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Rétablir la confiance entre habitants et élus pour co-produire les projets du territoire

Cette semaine, la Lettre de l’Impact Positif vous propose de rencontrer Jean-François Carron, maire de Loos-en-Gohelle (62). Sa ville est l’un des exemples les plus réussis dans le domaine de la transition énergétique. Située en plein cœur du bassin minier, elle est devenue, grâce à une action politique active, un modèle de développement durable et social. Nous aurions pu réaliser de nombreux sujets sur ce territoire d’à peine 6500 habitants. Ici, la collectivité a construit des bâtiments à énergie positive, récupère l’eau de pluie à l’échelle municipale, ou encore, a recouvert de panneaux solaires le toit de son église. Mais nous avons voulu nous focaliser sur le point commun qui a permis à tous ces projets d’exister : le lien de confiance entre les élus et les citoyens. À Loos-en-Gohelle, chaque nouveau projet est réalisé en co-production avec les habitants, et visiblement, “ça change tout”.

– Introduction –

L’ interview de Jean-François Carron est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.

– Mise en place du projet –

Comment avez-vous enclenché le processus participatif ?

Je suis maire depuis 2001 mais j’étais, depuis 1995, conseiller municipal en charge de l’urbanisme et du développement. J’ai commencé à mettre une touche personnelle autour de la participation habitante lors de la révision du plan d’occupation des sols cette année-là. Cela a été un intense processus participatif pour définir notre « projet de ville ». Nous étions juste à la fin du charbon et cela posait la question du devenir du territoire. Nous étions faits pour le charbon et par le charbon. Cette révision de notre avenir a été propice à un intense processus participatif.

C’était une phase de transition pour votre territoire ?

À l’occasion de plan de révision des sols, nous avons effectué un diagnostic. Il faisait apparaître un certain nombre de problèmes individuels. Par exemple, nous avions l’eau la plus polluée de France. Immédiatement, apparaissaient donc des actions sur le champ de l’eau, récupérer l’eau de pluie, la ré-infiltrer, etc. C’est comme ça qu’est apparue l’une de nos actions : depuis 15ans nous ne consommons plus d’eau potable pour l’usage de la ville. Nous arrosons les terrains de foot avec de l’eau de pluie. C’est juste du bon sens mais ça ne se fait nulle part. On a vu arriver à l’occasion de ce diagnostic de nombreux sujets comme celui-là qui se sont transformés en expérimentations. Quand je suis arrivé maire, ce que j’ai voulu, c’est transformer ces actes individuels en stratégie municipale pour s’attaquer à la transition au sens large du terme. Nous incarnons la transition 30 ou 40 ans avant les autres. Il n’y a que depuis dix ans que certaines communes se posent ces questions. Nous avons dû avoir une transition brutale car nous avons tapé dans le mur bien avant les autres territoires. Les questions de résilience, de changement de comportements, culturels ou de faire apparaître de nouvelles ressources, ce sont des sujets sur lesquels nous avons de l’expérience.

Et c’est la mutation de votre territoire qui a entraîné la participation des habitants ?

Notre commune a connu le charbon. Il est parti. Je suis la première génération qui a dû traiter l’après-mine et inventer un futur. C’est pour cela que la participation habitante est importante. Nous sommes dans une phase de réinvention et je pense que l’on ne peut le faire que dans un processus participatif. Pour moi, il est impossible de le faire depuis « en haut », de dire aux habitants : « J’ai pensé pour vous et on va prendre telle piste… » Ce n’est pas aussi simple. Cette mutation profonde est génératrice d’un grand mouvement avec la population.

– Le projet aujourd’hui –

Comment cette participation habitante se manifeste-t-elle à Loos-en-Gohelle ?

Pour caricaturer mon propos mais me faire comprendre, je dirais deux choses. La première, c’est que la démocratie participative ne me va pas du tout. Ce terme date de la campagne présidentielle de Ségolène Royale. Son concept, c’était réunir les gens pour qu’ils disent ce qu’ils veulent. Et ça je suis en opposition frontale car cela accrédite une posture de consommation de l’action publique. C’est l’équivalent du supermarché : comme je paye mes impôts, j’ai droit, j’exige et je veux… Cette posture vient du fait que nous avons une puissance publique très organisée. Le deuxième point, qui est plutôt une formule, c’est que « participation sans responsabilisation égal piège à con ». L’intérêt général, ce n’est pas la somme des intérêts particuliers. Il y a quelque chose de l’ordre de la construction collective à faire émerger l’intérêt général à partir de positions individuelles contradictoires. J’utilise plutôt l’idée d’implication habitante ou d’habitants acteurs. Cela n’empêche pas les gens de revendiquer, mais ils doivent prendre une part de la résolution.

Qu’est ce que cela change ?

Cela change complètement les relations dans la ville. Au lieu que chacun dise « j’exige », les habitants disent « Monsieur le Maire, là il y a un problème » mais ils prennent une part dans sa résolution. C’est ce que l’on réaliser par exemple dans les programmes 50/50. Nous avons eu une quarantaine d’opérations comme cela. C’est parti d’initiatives d’habitants. Elles venaient s’ajouter au travail habituel de la ville. Nous avons alors mené un contrat qui dit : « Voilà ce que la ville va faire et voilà ce que les habitants vont faire ». Par exemple, pour un projet nouveau de fleurissement d’un quartier, après l’avoir élaboré ensemble, nous disons que la ville amène les fleurs, mais par contre les citoyens vont arroser et désherber pendant toute l’année. Sur le même principe, nous avons réhabilité certains chemins agricoles avec les agriculteurs. Nous avons loué le matériel et acheté les matériaux et ce sont eux qui ont fait la pose. Il y a aussi le nettoyage de certains espaces, et même la création du skate-parc où les gamins ont mis la main à la patte pour faire de la peinture. Du coup, nous avons de l’implication des habitants qui participent au fait que la ville, c’est leur affaire et pas uniquement celle des élus.

Quels sont les bénéfices de cette méthode ?

Il y a beaucoup de bénéfices. Déjà, les gens se sentent reconnus. Quand on s’adresse à eux, cela veut dire qu’ils existent. Pour la partie de la société qui est incluse, cela paraît aller de soit mais pour les autres, c’est une occasion de les refaire venir pour des histoires de proximité qui comptent. Donc nous avons une meilleure inclusion sociale. Il y aussi plus d’intelligence pour les projets car les gens ont une expertise de vie de leurs quartiers. Il y a des choses que nous ne pouvons pas deviner. L’expertise d’usage pour réaliser de bons projets, c’est important ! Cela recrée aussi un dialogue élus/population qui est sain. Enfin, nous avons une population beaucoup plus formée et pertinente sur la façon de vivre la ville. Je pense que c’est ce qui fait qu’à Loos-en-Gohelle, nous avons un des plus faibles scores du FN de la région. Je pense que cela se joue dans la montée du pouvoir d’agir. Nos habitants ne sont pas seulement spectateurs ou quémandeurs, ils sont acteurs. C’est une forme de baguette magique. Maintenant, quoi que l’on entreprenne cela prend.

Concrètement comment entamer ce changement de mentalité ?

Sur l’idée de rendre les habitants acteurs, il y a de nombreuses pistes. La première, c’est un fort soutien à la vie associative. Nous avons un chargé de mission qui les accompagne et nous n’avons pas réduit le budget des associations malgré les baisses de dotations. Nous avons considéré que c’était un choix politique. Résultat, nous avons eu un doublement des associations en 15 ans. C’est autant de services et un premier espace de responsabilisation des gens. Ils se retrouvent entre eux, gèrent un micro-budget… C’est un espace d’investissement pour ceux qui y sont.

Vous avez un exemple concret de co-production mairie/habitants ?

L’exemple le plus limpide c’est la route départementale que nous avons dû refaire face à la mairie. À ce moment-là, nous ouvrons un débat avec les riverains dans lequel nous disons tout ce qui n’est pas négociable comme la largeur de la route, la profondeur des tuyaux qui exige de bloquer la route pendant six mois… Par contre, on pose toutes les autres questions : est-ce qu’on met une piste cyclable ? Est-ce qu’on met des stationnements et à quel endroit. On soumet un maximum de possibilités à la construction collective. Au début, cela a beaucoup perturbé le conseil départemental, car d’habitude, ils font travailler un bureau d’étude, ils le présentent au maire et puis ils se contentent d’indiquer aux habitants ce qui va leur arriver. Là, c’était forcément plus compliqué. Il y avait des esquisses de solutions et tout a été débattu. Pour cela, il a fallu des outils de participation comme un « wiki » où chacun pouvait tout consulter ou un forum où les gens échangeaient… J’ai vu des merveilleux débats autour de la piste cyclable par exemple. C’est de l’élaboration collective. Tout cela c’est extrêmement pédagogique pour les habitants. Et à l’arrivée, quand l’ingénieur du conseil départemental est reparti, il m’a dit « au début je vous ai maudit mais effectivement on perd deux ou trois mois au départ mais après on a plus de soucis et de contestations… ». C’est un exemple comme un autre mais il est significatif. Pour le skate-parc avec les gamins, ça a été la même chose. Nous avons pris le temps d’aller en voir plusieurs dans différentes villes, d’établir un budget…

Finalement c’est la mise en place d’une véritable discussion avec les citoyens ?

Nous discutons. Nous fixons les règles du jeu par exemple le financement. Et avec ça on fait de la construction collective. Autre piste, j’adore les pétitions. Au début, ma secrétaire me disait « Il y a une pétition, le peuple se révolte… » Mais non ! Une pétition c’est génial ! Ce sont des gens qui ont discuté pour se mettre d’accord sur un intitulé avant de taper à la porte des voisins pour leur faire signer. Il y a une énergie collective là-dedans. Pour moi c’est intéressant, il me faut les adresses de chacun car cela veut dire que ce sont des gens qui ont fait un bout du chemin pour s’intéresser à la cause publique. C’est une logique égoïste au départ mais après on les fait venir en mairie et le processus commence. C’est important de partir des besoins des gens. Si vous parlez du réchauffement climatique, ça n’intéresse personne ! En revanche, si vous évoquez le fait que les gamins se prennent à la sortie de l’école les gaz des pots d’échappement… C’est autre chose. On part d’un problème local et on agit en proposant un plan d’éco-mobilité pour accéder aux écoles à pied.

Comment se déroulent vos 50/50 ?

Les 50/50 dont j’ai parlé tout à l’heure repose sur la fierté de réaliser des projets. Si on prend les agriculteurs, je n’avais pas toujours de bonnes relations avec eux. Depuis que l’on a refait ensemble les chemins, c’est génial. À chaque journaliste qui vient les filmer, ils sont ravis de raconter qu’au lieu de coûter 100 000 euros à la ville, cela a coûté 30 000 euros. Ils ont le sentiment d’avoir permis la réalisation d’économies et de s’être pris en main. Il y a vraiment beaucoup d’exemples et dans tous les domaines. Dans le champ culturel, nous réalisons aussi énormément d’oeuvres collectives à partir d’initiatives d’habitants. Il y a eu notamment tout un opéra pour enfant avec une écriture collective sur la ville…

Quel bilan tirez-vous de vos actions avec les habitants ?

La co-production, sous toutes ses formes, génère une ville dans laquelle les habitants ont pu mettre leur empreinte et peuvent prendre leur part. Et ça pour moi, c’est très important dans la période que nous traversons de changement de civilisations, d’époques… Tant que nous n’avons pas d’imaginaire positif, il existe la tentation de grogner, de revenir à hier. Ici, le fait que les gens mettent du sens crée une mise en perspective qui crée de la joie. J’utilise souvent le mot désir. Le développement durable qui est totalement mon credo, c’est juste merveilleux, il faut avoir du désir pour cela. C’est pas une somme de contraintes. À l’échelle de la ville, c’est opérationnel. Les gens peuvent s’en saisir et ça marche.

– Comment dupliquer le projet  –

Pour les élus qui souhaitent suivre votre voie, quelles qualités cela requiert ?

Déjà il faut une volonté politique inébranlable. C’est loin d’être facile au début. Il y a toute une phase d’apprentissage compliquée. C’est ce que l’on peut appeler des compétences collectives et des savoirs-être individuels. Construire ensemble, cela nécessite de se renifler… Que se dégage de la confiance entre acteurs. Il faut parler, oser prendre des initiatives, ne pas être jugés… Il faut une volonté politique de prendre le temps, et même de créer des espaces de formation. Pour mon équipe d’élus et pour le personnel, nous avons mis en place ces formations. Savoir animer une réunion, savoir écouter une parole et la retranscrire, c’est vachement compliqué. Lors d’une réunion publique, quand les gens viennent il y a toujours des choses qui ne vont pas dans le projet ou dans leur vie. Il faut qu’ils vident leur sac. Pour réussir à avancer, il faut un nouveau savoir-être pour les élus.

Quels sont les pièges à éviter ?

Une participation habitante plus importante, cela veut dire qu’il peut y avoir des courts-circuitages dans l’ordre des choses à faire pour la ville et ce n’est pas facile pour les fonctionnaires. Je pense notamment au poste de directeur général des services. Il a toujours 300 demandes de travaux en cours et on fait une réunion publique où l’on décide de bousculer l’ordre des priorités. Cela a une conséquence directe pour lui. Cela va lui demander un changement de savoir-faire. De façon générale, cela ne se fait pas en un mandat. C’est un changement culturel. C’est comme avec les enfants ! Avec un à qui on ne laisse aucun espace d’apprentissage, de droit à l’erreur et d’expression, il va arriver à l’âge adulte avec une culture d’entreprendre qui ne sera pas la même qu’un enfant ouvert sur le monde, etc. C’est pareil avec la population. Il faut d’abord retrouver la confiance et pour cela, il y a besoin de preuves. Au début, les gens observent, ils disent « la mairie ouvre un débat mais rien se passer… ». Tout de suite, il faut montrer qu’au contraire il y a du grain à moudre, que le sujet n’est pas ficelé et qu’on va tenir compte de leur avis et agir en conséquence.

C’est un ensemble de petites méthodes à maitriser ?

Oui mais c’est aussi de la technologie. Par exemple, il faut une salle avec un micro qui fonctionne ou des réunions qui ne démarrent pas une demie-heure après le début officielle, pour se terminer deux heures après l’heure annoncée. Moi je dis que si c’est 18h30, à 18h31, je donne la règle du jeu. Voilà le sujet dont on parle. Et à 20h, on termine. Ca peut paraître de la bricole mais pas du tout. Il n’y a rien de pire que d’aller à une réunion où l’on va devoir sortir avant la fin en se levant devant tout le monde. Il faut aussi une prise de note intelligente et des outils de communication bien ficelés. Par exemple, pour les cartes, beaucoup de Français sont largués face à un plan d’urbanisme : il faut trouver comment bien leur montrer le projet ! Il y a une technologie de la réunion et de l’échange qui va créer les conditions d’une expression. J’impose aussi qu’il y ait un compte-rendu de chaque réunion et que celui-ci soit distribué dans tout le quartier où nous avons fait des invitations. Comme ça, ceux qui ne sont pas venus ont l’info et peuvent se dire « ah tiens c’était intéressant ». Le bilan, c’est qu’on a plutôt de plus en plus de monde car les gens ont compris que ce ne sont pas des espaces de construction pipeaux.

Quel est le bilan de vos actions ?

Nous avons créé une ambiance générale dans laquelle, nous avons retrouvé une fiabilité de la parole. Notamment celle des élus. Il y a un vrai déficit sur celle-ci et je crois que ce n’est pas le cas à Loos-en-Gohelle. Nos résultats électoraux plaident pour nous. Il y a une confiance. Les gens ne sont pas forcément d’accord avec moi sur tous les sujets, loin de là. On va trouver des sujets d’écart. Mais les gens savent que rien ne sera fait dans leur dos ! Il y a un sentiment que cela pulse. Sur la démocratie, les habitants apprécient d’avoir des espaces d’expressions. La confiance est présente et c’est important pour les gens.

Est-ce plus facile de développer cette confiance en misant sur le développement durable ?

Non je ne crois pas. Je ne suis pas sûr que l’on trouve une seule personne qui indique qu’elle ne souhaite pas du développement durable. Vouloir créer des emplois, de la richesse tout en respectant la planète: 100% des Français seront d’accord. Ce qui est plus compliqué, c’est la conduite de changement. Nous pouvons tous être convaincus qu’il ne faut pas prendre la voiture pour faire 500m mais en pratique nous allons souvent le faire. Il y a un changement de posture qui touche à l’intime. C’est ce que l’on appelle la dissonance cognitive. C’est-à-dire qu’il y a un écart entre ce que l’on fait et ce que l’on pense qu’il faudrait faire. À l’échelle d’une ville, on vient régulièrement buter sur ce problème. Par exemple, je fais toujours en sorte que nos appels d’offre soient éthiques, durables… Mais parfois c’est compliqué ou limite juridiquement et il y a forcement une tendance naturelle à revenir au standard. C’est comme cela pour tout. Une de mes formules préférée c’est : “une innovation c’est une désobéissance qui a réussi.”

Que voulez-vous dire avec cette expression ?

Il faut commencer par désobéir et pour plein de gens, c’est compliqué. J’ai plein d’exemples. Quand nous avons voulu utiliser l’eau de pluie pour les WC de l’école, le préfet ne voulait pas nous donner l’autorisation. À la fin, je lui ai écrit en lui disant que c’était effectivement un vrai problème si les enfants mettaient leur tête dans les toilettes pour boire l’eau du fond. Mais qu’à titre personnel, ce n’était pas l’eau de pluie qui me posait problème. Je suis passé outre l’interdiction et j’ai mis en place le système. Et le préfet ne m’a jamais traduit en justice car quelque part c’est du bon sens. À son poste, il est juste limité par la loi. Dans la conduite du changement, nous sommes amenés à une perte des repères culturels, à des désobéissances de la pensée unique et de l’ordre établi. C’est pas si simple. La conduite de changement, cela réclame du temps.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne