Nous vous proposons une tribune de Marie-Catherine Bernard, directrice de l’Agence de concertation Palabreo. Celle-ci propose une forme améliorée du référendum local qui croise démocratie élective, participative et directe. Les citoyens souhaitent être intégrés au processus décisionnel, une attente qui va être déterminante dans les débats des prochaines élections municipales. Ce référendum local vise à promouvoir l’intelligence collective au service de l’intérêt général, et à éviter le renforcement des clivages auxquels pourraient conduire la généralisation du processus référendaire classique.
La question de la démocratie directe est devenue un objet de débat public, à travers notamment la demande de mise en place du Référendum d’Initiative Citoyenne, portée par le mouvement des Gilets Jaunes. Il est considéré par ceux qui souhaitent sa mise en œuvre comme la forme la plus aboutie de démocratie et comme la solution « en toutes matières » pour garantir le respect des promesses, la maîtrise de leur destin par les citoyens, l’économie d’argent public, l’égalité des citoyens, la capacité à réformer… Les différents sondages réalisés depuis la fin de l’année 2018, tout comme les résultats du Grand débat, montrent que les français sont largement demandeurs d’une démocratie plus directe, avec toutefois des nuances importantes concernant son champ d’application. S’ils expriment souvent des réserves sur le développement de la pratique référendaire à l’échelle nationale, ils plébiscitent sa mise en place à l’échelle locale. Cette revendication s’inscrit dans un contexte de crise de légitimité des corps intermédiaires qui affecte toutes les démocraties occidentales et au-delà. Elle traduit une évolution du rapport à la décision publique et la montée des attentes citoyennes d’une démocratie plus horizontale, ne dépendant plus d’un pouvoir considéré comme technocratique, lointain, centralisé (1). Elle pose plus globalement la question du consentement des gouvernés au-delà de l’acte électif, et interroge les pratiques du « bon » gouvernement (2).
L’approche des élections municipales confère une actualité particulière à cette revendication de la démocratie locale directe. De nombreux candidats issus ou non de la société civile, se prononcent en faveur de la généralisation du processus référendaire au niveau local, ou s’engagent à le déployer sur des sujets à forts enjeux.
Le référendum local : un outil pour trancher les sujets sensibles ? Si nous considérons qu’il n’est pas souhaitable de généraliser la pratique référendaire à tous les sujets qui doivent prioritairement faire l’objet de processus de démocratie participative rigoureux et transparents qui viennent éclairer la décision prise par les élus, le référendum local peut être un outil démocratique très performant pour renforcer la légitimité et le poids de décisions stratégiques majeures nécessitant une très forte mobilisation de la population, particulièrement dans le champ de la transition écologique.
Mais tel qu’il est conçu aujourd’hui, le référendum ne risque-t-il pas d’être une mauvaise réponse à une bonne question ? Si l’on comprend la demande d’une plus grande participation à la décision, on ne peut ignorer les limites du processus référendaire classique et les questions qu’il pose. En effet, la demande de démocratie directe repose, pour de nombreux chercheurs en sciences politiques sur un ensemble d’illusions : celle d’un peuple homogène qui pourrait parler d’une seule voix (3) et dont le vote serait spontanément l’expression de l’intérêt général sans avoir besoin de passer par la délibération (démocratie participative) ou la représentation politique (démocratie représentative) (4), ou encore l’illusion selon laquelle des décisions prises au titre de la démocratie directe pourraient avoir des effets plus immédiats (5), une expression, selon ces chercheurs, du présentisme, de la démocratie de l’im-médiat (sans médiation, ni médiateurs).
La pratique référendaire classique comporte également de nombreuses limites méthodologiques : Comment répondre de façon binaire à des questions complexes ? Comment éviter la simplification/manipulation du débat par les partisans ou les opposants sur les conséquences de l’une ou l’autre option soumise au référendum ? Comment se préserver de l’effet plébiscite et du déplacement du vote pour/contre la question, à pour/contre celui qui la pose ? Comment éviter la baisse de la participation face à la multiplication potentielle des référendums (6) ?
On doit par ailleurs s’interroger sur le risque que le processus référendaire classique, loin d’apaiser les tensions internes à la société, ne vienne à contrario renforcer les clivages. En effet, lorsqu’un référendum dégage des majorités nettes sur un sujet soumis au vote, on peut considérer que la décision sera considérée comme légitime et acceptable, y compris par la minorité qui s’est prononcée contre. Mais que se passe-t-il si la victoire d’un camp est acquise avec une très faible marge ? Le clivage mis à jour par le vote, ne pouvant donner lieu, par nature, à aucun compromis, le risque n’est-il pas celui d’une dégradation de la situation politique et d’un renforcement des antagonismes (4) ?
Plus largement, la démocratie participative, lorsqu’elle est mise en œuvre de façon rigoureuse (ce qui n’est pas toujours le cas), permet la confrontation des arguments, la sortie de l’entre-soi, la production du commun et la prise en compte de la complexité des sujets… Alors que le référendum est, par définition, une somme d’intérêts particuliers, dont il est difficile de considérer – en l’absence de mise en débat de ces intérêts – qu’elle est égale à l’intérêt général.
Ces limites nous amènent à considérer, en tant que praticiens de la démocratie participative, qu’il est essentiel d’éviter que le référendum dans sa forme classique ne devienne l’outil de référence en deçà duquel toute démarche ne serait plus légitime ou même plus démocratique. Le risque serait alors de délégitimer encore plus la démocratie représentative (mais aussi participative), au profit d’une démocratie directe dont on peut douter qu’elle puisse réellement générer le commun et l’intelligence collective dont nous avons éminemment besoin pour aborder les enjeux complexes auxquels nous sommes tous confrontés.
Notre proposition : développer le référendum local… augmenté
Cette procédure, consiste à insuffler de l’intelligence collective dans le processus, en organisant, en amont de la votation, une phase de concertation, visant à formuler des scénarios qui seront soumis au vote, et à apporter un avis citoyen sur chacun d’entre eux, avis diffusés largement auprès des votants.
Les 5 étapes Référendum local augmenté :
- L’initiative : Elle peut être le fait de l’exécutif local (les élus), du droit de pétition (les électeurs), ou encore d’une initiative partagée.
- La mobilisation : Après une large communication, un panel citoyen est constitué (100 à 400 personnes) (7), de manière à représenter la plus grande diversité des points de vue. Ce panel peut être ouvert aux non-électeurs (étrangers non communautaires, jeunes de 16 à 18 ans…).
- La concertation : Elle s’organise en trois étapes, sur une période resserrée. Une première rencontre du panel pour s’informer et partager les enjeux avec les élus, les services, les experts. Une seconde pour coconcevoir les scénarios qui seront soumis au vote et trouver pour chacun d’entre eux des compromis d’intérêt général. Et une troisième pour formuler un avis citoyen sur chacun des scénarios.
- L’information « par les pairs » : Les membres du panel citoyen sont invités à définir et valider la stratégie de communication des avis à l’ensemble des votants et s’assurent que les avis diffusés sont bien conformes à ce qu’ils ont exprimés. Ils peuvent également jouer un rôle de relais de l’information pour mobiliser les potentiels votants et favoriser la plus grande participation.
- La votation : Nous veillons à adopter un système de cotation non manichéen, en permettant par exemple aux votants de prioriser les scénarios ou d’attribuer des points à chacun d’entre eux. Le vote est décisionnel si on applique le Référendum local décisionnel, ou consultatif au titre de la Consultation des électeurs, l’Assemblée délibérante devant alors prendre formellement la décision.
Sur quels sujets ?
Le référendum local augmenté, peut s’appliquer à tous les sujets relevant de la compétence de la collectivité locale concernée, dans le respect des textes de loi relatifs au référendum local ou à la consultation des électeurs. Il peut s’agir de définir le bon système de tarification (cantines, transports publics…), de s’accorder sur la nature ou la programmation d’un équipement ou d’une infrastructure, d’élaborer un PLU répondant au besoin de construction de nouveaux logements, tout en préservant les terres agricoles et les espaces naturels, de déterminer le bon scénario de prévention-réduction des déchets, d’adopter une stratégie de transition énergétique ou d’adaptation au changement climatique…
A quelle échelle ?
Comme dans les démarches participatives, il faut absolument éviter de s’enfermer dans le périmètre d’un quartier et de la mitoyenneté (notamment pour des projets d’aménagement) au risque de générer des réflexes Nimby (8) et de renforcer les clivages. La bonne échelle du Référendum augmenté, est celle qui englobe tous les citoyens concernés, c’est-à-dire le périmètre de la ou des collectivités compétentes sur le sujet concerné.
Un outil pour les candidats aux prochaines élections municipales et pour les équipes intercommunales.
Comme beaucoup nous nous sommes interrogés sur la montée de la revendication référendaire notamment au niveau local et sur sa pertinence. Nous en sommes convaincus, si ce référendum local est augmenté par la participation, il peut être un outil formidable pour améliorer la qualité des décisions publiques, renforcer la confiance entre élus et citoyens, et créer de la cohésion face aux enjeux que nous devons affronter ensemble. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de diffuser le plus largement possible cette proposition du Référendum local augmenté, afin qu’elle puisse être reprise par tous ceux qui souhaitent insuffler plus de participation citoyenne dans leur projet de mandat et tout au long de sa mise en œuvre.
Marie-Catherine Bernard
(1) La Démocratie représentative est-elle en crise ? Luc Rouban Ed. La documentation Française, janvier 2018.
(2) Le bon gouvernement. Pierre Rosanvallon. Ed. Des Livres du nouveau monde, aout 2015.
(3) Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire. Gérard Noiriel. Ed de l’Aube, Avril 2019.
(4) La Démocratie représentative est-elle en crise ? Luc Rouban Ed. La documentation Française, janvier 2018.
(5) Peuplecratie – La métamorphose de nos démocraties Ilvo Diamanti / Marc Lazar – Ed. Gallimard, mars 2019.
(6) La moyenne de participation aux référendums en Suisse stagne autour de 40% cf. La Démocratie représentative est-elle en crise ? Luc Rouban Ed. La documentation Française, janvier 2018.
(7) Ce panel peut être facilement constitué au travers d’un mix d’outils de mobilisation largement éprouvés par Palabreo au fil de nombreuses démarches de concertation, ou pour les opérations de grande ampleur en mobilisant un institut de sondage.
(8) Nimby est l’acronyme de l’expression « Not In My BackYard », qui signifie « pas dans mon arrière-cour ».