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Strasbourg : Un café, des contacts et un outil pour l'emploi sur le territoire

Cette semaine, la lettre de l’impact positif vous fait découvrir le concept du café contact de l’emploi. Depuis plus de dix ans, le fondateur de cette association travaille avec les collectivités publiques afin d’organiser dans des quartiers sensibles des rendez-vous entre chômeurs et employeurs. Son objectif ? Créer les conditions d’une confiance réciproque en organisant les entretiens d’embauche sous la forme de rendez-vous dans un café.
Pour en savoir plus, nous sommes allés découvrir le concept à Strasbourg où la préfecture du Bas-Rhin faisait intervenir l’association dans un quartier « politique de la ville ».
Sommaire:

– Introduction –


L’interview de Paul Landowski est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.

– Mise en place du projet –

Comment l’idée vous est-elle venue ?
L’idée est venue lorsque j’étais en recherche d’emploi en 2006. Je me suis dit : comment faire pour rencontrer un employeur. J’étais au chômage depuis plus de dix mois en tant que cadre. J’ai voulu, plutôt que d’attendre, inviter des employeurs à venir dans un café de Strasbourg. Et il y en a plusieurs qui sont venus. Ils trouvaient que la démarche était intéressante, car elle prouvait que je voulais être acteur de mon destin. J’y avais aussi convié d’autres cadres en recherche d’emploi. C’était en décembre 2006 et j’ai reconduit l’opération en janvier où j’ai eu une quinzaine d’employeurs présents. C’est à ce moment-là que cela a pris forme. Il y avait une véritable demande de la part des gens au chômage et des employeurs. C’est ainsi que les cafés-contacts sont nés avant que nous les formalisions par une association. J’ai ainsi pu créer mon emploi. Nous nous sommes ensuite développés grâce aux demandes des différents partenaires. Il y en avait des privés et des publics. Notre outil était jugé très intéressant.

C’est en fait une idée et elle s’est transformée en véritable concept…
Oui. J’avais plus ou moins le concept en tête. J’avais remarqué lors de mes recherches que les employeurs dans des entreprises étrangères me donnaient des rendez-vous dans des cafés ou des hôtels. C’était beaucoup plus convivial. J’avais plus de difficulté avec les entretiens traditionnels qui sont souvent trop formatés. J’avais cette idée et cela m’a permis de créer le dispositif. Nous avons créé l’association au début avec des bénévoles puis nous avons réussi à avoir des salariés.

Cela vous permet d’en vivre ainsi qu’une autre personne ?
Oui nous sommes deux au quotidien. En fonction des évènements, nous pouvons faire appel à d’autres personnes de façon temporaire. Nous avons été remarqués par des partenaires politiques et institutionnels. Par exemple, nous travaillons beaucoup avec les préfectures en charge des dossiers politique de la ville. Le délégué du préfet ici à Strasbourg avait repéré notre outil. Il le trouvait intéressant car il était efficace auprès des personnes qui ne vont plus dans les forums pour l’emploi et autres salons… Puis le bouche-à-oreille a bien fonctionné et nous nous sommes développés dans plusieurs régions.

Comment résumer le concept ?
Le café contact de l’emploi, c’est faire venir au bas de l’immeuble, notamment dans les quartiers dits « prioritaires », des employeurs. Ce que nous avons fait aujourd’hui par exemple, c’est que nous avons amené de vrais employeurs directement chez les habitants. Pour nous, il est très important que les entreprises que nous faisons venir aient de vraies offres à pourvoir tout de suite. C’est une condition non-négligeable. La facilité pour les candidats, c’est qu’ils se détachent des codes habituels. Ils sont à l’aise alors que ce sont des entretiens d’embauche. Aujourd’hui, nous en sommes à 210 cafés-contacts réalisés, 20 000 candidats présents, 3500 employeurs mais surtout 100% d’entretien d’embauche ! C’est important, car dans le public que nous aidons, il y a des personnes qui n’ont rien depuis six mois. Même pas une réponse négative à une candidature. En terme de résultats, nous sommes en moyenne entre 8 et 10% de propositions d’emploi.

 

– Le projet aujourd’hui –

Comment fonctionnez-vous au quotidien ?
Nous avons des partenaires qui nous appellent pour nous dire « nous voulons votre outil chez nous ». Nous leur expliquons notre fonctionnement puis nous mettons en place un comité de pilotage s’ils nous donnent l’accord financier. À l’intérieur, nous souhaitons mettre tous les opérateurs de l’emploi du territoire. Cela va des éducateurs spécialisés aux élus mais aussi les missions locales, les associations, les bailleurs sociaux… Chacun valide le projet et fixe une date. Le deal est le suivant : nous faisons venir les employeurs et eux s’occupent de faire venir les candidats. C’est cette alchimie qui fonctionne bien.

Un matin comme aujourd’hui comment cela se déroule ?
Il y avait seize entreprises et 200 candidats. Mais ce n’est ni un forum, ni un salon. Nous essayons d’attiser la curiosité sur le dispositif que nous mettons en place. Beaucoup de candidats qui sont venus ce matin ne savaient pas vraiment de quoi il s’agissait. Nos partenaires sociaux leur avaient expliqué vaguement notre concept mais ils ont découvert les employeurs en arrivant à neuf heures. Nous, nous encourageons tout le monde à aller voir tout le monde. Car il y a aussi le marché caché. Les candidats peuvent voir les employeurs tout de suite sans avoir à faire de lettres ou de CV. Nous imposons un fonctionnement : le contact d’abord, le CV ensuite. C’est un circuit court de l’emploi. Les habitants ont en bas de chez eux des employeurs qui offrent des emplois pour démarrer maintenant. Il y a une émulation qui est extraordinaire. Il n’y pas de chronométrage. Nous n’avons rien inventé. Nous ré-inventons ce qui se faisait il y a longtemps. Chaque voisin peut aider un voisin en lui présentant un autre voisin qui a un emploi à pourvoir.

Vous arrivez à toucher des personnes très éloignées de l’emploi…
Oui. Constitutionnellement, il est dit qu’il faut travailler. Un mec qui a fait une bêtise, le juge va lui dire : il faut trouver un boulot. Mais comment faire ? Pour nous, tout citoyen doit pouvoir avoir accès à un employeur. Il y a trop de gens qui oublient cela. Peut-être qu’il n’y a pas toujours un emploi tout de suite mais notre outil offre l’avantage de pouvoir aussi redonner de la confiance. J’ai croisé un monsieur aujourd’hui qui avait un grand sourire en sortant. Je lui ai demandé s’il avait trouvé un emploi. Il m’a dit non mais j’ai trouvé une écoute. Ceux qui ont des problèmes de confiance voir même parfois des handicaps réussissent à trouver leur place chez nous.

Que vous disent les participants à vos cafés-contacts ?
Ce qui ressort des questionnaires que nous faisons remplir à la fin de chaque événement, c’est le mot dédramatisons. Il y a cette idée de faire tomber les barrières. Les personnes qui viennent apprécient l’échange qui peut avoir lieu. Nous vivons dans une société où avoir un emploi est très important pour la reconnaissance sociale. Moi j’estime que la vie n’est pas une punition. Aujourd’hui il faut penser autrement. Je ne suis plus cadre depuis quinze ans, et je le vis bien ! Ce qui est important pour nous, c’est que tout le monde peut venir. Il y a parfois des gens qui nous appellent pour nous dire « Mais est-ce que c’est pour moi ? ». Je réponds toujours oui. Le plus beau cadeau que nous puissions avoir c’est quand une personne repart en nous disant que c’était fabuleux. Ce matin, les membres du centre socio-culturel dans lequel nous étions, nous ont dit que les habitants avaient apprécié que l’on s’intéresse à eux près de chez eux.

Quelles sont les valeurs des entreprises présentes ?
La plus importante, c’est que ce sont des entreprises qui viennent avec au moins un emploi à pourvoir. Cela fait onze ans que cela fonctionne. C’est du bon sens qui a l’air simple mais nous devons reconstruire le lien social en bas du café. Les gens ont oublié ça ! Aujourd’hui, on pense que l’emploi se fait via des intermédiaires comme des journaux. Mais est-ce que ce n’est pas plus simple de rencontrer les gens directement ? Avec l’outil internet, il est possible d’envoyer un CV. Mais les gens en ont marre. Ils veulent voir un employeur et montrer leur motivation. C’était l’origine de ma démarche, montrer à ceux qui recrutent que c’est possible qu’un chômeur soit acteur de son destin. Je suis convaincu que tout le monde est employable. Dans tous les quartiers, il y a des mines d’or. Nous allons souvent dans des quartiers où il est dit qu’il y a beaucoup de problèmes. Mais à chaque fois avec nous, c’est la fête ! On me dit souvent : c’est génial ton action, bravo ! Mais moi je réponds toujours : non c’est très triste que nous existions. Notre outil est réussi mais il devrait appartenir à tout le monde. Nous ne devrions pas avoir à expliquer ce que nous faisons.

– Dupliquer le projet  –

Qui sont vos partenaires ?
Le mot partenaire est un peu compliqué. Pour nous, il correspond aux acteurs qui nous demandent ces actions et nous financent. Sur Strasbourg, c’est la préfecture et son service en charge de la politique de la ville. Nous avons eu un contrat avec la région Provence-Alpes-Cote-d’Azur. Actuellement, nous travaillons également avec le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis. Avec eux, nous avons fait deux cafés-contacts à Clichy et Bondy. Cela a été un beau succès et ils nous redemandent quatre nouvelles actions. Cela peut aussi être des maisons pour l’emploi ou des missions locales. Le 29 mars, nous allons également en réaliser un à Roubaix où c’est la ville qui nous fait venir. Il y aura également Reims, Saint-Etienne… Nous intervenons à toutes les échelles.

Quel impact avez-vous ?
Il y a deux réponses intéressantes. La première, c’est que nous sommes un véritable médicament social. Nous n’avons pas le temps et les moyens humains de le mesurer précisément. Mais nous savons qu’il y a des gens isolés, sous antidépresseurs, qui ne trouvent pas de travail et qui nous disent à la fin : « ça m’a fait du bien, je me suis senti reconnu. » Le second impact est dans l’emploi. Nous avons entre huit et dix pourcents de contrats de travail. Sur un dispositif où nous sommes que deux salariés, c’est plutôt pas mal ! Je ne le disais pas il y a encore cinq ans mais aujourd’hui suis convaincu que nous faisons baisser la courbe du chômage. Le gouvernement devrait inciter à utiliser notre outil. Nous recevons aujourd’hui des appels venant de toute la France. Ce sont des Français qui nous demandent quand est-ce que l’on vient chez eux.

Quel est le coût pour une collectivité publique ?
Un café contact ponctuel coûte en moyenne 9500 euros. Cela prend en compte tout l’évènement du début à la fin. Il y a un entretien deux mois avant puis un comité de pilotage pour relier entre eux tous les partenaires sociaux. Il y a alors cinq semaines de prospection pour trouver les employeurs avant de gérer l’animation. Nous créons un lien pour que les habitants puissent avoir des entretiens et trouver du boulot. Si un partenaire nous demande plusieurs évènements, cela revient évidemment moins cher.

À quelles difficultés faites vous face ?
La principale difficulté, c’est de tenir la cadence. Nous sommes actuellement à un tournant. Nous avons un produit et des outils à fournir clé en main. Nous cherchons donc un opérateur de l’emploi national. Ce que nous voudrions, c’est une association nationale qui aurait des antennes dans toutes les villes en France afin qu’elle nous aide à pérenniser et développer notre concept de café contact. Nous voudrions pouvoir être le laboratoire et former des gens pour la réalisation des évènements. Je crois qu’il faut que ce soit une structure liée à l’ESS avec des convictions très fortes. Il faut oublier les frontières, moi quand on me demande d’où je viens, je réponds de la lune…

Propos recueillis par Baptiste Gapenne