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Rezo Pouce réinvente l’auto-stop sur les territoires

Cette semaine, la Lettre de l’Impact Positif vous amène à Moissac. Il est techniquement et financièrement impossible de proposer un réseau de transports publics efficaces à 100% en zones rurales ou péri-urbaines. Alors comment réussir à mailler au mieux un territoire ? À cette question, l’association REZO Pouce propose de répondre par la réhabilitation de l’auto-stop. En créant des arrêts dédiés, en établissant un lien de confiance entre voyageurs et conducteurs ou en développant une application numérique, elle a réussi à créer une méthode performante qui a déjà séduit 1200 communes.

Pour nous éclairer sur ce sujet, Territoires Audacieux a rencontré Alain Jean le fondateur et responsable (et ancien élu) de REZO Pouce.

– Introduction –

L’ interview d’Alain Jean est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.

– Mise en place du projet –

Comment l’idée de ce projet vous est-elle venue ?

J’ai été élu pendant quatorze ans à Moissac. En 2010, des étudiants m’ont parlé de l’auto-stop alors que nous menions une réflexion sur les moyens de transport à mettre en place sur notre territoire. Nous nous sommes dit avec mon équipe : comment réhabiliter l’auto-stop ? Comment lever les freins pour que les gens prennent facilement des auto-stoppeurs ou laissent leurs enfants faire de l’auto-stop. Il fallait que l’auto-stop devienne un moyen de locomotion comme un autre. Surtout pour ces jeunes qui n’ont pas le permis ou pas les moyens d’avoir une voiture et qui donc ont des problèmes de mobilité. C’est particulièrement vrai dans nos zones rurales où il n’y a quasiment pas de transports publics.

Vous vouliez donc simplement rajeunir l’image de l’auto-stop ?

Tout à fait. Nous voulions changer l’état d’esprit des gens par rapport à l’auto-stop. C’est aussi un bon moyen de connaître son voisin que de faire quelques kilomètres avec lui ! Il y a plein d’occasions… Aller à la piscine, aller voir ses copains, revenir du lycée ou aller à la gare. C’est de là que nous sommes partis en 2010 à Moissac et sur dix communes aux alentours. Puis nous avons eu le soutien de l’ADEME, les collectivités ont pu réfléchir avec les CCAS ou Emmaüs. REZO Pouce est né de toutes ces réflexions.

Quelles sont les personnes les plus concernées par votre idée ?

Ce sont essentiellement les plus jeunes qui avaient ce besoin-là. Mais le CCAS ou Emmaüs se sont vite rendus compte que c’était également un moyen pour les personnes qui ont moins de moyens pour se déplacer de pouvoir le faire. Aujourd’hui, ce sont toujours les jeunes qui l’utilisent le plus car ils ont plus d’aptitudes à aller vers l’auto-stop et plus de besoins de mobilité. Mais nous sommes en train de nous diversifier. Nous participons par exemple à des ateliers avec Pole-emploi, nous y expliquons aux gens comment mieux se déplacer dans notre système qui est quand même très structuré. Il y a différentes solutions sur un territoire. Il n’y a pas de concurrence entre les dispositifs, ils sont complémentaires. On peut faire de l’auto-stop pour rejoindre une ligne de bus ou la gare. Cela serait tout à fait normal et courant.

– Le projet aujourd’hui –

Comment fonctionne Rezo Pouce à Moissac aujourd’hui ?

Nous avons travaillé pour lever les freins. Principalement, il y a le besoin de confiance. Mais c’est aussi le besoin pour les automobilistes d’être clairement sollicités. Nous avons créé la stop-attitude avec des « arrêts sur le pouce ». Ils permettent de bien montrer où les gens souhaitent aller ou au moins dans quelle direction. Ils vont aussi mettre l’auto-stoppeur en sécurité mais surtout aux automobilistes de pouvoir s’arrêter sans gêner la circulation. Enfin nous avons mis en place des fiches de destination que les gens peuvent remplir très facilement avec une imprimante. Un conducteur qui voit quelqu’un, avec un sourire, à un arrêt sur le pouce et avec une fiche de destination du réseau, la plupart du temps, il s’arrête. Nous avons une efficacité prouvée : les gens sont pris en moins de cinq minutes dans la moitié du temps, à 90% en moins de dix minutes et en moyenne on arrive à six minutes d’attente.

Pour quels types de trajets l’auto-stop est-il un avantage ?

C’est un dispositif pris en charge par les collectivités. Cela rassure les utilisateurs mais cela permet surtout de compléter le réseau existant. Un arrêt à la gare, un arrêt sur une ligne de bus, au lycée ou sur un stade, cela permet de répondre à des pôles générateurs de mobilité qui sont sur un territoire. C’est en complément du transport public traditionnel ou habituel. Cela permet de finir les derniers kilomètres, de rejoindre son domicile ou d’aller à la gare.

Connaissez-vous le nombre d’utilisateurs du service ?

Je préfère parler en pourcentage. Un territoire qui le met en place a au bout d’un an entre 0,8 et 1% de la population qui se sont inscrits au dispositif. Maintenant, au bout de quatre ans, nous sommes à cinq pourcents. Il faut se dire que l’on prend à peu près un pourcent par an d’inscrits sur un territoire. Il faut bien le lancer et communiquer au début. Cela passe par les différents services des mairies mais aussi les commerçants, les associations… Tous les relais qui peuvent être présents sur un territoire.

Comment fonctionne juridiquement Rezo Pouce ?

Niveau structure, nous avons commencé en collectif puis nous avons été une association et maintenant nous sommes une société coopérative d’intérêts collectifs. C’est la structure qui correspond le mieux à ce que nous voulons faire. Nous souhaitons apporter ce dispositif dans les territoires. Notre rôle, c’est d’aider les collectivités à porter ce type de projet. Nous leur proposons un abonnement qui permet de continuer à faire ce que l’on fait tout en les aidant. Il nous permet aussi d’avoir un site le plus approprié possible et de nous développer. Par exemple, nous venons de mettre en place une application smartphone qui met en relation les gens les plus connectés. Cela ouvre d’autres perspectives. Nous avons aussi été sollicités par des entreprises, nous évoluons en permanence.

Quelles nouveautés apporte cette nouvelle application ?

L’application est très simple. Nous l’avons calqué sur la démarche de l’auto-stop. C’est le passager qui allume l’application. Il est automatiquement géolocalisé et indique sa destination. Les conducteurs en fonction de leurs positionnements peuvent alors voir que M. Untel souhaite aller à tel endroit. Si c’est sa route et qu’il souhaite le prendre, il accepte la demande et le voyageur reçoit une notification. Dans les deux sens, il y a, à disposition, le profil de la personne. On peut voir qui fait de l’auto-stop et qui est le conducteur. L’un et l’autre accepte en voyant de le profil de l’autre.

– Comment dupliquer le projet  –

Comment mettre en place Rezo Pouce sur un territoire ?

Dès le début, nous avons été confrontés à l’idée de dupliquer sur d’autres communes notre dispositif. Nous avons donc réfléchi à comment il était le plus pratique de faire. Nous avons donc mis en place un abonnement. Les collectivités s’abonnent et cela leur donne accès à toutes sortes d’outils pour que les gens puissent s’inscrire et avoir les informations. L’accompagnement est encore plus réel au début pour la mise en place avec la formation des ambassadeurs de la mobilité du territoire… Nous mettons également à disposition l’application qui nous coûte de l’argent. Cet abonnement permet de payer tous nos frais et nos salariés. La première année est légèrement surfacturée car il y a plus de travail notamment autour de l’installation.

Quelle charge de travail peut-il y avoir en plus de l’abonnement pour les collectivités ?

Il faut que les collectivités mettent en place les poteaux et les arrêts. Cela va d’un autocollant à six euros quand le lieu est déjà adapté à un poteau de 120 euros voir plus en fonction de la mise en place. Et surtout, il faut travailler la communication et l’animation sur le territoire. Il faut quelqu’un même à temps partiel qui s’en occupe. C’est nécessaire et important la première année mais aussi par la suite pour réussir à ce que l’auto-stop devienne un moyen de transport.

Combien de temps faut-il pour la mise en place sur le territoire ?

La mise en place technique, qui correspond à la période entre la prise de décision et le démarrage, c’est entre trois et six mois. Après il faut au moins trois ans pour que Rezo Pouce soit bien compris par la population. Il faut du temps pour que les habitants comprennent l’intérêt du système et participent. C’est peut-être long mais c’est le prix du changement des comportements. Nous sommes sur une transition de société et nous y participons pleinement avec un dispositif comme celui-là.

Combien coûte votre abonnement ?

Les coûts pour une collectivité de moins de 10 000 habitants sont de 2500 euros par an. Ensuite nous avons plusieurs échelons de taille jusqu’à 100 000 habitants où cela correspond à 6000 euros. La première année, il faut compter à peu près le double pour la mise en place.

Pour quels types de territoire votre projet peut-il s’adapter ?

Ce qui est important, c’est d’être en zone rurale ou péri-urbaine. Il ne faut pas chercher à le développer dans des zones bien pourvues en transports publics. Sinon cela ne va pas se déployer de façon intéressante. Il faut avoir une véritable volonté politique car cela se fera sur trois ans au moins, il ne faut pas demander un résultat sur six mois. Après que ce soit un territoire de montagne ou de mer, pour l’instant nous n’avons pas vu de différences.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne