La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine aux Conversations Carbone. Cette méthode, originaire d’Angleterre, permet à des groupes d’habitants de se réunir pour réfléchir à leur consommation quotidienne de carbone, dans le but de la réduire. L’initiative permet de créer sur un territoire un espace d’échanges et de liberté où les participants prennent conscience des enjeux liés au climat. Ils sont accompagnés par deux facilitateurs qui les aident dans leur démarche. Les Conversations Carbones ont été mises en place au sein de la communauté de communes Touraine-Est Vallées.
Les équipes de Territoires-Audacieux.fr ont interviewé Mathieu Gaultier, chargé de mission plan climat au sein du service environnement de la communauté de communes, et Émilie Tregouet, qui représente l’Agence Locale de l’Energie et du Climat d’Indre-et-Loire (ALEC37).
Cette initiative a été repérée suite au « Concours : initiatives coup de coeur » co-organisé avec Villes au Carré
Sommaire:
– Mise en place du projet –
Comment l’idée vous est-elle venue ?
Émilie Tregouet : Lors des assises de l’énergie à Bordeaux, en 2017, l’association Conversations Carbone France avait fait une présentation. J’ai été séduite par son dispositif innovant et qualitatif. J’ai gardé leur idée dans un coin dans ma tête. Quand Mathieu m’a contacté et que j’ai appris qu’il réfléchissait à un moyen de mobiliser les citoyens pour le plan climat sur le territoire, je me suis dit que ça collait très bien.
D’où vient le concept de Conversations Carbone ?
Émilie Tregouet : Il est né en Angleterre. Un ingénieur en environnement et une psychothérapeute sont partis du constat que les personnes savent ce qu’il faut faire pour lutter contre le dérèglement climatique (baisser la température de son chauffage, moins utiliser sa voiture, trier ses déchets, etc.) Mais elles ne passent pas à l’acte car il y a des freins. Nous, nous sommes là pour les identifier et les enlever. Ainsi, chacun pourra trouver des solutions par lui-même pour avancer.
Mathieu Gaultier : Aujourd’hui, la méthode des Conversations Carbone se développe en France, accompagnée par l’association Artisans de la transition et des techniciens de l’institut négaWatt. Ils s’occupent des formations à destination des collectivités territoriales et même des entreprises.
À quelle problématique cela répond sur votre territoire ?
Mathieu Gaultier : Dans le plan climat, nous soulignons la problématique de l’énergie dans l’habitat, qui est une grosse source de gaz à effet de serre. Nous avons déterminé qu’une grande partie des habitations sont peu performantes au niveau des économies d’énergies. Si nous arrivons à orienter les personnes vers ce type de réflexion, nous pourrons répondre à cette problématique sur le territoire. Nous avons également d’autres problématiques, liées à notre emplacement périurbain, qui sont la mobilité et la consommation. Prendre sa voiture pour aller acheter une carotte n’est peut-être pas la meilleure option.
Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?
Mathieu Gaultier : Nous avons candidaté en mars 2018 auprès de Conversations Carbone France pour accéder à la formation, qui est payante. Nous avons été acceptés et nous sommes partis en formation pendant trois jours. Dans un premier temps, nous avons bénéficié de la méthode comme des participants lambda, pour comprendre leurs parcours. Ensuite, nous avons appris les techniques de facilitation propre à Conversations Carbone.
Émilie Tregouet : Une fois la formation terminée, comme nous sommes toujours dans l’ambiance, il est recommandé d’avoir directement un groupe à suivre. C’est ce que nous avons fait avec cinq premières personnes. Nous avions un mentor qui nous aidait et nous donnait des conseils. Puis, en avril 2018, nous avons lancé notre premier accompagnement.
– Le projet aujourd’hui –
Comment cela fonctionne concrètement ?
Mathieu Gaultier : Nous sommes ouverts à tous les habitants de la communauté de communes Touraine-Est Vallées. Il faut qu’ils aient la chance de voir nos affiches, nos flyers ou notre communication numérique pour s’inscrire. Mais nous nous sommes rendu compte que le bouche à oreille fonctionne aussi très bien. Le troisième groupe était déjà complet à la fin de la deuxième session car ils avaient entendu parler de nous par un proche. Ce sont des groupes six à dix personnes. C’est assez petit pour garder de l’intimité et permettre à tout le monde de s’exprimer convenablement. Les volontaires contactent la collectivité et s’inscrivent. La première phase se fait avant la première séance. Il s’agit de faire son propre bilan carbone, pour mettre les bases de leur situation actuelle. Ensuite, les cinq premières séances (de deux heures à chaque fois) ont lieu tous les quinze jours, et la dernière un mois après, est un peu spécifique et conclut la formation avec un contenu plus personnalisé. L’ensemble du dispositif s’étend sur deux mois et demi.
Quelle est la méthode ?
Mathieu Gaultier : C’est une approche innovante. Nous organisons des activités courtes et beaucoup de temps de discussion en binômes ou en groupes. Nous cassons les préjugés que nous avions pour nous voiler la face. Par exemple, quand nous demandons aux participants de faire un relevé kilométrique sur le mois, le chiffre est toujours plus élevé que ce qu’ils pensaient.
Émilie Tregouet : À la fin de la formation, nous demandons aux participants d’élaborer leur propre plan d’action. Par exemple, une personne qui prend sa voiture pour aller au travail alors qu’elle pourrait prendre le bus, nous nous demandons pourquoi. En discutant, nous nous rendons compte que cette personne est très sollicitée, qu’il y a beaucoup de bruit chez elle et donc dans la journée, le moment dans sa voiture est son seul moment de tranquillité. Nous faisons alors en sorte qu’elle prévoit du temps pour elle dans son emploi du temps, et qu’ainsi, elle ne prenne plus la voiture. Nous offrons des bulles où les personnes peuvent réfléchir et faire le point, ce qui est assez rare dans nos vies très remplies.
Quel est le rôle des facilitateur.trices ?
Émilie Tregouet : Nous apportons l’information d’une manière différente. Les ateliers sont transversaux et abordent tous les aspects du quotidien. Nous sommes là pour les amener à réfléchir sur leurs modes de vies, se poser des questions.
Mathieu Gaultier : Nous distribuons des livrets aux participants où ils trouvent des informations sur les cinq thèmes abordés pendant les ateliers : le changement climatique, l’énergie dans l’habitat, la mobilité, la consommation et les déchets. Puis, nous nous attardons sur les ressentis de la personne, les idées du quotidien…
Émilie Tregouet : Pour déployer les Conversations Carbone, il faut former d’autres facilitateurs sur le territoire, ça va venir.
Mathieu Gaultier : Par exemple, la collectivité pionnière en France des Conversations Carbone, Biovallée dans la Drôme, est à une étape où les participants deviennent facilitateurs. Il y a également un groupe au sein du personnel de Renault. Des entreprises souhaitant être plus vertueuses pour leur RSE pourraient faire appel aux Conversations Carbone.
– Dupliquer le projet –
Quel impact cela génère-t-il sur votre territoire ?
Mathieu Gaultier : Au Royaume-Uni, les Conversations Carbone existent depuis dix ans, de nombreuses personnes y ont donc déjà participé. En France, il y a une trentaine de collectivités, de territoires qui ont mis ce système en place. Nous, nous avons déjà eu trois groupes donc 21 personnes. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes sur une sensibilisation qualitative et non quantitative.
Émilie Tregouet : Par exemple, dans un des groupes nous avons fait un gros travail sur la consommation énergétique des bâtiments, car c’était une de leur principale préoccupation. Chaque participant est venu prendre rendez-vous avec l’espace info énergie pour réfléchir aux travaux de rénovation énergétique de leur logement. L’ensemble des participants étaient de la même commune, MontLouis. Ils ne s’étaient jamais investis dans le changement climatique et aujourd’hui, ils agissent en marchant pour le climat, militent auprès de leurs élus, etc.
Mathieu Gaultier : Lors de la dernière séance, les participants évaluent la méthode et l’accompagnement. Les retours sont positifs. En général, ils sont agréablement surpris du contenu.
Émilie Tregouet : L’objectif, c’est que chaque participant ressorte plus nourri, plus fort, plus à l’aise sur les sujets que nous traitons. Je pense que nous pouvons dire que nous avons 100% de réussite.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Mathieu Gaultier : Il a fallu convaincre les élus que ce dispositif était innovant et utile car il est peu connu et il coûte un peu cher. Ensuite, il a été difficile de le faire connaître au public car c’est totalement nouveau. Il fallait donner envie au public sans trop en dévoiler.
Émilie Tregouet : Nous devons trouver d’autres facilitateur.trices. Les ateliers mobilisent pas mal de temps à l’organisation et à l’animation. Cette année nous avons fait deux groupes, c’était le maximum que nous puissions faire.
En quoi est-ce un dispositif coûteux ?
Mathieu Gaultier : Nous avons une convention annuelle avec l’ALEC37 qui revient à 4000€. Et puis au début il a fallu se former, les trois jours de formations sont de 1800€ par personne. À cela il faut ajouter les frais de déplacements et d’hébergements ainsi que les kits documentaires. Ensuite, il faut compter la communication (flyers et affiches) et à chaque atelier il y a des frais de bouches. Les participants financent à auteur de 10€ par personne. La première année, le dispositif nous est revenu à 9300€ et la deuxième à 4700€.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un territoire qui souhaite mettre en place cet outil ?
Émilie Tregouet : C’est une méthode très complète qui s’attaque à l’effet rebond. Statistiquement, une personne qui achète une voiture moins polluante va faire plus de kilomètre. Les Conversations Carbone permettent de lutter contre ça. Les participants comprennent les enjeux. Ainsi, ils réfléchissent à leur consommation de manière plus globale. Après la formation, les citoyens se mobilisent sur le territoire, ils deviennent des éléments moteurs sur lesquels nous pouvons nous appuyer.
Mathieu Gaultier : Il faut voir cet outil comme le seul à mettre en place. C’est une animation moderne qui touche tous les sujets et est appréciée du public. Je pense que s’il faut prioriser, c’est sur ça.
Propos recueilli par Léa Tramontin