Pour relier un nouveau quartier au reste de son centre-ville, Brest a misé, il y a quelques années, sur un téléphérique urbain. Véritable complément de son réseau existant de bus et de trams, celui-ci a rapidement été un succès auprès des habitants… Mais il a également apporté à la ville un flux touristiques qui n’était pas prévu ! Il est même devenu sur le territoire, « le seul transport en commun où touristes et habitants prennent des selfies ». Aujourd’hui, il sert d’exemple à de nombreuses villes françaises qui penchent pour cette solution longtemps mise de côté par les élus et spécialistes de l’urbanisme.
Territoires-Audacieux.fr a interviewé Victor Antonio, directeur des mobilités à la métropole de Brest.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
D’où vous est venue l’idée du téléphérique ?
Le téléphérique est né d’un problème d’accessibilité que nous avions pour une zone d’activité qui correspond au nouveau quartier des Capucins dans le centre-ville. Il se trouve sur le terrain de la base navale de Brest. La ville s’est, en effet, développée autour de ce point d’intérêt même si la base est fermée au public depuis la fin de la guerre. Notre particularité, c’est que nous avons une partie de ville qui est interdite aux civils et où il n’y a que des militaires. Or la Marine n’a plus besoin d’autant de terrain qu’avant. Nous avons donc eu cette chance de pouvoir recréer un beau quartier en plein centre-ville. Mais la difficulté, c’est qu’il était sur les méandres d’un fleuve côtier appelé la Penfeld. Ce fleuve est entre 20 et 30 mètres en dessous du niveau de la ville. Le quartier n’était donc accessible que par l’ouest avec une ligne de tram. Cette nouvelle liaison était compliquée à manier car il fallait franchir la parcelle d’eau sur une portée de 450 mètres. Ce franchissement aurait pu être un pont levant ou un pont tournant pour laisser passer les bateaux. Cela nous aurait coûté au moins 40 millions d’euros. Ça aurait été le même prix pour une parcelle piétonne, sachant que pour une longueur de 450 mètres, nous n’étions même pas certains d’attirer les piétons. Nous avions un vrai problème et pas de solution technique.
Et c’est dos au mur que naît l’innovation…
Tout cela était au moment où certaines villes en France commençaient à parler de téléphériques urbains, notamment Grenoble, Toulouse ou encore le Val-de-Marne. Nous nous sommes demandé ce que cela pouvait donner. Nous n’y avons pas forcément cru au début, mais plus nous poursuivions les études, plus nous nous rendions compte que c’était une solution adaptée à notre situation. Nous avons donc décidé de partir en phase opérationnelle et de construire le téléphérique pour faciliter l’accès au nouveau quartier dans lequel nous allons retrouver 600 logements, 9 000 m² dédiés au développement économique ainsi que beaucoup d’équipements collectifs. Il y a, par exemple, un projet de cinéma, une médiathèque de la métropole (ouverte au tout début de 2017), un mur d’escalade, etc.
Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?
Le quartier des Capucins a été créé en 2009-2010. En 2011, nous avons commencé à réfléchir au sujet du franchissement et en 2013 nous avons commencé la phase opérationnelle. Il y a eu les différentes étapes de concertations pour définir le programme et l’enveloppe financière. Ensuite, la décision a été prise et nous avons lancé une enquête sur le code de l’environnement en 2014. Nous avons lancé les études d’avant-projet et de projet. Puis, nous avons passé un marché de conception et réalisation. Cela veut dire que nous avions dans la même équipe, le concepteur et le réalisateur. Enfin, la phase de travaux a commencé. Pendant celle-ci, nous avons préparé et formé l’exploitant de nos bus et de nos tramways pour qu’il puisse utiliser et entretenir ce nouveau système de transport urbain. Enfin, la mise en service a été réalisée en novembre 2016. Entre les premières idées et l’ouverture, il y a eu 6 ans.
– Le projet aujourd’hui –
Comment fonctionne le téléphérique au quotidien ?
L’exploitant est notre société de transport public. De ce fait, le téléphérique est utilisable avec les mêmes titres de transport. Il n’y a pas de différence de tarification entre le téléphérique et les autres moyens de transport public. À l’unité, le ticket coûte 1€55, ou 38€ par mois pour l’abonnement mensuel. Il y a certains jours où il y a un peu de queue. Il y a une forte influence autour de 13h30 – 14h, notamment à cause de la médiathèque. Néanmoins, nous avons suffisamment de réserve de capacité dans le téléphérique. Le voyage dure deux minutes et une cabine part tous les six minutes. Aujourd’hui, 65 % des déplacements vers le site des capucins se font avec le téléphérique. En heure de pointe, nous montons jusqu’à 50 personnes par cabine. Plus d’un million de passagers depuis l’ouverture.
Avez-vous un projet d’agrandissement ?
Nous ne pouvons pas l’agrandir, car il n’était pas prévu pour cela. Il était prévu d’aller de la rive droite à la rive gauche, rien de plus. Néanmoins, nous avons des idées d’autres téléphériques dans d’autres coins de la ville. C’est encore trop tôt pour pouvoir en parler. L’avantage, c’est qu’aujourd’hui nous ne sommes plus les seuls à avoir ce genre de projet.
Quel retour avez-vous eu de la population de Brest ?
Les Brestois sont des fans absolus de ce téléphérique. C’est un endroit qu’ils aiment emprunter. Le site des Capucins est magnifique. C’est trans-générationel. Nous avons une société publique locale (SPL) qui gère tout le site.
Quels impacts mesurez-vous ?
Le premier, c’est l’impact médiatique. Ce téléphérique fait parler de Brest. Nous existons aujourd’hui dans les médias comme une ville particulière. Le reste des Français découvrent que la vie culturelle à Brest est foisonnante et extrêmement riche. Depuis l’ouverture du téléphérique, nous avons une fréquentation touristique que nous ne connaissions pas auparavant. Brest, avant le téléphérique, au moins d’août, c’était plutôt calme. Même vide lorsque les habitants partaient en vacances. Aujourd’hui, nous avons énormément de visiteurs. Nous avons été dans le guide vert de Michelin il y a deux ans, ce qui était complètement inattendu. Nous commençons à être référencés comme lune attraction à visiter en France. Le site des Capucins devient un passage obligé pour les touristes. Nous avons vu la fréquentation touristique augmentée sur Brest. Avant, la ville était une destination d’une journée pour les touristes qui décidaient de venir jusque-là. Aujourd’hui, les touristes restent de plus en plus longtemps. Ils viennent de tout le Grand Ouest pour passer un week-end à Brest.
– S’inspirer du projet –
Combien vous a coûté ce projet ?
Le téléphérique a coûté 19,1 million d’euros HT en investissement. Sur les coûts d’exploitation, il faut compter entre 700 000 et 800 000 € pour le faire fonctionner et le maintenir toute l’année. La vraie bonne surprise du téléphérique, c’est que c’est notre système de transport le moins déficitaire. Il nous coûte quatre fois plus cher de transporter quelqu’un dans un bus par rapport à ce que cela nous rapporte en tickets. En tramways, il y a un taux de couverture d’environ 50 %. Avec le téléphérique, nous étions à 80 % de taux du couverture des dépenses d’exploitation par les recettes dès la première année. Nous pensons que d’ici quelques années, nous arriverons à un équilibre.
Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Nous avons été les premiers sur un tel projet. L’inconvénient de cela, c’est la surexploitation médiatique. On a parlé de nous tout le temps. Au début, c’est super et c’est innovant. Néanmoins, quand le téléphérique s’est mis en route et qu’un problème technique est apparu, les médias ont commencé a en parler en mal. Cela a été un peu compliqué pour nous, car nous avons eu une sur-exposition médiatiques des alarmes et des quelques pannes que nous avons eu. Cela a entraîné une réputation que le téléphérique était tout le temps en panne, alors que c’était injustifié. Le téléphérique fonctionne très bien et il n’y a pas plus de pannes que dans d’autres systèmes de transport. Pourtant, dans l’esprit de beaucoup, il y a encore cette image-là. Nous n’avions pas vu venir l’immédiateté des réseaux sociaux et nous n’étions pas près à réagir.
Quels conseils donneriez-vous à un territoire qui souhaiterait faire la même chose ?
Ce n’est pas le boulot des villes de définir l’aspect technique. Nous sommes là pour définir les besoins des usagers, l’intégration urbaine, etc. De plus, je conseillerais de ne pas voir trop juste en terme de capacité. Nous étions surpris à Brest de la popularité que le téléphérique a eu. Je dirais aussi qu’un téléphérique urbain tourne 6 fois plus d’heures qu’un téléphérique de montagne donc il ne faut pas le construire de la même façon. Il faut des éléments plus robustes. Il faut aussi prévoir que l’entretien ne peut se faire que la nuit. En France, aucune entreprise ne s’y connaissait en téléphérique urbain. De ce fait, nous avons fait appel à une compagnie de téléphérique de montagne. Nous avons dû rédiger un programme particulier avec quelque chose d’un peu innovant nous avons demandé au constructeur pleins de choses qui ne sont pas demandé dans les téléphériques de montage. Ils ont dû s’adapter au contexte urbain. Nous avons retenu l’entreprise qui était le plus à l’écoute des spécificités urbains. Notre téléphérique a été développé pour nos besoins et d’après nos attentes.
Propos recueillis par Claire Plouy