semaine, nous allons collecter l’ensemble du parc de cendrier. Cela représente 90 points de collecte pour 60 kilomètres à vélo. En moyenne, nous récupérons cinq kilos de mégots. Nous allons démarrer une expérimentation dans un nouveau quartier. Il y aura 40 points de collecte en plus.

– Dupliquer le projet  –

Que proposez-vous aux collectivités publiques ?
Nous travaillons actuellement avec la métropole de Bordeaux. Nous leur proposons d’externaliser complètement le fait de s’occuper des cendriers présents sur la voie publique. Nous passons en direct nous occuper de collecter les mégots et de gérer la propreté du cendrier. Pour les collectivités publiques, nous proposons un concept où les territoires vont sous-traiter la collecte à des chantiers d’insertion. Nous pouvons également des situations où ce sont les agents qui gèrent les flux et séparent les mégots des autres déchets avant que nous fassions la collecte.

Comment peuvent-elles travailler avec vous ?
Il suffit de nous contacter. Nous expliquerons la solution que nous développons et nous rechercherons un chantier d’insertion local qui pourrait potentiellement gérer la collecte. Une fois que les besoins sont analysés, nous allons réaliser un état des lieux des cendriers car nous pouvons proposer d’en rajouter, que ce soit devant des lycées ou des entreprises. Ensuite nous faisons une offre en fonction des besoins et de la volonté de la collectivité. C’est une offre co-construite.

Quel est le coût ?
Cela va dépendre de la fréquentation de la ville et donc du nombre de mégots que nous allons collecter. Cela peut aller de 600 euros pour une petite ville jusqu’à 10 000 euros par an si c’est une grosse ville ou une métropole avec plus de passage.

Quel est l’impact pour une collectivité qui met en place ce type de politique ?
Le premier impact se situe sur la propreté de la ville. Nous effectuons un gros travail de sensibilisation des citoyens. Notre objectif, c’est qu’ils ne jettent plus leurs mégots par terre mais dans nos cendriers. Le second impact se situe au niveau de l’emploi. Nous permettons aux collectivités de faire travailler les chantiers d’insertion locaux. Enfin, en terme d’image cela montre que la ville s’engage en faveur de l’environnement et de l’emploi.

Quelles difficultés peut-il y avoir sur un territoire qui met en place votre concept ?
Avec les communes, il n’y a pas spécialement de difficultés car c’est une volonté de la commune de proposer un nouveau service aux citoyens. Après, il est évident que nos difficultés sont dans la sensibilisation. Si on implante plein de cendriers qui ne sont pas remplis car les gens ne font pas l’effort, c’est qu’il y a un souci. Nous faisons un pas vers les citoyens en leur proposant des cendriers de proximité mais en échange on attend aussi un pas de leur pas vers la ville. Ils doivent s’engager à ne plus jeter de mégots par terre mais à faire les quelques pas vers les cendriers. C’est une démarche décisive pour l’environnement.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne