Cette semaine, la lettre de l’impact positif vous propose de découvrir le principe des centres municipaux de santé. Cette alternative fait partie des solutions crédibles au problème de la désertification médicale. À Port-la-Nouvelle (11), la commune a embauché trois médecins afin de pallier le manque de praticiens sur son territoire. Résultat : leurs carnets de rendez-vous affichent complets et l’initiative ne présente qu’un déficit financier très léger. Pour les habitants, l’impact est direct : ils bénéficient d’une offre de soin plus complète. Pour les médecins, les avantages du salariat attirent de plus en plus. Le centre municipaux ont donc de nombreux arguments pour continuer leur développement sur le territoire français.
Pour mieux comprendre le fonctionnement des centres municipaux de santé, Territoires Audacieux a interviewé Eric Lallemand, le directeur général des services de Port-la-Nouvelle.
– Introduction –
L’interview d’Eric Lallemand est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.
– Mise en place du projet –
Comment cette idée vous est-elle venue ?
En premier lieu, c’était un problème d’offre de soin. C’est un enjeu national. La désertification médicale n’est pas plus présente à Port-La-Nouvelle qu’ailleurs. Il y a dix ans, il y avait cinq médecins. Puis il y a eu deux départs non remplacés et la perspective des médecins locaux qui avançaient dans l’âge. Monsieur le Maire a donc monté un projet de centre de santé pluri-disciplinaire. Il a été inauguré en 2011 et sa vocation était d’accueillir des professionnels de santé. Il y avait 600m2 et 17 spécialités différentes dont la médecine générale. L’idée était de créer une dynamique pour favoriser l’implantation de médecins généralistes. Mais cela n’a pas suffi, ce n’était pas assez rapide. Nous avons donc été chercher des expériences en banlieue parisienne et dans la Sarthe où il y avait des centres municipaux de santé.
Vous vouliez voir ce qu’il était possible de faire ?
Oui. Dans les centres municipaux de santé, ce qui nous a plu, c’est que c’est la collectivité qui prend son destin entre ses mains. J’utilise souvent l’expression : « aide-toi et le ciel t’aidera ». Nous avons découvert que c’était une structure sanitaire de proximité au sein de laquelle il y a une offre de soin et de la prévention. Elle doit être régie par le code de la santé publique, et à l’intérieur il ne peut y avoir que des médecins salariés. Seuls des organismes à but non lucratif peuvent gérer ce genre d’établissement. Nous avons regardé comment cela marchait ailleurs. Monsieur le Maire a interrogé des collègues élus et de mon côté j’ai sondé des techniciens pour avoir tous les enjeux. Puis nous avons décidé de nous lancer.
Le contexte national était favorable en 2012…
En 2012, la ministre de la Santé, Marisol Touraine venait effectivement dans son pacte Territoire/Santé d’identifier les centres médicaux de santé comme une des alternatives à la désertification rurale. Les initiatives se sont multipliées. Elles viennent de toutes les échelles de collectivités locales, que ce soient les régions, les départements ou les communes. Les collectivités essayent de forcer le destin à ce niveau.
Qu’est-ce qui attire les médecins vers votre offre ?
J’ai rencontré à l’époque les présidents des Internes de notre région. Il me dressait le constat d’une pratique de la médecine différente. Il y a une vision du métier qui est en train de changer. Le médecin qui fait 55h dans la semaine et de très nombreux kilomètres tend à disparaître. Aujourd’hui, il y a une recherche d’un mode de vie. Il y a également une féminisation du métier. Au niveau des installations, il y a un constat qui a été fait : les jeunes diplômés n’ouvrent plus de pas-de-porte. Ils préfèrent s’installer dans des centres pluri-disciplinaires. Le salariat peut également être une possibilité. Il permet à un médecin de faire de la médecine à temps complet. Chez nous, tout ce qui est administratif, accueil, prise de rendez-vous ou gestion du tiers payant est pris en charge. Le médecin n’est pas un gérant d’entreprise.
Techniquement, comment s’est déroulée la mise en place du projet ?
Monsieur le Maire a donné son feu vert en décembre 2012 et nous avons ouvert en juin 2013. C’était une véritable performance ! Nous avons été aidés car nous avions déjà les locaux. Il fallait tout de même monter l’établissement que l’on appelle « un centre de santé ». Nous étions les premiers en France à faire cohabiter un centre municipal de santé avec des praticiens libéraux dans un centre pluri-disciplinaire. Il n’y avait pas de problème déontologique, il fallait juste être vigilant par rapport à la pratique du tiers payant. Nous avons donc créé une partie distincte avec le CMS. Techniquement pour y arriver, il a fallu beaucoup de travail mais nous avons bénéficier d’énormément de soutien de la part de l’ARS et de la CPAM. Lorsque la feuille est blanche, il faut travailler sur un projet de santé. Il faut une offre de soin en ambulatoire mais aussi de la prévention de santé publique. Nous avons donc rédigé un document dans lequel nous avons recensé l’offre de soin du territoire et nous avons défini notre projet. Un des adjoints du Conseil municipal est médecin, il nous a beaucoup aidé dans ce travail. La commune menait depuis plusieurs années un programme de lutte contre l’obésité infantile ce qui nous a permis d’avoir le double volet offre de soin et prévention.
Comment une commune peut-elle rechercher un médecin ?
La notion de médecin salarié existe déjà dans les hôpitaux. La situation n’est donc pas nouvelle pour eux. En revanche, c’est quelque chose d’inédit pour les collectivités publiques. Ce que nous pouvons faire, c’est proposer un contrat de trois ans renouvelable une fois puis un CDI. C’est possible pour tous les métiers qui n’ont pas de grade dans la fonction publique territoriale. Et cela doit correspondre à la catégorie A. Pour la fonction de médecins territoriaux, cela correspond plus habituellement aux PMI ou aux centres de gestion. Chez les médecins praticiens, il n’y a pas de cadre emploi identifié pour eux. Nous avons été aidés par la sous-préfecture de Narbonne pour réussir à trouver le levier légal. Nous avons donc combiné un contrat de trois ans avec la grille tarifaire des médecins hospitaliers. Ensuite, le niveau de traitement dépend de l’expérience du médecin et de ces prétentions.
– Le projet aujourd’hui –
Comment cela fonctionne-t-il au quotidien ?
Tous les agents qui travaillent sont des agents municipaux. Ils sont autonomes mais pas indépendants. C’est-à-dire que les médecins vont faire ce qu’ils ont à faire. Le secret médical n’est pas absolument pas remis en question. Mais c’est un service municipal. Ils sont rattachés à la mairie par un médecin coordonnateur. Il s’occupe du centre de santé et gère l’ensemble des praticiens. Il fait l’interface avec moi directement pour la partie des services. Mais son lien le plus direct est avec le service comptabilité car le service municipal de santé est une régie de recette pour la commune. C’est le même type de régie que pour une piscine municipale. Le médecin fait des actes au nom de la mairie. La collectivité paye ses médecins mais elle encaisse leurs honoraires.
Y a-t-il des éléments qui montrent que c’est une réponse efficace à la désertification médicale ?
La première réponse se situe au niveau du centre médical. Il est plein et fonctionne au quotidien. Et nous ne sommes pas les seuls à bénéficier de ce succès. C’est ce qui a poussé la ministre en 2012, dans son pacte de santé à identifier les CMS comme une réponse efficace à la désertification médicale. Il y avait un blocage car c’était un choc culturel de voir des médecins salariés par des collectivités. Enfin, en 2015, les accords nationaux avec la CPAM ont permis au centre municipaux de santé d’être traités comme les médecins généralistes. Nous avions un sous-accord qui nous limitait dans certains domaines par exemple dans les politiques de prévention de santé publique. C’est un faisceau d’éléments qui montrent que la solution que nous avons développée sur notre territoire est pertinente. Nous sommes d’ailleurs régulièrement contactés par d’autres élus pour voir comment nous avons fait et quel est le risque. Je leur fais tous la même réponse : le risque est calculé. Il y a une partie déficit qu’il faut admettre mais lorsque l’on calcule l’activité d’un médecin, et ce qu’il rapporte on s’aperçoit qu’il n’y a pas beaucoup d’argent à ajouter pour le fonctionnement global du CMS.
Comment avancer sur ce domaine ?
Monsieur le Maire a travaillé avec le sénateur de l’Aude, Rolland Courtot sur le cadre de l’embauche. Cela reste un inconvénient. Ils ont rédigé une proposition de loi pour créer un cadre de santé des médecins praticiens pour la fonction publique territoriale. Cela permettrait de proposer une véritable logique de carrière aux médecins salariés. Il y a cette possibilité dans la fonction hospitalière. Il faudrait d’ailleurs que ce soit possible d’ajouter des passerelles entre les deux fonctions publiques. Cela peut être une bonne solution si le nombre de médecins généralistes continuent de diminuer pour éviter qu’ils puissent monnayer leur emploi. Avec cette idée, il y aurait une grille indiciaire. La proposition de loi a été déposée l’année dernière.
Quelle est la différence entre autonome et indépendant ?
Si on prend l’exemple des vacances, les médecins de notre centre doivent les demander par une feuille de congés comme un salarié classique. C’est une histoire de confiance. Notre seule demande c’est que le service soit performant. Je n’ai pas eu à refuser de demandes actuellement. Ils ont cinq semaines de congés payés ce qui correspond à leurs trente-cinq heures de travail hebdomadaire.
– Dupliquer le projet –
Combien cela coûte à la commune ?
Un médecin sur la grille des médecins hospitaliers peut gagner entre 3500 et 5000 euros nets par mois. Cela va dépendre de son expérience. Il faut ajouter environ un équivalent temps plein entre l’accueil et le traitement au service comptabilité des honoraires.
Est-ce que les recettes peuvent réussir à compenser les dépenses ?
Nous sommes sur le budget général. Il n’y a pas de budget spécifique au centre municipal de santé mais nous avons identifié un équilibre. Il y a un léger déficit qui concerne surtout la partie de l’amortissement des locaux.
Quels conseils donnez-vous aux élus qui viennent se renseigner sur votre fonctionnement ?
Le principal conseil que je leur donne, c’est de prendre la décision et de s’engager définitivement par la suite. C’est pas facile d’aller au bout de ce genre de projet. Il faut avoir en tête qu’à partir du moment où la décision est prise, personne n’a un droit de veto là-dessus. Il faut également se dire que le risque est moindre puisqu’il y a rapidement des recettes qui compensent les dépenses. Mais pour certains élus, le mot risque est antinomique avec leur vision politique…
Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Non. Au niveau du Conseil municipal, il n’y a eu aucune difficulté. L’opposition a dit ce qu’elle avait à exprimer. Mais il n’y pas de problèmes avec les citoyens. Il faut dire qu’ils retrouvaient cinq médecins là où il n’y en avait plus que deux et demi. Au niveau du conseil de l’ordre des médecins, c’était nouveau. Ils n’étaient pas particulièrement enthousiastes, mais ils n’ont pas mis de frein particulier. C’est une offre complémentaire, nous ne voulons pas prendre du travail à qui que ce soit. Nous avions cinq médecins et nous voulions revenir à cette situation. Actuellement, nous avons un médecin qui part. La priorité pour le remplacer, c’est le système libéral. Si un médecin veut s’installer, il sera aidé et pourra bénéficier des locaux. La partie salariée ne vient qu’en complément.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne