Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à une initiative mise en place sur le territoire de la communauté urbaine d’Arras. Pour éviter au maximum le gaspillage d’eau et améliorer son rendement entre l’eau puisée et celle distribuée, la collectivité a demandé à son prestataire d’utiliser des prélocalisateurs de fuites d’eau. Outils automatiques, ils sont branchés sur une canalisation afin de détecter le bruit des fuites. À partir des informations transmises, les agents peuvent ainsi intervenir rapidement et plus précisément.
Pour mieux comprendre le fonctionnement de ces prélocalisateurs, Territoires-Audacieux.fr a interviewé Axel Demoor, Directeur de l’aménagement urbain de la Communauté Urbaine d’Arras.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
Comment cette idée vous est-elle venue ?
La gestion de l’eau est une compétence de la communauté d’Arras. En revanche, le service est exploité par une société privée sous la forme d’une délégation de service public. La DSP précédente s’est terminée fin 2016. Pendant l’année, nous l’avons remise en concurrence pour la période 2017-2025. Dans ce dans ce cadre, nous avons dressé un cahier des charges qui ne visait pas directement la mise en place de prélocalisateurs de fuites mais qui cherchait à améliorer le rendement du réseau. C’est en voulant suivre cet objectif comme ça que l’idée du pré-localisateur est apparue car augmenter le rendement du réseau signifie réduire les fuites. C’était un objectif affiché par la collectivité. C’est un état d’esprit. L’eau est une ressource et l’idée est de la préserver et non de la gaspiller. Nous avons une politique générale de préservation de l’eau de la source jusqu’à l’usager.
L’exploitant s’est occupé de la mise en place du système et des différentes options ?
Oui. Dans le cadre d’une renégociation de la DSP, il y a eu des réunions de négociation. Pendant celles-ci, nous avons affiné l’idée de recourir à des prélocalisateurs de fuites. Dans le contrat, l’exploitant (une filière de Véolia) devait installer, à l’échelle de tout notre territoire, 160 prélocalisateurs de fuites. Il y en a 110 qui sont fixes et 50 qui sont mobiles.
Qu’est ce qui vous semblez intéressant dans cette idée ?
Nous avons été séduits par ces équipements qui s’installent directement sur le réseau. Le principe, c’est d’écouter les bruits émis par les fuites. Quand nous écoutons une conduite d’eau, et que nous l’analysons, nous pouvons détecter l’origine de ces fuites. L’intérêt de ce type de prélocalisateurs, c’est que c’est un outil automatique. Chaque prélocalisateur est équipé d’une puce GSM qui lui permet de communiquer via le réseau de téléphonie mobile. Il transfère un bilan journalier des écoutes. Tout est centralisé sur un superviseur qui permet à l’exploitant d’avoir accès au rapport d’activité des dernières 24 heures. Il peut ensuite, si besoin, envoyer des unités mobiles vers les zones identifiées. Cela permet donc de rendre plus efficace et pertinente la détection de fuites en sectorisant les zones dans lesquelles ces fuites peuvent se trouver et en évitant d’envoyer tous les jours “au hasard” du personnel équipé d’appareils portatifs. Il n’y avait pas d’objectif financier. Nous souhaitions que les moyens mis en œuvre soient plus efficaces. Nous avons également gagné en rapidité en cas de dysfonctionnement.
Le prélocalisateur réalise un travail que l’humain aurait du mal à faire, ou dans lequel il mettrait beaucoup plus de temps ?
Nous avons à peu près 650km de réseau donc s’il fallait envoyer du personnel pour écouter régulièrement nos fuites, il faudrait une armée de camionnettes et du personnel ! C’est impossible. Nous nous servons de la technologie pour produire un travail plus efficace et plus ciblé. Mais il y a une complémentarité avec le travail de nos moyens humains. Une fois la fuite détectée, ce sont nos équipes qui interviennent. Les prélocalisateurs nous donnent une rue ou un secteur. L’équipe intervient avec un appareil électro-portatif, pour analyser le bruit. Le travail des chercheurs de fuites est de localiser la fuite au mètre près.
Quelles sont les différentes étapes de mise en place ?
Le délégateur est là depuis la première année du contrat. En 2017, Véolia a installé les 160 prélocalisateurs. Il y en a 110 qui sont fixes et 50 qui sont mobiles. Cela permet un travail complémentaire. Ce sont des appareils qui doivent être installés à un endroit où il y a un accès aux vannes. Ce sont des appareils qui se fixent directement sur le réseau enterré. Nous avons mis des appareils fixes dans des secteurs les plus compliqués d’accès comme ceux où il y a de la circulation routière ou dans la partie la plus urbanisée. Au contraire dans les secteurs plus ruraux, nous avons les 50 prélocalisateurs mobiles puisque nous n’avons pas la contrainte de l’occupation de l’espace public et moins de circulation. Ces appareils mobiles sont changés toutes les semaines (ou 15 jours).
Combien de temps a pris l’installation des appareils ?
Il y a plusieurs problématiques quant à l’installateur d’un appareil. Il faut déjà déterminer en fonction de la carte du réseau, les lieux où ils vont être posés afin de sécuriser au mieux le réseau. Il faut notamment identifier les secteurs et les points d’accès au réseau. Ensuite, l’intervention peut prendre aussi bien 15min qu’une demi-journée en fonction de la configuration. Par exemple, comme l’appareil communique par une puce GSM et le réseau mobile, s’il est trop enterré, il y a une problématique de couverture réseau. Il faut alors faire un trou dans la bouche à clef ce qui relève d’un travail manuel. Au global, l’installation a pris plusieurs semaines.
– Le projet aujourd’hui –
Concrètement comment fonctionnent les prélocalisateurs ?
Ce sont des ondes sensibles aux bruits et aux vibrations des conduites d’eau. Nous avons des capteurs sur les conduites. Ils ont pour fonction d’écouter le bruit de l’eau (via les vibrations). Il est plus facile d’écouter des bruits sur tuyaux en fonte que des tuyaux en plastique. En fonction des tuyaux, nous avons donc plus ou moins de facilités à capter les bruits. Plus concrètement, nous mettons le capteur sur une conduite d’eau. Il est relié à un boîtier et emmagasine des données. Il les envoie via le réseau GSM à la centrale. Les données sont analysées par l’ordinateur sur un logiciel spécialisé. Sur les 160 points mis « sur écoute », celui-ci nous fait ressortir les appareils qui ont le plus de probabilités de fuite. Il y a aussi des filtres qui permettent de n’entendre que le bruit de l’eau et non le bruit extérieur.
Après utilisation, diriez-vous que ce système est efficace et vous fait gagner du temps ?
Niveau efficacité oui, c’est certain. Au lieu d’envoyer du personnel avec un appareil électro-portatif, nous mettons des appareils durant quelques jours ou quelques semaines sur un point fixe. Comme toutes les données remontent automatiquement, cela permet d’avoir un point de centralisation et donc une vision globale. C’est beaucoup plus efficace, beaucoup plus ciblé et beaucoup plus rapide. Le délai est de quelques heures.
Par rapport à votre ancienne façon de rechercher ces fuites, qu’est ce qui a changé ?
Nous trouvons des fuites de plus en plus petites. Certaines sont pratiquement des fuites de goutte-à-goutte. Quand vous avez un tuyau enterré à 1m50 de profondeur, trouver un tuyau qui fuit au goutte-à-goutte ce n’est pas facile !
Avez-vous déjà commencé à mesurer les économies que vous allez pouvoir faire ?
Oui mais il y a une difficulté : le rendement se calcule par rapport au volume d’eau consommé. Pour connaître le volume d’eau consommé il faut donc relever le compteur des abonnés. Il n’est pas relevé tous les jours. Pour l’ensemble des collectivités, le calcul se fait donc sur une période d’un an. En prenant l’exemple de 2017, qui était la première année où nous avons mis en place ces prélocalisateurs, notre rendement avait augmenté. Ce n’est pas que le fait des prélocalisateurs, mais ils y contribuent. Nous avons des programmes de renouvellement du réseau. Ils sont basés sur l’analyse de données et nous hiérarchisons les travaux sur les zones qui sont les plus à risque de fuite. Nous avons plusieurs actions qui permettent d’augmenter les rendements. C’est compliqué d’identifier la part spécifique de chaque action dans le rendement global mais nous constatons que le rendement s’améliore. Nous avoisinons les 90%. Cela correspond à l’objectif fixé aux délégataires. Avant nous étions partis à 86%. C’est compliqué de gagner 1% quand nous arrivons si haut. L’objectif n’est pas d’arriver à 100% parce que c’est techniquement impossible. 90% c’est une belle performance comparé à la moyenne en France.
Pour une collectivité, est-il important d’agir au niveau des ressources ?
C’est le problème avec les performances énergétiques. Aujourd’hui dans le domaine de l’eau, il n’y a pas d’étiquette énergétique comme quand vous achetez un frigo ou un congélateur. C’est pourtant très important d’avoir un réseau d’eau qui soit plus le plus efficace possible avec un rendement maximum entre le volume pompé et le volume amener à l’usagé.
– Dupliquer le projet –
Est-ce un argument politique étant donné que les usagers font de plus en plus attention à leur impact environnemental ?
Les sujets environnementaux sont des sujets d’actualité. D’autant plus que nous expliquons aux usagés que l’eau gaspillée est payée. Cela les touche d’un point de vue économique.
Combien cela vous a-t-il coûté ?
Pour la collectivité : rien car dans le code du contrat nous avons demandé à notre délégataire de porter l’installation et l’exploitation. Le service de l’eau est un service public à disponibilité commerciale. C’est-à-dire que l’exploitant se rémunère sur le prix de l’eau. Ce sont des investissements qui ont été portés par les délégataires et intégrés au prix de l’eau. Le coût de l’eau est ridicule. En soit, l’investissement est de quelques dizaines de milliers d’euros, ce qui n’est pas beaucoup en rapport à l’activité.
Pensez-vous que les prélocalisateurs peuvent intéresser d’autres collectivités ?
J’espère que les prélocalisateurs sont quelque chose qui va être amené à se généraliser. C’est une technique fiable et qui est duplicable à grande échelle. Comparativement au service rendu, elle est peu onéreuse. Il faudrait 200 chercheurs de fuites pour faire ce genre de travail !
Difficultés dans l’installation ?
Il y a eu de petits soucis par rapport à la couverture GSM mais c’est à peu près tout. Pas de problème qui ne remette en cause le système dans tous les cas. Des petites problématiques de terrain liées à nos secteurs très ruraux où il n’y a pas forcément de couverture GSM. En tout cas, pour nous, nous n’avons pas rencontré des difficultés majeures.
Quelle a été la réaction des agents qui cherchent les fuites?
C’était des agents qui avaient l’habitude de travailler sans les prélocalisateurs. Maintenant qu’ils travaillent avec, c’est tout comme une secrétaire qui travaillait avant avec une machine à écrire et maintenant avec un ordinateur. Ils voient ça sous un angle de complémentarité. Globalement ils sont contents car ils trouvent tout de suite les fuites. Avant ils devaient chercher. C’est beaucoup plus efficace.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne