Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à la ville de Nanterre. Depuis près de vingt ans, les élus tentent de mettre à disposition des habitants des outils pour favoriser leurs initiatives. Au cœur de ce projet : l’Agora, un bâtiment ouvert à tous où les citoyens peuvent venir trouver des ressources et des conseils pour mettre en place leurs projets. Le lieu dispose aussi d’une webradio où chacun peut venir créer sa propre émission.
Rencontre avec la responsable de ce lieu, Anne-Gaël Chiche.
Sommaire:
– Reportage –
L »interview d’Anne-Gaël Chiche est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.
– Mise en place du projet –
Comment cette idée vous est-elle venue ?
L’Agora est née au moment des assises pour Paris, grand temps fort de démocratie participative, qui se passe à Nanterre à peu près tous les trois ans. Nous choisissons une thématique et nous interrogeons toutes les politiques publiques en rapport avec elle. Notre but est de réaliser une sorte d’évaluation à mi-parcours, à mi-mandat des politiques publiques. En 1999, les assises de la ville ont porté sur la citoyenneté et ont permis aux habitants, aux associations, et aux élus d’aboutir à ce projet de maison des initiatives citoyennes, lieu de rencontre et de débat, avec pour vocation de susciter la citoyenneté, de la promouvoir, de l’encourager.
L’idée était de mettre un lieu à disposition des habitants ?
Oui, à disposition des habitants, des acteurs associatifs et aussi des services de la ville pour parler des questions d’actualités, des questions de société, du projet de ville et finalement animer le débat local et être accompagné dans ces initiatives. L’Agora est quand même un lieu qui a été pensé comme un espace de mise en capacité des habitants. Le but est de faciliter, de leur faire rencontrer d’autres acteurs, les aider sur toute la programmation, sur les aspects techniques, sur la logistique, sur la communication, la mobilisation et pour le jour J de l’événement.
Comment le projet s’est-il mis en place progressivement ?
Au départ, le cœur du projet c’est le pôle rencontre et débat qui permet aux habitants, aux associations, aux services de la ville de proposer une initiative qu’on accompagne ensuite et qui se déroule ici. Dès le départ, il y avait l’idée d’un centre ressources pour la vie associative, qui n’a jamais fonctionné véritablement comme un centre de documentation mais plutôt comme un lieu de permanence, de discussion et d’accompagnement par les services de la vie associative, mais aussi par l’action jeunesse et les relations et coopérations avec le monde. C’est vraiment le cœur du projet. À partir de 2009, l’Agora a été mutualisée avec l’espace public numérique de la ville qui lutte contre la fracture numérique. Il y avait un travail qui avait été fait pour l’idée d’un internet citoyen et créatif. De mutualiser l’Agora et espace public numérique c’était cohérent puisque Internet a été considéré à Nanterre comme un outil essentiel à l’exercice de la citoyenneté, outil d’information, d’expression, d’accès aux droits ou de mobilisation. Donc, en 2009, on a fusionné différent service pour créer l’Agora actuelle. Il y a eu d’autres étapes importantes comme la création de la web radio en 2013 et la création de la plateforme participez.nanterre.fr. C’est une plateforme de participation, de concertation pour accompagner les grandes opérations de consultations ou de concertations sur le territoire.
Ce sont différents acteurs qui se sont assemblés ?
C’est plutôt une évolution naturelle du projet, autour des grands enjeux de société que nous traversons. On peut dire aujourd’hui que les trois grands enjeux dont on discute à l’Agora sont : la transition démocratique, la transition numérique, la transition écologique. Dans ce triangle-là, on va chercher à faire évoluer le projet et à débattre, à discuter, à trouver de nouvelles idées et à essayer d’innover.
– Le projet aujourd’hui –
Aujourd’hui, qu’est-ce que l’Agora ?
C’est un lieu de rencontre, un lieu de débat et un lieu de mise en capacité des habitants. On pourrait dire aussi que c’est un tiers lieu dédié à la citoyenneté dans le sens où on essaye de travailler ce ferment démocratique indispensable qu’est la citoyenneté, sous toutes ses formes. Faire vivre la démocratie locale.
Très concrètement, comment fonctionne le projet ?
Au quotidien, les porteurs de projets (habitants, associations ou services publics) viennent nous voir en nous parlant d’une idée. Dans certain cas, elle est très construite et notre valeur ajoutée est assez minimale, en dehors du fait qu’on a installé d’Agora dans la ville et finalement sur le territoire, même un peu élargi, cela va être un lieu de rendez-vous assez évident pour ce type de débat. Mais, dans 70 à 80% des cas, les personnes qui arrivent ici nous parlent d’un début d’idée. À partir de là, on apporte toute la démarche d’éducation populaire autour du montage de leur initiative.
L’idée est de favoriser même les petites idées citoyennes ?
Oui, nous ne sommes pas juges de l’opportunité ou de la qualité de la rencontre. Ce qui nous intéresse c’est le processus dans lequel le porteur de projet va être impliqué. C’est ce que lui ou elle va traverser, ce qu’il ou elle va apprendre au fur et à mesure de la création de cet évènement, cela nous apporte autant que l’évènement lui-même. Au même titre que pour la radio, puisque ce n’est pas tant le nombre d’émissions ou le nombre d’auditeurs, même si cela compte, mais c’est le parcours émancipateur du porteur de projet dans cette démarche.
J’imagine que ce n’est pas toujours facile de passer de l’idée à l’initiative ?
Exactement. Nous travaillons beaucoup là-dessus avec les porteurs de projet pour, après coup, quand cela n’a pas fonctionné comme il l’était souhaité initialement, retravailler, discuter, voir comment cela pourrait trouver un meilleur écho, comment est-ce que cela pourrait prendre forme différemment pour trouver son public. Nous vivons à Nanterre, aux portes de Paris, où il y a une densité de possibilités immenses et à Nanterre même. C’est une ville extrêmement dynamique avec plus de 800 associations, avec des grosses institutions culturelles et municipales (maison de la musique, l’espace d’art des terrasses, le théâtre des amandiers, l’université…). Pour une petite initiative, un nouveau sujet, un nouvel acteur, parfois c’est difficile de se faire entendre et de trouver son public, donc on travaille sur la durée, sur le long terme.
Vous avez également créé une radio citoyenne…
La radio c’est comme le pôle rencontre et débat. Quand cela a été un nouvel outil de l’Agora, nous avons fait un grand travail de démarchage pour susciter les initiatives, donner « envie de ». Elle fonctionne sur le même principe que le pôle rencontre et débat, c’est-à-dire que les porteurs de projet viennent et nous leur apportons un soutien éditorial, technique, pour réaliser leur propre émission. Nous allons les accompagner pour qu’ils en parlent, ils vont être les animateurs de leur propre émission. Ce que nous allons essayer de créer c’est un contenu qui a un intérêt dans le temps, nous n’allons pas faire de l’événementiel puisque nous ne sommes pas écoutés quotidiennement comme une radio FM, nous sommes plutôt écoutés en podcast puisque la radio diffuse uniquement sur le web. Nous mettons l’accent sur l’intérêt du contenu, du sujet qui va pouvoir être vrai aujourd’hui, demain et dans six mois ou deux ans.
Quel était le but de la création de cette radio ?
Il y a l’idée d’un outil supplémentaire d’expression mis à disposition des habitants mais au départ nous voulions créer un outil de mémoire pour ce lieu. Finalement, cela a beaucoup évolué, ce n’est plus tellement le cas. Mais au départ, nous nous disions que lorsqu’il y a de toutes petites initiatives qui parfois ne réunissent qu’une dizaine ou une quinzaine de personnes, il est dommage de ne pas garder une trace de ce qui s’est dit. Même chose pour les événements qui réunissent plus de 200 personnes, les uns et les autres ont envie de poursuivre de débat. Donc, nous nous sommes demandés comment nous pourrions créer un outil qui permettrait cela, à la fois mémoire et poursuite du débat. Nous avons réalisé assez vite que si nous étions en captation simplement du son, puis dans la réalisation du montage pour le rendre audible et intéressant pour un auditeur en ligne, ce serait un travail colossal et finalement pas tellement pertinent. Tout doucement, cela s’est transformé en outil de mise en capacité avec cette idée de montrer que le public pouvait, à l’Agora, organiser une réunion publique, une conférence, une projection débat ou une émission de radio. D’ailleurs, elle peut être enregistrée dans les conditions du direct et faire l’objet d’une conférence, d’une émission de radio enregistrée en direct et en public. Nous essayons d’utiliser au maximum tous les moyens de l’Agora.
Est-ce que cela fonctionne ?
Oui, nous environ 50 écoutes des podcasts par mois donc nous pouvons considérer pour une radio locale qui diffuse sur le web, cela marche. Nous sommes très contents, nous avons plus de 1000 personnes qui sont impliqués par la radio, dans ces projets radio chaque année et c’est ce qui nous intéresse le plus. Lorsque c’est des plus jeunes, nous avons plein d’espoir sur le fait que cela puisse germer plus tard et donner lieu à autre chose. Nous pouvons dire que cela fonctionne et l’Agora, d’une manière générale, c’est 420 initiatives par an et environ 15000 visiteurs (2017). Bien sur, nous pouvons toujours espérer plus mais nous sommes quand même déjà assez satisfaits de cette dynamique. C’est un lieu qui est identifié sur le territoire comme un lieu ressource, pour parler des questions d’actualités, de société, du projet de ville et rencontrer tout un tas d’acteurs et d’intervenants.
Vous avez également mis en place une plateforme pour favoriser la participation citoyenne…
Nous proposons régulièrement d’ouvrir des campagnes de concertations sur ces plateformes. Il y a beaucoup de consultations, de concertations ou d’enquêtes à Nanterre. La ville porte assez haut la question de la concertation de la population, de son implication dans les décisions. Sur la plateforme participer.nanterre.fr, nous ne traitons par de toutes les concertations mais d’un certain nombre pendant l’année. Nous essayons toujours de travailler le plan de concertation avec le service thématique ou territorial qui porte le sujet. Ceci a été le cas pour les assises pour la ville, pour le projet des papeteries au chemin de l’île, pour le plan de formation de la vie associative, l’arrivée de la fibre à Nanterre… Nous avons traité plusieurs sujets sur un plan de concertation qui hybride des actions de terrain et cette possibilité de donner son avis en ligne. Sur cette plateforme nous trouvons à la fois une ligne de temps, qui indique bien le moment auquel cela démarre, jusqu’où nous allons aller, à quel moment nous allons faire la restitution, ce que vont être les différentes étapes, les moments de rencontres… Et nous essayons de mettre à disposition le maximum d’informations disponibles, de bien faire ressortir les enjeux en présence et ce sur quoi nous attendons la parole des habitants, ce que nous allons pouvoir en faire après. Puis nous proposons une synthèse de l’ensemble des contributions, qu’elles aient été récoltées sur le terrain ou en ligne, nous essayons d’expliquer comment cela a pu influencer la décision. Ce qui est important c’est « d’ouvrir le capot » de la prise de décision, à savoir comment elle s’est faite. Parfois, les propositions des habitants ne sont pas prises au pied de la lettre, puisqu’il y a la question de l’intérêt général, des contraintes du projet, etc… Mais les élus s’expliquent sur la prise de décision après concertation.
Enfin, vous avez créé des jardins partagés…
Oui, il y a des jardins partagés. Lorsque l’Agora s’est installée en 2005, il y avait de la terre battue autour du bâtiment. Des habitants se sont manifestés en expliquant qu’ils aimeraient jardiner, il y avait cette envie qui émergeait à Nanterre. Nous avons donc organisé cela, l’adaptation des jardins de l’Agora pour en faire des jardins partagés. Aujourd’hui, c’est à la fois le club senior, qui vient y jardiner régulièrement, et l’association NADA, une association du « petit Nanterre » qui est un quartier assez éloigné du centre-ville et qui travaille autour de l’accompagnement des migrants, du soutien scolaire, etc. C’est intéressant de faire venir ce public d’un quartier éloigné ici, en centre-ville, pour jardiner. Ce qui est important dans ce lieu c’est qu’il est positionné dans le centre-ville, mais qu’il appartient à tout le monde.
– Dupliquer le projet –
Quel intérêt pour une collectivité publique de développer un projet comme l’Agora ?
Le projet est singulier, il n’en existe pas partout. A Nanterre, il y a une histoire de la participation citoyenne et de la mobilisation qui est notamment liée au fait que Nanterre est un territoire de la périphérie de Paris et sur lequel le droit à la ville a été nié dans les années 1950, par l’Etat, pour créer des infrastructures qui desservent la capitale. Très vite, les élus se sont rendu compte qu’il fallait associer les populations à la mobilisation pour peser vis-à-vis de l’Etat et défendre un véritable droit à la ville des habitants. Il y a donc cette culture de la mobilisation et de la participation puisque les premiers conseils de quartiers ont été créés en 1977. C’est aussi un territoire où il a encore beaucoup de foncier disponible, au pied de la capitale, il y a donc beaucoup de projets immobiliers. C’est important de pouvoir créer, d’une certaine manière, le rapport de force pour faire respecter un certain nombre de valeurs d’un « vivre ensemble » nanterrien auquel les habitants et les élus sont attachés. C’est né de cette histoire-là et d’équipes d’élus locaux, qui se sont inspirés du forum social mondial et d’autres initiatives. Il fallait aller chercher les initiatives citoyennes, être à l’écoute des habitants et essayer de tenir compte de leur expertise d’usage dans le développement de la ville.
Sur quel type de territoire ce projet peut-il être dupliqué ?
Cela peut s’adapter partout y compris en fonction des différentes échelles. La question c’est de donner des moyens à la concertation et à l’ingénierie de la concertation. Il faut prendre le temps de bien combiner les agendas politique, administratif et citoyen. Nous avons un gros travail d’acculturation à faire en interne, que ce soit auprès des élus ou après des services, pour aller dans le sens d’une démarche intègre de concertation. Nous pouvons épuiser les habitants si nous ne sommes pas jusqu’ « au boutiste » dans la démarche, cela peut se retourner et devenir contre-productif. Aujourd’hui, il y a des expériences dans ce domaine-là que l’on appelle des civic tec, un peu partout en France, dans le monde, quelle que soit l’échelle, et cela fonctionne bien si on l’hybride avec du présentiel, si nous allons chercher les communautés d’intérêt qui sont déjà mobilisées qui vont être moteur, et si on va chercher les publics éloignés (souvent avec les acteurs locaux). Il y a une méthodologie, un certain nombre d’ingrédients à respecter pour se donnes les chances de la réussite.
Quels sont ces ingrédients ?
Il y a un budget en communication, en événementiel. Un budget en mobilisation des agents, des fonctionnaires, pour réaliser cette démarche (ou d’agences spécialisées dans l’accompagnement). Un portage politique fort et bien identifier le timing du projet et de la disponibilité. Il est important d’analyser le territoire.
Quel est le coût ?
Nous sommes cinq agents permanents à travailler à l’Agora. Nous n’avons pas un gros budget de fonctionnement puisque nous ne finançons pas les initiatives qui ont lieu ici. La ville considère qu’elle met déjà à disposition des compétences : des locaux municipaux qui appartiennent au patrimoine communal, des moyens logistiques, techniques et de communication. Il faut un lieu identifié, identifiable et visible où il est possible d’installer le projet dans la durée, du personnel qualifié pour tout ce qui est « accompagnement de projet », y compris en matière de community organizing et community managment pour pouvoir utiliser les réseaux sociaux et des outils de communication simples mais en même temps tellement présents dans notre quotidien à tous.
Quel impact pour le projet ?
Nous réalisons que lorsque l’Agora n’est plus en accompagnement direct de certaines initiatives, elles s’éteignent. C’est autant d’acteurs en moins ou de public en moins, mobilisés sur plusieurs questions. Il y a un gros travail de développement local qui est réalisé et nous avons du mal à le mesurer en termes d’impact positif pour le moment. En revanche, nous réalisons que lorsque nous arrêtons un évènement, pour des raisons diverses, ce sont aussi des initiatives qui s’éteignent. Nous prenons l’initiative citoyenne et nous tentons de la dynamiser, on la facilite, on l’augmente. Sans cette augmentation du développeur, de l’acteur local qui va accompagner ce développement, cela va avoir du mal à se prolonger.
Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Pour nous, l’enjeu principal de l’Agora c’est d’intéresser la part de la population qui considère que « l’Agora, ce n’est pas pour eux ». C’est un chantier permanent, de faire en sorte de mobiliser un public au-delà du public militant, du public engagé, d’aller chercher de nouveaux publics. Quand nous travaillons avec les écoles, les collèges, les lycées ou avec les associations de quartiers qui vont venir avec un public captif, nous allons chercher un public au-delà des premiers initiés, qui vont naturellement s’en saisir. C’est véritablement l’enjeu permanent.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne