Cette semaine, la lettre de l’impact positif vous propose de découvrir la commune d’Ungersheim. Ce village du Haut-Rhin est considéré comme l’un des pionniers dans de nombreux domaines. Monnaie locale, démocratie participative ou mise en avant des circuits courts, nous aurions pu dédier plusieurs chapitres à ce territoire. Mais c’est sur le domaine de la transition énergétique que nous avons décidé de nous arrêter. La commune sera autonome en énergie à l’horizon 2023. Pour cela, son maire a notamment installé sur une ancienne friche industrielle une centrale photovoltaïque qui produit l’équivalent de la consommation électrique de 10 000 habitants.
Pour mieux comprendre comment la commune est entrée en « transition », La Part du Colibri a rencontré Jean-Claude Mensch. Il est le maire d’Ungersheim depuis 1989.
Sommaire:
– Introduction –
Les interviews de Jean-Claude Mensch est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.
– Mise en place du projet –
Comment a commencé la transition énergétique d’Ungersheim ?
Pour nous la transition est plus globale que la transition énergétique. Cela signifie la transformation et le changement. De ce point de vue, je baigne dans cette ambiance depuis toujours. J’ai été militant syndical. Durant le premier mandat, nous avons fait énormément pour la cause sociale et associative. Ensuite, nous nous sommes appuyés sur cette base pour développer la démarche de la transition énergétique. Au début, nous le faisions même sans le savoir. C’est seulement en 2011, en prenant connaissance du film Villes et Villages en transition de Rob Hopkins que nous nous sommes rendus compte que nous le faisions déjà. Nous avons ensuite adhéré à son mouvement.
Est-ce qu’il y a eu un premier projet qui vous a marqué ?
Oui. Au départ, il y a un certain nombre de convictions. Le volet social et celui écologique sont les deux facettes d’un même combat en réalité. C’est une longue maturation pour l’écologie mais cela a commencé car nous avons hérité d’un groupe scolaire et d’une piscine qui sont intégralement chauffés à l’électricité. L’équipe précédente pariait sur une énergie électrique provenant du nucléaire qui devait devenir moins chère. Hors c’est l’inverse qui s’est produit. Il fallait donc rapidement trouver une solution. Nous avons opté pour le solaire-thermique pour chauffer l’eau de la piscine. C’était une première réalisation plutôt importante. Nous avons installé 120m2 de panneaux solaires sur les toits. C’était dans les années 2000 et nous étions des précurseurs dans ce domaine. Il a donc fallu attendre deux ans avant que les premiers résultats ne se fassent sentir. Mais c’était le début de l’aventure.
C’est une entrée progressive dans la transition…
Dès le début, nous sommes entrés dans la construction d’une chaufferie bois avec un réseau de chaleur. Nous avons mené une action sur l’éclairage public mais aussi sur tout ce qui est lié à l’énergie. Par exemple, depuis 2006, il n’y a plus du tout de produits phytosanitaires chez nous. Nous travaillons également sur l’habitat avec un éco-hameau. Il faut aussi réfléchir sur les déplacements et la sensibilisation. Nous avons par exemple acheté un cheval cantonnier qui travaille pour la commune mais aussi le maraîchage. Enfin en 2009, nous avons instauré plus de démocratie participative. Et en 2011, fort de tout cet actif, nous avons étoffé le programme et élaborer une vision d’avenir en proposant trois chapitres importants. Le premier, c’est l’autonomie intellectuelle qui correspond à la démocratie citoyenne, la monnaie locale ou l’atlas communal de la bio-diversité. Ensuite, nous avons entamé le second qui consistait à tendre vers l’autonomie énergétique. Puis il y a les questions d’alimentations. En tout, ce sont 21 actions qui touchent à tous les aspects de la vie.
Quelles sont ces 21 actions ?
Elles touchent de loin ou de près l’énergie et le comportement des gens. Si on prend l’exemple de l’implication citoyenne, nous souhaitons qu’il y ait plus de responsabilisation et par conséquent que cela ne se traduise pas qu’en choisissant un bulletin de vote tous les six ans. C’est vraiment le plus difficile mais nous essayons de nous y employer. Parfois, c’est compliqué de structurer l’ensemble. Il faut réussir à se diriger vers les écoliers, les associations, les usagers… Nous avons ainsi proposé une monnaie locale, des chantiers participatifs, du bénévolat dans des actions ciblées, etc. Nous réussissons à impliquer des centaines de personnes mais cela reste minoritaire et ponctuel. C’est vraiment la partie compliquée de la transition pour moi. Je considère que les technologies qui permettront les économies d’énergie, la construction performante ou les déplacements intelligents existent. Tout cela, c’est possible de le mettre en œuvre car les outils sont là. Par contre, le volet humain, il n’existe pas de méthode bien précise. Il faut réinventer tout le temps et développer du lien entre les hommes à partir de la fraternité. Cela manque à notre société.
Cette transition a-t-elle été rendue obligatoire par la situation du village ?
Non. Nous n’étions pas confrontés à des difficultés particulières. Nous n’étions pas en crise, ce qui aurait rendu la transition plus facile à mettre en œuvre. Nous avons juste prouvé à la population qu’à travers cette politique, il est possible d’assurer un meilleur bien-être tout en économisant de l’argent. C’est-à-dire assurer un financement pour continuer dans ce cercle vertueux. Nous avons fait des choix, par exemple, nous n’avons pas augmenté les impôts communaux depuis 2005, nous avons continué les investissements même après les baisses de dotations… C’est grâce au fait que nos premiers investissements sont en externalité positive. Ils ne coûtent rien dans le fonctionnement voir rapporte de l’argent. Nous avons même créé une centaine d’emplois grâce à la démarche de la transition. Tout cela parle à l’usager, au contribuable et au consommateur. En même temps, nous avons instauré une alimentation 100% bio à la cantine de l’école. C’est une véritable intervention sur la santé publique.
– Le projet aujourd’hui –
Pour la transition énergétique où en êtes-vous aujourd’hui ?
Sur le volet énergétique, nous tablons beaucoup sur le photovoltaïque. Nous sommes dans un secteur relativement privilégié car nous sommes au pied du point culminant des Vosges. Il nous arrête beaucoup de nuages. Nous avons une pluviométrie très basse, ce qui est positif. En revanche, la plaine d’Alsace sur laquelle nous sommes, n’est pas très bien ventilée. L’éolien n’aurait donc pas lieu d’être. Nous avons d’abord mobilisé un terrain que nous avons préempté. C’était une friche industrielle et nous y avons installé du photovoltaïque. Avec le temps, c’est devenu une installation solaire sur toiture. C’est la plus grande d’Alsace par rapport à sa puissance (5,4 Mégawatts). Sous ces bâtiments, nous avons installé des entreprises, ce qui participe à la création d’emplois.
Techniquement, comment êtes vous arrivés jusqu’à cette centrale ?
Nous avons lancé un appel d’offres pour trouver un développeur photovoltaïque. Nous avons eu des Allemands, EDF… et c’est un petit développeur local que nous avons choisi. Heureusement car il est tombé au moment d’une loi Fillon/Sarkozy qui faisait qu’il n’y avait plus aucune obligation de tarifs de reprise pour les centrales de cette importance. Il a donc imaginé de combiner 55 sociétés qui chacune ne développe pas plus de 100 kW. Cela garantissait un tarif de reprise. C’était en 2010 et il n’a pas trouvé de financements en France pour son projet. Il s’est donc tourné vers des financeurs allemands qui lui ont permis de tout pré-financer pour un montant de 14M d’euros. Il manquait juste 3M d’euros que les banques françaises ont financé pour la construction des structures.
Et vous allez continuer à développer ce genre de projet ?
Nous avons encore trois projets dont deux sont déjà acceptés. Sur le parking de notre éco-musée et sur celui du parc Petit Prince, nous allons installer des panneaux. Avec tout cela, nous serons quasiment à l’autonomie électrique. En plus, nous avons une étude de faisabilité en cours pour une unité de méthanisation et nous pensons arriver si tout va bien à pourvoir la demande en chauffage de la commune. Si tout cela se fait, nous serons en autonomie énergétique totalement.
Cela vous permet, sur la commune, de produire autant d’électricité qu’en consomment les habitants…
C’est notre développeur qui produit l’électricité pour la revendre à EDF. Nous fonctionnons donc par correspondance. C’est-à-dire, l’énergie produite par an correspond à celle que demandent 10 000 habitants pour chauffage. Nous connaissons la consommation du village. C’est 17 Gigawatt/heure dont 10 par l’industrie, 1 ou 2 par les artisans pour le chauffage, et donc le reste, c’est pour les habitants. À partir de cette information, nous essayons de faire produire la même chose pour être en équivalence.
Arrivez-vous à concerner les citoyens sur ces projets énergétiques ?
C’est encore un peu compliqué. C’est pour cette raison qu’il y a eu la création d’une centrale villageoise. Actuellement, il y a quelques difficultés car nous n’arrivons pas à trouver des taux de rentabilité correcte. Il y a deux ou trois ans, c’était encore rentable mais les tarifs de reprise ont diminué. Nous allons plutôt nous diriger vers de l’auto-consommation et de la revente du surplus. C’est une centrale villageoise qui touche directement les habitants. C’est une émanation d’un conseil participatif donc on peut dire qu’il y a eu une démarche citoyenne du début à la fin. Nous cherchions en tant qu’élu un système pour ce fonctionnement. Le concept vient de la région PACA avec une boite à outils. Elle est très intéressante et je la recommande pour ceux qui veulent se lancer. C’est un développement qui est assuré et avec l’auto-consommation, on va toucher directement le porte-monnaie de l’usager.
Quel est le principe de ces centrales villageoises ?
Il y a plusieurs solutions pour les habitants. Il y a d’abord celle pour le citoyen qui a des toits bien exposés avec de bonnes pentes mais qui n’a pas l’argent pour investir dans sa toiture. Il peut louer son toit à la centrale. Elle va l’équiper et lui payer un loyer. C’est modeste mais s’il a besoin de refaire la couverture de son toit, l’assurance de la centrale va lui financer une partie des travaux. La deuxième possibilité, c’est un citoyen qui a une toiture qui n’est pas bien exposée mais qui a des moyens financiers. Lui, il peut acheter des actions de la centrale qui va lui rapporter entre 1,5 et 2% au bout de trois ans. C’est plus que le livret d’épargne. C’est un investissement. Enfin, il y a des entreprises qui peuvent louer leur toit ou participer au financement. La centrale a également la possibilité d’emprunter pour installer certains équipements.
– Comment participer au projet –
Quel est l’argument qui peut donner envie aux élus de basculer dans cette transition énergétique ?
Nous sommes propriétaires du terrain où est installée la centrale. Nous le louons au développeur et cela rapporte 27 000 euros de loyers par an. Le développement des énergies renouvelables, il est intéressant d’un point de vue financier. Chez nous, il est encore plus intéressant car il crée aussi de l’emploi et de l’activité. Quand tous les bâtiments vont être occupés, ils vont générer de la taxe foncière. Tous les investissements sont positifs et génèrent des ressources nouvelles.
Par où est-il possible de commencer une transition ?
Pour des élus, la transition commence par une volonté politique affichée. Il faut agir dans les secteurs où ils ont les compétences. L’exemplarité peut commencer par une cantine bio. Cela peut-être dans des secteurs comme la communication, les déplacements… Cela dépend de la sociologie de la commune. Chacune a ses atouts. Notre programme est reproductible partout avec des variantes et une adaptation au terrain. Pour prendre le cas de la transition énergétique, si on suit le plan Negawatt, l’essentiel se trouve dans la sobriété énergétique. Puis il y a l’efficience énergétique et ensuite seulement la production d’énergies renouvelables. Tout cela, c’est applicable partout.
Il faut donc mener de petites actions comme celle que vous avez menée sur l’éclairage public ?
Oui. Dans ce domaine, nous avons mis en place un système de gradateurs qui coupent le courant 100 fois par seconde. Cela permet de diminuer la dépense énergétique et financière de 40%. Nous avons aussi tout transformé en LED et cela a permis d’économiser à nouveau 50% de notre consommation. Enfin, la nuit nous éteignons tous les bâtiments depuis déjà une bonne dizaine d’années. Grâce à ces petites actions, nous avons réalisé des économies et mieux protégé la faune et la flore nocturne.
Comment ensuite réussir à passer le cap de la centrale solaire ?
Pour la centrale, il faut une friche industrielle ou des terres stériles dans la commune. L’étude est vite faite. S’il y a un transformateur ENEDIS à proximité, c’est un atout. Cela diminue nettement les coûts. Comme ce sont des centrales de plus de 250 KW, les projets sont étudiés par la CRE, la Commission de Régulation Énergétique. Selon que vous soyez au nord ou au sud de la Loire, il y a des accords plus ou moins favorables car les tarifs proposés par les développeurs ne sont pas les mêmes. En fonction de votre situation géographique, la concurrence n’est par toujours facile à tenir. L’an dernier aucun projet n’a été validé dans le nord. Mais est-ce que les Danois, les Suédois ou les Allemands sont plus fous que nous ? Ils installent des centrales depuis plus longtemps que nous et ils ont raison.
Sinon il y a tout le volet lié à l’auto-consommation qui est très intéressant. Si on a des centres de consommations qui sont très énergivores dans la journée, cela devient une véritable solution. Pour nous, c’est le cas de notre conserverie.
Quel impact tous vos projets ont-ils sur la commune ?
Si nous incluons deux autres bâtiments que nous avons rénové et que nous louons, tous les investissements nous ont permis d’économiser 120 000 euros par an. Sur un budget de fonctionnement de 1,8M, c’est de l’ordre de six pourcents. C’est très important. Malgré la baisse des dotations, cela nous permet de continuer à investir dans ce programme énergétique tout en ne réalisant aucune augmentation des impôts communaux. Je ne sais pas combien de temps nous allons tenir mais pour l’instant, cela fonctionne.
Avez-vous rencontré des difficultés politiques pour installer cette transition ?
Nous avons eu des passages difficiles qui se sont aplanis avec le temps. Les projets restent intéressants. Je pense que l’on ne peut pas être contre la volonté de développer les énergies renouvelables. Tout le monde sait que l’on est confronté à un problème majeur : la fin de fonctionnement des réacteurs nucléaires. On peut être pour ou contre le nucléaire mais dans les dix prochaines années, la moitié du parc français arrivera en fin de vie. Alors soit on construit d’autres réacteurs, soit on se tourne vers les énergies renouvelables. Nous pensons que cette deuxième option est un bon plan.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne