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Un orchestre comme vecteur social : quand une communauté de communes s'associe avec la Philharmonie de Paris


Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à un projet développé par la communauté de communes du Thouarsais (Nouvelle-Aquitaine) avec l’aide d’un programme (DEMOS) de la Philharmonie de Paris. 102 enfants, issus d’horizons différents, bénéficient d’une formation musicale gratuite orientée vers le travail d’orchestre. La pédagogie privilégie les apprentissages collectifs, la pratique du chant et de la danse pour mener à la pratique instrumentale. Pour ce territoire, c’est une belle occasion de créer de la cohésion auprès des 31 collectivités locales de la communauté de communes en utilisant la culture comme vecteur social.
Territoires-Audacieux a demandé à Jean Giret vice-Président en charge de la culture et François Goutal, directeur du pôle culture de la communauté de communes de répondre à l’interview ci-dessous pour mieux comprendre le fonctionnement de cette initiative.
Sommaire:

– Mise en place du projet –

Comment cette idée de travailler autour de cette initiative vous est-elle venue ?

Ici nous sommes sur un territoire de 31 communes avec, au centre ,la ville de Thouars mais aussi de nombreuses petites communes rurales. Dans notre projet de territoire, nous accordons beaucoup d’importance à la culture et nous avons ici un conservatoire intercommunal. Il se trouve au cœur de la ville de Thouars dans un site qui a été restauré. Notre volonté était d’avoir une action à l’échelle du territoire qui permette de mobiliser toutes les communes rurales. Nous voulions aussi toucher des enfants plus éloignés de la culture et de l’enseignement musical. Nous avons été séduits par l’idée de se réunir autour d’un orchestre. Nous avons donc répondu à l’appel à projet DEMOS pour pouvoir s’inscrire dans cette initiative. C’était une idée gérée par la Philharmonie de Paris mais jusqu’à présent aucun territoire rural comme le nôtre n’en avait bénéficié. Cela nous intéressait depuis 2014-2015. Nous avons par la suite travaillé sur la faisabilité du projet, à la fois en terme de ressources humaines, de moyens matériels et surtout de mobilisation des communes, de la population des parents des écoles… Nous avons réussi à créé un groupe de 102 élèves qui ont entre 7 et 10 ans. Ils participent à ce dispositif.
Votre idée était d’avoir un projet global ?

Oui, il y a plusieurs axes dans le projet. Tout d’abord, pour les enfants, il y a une pédagogie innovante avec la découverte des instruments et de l’enseignement musical. Nous le faisons de façon collective puisque c’est un orchestre de 102 enfants. C’est aussi une belle manière de donner du sens à l’échelle de notre territoire. Nous avons sept groupes d’une quinzaine d’élèves qui sont répartis de manière assez équilibrée géographiquement sur le territoire autour de Thouars. En 2014, nous nous interrogions sur la manière de rendre plus accessible notre offre culturelle pour les enfants un peu plus plus éloignés de notre « ville centre ». Le dispositif répondait bien à cette idée et c’est pour ça que la collectivité a fait le choix de réorienter certains moyens pour pouvoir s’appuyer sur ce projet. Nous avons sollicité la Philharmonie de Paris pour bénéficier d’un projet global et national.
Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?

Quand on s’est lancé dans le dispositif en 2016, nous l’avons présenté à des collègues qui s’occupent habituellement de ce type de projet. C’était tout de même ambitieux de trouver les moyens financiers. Même si la Philharmonie participe, c’est quand même un budget de plus de 200 000€ sur l’année. Nous sommes partis de l’échelon des collectivités locales pour réussir à mobiliser 100,000 € car nous avions environ 50,000€ en interne. Il y a donc eu une réflexion au niveau des vice-présidents de la communauté de communes. Elle a ensuite été portée au niveau du conseil communautaire pour faire un choix en 2017 et nous avons pu lancer le projet en 2018. Entre les deux, après avoir politiquement et budgétairement entrepris cette action, il fallait agir avec les partenaires sur le territoire (à la fois les écoles, les collectivités et les forces culturelles) réunir une trentaine d’enfants. C’était un travail en amont de prospection sur le territoire. À notre plus grand plaisir, nous avons pu réunir 102 enfants dans des structures différentes.
Deux ans pour développer le projet, c’est assez rapide…
Oui. Tout cela s’est fait progressivement même si c’est allé assez vite entre les premiers contacts en 2016 et le démarrage en 2018. Nous voulions commencer en janvier mais nous avions encore trop des choses à faire. C’était le cas par exemple sur le recrutement des enseignants. Il fallait les trouver sur le territoire alors que la plupart sont assez éloignés de la ville importante. La particularité de ce territoire c’est que nous sommes à 60 km des grandes villes donc cela peut induire des difficultés de recrutement.
Pourquoi agir au niveau de la culture ? En quoi est-ce important ?
Personnellement, je suis convaincu que la culture permet de tendre des liens au niveau du territoire. Même si nous sommes sur un territoire rural, nous avons la chance d’être sur une zone dynamique avec par exemple un théâtre conventionné. Il y a également un projet (financé par la communauté de communes) de cinéma. Nous avons aussi un conservatoire de musique et de danse avec 800 élèves. Nous avons enfin des festivals et des musées qui apportent une richesse culturelle. Nous avons aussi l’ambition de coupler les plans « culture » et « social » car nous avons sur notre territoire deux réseaux prioritaires. Nous répondons aux attentes culturelles et sociales car le fait de se regrouper est une forme de lien que nous faisons entre les familles. Nous avons cette volonté de placer la culture comme essence de lien social sur le territoire. La vision éducative du projet est forte puisqu’il est né au sein des banlieues de Paris et il a tout autant de pertinence sur un territoire rural.

– Le projet aujourd’hui –

À quoi ressemble votre projet aujourd’hui ?
La particularité du projet est de proposer une démarche de pratique et d’apprentissage musical à travers le collectif. Cela se fait en petits ateliers avec une quinzaine d’enfants encadrés par deux intervenants musicaux. La particularité, c’est que nous allons vers des publics qui ne seraient pas facilement allés vers le conservatoire. Le conservatoire porte le projet mais il est appuyé par des acteurs sociaux comme les centres sociaux culturels. Nous nous sommes beaucoup appuyés sur les écoles car les équipes pédagogiques connaissent très bien les enfants. Elles sont en contact avec toutes les familles. L’idée, c’est que nous résonnions sur le temps global de l’enfant et en regroupant l’ensemble des forces vives, éducatives et culturelles, sociales aussi du territoire.
Comment fonctionne le projet concrètement sur le terrain ?
Les ateliers ont lieu après l’école. Cela dispense les parents d’aller chercher les enfants et de les amener à une activité. Il y a également des transports qui sont réalisés par les acteurs sociaux pour amener les enfants sur des points de rencontre puisque certains ateliers concernent plusieurs communes. Parfois, l’école elle-même a été choisie car elle est le point de regroupement de plusieurs villages. Ces ateliers fonctionnent en alternance avec des moments où tous les enfants se retrouvent (toutes les 5 ou 6 semaines au conservatoire) dans la ville centre. Cela concerne alors tous les intervenants, qu’ils soient musicaux ou sociaux. Enfin, nous avons deux stages par an. Un à la Toussaint, l’autre au mois d’avril, sur deux jours. Ils rassemblent également tous les intervenants. Il faut aussi préciser qu’il y a un parrainage artistique de ce projet par l’association ARS NOVA. Cette formation musicale basée à Poitiers est dédiée à la création contemporaine. Son chef d’orchestre, Jean-Michael Lavoie vient diriger l’orchestre et participe à tous les rassemblements et les stages. Nous avons donc une particularité puisque ce choix de nous associer à ARS NOVA était de montrer que même en tant que territoire rural nous pouvions faire partie de l’innovation.
Est-ce le rôle de la communauté de jouer le rôle de vecteur culturel ?
Oui, c’est ce que nous pensons. Il faut avoir une vision globale du territoire afin de mettre en place des partenariats avec des écoles ou des centres culturels. L’appui de l’État, du ministère de la Culture, le soutien du département était important aussi. C’est un projet ambitieux et exigeant. Il y a une co-construction qui se fait et qui demande beaucoup de temps et de coordination.
Que vous apporte le partenariat avec le programme DEMOS ?
De leur côté, aller sur un territoire rural les intéressait. De notre côté, cela permettait un soutien financier mais surtout pédagogique. C’est très important pour notre expérience. C’est intéressant aussi d’avoir une réflexion partant du conservatoire sur les pratiques d’enseignement, notamment sur les pratiques musicales. Nous avons décidé de baser notre enseignement musical sur les critères de DEMOS. Ce sont des formes d’enseignements un peu innovantes qui prennent en compte la pratique collective notamment. Le partenariat financier rend l’opération possible, mais ce n’est effectivement pas que ça. Leurs formations sur les intervenants ont des répercussions sur l’ensemble des acteurs du conservatoire. C’est vraiment un outil important qui nous accompagne sur l’évolution, et qui garantit une évolution du service public au service d’une population.
J’imagine que cela apporte également une crédibilité au moment de proposer le projet à la population ?
C’est vrai qu’entre l’appui de la Philharmonie de Paris et la personnalité de Jean-Michel Lavoie (et sa carrière internationale) c’est un véritable argument. Il y a des moments où l’émotion peut être assez forte car il y avait certaines personnes qui n’y croyaient pas en se demandant pourquoi ce genre d’institution s’intéresse à nous. Nous sommes un territoire rural. Mais si c’est possible ! Ça ouvre des perspectives à la population et ça leur permet d’avancer dans leurs projets de vie.

– Dupliquer le projet –

Avez-vous eu des premiers retours  de la part des parents ?
Oui, nous avons eu les premiers retours le 3 novembre lors d’une soirée avec ARS NOVA. Nous avons remis aux 102 enfants leurs instruments en présence des parents. Jusque-là c’était principalement du chant et de la danse. C’était un moment fort avec la présence des représentants des partenaires et une représentation de danse des enfants. Nous avons également collecté des interviews de parents afin de relater cette expérience et de la partager avec l’ensemble du public.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Au niveau des collectivités, il faut vraiment de la volonté. Nous avons eu la chance d’avoir eu l’unanimité sur ce projet ambitieux. Cela permet de lancer l’action en toute sérénité et de réunir les compléments budgétaires localement tout en prenant le temps de rencontrer les potentiels partenaires sociaux et les écoles afin d’expliquer le projet. C’est un véritable travail de terrain qui ne peut se faire que si la collectivité a déjà de l’expérience dans ce domaine-là. Nous ne pouvions pas partir de rien. De plus, depuis de nombreuses années, le conservatoire intervient dans les écoles en temps scolaire, donc c’est vrai que nous avions déjà une connaissance et une crédibilité sur ce sujet-là. C’était moins vrai pour nos rapports avec les acteurs sociaux. Nous n’avions pas les aptitudes de travail. Enfin rassembler les financements ce n’est pas quelque chose de simple. Il faut trouver des co-financements.
Avez-vous commencé à mesurer l’impact ?
Nous avons 102 enfants depuis le début et ce chiffre n’a pas changé depuis le début. Cela montre qu’il y a une bonne implication. Nous avons une analyse à faire sur l’évolution de ce dispositif mais nous ferons ça petit à petit avec nos partenaires. Pour le moment nous sommes beaucoup dans l’opérationnel car c’est le début du projet. Par contre, pendant la soirée du 3 novembre, pratiquement l’ensemble des familles étaient présentes. C’était quelque chose d’important pour nous. Il faut de l’intérêt sur cette action. La soirée a accueilli 400 personnes environ. C’est un succès pour nous. Pour ARS NOVA, c’était une réussite car ils ont eu l’occasion de partager la création musicale du 21ème siècle avec un public socialement varié et plusieurs générations.
Combien le projet a-t-il coûté ?
Il coûte 260 000 € à l’année et nous en apportons 100,000€ en tant que collectivité locale. Le reste vient du ministère de la Culture, et des entreprises nationales qui parrainent le projet. Il reste environ 60 000€ à financer par la communauté de commune.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne
Photos illustrations fournies par la Philarmonie de Paris