En Autriche, Vienne est régulièrement citée comme un modèle dans sa politique de lutte contre la pauvreté et l’itinérance. La ville a notamment fait le choix politique de mener un vaste plan pour réduire le nombre de personnes sans-abri dans ses rues. Sa stratégie commence par l’attribution quasi-automatique d’un logement pour ceux qui le demandent. Cette initiative a été rendue possible par le grand nombre de logements sociaux et communaux développés depuis 1945 (à ce sujet, vous pouvez lire cet article en préambule).
Pour en savoir plus, nous avons contacté Michael Langwiesner, le directeur du programme d’aide aux sans-abris de Vienne.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
D’où vous est venue l’idée ?
Vienne est une ville très impliquée dans le combat contre la pauvreté et pour l‘inclusion sociale. Cela a toujours été dans l’agenda politique de la ville. Il nous semble évident de lutter contre l’itinérance. Cela fait donc partie de l’agenda social de la ville. C’est un des piliers de notre lutte contre la pauvreté. C’est d’ailleurs difficile de vous dire la date exacte du commencement de cette initiative. Je dirais que c’est apparu dans l’agenda politique de la ville à la fin des années 1980.
Comment est-ce que cette lutte contre l’itinérance a commencé ?
Tout a commencé avec les services de base pour que nous puissions assurer que les besoins vitaux soient couverts. Au début, la ville se concentrait sur le travail dans la rue en fournissant des hébergements de nuit (pour les personnes sans-abris fixes), des soupes populaires, des habits etc. Puis, nous avons développé un système plus sophistiqué.
Qu’est-ce que le programme Logement d’abord ?
Il a été conçu en prenant comme source d’inspiration la ville de New York. C’est de là que vient notre point de départ. Nous avons essayé de mettre en œuvre le même genre de services, de logements sociaux et de politique sociale. Le programme permet aux sans-abris d’avoir accès à un logement rapidement et sans conditions. Ils ont un contrat juridique qui leur permet de rester aussi longtemps qu’ils le souhaitent. C’est un service que nous voulons augmenter car nous pensons que la lutte contre la pauvreté et l’itinérance commence avec un logement stable. Tout cela vient avec une équipe de soutien en cas de besoin. Nous avons aussi des logements transitoires pour des périodes d’un an. Les personnes peuvent ainsi se préparer à vivre indépendamment. Toutefois, ce n’est pas aussi efficace que nous le voudrions car dans ces logements la cuisine ou la salle de bain sont partagées. Ce n’est pas du tout pareil que de vivre dans son propre logement. De ce fait, nous devons travailler sur la responsabilisation et aider ces personnes à vivre durablement en autonomie. Aujourd’hui, nous utilisons ce genre de logement le moins possible.
– Le projet aujourd’hui –
Qu’avez-vous en place aujourd’hui ?
Aujourd’hui nous avons plus de 6 000 hébergements sociaux, mais aussi des maisons improvisées pour les personnes âgées qui ne veulent pas vivre seules, ainsi que des accompagnements polyvalents disponibles sur demande. Nous travaillons beaucoup avec les ONG pour pouvoir trouver des logements pour notre programme « Logement d’abord » aux personnes qui viennent d’arriver dans la rue. Nous avons aussi des services médicaux avec peu de plafonds, même pour les personnes qui ne sont pas couvertes par l’assurance médicale nationale. Nous avons aussi de l’aide psychologique disponible. Nous avons un programme très structuré qui nous permet de trouver des réponses pour toute personne sans-abri, et non une réponse unique pour tout le monde. Dès qu’une personne entre dans le programme, elle est évaluée au début de sa « carrière d’itinérance », pour vérifier son revenu, son cadre de vie, son état de santé, sa situation familiale etc. Ensuite, elle est référée à une équipe de soutien. La personne obtient soit un logement indépendant tout de suite soit un logement où elle peut obtenir un soutien sur place. Le facteur important c’est que ces personnes ont plus qu’un logement, elles ont un suivi et un soutien social. Il n’y a aucune obligation d’accepter ce soutien mais il y toujours une offre. C’est un des piliers du programme de la ville. Nous pensons fortement qu’une aide sociale doit accompagner l’hébergement, même s’il n’est pas obligatoire.
Est-ce que ces logements sont payants ? Combien ?
Tout dépend du logement. Néanmoins, la ville possède beaucoup de logements à Vienne, plus de 22 000, ce qui évite que les prix du marché immobilier ne s’enflamment. Le prix du logement à Vienne est de ce fait plus modéré que dans d’autres capitales. Le prix du logement dépend plutôt de son emplacement et de sa taille. De plus, les locataires de ces logements sociaux doivent être en mesure de pouvoir payer le loyer en fonction du revenu minimal qu’ils reçoivent de l’État. Dans le programme d’assistance sociale à Vienne, quand un ou une sans-abri reçoit un logement, il ou elle doit forcément payer le logement mais c’est toujours en fonction des aides sociales qu’ils reçoivent du gouvernement central. Toute personne vivant à Vienne depuis un certain nombre d’années, ayant la nationalité autrichienne et répondant à certains critères peuvent bénéficier de ces aides sociales. Quant aux immigrants, ou réfugiés, ou travailleurs étrangers, ils n’ont pas accès à ce programme. Il y a toutefois un programme d’urgence qui les aide mais, ceci n’est pas notre travail.
Comment la ville de Vienne trouve assez de logement pour toutes les personnes dans le besoin ?
C’est une décision politique. Quand la ville a décidé de faire des logements sociaux une priorité. Vienne a commencé à construire les siens au début du 20ème siècle et bénéficie de cette politique encore aujourd’hui. Nous en construirons toujours plus, tant que le besoin sera là. Avec le flux d’immigrants depuis 2015, la demande a augmenté. En conclusion, c’est bien une décision politique et c’est de là que Vienne se différencie des autres villes européennes.
Faites-vous un travail de réinsertion sociale ?
Cela dépend des besoins des personnes et de leurs conditions de vie. Pour les jeunes, les familles ou toute personne capable de travailler, la seule manière de subvenir à ses besoins est de travailler. Une personne capable de travailler a accès à des aides sociales mais doit prouver qu’elle est en recherche d’emploi. Pour les personnes malades ou dans l’incapacité de travailler, elles doivent prouver qu’elles ne peuvent pas travailler pour bénéficier d’aides sociales. Quant aux personnes ayant des problèmes physiologiques, nous avons des programmes spécialisés. Par exemple pour les personnes ayant des addictions, ce n’est pas possible de les accompagner dans une réinsertion professionnelle. Nous accompagnons étape par étape en fonction des besoins des gens.
– Dupliquer le projet –
Quel est votre budget annuel ?
Je ne peux pas vous dire quel est le budget total du programme Housing first car d’autres secteurs l’utilisent mais nous avons un budget de 75 million € par année pour le programme qui lutte contre l’itinérance.
Que pense la population viennoise de ce programme ?
Il y a beaucoup d’argent public qui est utilisé pour ce programme mais c’est un petit pourcentage du budget social. Certaines personnes diront que c’est trop !Mais le débat est plutôt tourné sur l’argent utilisé pour les immigrants et réfugiés et non pour les sans-abris. Au contraire, nous recevons parfois des e-mails disant qu’il y a une personne qui vit dehors depuis plusieurs jours et demandant que nous intervenions. La population voit aussi les avantages de notre programme parce qu’il réduit le nombre de sans-abris dans la rue. Il augmente le sentiment de sécurité pour les citoyens. De plus, la ville de Vienne est dirigée par le parti politique Social-démocrate (SPÖ) depuis plusieurs années, ce qui, de mon opinion, montre que la population viennoise est sensible au domaine social et ne le néglige pas. Toutefois, nous avons un gouvernement de droite au niveau fédéral, ce qui amène un débat sur ce que devrait ou ne devrait pas recevoir certaines populations, et cela se reflète à une certaine échelle à Vienne.
Comment mesurez-vous les impacts ?
Nous mesurons le nombre de gens qui vivent dans des conditions stables et le nombre de personnes qui quittent notre programme et vont vivre indépendamment. Nous demandons aux personnes concernées si elles sont satisfaites, si nous répondons bien à leurs besoins, etc. Il y a une vérification de la qualité du travail tous les deux ou trois ans. Nous mesurons les impacts avec des actions de ce genre. Toutefois, nous ne comptons pas le nombre de gens dans la rue d’année en année comme le font Barcelone ou Londres par exemple.
Quelles difficultés rencontrez-vous ?
Nous avons des problèmes avec certains groupes de gens qui sont dans le système depuis longtemps. Ils ont commencé par vivre dans des hébergements de nuit, où ils sont restés pendant un long moment. Ils ne répondaient pas forcément à nos questions et ne voulaient pas forcément changer leurs situations. Après un certain temps, ils ont été dans un logement transitionnel, et y sont restés s’ils n’ont pas créé des problèmes. Ces personnes ne changent pas beaucoup et n’ont pas tellement de volonté. Pour elles, il peut être compliqué de trouver des solutions.
Nous craignons la réduction des aides sociales qui arrive en juillet. Nous ne savons pas ce que ça veut dire pour la ville de Vienne car, cette dernière a dit qu’elle ne suivrait pas cette loi. Nous sommes quand même incertains de ce que ça veut dire pour nous mais nous serons sous plus de pression vis-à-vis du gouvernement fédéral et de la population.
Avez-vous un conseil pour un territoire qui aimerait faire la même chose ?
Comme nous n’avons pas vu beaucoup de bénéfices à avoir des logements transitionnels, je conseillerais à un territoire de commencer avec un programme de « Logement d’abord » où les personnes sont directement dirigées vers un logement privé, où ils peuvent rester de façon permanente. Je recommanderais de passer directement à cette étape. De plus, je conseillerais d’investir grandement dans la prévention des expulsions. Cela veut dire lutter contre les causes de l’itinérance et ainsi diminuer le taux de personnes sans-abris.
Propos recueillis par Claire Plouy