La lettre de l’impact positif vous propose cette semaine de découvrir une initiative de la ville de Pessac en Gironde. L’équipe municipale collabore avec une association pour mettre en relation les personnes âgées ou isolées du territoire avec des citoyens aidants potentiels. Le lancement est prévu en mai mais certaines fonctionnalités ont été mises en ligne pour répondre à la crise du covid19. Ainsi, durant la période de confinement, la mairie bénéficie d’un outil efficace pour ne laisser aucune personne seule.
Pour en savoir plus sur cette initiative, nous vous proposons une interview croisée de Franck Raynal, le maire de Pessac, et Stéphane Lafitte, le fondateur de l’association SoBeezy à l’origine du projet.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
D’où vous est venue cette idée de collaborer avec SoBeezy ?
Franck Raynal : Cela a été réfléchi avec plusieurs acteurs du territoire. Cela date de trois ans. L’association a été lancée par Stéphane Lafitte, un professeur de cardiologie du CHU de Bordeaux. C’est un Pessacais et il est très investi sur le fait de travailler autour de la télémédecine. Il travaille avec une personne de notre Conseil municipal, Karine Peres. Elle est conseillère municipale déléguée au « vieillissement réussi » et chercheur dans ce domaine. Ils souhaitaient monter une plateforme d’entre-aide avec un appui numérique mais accessible à toutes les personnes âgées ou handicapées.
Quelle était l’idée ?
F.R. Ils souhaitaient mettre en relation ces personnes isolées avec des offreurs d’aide. L’idée initiale sera mise en place en mai. L’association, SoBeezy a développé une boite numérique vocale, qui ressemble à Google Home mais sans aucune technologie d’une multinationale (tout est développé en France). La personne seule peut commander juste avec sa voix de l’aide en disant « SoBeezy, est-il possible d’avoir quelqu’un pour aller chercher mes médicaments. » Cela la met automatiquement en relation avec une personne qui peut l’aider et qui est disponible.
Stéphane Lafitte : Pour compléter, notre dispositif a véritablement pour objectif de lutter contre l’isolement des personnes âgées ou en situation de handicap. Nous visons à maintenir à domicile le plus longtemps possible par le fait de créer du lien social. Nous souhaitons engager à travers un hub de services, l’ensemble de solutions promues par notre organisation sociétale. Nous ne souhaitons pas créer du service mais nous appuyer sur ceux existants y compris ce qui n’est pas, aujourd’hui, bien organisé comme les contributions citoyennes. Chacun peut amener un service de façon très ponctuelle. Cette ressource n’est que très peu utilisée dans nos sociétés même si c’est un peu plus le cas lors d’une crise comme celle que nous traversons. Nous concentrons donc les potentialités de notre société. Le citoyen, l’associatif et le réseau des professionnels.
Comment cette idée a-t-elle été adaptée à la crise actuelle ?
Franck Raynal : Vous imaginez bien qu’en mars, nous ne pouvions pas être prêts pour un service qui devait être lancé en mai. En revanche, nous avons bénéficié d’un travail de fond réalisé par l’association. Elle est hébergée à Pessac et avait déjà recensé 130 aidants volontaires. Nous avons complété avec un appel à volontariat sur le site de la ville. À l’heure où je vous parle, il y a déjà 237 personnes qui se sont manifestées. L’association mène tout un travail pour vérifier que ce sont des personnes de confiance. C’est très important. D’un autre côté, nous avons des personnes qui demandent de l’aide. Sur notre territoire, il y avait ce matin une dizaine de personnes qui souhaitaient de l’aide pour des courses et une vingtaine qui aimeraient recevoir des appels de courtoisie. Il y a également besoin de trajets pour aller chercher des médicaments. C’est un démarrage progressif mais avec la durée du confinement cela va augmenter rapidement.
Stéphane Lafitte : La crise COVID19 exacerbe les phénomènes d’isolement. Elle majore les problématiques des personnes ayant des difficultés à s’alimenter ou trouver des solutions dans leur environnement. C’est quelque chose pour laquelle nous avons voulu lutter immédiatement avant même d’avoir la capacité de la plateforme (qui ne sera livrée qu’en mai). Nous avons préféré plutôt que d’attendre, de dégrader, dans le fonctionnement, notre dispositif en mettant un certain nombre de bénévoles en lien avec celles et ceux ayant des besoins.
Vous avez gagné du temps grâce à votre travail de préparation ?
S.L. Effectivement, nous avions très clairement identifié des bénévoles se mettant à disposition. Nous avions aussi connaissance de personnes isolées. Elles se manifestent et sont dans une nécessité d’aide immédiate.
Est-ce facile de répondre à la demande ?
Franck Raynal : Oui. D’autant plus que le professeur Lafitte a, dans le cadre de son application, décidé de travailler avec des étudiants de cinquième année de la fac de pharmacie. Ils constituent une base de volontaires pour aider sur les médicaments et les conseils de santé de base. Il y a donc à la fois des citoyens investis qui veulent faire preuve de fraternité et d’entre-aide et ces étudiants.
Quelles ont été les différentes étapes de mise en place depuis la déclaration du confinement ?
F. R. Dès que le confinement a été annoncé, et même un peu avant, l’association m’a contacté pour dire qu’il y avait une possibilité d’utiliser leurs volontaires. Les personnes âgées étant les personnes les plus vulnérables dans cette crise du coronavirus, il est important de leur faire des propositions. Avec le CCAS de la ville nous avons utilisé le fichier canicule pour essayer de contacter les 700 personnes âgées recensées. Mais le nombre de personnes âgées est plus important. Il fallait élargir la proposition. Il y a des habitants de la ville qui, sans être isolés, ne souhaitent pas sortir ou sont inquiètes. Nous avons donc fait une information par internet et la presse locale. Le CCAS reçoit des centaines d’appels chaque jour. Nous faisons la promotion de notre plateforme à toutes celles et ceux qui semblent en avoir besoin. Les boîtiers ne pouvant pas encore être mis en place, nous proposons avec l’association un support téléphonique pour gérer les demandes.
– Le projet aujourd’hui –
Comment fonctionne l’initiative au quotidien ?
F. R. SoBeezy gère la mise en relation entre les personnes. De son côté, la municipalité s’occupe de la promotion du service. Le CCAS ne gère que ceux qui sont dans le fichier canicule ainsi que celles qui font de nouvelles demandes comme le portage de repas… En fonction de la demande, nous sommes obligés de prioriser et parfois nous réorientons vers SoBeezy. Ce qui est bien tombé, c’est que le dernier journal municipal avant les élections, en février, a fait sa une sur l’association lui donnant un peu de visibilité. À partir du moment où nous avons plus d’aidants que de bénéficiaires, nous ne sommes pas débordés.
Votre proposition est présente sur le site internet de la ville ?
F. R. Nous avons créé le lien et l’appel sur le site de la mairie vendredi 20 mars à midi. Nous avons pris le temps de bien l’organiser avant. Avec SoBeezy, nous nous sommes mis d’accord sur le fonctionnement jeudi. Depuis, le relai est fait depuis le site de la ville vers celui de l’association. Il y a deux façons de fonctionner. Sur le site de SoBeezy pour s’enregistrer et faire une demande ou via un appel au CCAS de la ville.
Quelles sont les types de personnes proposant de l’aide ?
Stéphane Lafitte : En temps normal, dans notre dispositif nous avons beaucoup de personnes à la retraite. Mais depuis le début de la crise COVID19, il y a des personnes de tous horizons. Il y a un élan de générosité, d’entraide et de solidarité qui se manifeste. Cela confirme les hypothèses que nous avions imaginé dans le cadre de notre projet SoBeezy. Nous pensions qu’au fond de chaque être humain, il y a cette capacité à se tourner vers autrui et de potentiellement lui venir en aide.
Votre projet favorise le passage à l’acte ?
S. L. Exactement. Nous parlons de coordination. Si de façon très simple, par exemple sur son smartphone, je suis averti qu’autour de moi il y a besoin d’aide, je vais être interpellé et avoir un moteur motivationnel qui va me permettre de passer à l’acte.
Du côté de l’association, comment se déroule la procédure à partir du moment où une personne entre en contact avec vous ?
S. L. Nous avons une veille téléphonique ainsi que des inscriptions possibles sur notre plateforme web. Les personnes s’inscrivent ou elles sont inscrites par des intermédiaires. Cela peut être des agents municipaux ou certaines personnes de l’association. Nous observons également quelque chose de très intéressant. Des bénévoles viennent également en support de dépistage des personnes à risque. Cette veille basée sur la solidarité permet de faire remonter les besoins de terrain. Ensuite, nous gérons la coordination de façon manuelle. Nous avons une personne qui s’occupe de regarder en fonction de la demande quelle est la personne la plus à même de remplir le service. La mise en lien se fait principalement par téléphone ou par mail.
De quoi ont-elles besoin depuis le début du confinement ?
S. L. Il y a un fort besoin de contact téléphonique. Nous parlions de visite de convivialité avant le coronavirus. Maintenant, nous parlons d’appel téléphonique de convivialité. Il y a des personnes qui ont besoin de parler, de raconter et d’exprimer. C’est en fait un besoin de lien social. Le second besoin est lié aux courses.
Quel est le profil de ceux demandant de l’aide ?
S.L. Majoritairement, ce sont des personnes âgées. Mais nous travaillons également le CHU de Bordeaux. Nous proposons aux personnes sortant d’hospitalisation. Quand vous sortez en milieu confiné, c’est quelque chose d’extrêmement pénalisant pour reprendre une vie normale. Qui plus est avec une pathologie. Nous pouvons donc aider ces personnes–là.
Comment gérer la sécurité dans la mise en relation entre les utilisateurs ?
Franck Raynal : Nous le gérons grâce au partenariat avec SoBeezy. L’association prend les précautions pour auditionner les volontaires. C’est un peu une cooptation qui a été imaginée pour le service final. L’idée c’est d’aller vers un agrément pour les personnes qui souhaitent aider. L’association reçoit chaque volontaire pour mieux les connaître.
Stéphane Lafitte : Il y a un système de vérification et de sécurisation des services. Nous y travaillons depuis plus de deux ans car c’est un sujet extrêmement sensible. Lorsque notre plateforme sera fonctionnel début mai, nous aurons une procédure qui passera notamment par le fait de demander des informations de sécurité pour créer une boucle avec le téléphone, l’adresse postale et la carte d’identité de la personne qui souhaite aider. Nous faisons ces vérifications en lien avec la police municipale. Pour l’opération COVID19, nous partageons les informations que nous recueillons avec la police municipale et la mairie afin de nous assurer qu’il n’y ait pas de problème sur certains profils. De puis, nous confions les missions les plus vulnérables à des « bénévoles qualifiés ». C’est un travail fondamental et nous préférons avoir moins de bénévoles mais mieux les connaître.
In fine, à partir du mois de mai, pensez-vous qu’il sera important de pouvoir compter sur le numérique pour coordonner l’aide aux personnes isolées ?
Franck Raynal : Nous imaginions pouvoir nous baser sur la facilité avec laquelle il est possible d’utiliser les nouvelles technologies. La box proposée par SoBeezy réagi à la voix. C’est un assistant vocal. Imaginez en cas d’urgence lors d’une chute. Cela peut être utile même si ce n’est pas l’objet premier. Il nous a semblé intéressant de s’adresser à l’ensemble des personnes et notamment à celles qui souffrent de la fracture numérique. Trois villes vont servir de test à SoBeezy à partir du mois de mai : Pessac, Saint-Jean de Luz et Saint Yrieix la Perche (87).
Sur votre territoire, avez-vous senti un élan de solidarité depuis le début du confinement ?
F. R. Nous le voyons sur les réseaux sociaux. Il y a beaucoup de générosité. Cela se met en place progressivement. Il y a une proposition d’aide vraiment très forte. Après, il y a beaucoup de personnes perdues. C’est pas tout de vouloir aider, il faut trouver comment le faire. L’avantage d’une structure comme SoBeezy c’est d’avoir sur un territoire des personnes qui gèrent la mise en relation. Le fait que ce soit des personnes compétentes qui gère cette partie est importante. Cela permet par exemple de savoir où s’arrêter avant de se mettre en danger. Il faut savoir se protéger soit même par moments.
– Dupliquer le projet –
Quel a été le premier impact mesuré ?
F. R. Les premiers échanges ont eu lieu. Nous avons recensé en ce début de matinée (interview enregistrée lundi 23 mars) déjà 30 personnes ayant demandé de l’aide. Sous quatre formes différentes : les courses, les médicaments, de l’aide pour sortir les animaux de compagnie et des appels de courtoisie. C’est important que les gens ne sentent pas seuls.
Comment se sont déroulés ces premiers échanges ?
Stéphane Lafitte : Avec les personnes en sortie d’hospitalisation, il y a effectivement une quarantaine de personnes. Pour cette catégorie de personne 98% des personnes à qui nous avons proposé le service ont demandé à être rappelée pour un nouvel échange. C’est gage d’un bon fonctionnement de notre service. Il y a besoin d’un lien social et que celui-ci soit reproduit à échelle courte. Les premières courses ont eu lieu et tout s’est très bien déroulé. Le contact téléphonique est aussi très demandé. Le confinement est compliqué pour tout le monde mais c’est une problématique majeure pour les personnes âgées ou en situation de handicap.
Comment le montage financier s’est-il déroulé ?
Franck Raynal : Le financement ne concerne que le fonctionnement définitif du système. L’association a monté son projet et a convaincu les différents financeurs pour obtenir des subventions. Il y a les collectivités locales, la région Aquitaine et l’Etat. De notre côté, cela représente environ 30 000 euros. Nous mettons également à la disposition de l’association des locaux.
Stéphane Lafitte : Nous voulions proposer une expérimentation. Après une discussion avec l’agence régionale de santé, nous avons convenu qu’il serait intéressant de faire un test sur trois types de territoires différents. Nous ne savons pas encore combien la présence d’une structure comme la nôtre sur un territoire coûtera sur le long terme. En revanche, si nos hypothèses sur l’efficacité de notre dispositif sont confirmées, nous avons pour volonté de diffuser au niveau national notre projet. Je pense que nous pourrons intéresser des municipalités mais aussi des départements ou des régions. Cela pourrait aussi être le cas d’acteurs privés.
Quelles ont été les difficultés rencontrées jusqu’à présent sur l’ensemble de votre projet ?
S. L. Je dirais que le plus compliqué à gérer, c’est l’acceptation des services existants. Nous avons réussi à nous imbriquer dans le fonctionnement de la municipalité, ici à Pessac, notamment au niveau du CCAS. C’est très important et c’est pour ça que nous avons une place authentique et légitimé. Ce n’est vraiment pas évident au premier abord car le premier réflexe c’est plutôt « nous allons nous débrouiller tout seul ». Nous ne sommes pas concurrents, nous souhaitons coordonner. La deuxième difficulté se situe dans le fait d’identifier des personnes qui sont sous la ligne des radars. C’est un travail extrêmement complexe. Il faut notamment avoir une image rassurante pour le public cible. Notre modèle non-lucratif a une part importante dans ce domaine.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne