Territoires AudacieuxTerritoires AudacieuxTerritoires AudacieuxTerritoires Audacieux
33650, Saint Médard d'Eyrans
(Lun - Ven)
baptiste@territoires-audacieux.fr

Grenoble : Une ferme intercommunale pour préserver des activités agricoles sur les territoires

Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à un projet développé par l’agglomération de Grenoble : la ferme intercommunale des Maquis. La collectivité, qui souhaitait préserver des activités agricoles sur son territoire, a racheté une ferme pour la confier, suite à un appel à projets, à de jeunes agriculteurs. Ces derniers se sont engagés dans une démarche de bio et accueillent des classes dans une démarche pédagogique.
Lilian Vargas, responsable du service agriculture, forêt et biodiversité de Grenoble Alpes Métropole et Céline Frachet, agricultrice à la ferme des Maquis ont répondu à nos questions pour en savoir plus.
Sommaire:

– Mise en place du projet –

Comment est venue cette idée de ferme inter-communale ? 
Nous souhaitions sur notre territoire préserver des activités agricoles. Hors, depuis plusieurs années, l’agriculture est apparue particulièrement fragilisée par la disparition probable, à court terme, de tout siège d’exploitation et l’absence de bâtiments d’élevage disponibles sur ce secteur. Nous avons donc réfléchi durant les années 2000, dans le cadre d’une démarche de gestion concertée de l’espace associant tous les acteurs, à une solution afin de maintenir les espaces ouverts et renforcer la qualité d’accueil pédagogique du territoire.
Quel était l’objectif de la collectivité ? 
Nous avions pour objectif de maintenir une présence agricole sur la colline concernée. Nous nous sommes donnés comme vocation de contribuer à conserver la qualité des paysages du site à long terme. Enfin, nous souhaitions vraiment renforcer le caractère pédagogique du site.
A-t il-été facile de fédérer les différents acteurs pour monter le projet ? 
Non, il a fallu un gros travail d’animation dans le cadre de la démarche de gestion concertée. Nous avons notamment dû réaliser beaucoup de concertation avec les habitants. Ils avaient peur de subir des nuisances et que leurs terrains soient déprécier par la présence d’une exploitation agricole à proximité.
Comment s’est déroulée la mise en place ? 
Nous avons commencé par réaliser une étude foncière. Ensuite, nous avons réalisé l’acquisition d’un tènement d’une ancienne exploitation en semi-abandon avec l’appui de la SAFER. Nous avons ensuite pu formaliser un projet agricole répondant aux objectifs du territoire en lançant un appel à projet.
Quels critères avez-vous donné lors de l’appel à projets ? 
Il y avait trois critères principaux. L’entretien de l’espace (grâce aux caprins). Le maintien de la qualité environnementale avec une agriculture bio et un bâtiment basse consommation. Et l’éducation à l’environnement (ferme pédagogique).
 

– Le projet aujourd’hui –

Quelles sont les différentes activités de votre ferme intercommunale ?
Nous avons différentes activités. Nous élevons des chèvres. Nous faisons du fromage. Nous avons un petit magasin à la ferme et nous accueillons des classes (au printemps principalement et à l’automne). Après, il n’y a rien qui la différencie des autres fermes à part le panneau aux couleurs de l’agglomération. Au début, cela a été un peu difficile à faire comprendre au public. Nous ne sommes pas des employés municipaux. Nous sommes chez nous et nous ne sommes pas au service du public comme peut l’être un employé municipal. Nous avons eu des personnes qui venaient en pensant que c’était ouvert comme un parc. Ils venaient n’importe quand, en dehors de nos heures d’ouverture pour voir les chèvres.
Qu’est-ce que ça change d’être une ferme municipale pour vous qui portez le projet ?
Les avantages que nous avons vus en nous installant ainsi, c’est que nous avons réussi à nous installer sans beaucoup d’apports. Nous n’avons pas eu à réaliser de gros investissement car nous ne sommes pas propriétaires. C’est la métropole de Grenoble qui l’est. C’est pour cela que c’est une ferme « inter-communale ».
Par rapport à une installation classique, quelles économies avez-vous réalisé ?
Nous n’avons pas eu à financer le terrain ou les bâtiments mais nous avons tout de même investi dans le matériel ou le troupeau. L’économie réelle réalisée est difficile à chiffrer car c’est un bâtiment inter-communal, donc soumis à appel d’offres. Un individu qui s’installe sur une ferme va souvent travailler lui-même et réaliser une partie en auto-construction. Mais ça peut vite être aux alentours de 300,000 euros. Nous, nous avons investi à peu près 60,000 euros
Avec l’avantage que cela vous a permis une installation plus proche de la métropole…
L’avantage, effectivement, c’est que la métropole avait fait une recherche foncière depuis longtemps. Ils avaient étudié toutes les terres agricoles qui disparaissaient. Il était très peu probable de réussir à s’installer ici car il y a une énorme pression foncière. L’agricultrice qui a vendu sa ferme a cédé ses terrains à l’agglomération mais elle a également vendu tout le bâti à des particuliers pour des rénovations. Dans les terrains, il y a aussi une partie qui est constructible et qui a été vendu a des particuliers. Nous sommes à 5km de l’agglomération, ce n’est pas évident de trouver quelque chose d’autre d’aussi proche.
Au quotidien, qu’est ce que ça change dans votre fonctionnement le fait que ce soit une ferme municipale ?
Durant toute la partie « projet » il a fallu être plus souple, ou même diplomate car nous travaillions avec des élus et des problématiques de collectivités. Nous avions des délais mais il fallait passer en commission et il y avait des appels d’offres ou les budgets à respecter. Il y a aussi beaucoup de votes donc cela a été un peu long à mettre en place. Il fallait, en tant que particuliers, être prêts à travailler avec des politiques. Ensuite, nous sommes conscients que nous avons la chance de travailler avec une grosse collectivité qui a prévu en amont un budget d’entretien de la ferme. Toutefois, pour certains gros travaux non prévus au budget de l’année, il faut parfois attendre l’année suivante… C’est un peu moins souple à gérer que si nous étions propriétaires.
Sur les décisions du quotidien, c’est vous qui prenez toutes les décisions ?
Nous, nous sommes locataires de la métropole. Elle possède un droit de regard à travers du bail. Par exemple, sur le plan environnemental nous devons être bio. Si nous ne respectons pas ça, j’imagine qu’ils pourraient rompre le bail. Après, nous avons un accord “moral” avec eux, sur le fait d’accueillir du public. S’ils voyaient que nous ne faisons pas d’activités pédagogiques alors que nous, quand il y a eu l’appel à projet, nous nous sommes engagés à le faire, cela poserait problème. Nous avions proposé notre projet comme un élevage de chèvre mais aussi un accueil des classes. Nous pensons comme l’agglomération que si elle finance une ferme, c’est pour que celle-ci soit ouverte sur le territoire.
Il y a eu de la pédagogie à faire avec les habitants et certains élus ?
Avec certains élus, oui au tout début, car les élus avaient tendance à venir à l’imprévu avec des journalistes par exemple, en disant : “Regardez notre ferme !”. Mais cela s’est vite arrêté. Nous avons dû faire comprendre aux élus que, certes, ils étaient prioritaires mais que nous étions chez nous et que c’était notre entreprise. Nous sommes assez diplomates dans le dialogue et les relations se passent bien. De plus, l’équipe de la métropole a changé il y a quelques années et comme ce n’est plus leur projet, nous voyons les élus que très rarement.
C’est un projet où tout le monde a son intérêt ? Chacun y trouve son rôle ?
Tout à fait. Dans la région, il y a plein de fermes communales qui éclosent. Pas forcément de notre ampleur, mais il y a pleins de petites communes qui ont des terrains municipaux et qui se disent qu’ils peuvent porter un projet, aider un agriculteur à s’installer. Ils sont prêts à financer un petit peu pour favoriser les installations. Cela peut être des installations pour faire venir l’eau ou d’autres petites choses.
Du coté des agriculteurs, avez-vous été contacté par d’autres personnes intéressés par ce modèle ?
Oui même si ce n’est pas pour tout le monde. Nous sommes locataires et nous ne serons jamais propriétaires. Certaines personnes souhaitent être chez elles et donc ça ne les intéresse pas. En revanche, il y a quand même des jeunes qui cherchent à s’installer, en dehors cadre familial, et qui cherchent des terrains. Ce n’est pas forcément facile pour eux. Ils vont pouvoir du coup frapper à la porte des mairies. Plus il y aura des fermes communales, plus les mairies vont en entendre parler et se dire “et pourquoi pas chez nous ?” Autour de Grenoble, il y en a déjà beaucoup. Mais ce sont plus des installations en maraichage, sans forcément de bâtiment.

– Dupliquer le projet –

Combien ce projet a-t-il coûté ? (Investissement + frais de fonctionnement)
1,2M d’euros au total. Cela comprend : le foncier (32ha), les bâtiments d’exploitation dont le logement construits BBC en bois local, la salle d’accueil des classes ainsi que l’équipement de la ferme et de la fromagerie. Sur cette dernière, il y a eu un gros surcoût lié à l’instabilité du terrain et à un accès difficile. Mais le loyer a été calculé pour rembourser les annuités d’emprunt sur la durée d’amortissement.
Avez-vous pu mesurer un impact ? 
Déjà, nous avons créé trois emplois. Ensuite il y a une commercialisation à la ferme et sur trois marchés de l’agglomération. Tout cela est complété par l’adhésion à un magasin collectif de producteurs à Herbeys (village voisin). Enfin, il y a un impact direct et très positif sur la vie du hameau et l’entretien des espaces ouverts de la colline. C’est également très positif sur les fermes pédagogiques puisque Céline est devenue Présidente du réseau des Fermes Buissonnières.
Quels conseils donneriez-vous à des élus qui souhaitent se lancer dans un projet similaire ? 
Il ne faut pas avoir peur de se lancer… mais surtout ne pas se précipiter. Je pense qu’il faut prendre le temps de faire le travail de sensibilisation et mobilisation avant afin de construire le projet avec tous les acteurs locaux, même les grincheux.
Quelles difficultés avez-vous rencontré ? 
Il y a eu beaucoup d’anciens propriétaires (agriculteurs) qui se sont opposés à notre projet. Le problème, c’est que le modèle agricole qu’ils avaient en tête n’était plus viable sur ce site. Ils ne croyaient pas que l’on pouvait faire autrement tout en étant économiquement viable.
Comment le projet a-t-il été accueilli politiquement ? 
Il y a eu un très fort portage politique de la Métropole ET des communes supports de la colline. Elles ont toutes activement participé y compris financièrement, à la hauteur de leurs moyens. Il y avait également l’opportunité d’un soutien de la Région de l’époque qui avait une politique territorialisée de soutien à l’agriculture très forte.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne