La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à une dynamique de territoire liée aux énergies renouvelables. La communauté d’agglomération Mauges Communauté, située sur une zone avec un bon potentiel éolien, propose à ses habitants de co-développer avec elle des projets. Elle a notamment créé une société d’économie mixte avec laquelle elle soutient les projets que les citoyens souhaitent lancer. Ainsi, les dividendes créés par le projet reste à l’échelle locale et peuvent être ré-investies. La Communauté de communes souhaite ainsi être un territoire à énergie positive en 2050.
Pour en savoir plus, nous avons interviewé Franck Aubin, Vice-Président Transition énergétique de Mauges Communauté.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
Comment cette idée vous est-elle venue ?
Entre les années 2003 et 2006, nous avons été très sollicités dans les communes par des développeurs. Ils souhaitaient mettre en place des éoliennes. Ils étaient très insistants. Il fallait arrêter cela. Nous avions besoin d’un peu de visibilité. C’est pour cela que nous avons développé les premières ZDE (Zones de développement Eolien). En même temps, nous étions curieux de voir la réaction de notre population. Une sociologue a donc travaillé autour d’une question : « Comment les personnes du territoire allaient prendre l’installation d’éoliennes ? ». La réponse a été sans appel. Les habitants étaient favorables. Pour eux, elles étaient synonyme de développement économique. Cela s’est confirmé par la suite. Nous n’avons jamais eu de recours contre nos projets.
Votre idée était de favoriser les investissements citoyens ?
Il y eu plusieurs étapes. Nous nous sommes rendus compte (après la création des premières éoliennes) que ce sont des fonds de pension italiens ou australien (mais jamais français) qui sont la plupart du temps à l’origine des projets. Ils ne viennent pas par hasard sur nos territoires. En fin de compte, la part redistribuée au territoire correspond à des miettes. Nous avons voulu savoir comment nous pouvions prendre notre part de manière plus importante. Pour cela, il n’y avait qu’une possibilité : prendre part à l’investissement. Nous n’avons pas pu le faire tout de suite. Ce sont donc des citoyens qui se sont lancés. Nous les avons accompagnés. Notamment à travers un système d’aides remboursables, et d’accompagnements juridiques et financiers. De fil en aiguille, nous avons aussi souhaité devenir investisseurs. Aujourd’hui, nous investissons au côté des citoyens. Et pour monter un projet sur notre territoire, il y a un leit-motiv à respecter : il faut que les projets soient avec une gouvernance territoriale. C’est à dire que la SAS créée soit détenue à la majorité par des acteurs de notre territoire. Cela a été une véritable révolution.
Quelles ont été les différentes étapes de mise en place du projet sur le territoire ?
La première étape correspond à la réforme territoriale. Notre territoire était organisé en six communautés de communes. Il a été décidé que celles-ci devaient devenir des communes nouvelles et qu’une Communauté de communes allait se créer pour les regrouper. C’est ainsi qu’est née Mauges Communauté. Pour les ENR, nous avions une de nos Communautés de communes qui était très active dans l’installation de panneaux photovoltaïques et dans l’éolien. Des initiatives avaient déjà vu le jour via des avances remboursables. Progressivement, il est devenu admis parmi les citoyens qu’il fallait arrêter le développement anarchique des éoliennes car elles étaient toutes détenues par des fonds d’investissement. Pour l’ensemble des acteurs, il y avait donc l’occasion de se lancer dans la transition écologique en appliquant ce modèle à l’ensemble du territoire. Nous avons voulu que notre collectivité passe de facilitateur à acteur. Nous avons donc vu avec l’association de citoyens qui s’était créée pour investir avec eux dans un deuxième parc éolien. Le cheminement a été progressif. Surtout que nous avons ensuite décidé de devenir un territoire à énergie positive en 2050 et nous avons vu qu’il fallait accélérer.
Comment passer de facilitateur à acteur ?
Il faut apprendre à se connaître. Nous avions une association de citoyens qui venait d’acquérir un premier parc. Ses membres avaient acquis une certaine expérience. Nous devions nous baser sur celle-ci. Je pense que de leur côté, ils ont compris que recevoir l’aide d’une collectivité pouvait avoir du sens. Progressivement, nous avons appris à gérer ce type de projets. Actuellement, nous développons un projet où nous gérons le foncier par exemple. C’est nouveau. Mais c’est important car quand nous allons voir les riverains, nous le faisons en tant que porteur de projet territorial. Cela demande beaucoup de compréhension entre tous les acteurs pour que chacun trouve son rôle…
… Et quel est le rôle de la collectivité ?
Il peut être très différent. Le premier, c’est d’arbitrer. Par exemple, en vérifiant qu’il y a bien une place pour les citoyens dans le projet. Nous sommes comme des garants. Mais à d’autres moments, cela peut être un rôle beaucoup plus pro-actif. C’est le cas dans le projet où nous travaillons le foncier avec les citoyens. Parfois, cela peut aussi être un rôle sur l’émergence d’un collectif. C’est le cas sur un parc de panneaux photovoltaïques qui va se situer sur une ancienne mine d’extraction d’uranium. Dans ce secteur, il n’y avait aucune association citoyenne. Nous avons donc travaillé avec d’autres pour qu’elles s’organisent et qu’elles puissent accompagner ceux qui souhaitaient lancer le projet. Le rôle de la collectivité est donc adaptable et adaptée en fonction des situations qui se présentent.
Il y a aussi le rôle d’investisseur ?
Nous investissons via la SEM. Elle vient d’être créée. Le capital est de 5,3M. La SEM départementale nous accompagne à hauteur de 250 000 euros et la Caisse des dépôts 850 000 euros. C’est très important. Ce que nous voulons, c’est faire émerger des projets. Il y a différents traits de partenariats entre l’investissement classique ou des avances remboursables.
Pour le territoire, il y a un double intérêt : écologique et économique ?
Oui. Nous réussissons à développer des projets qui sont positifs pour la planète tout en ayant un impact économique positif sur notre territoire. Mais l’intérêt est même triple. Le troisième élément, c’est que nous développons une forte dynamique de territoire. Il faut venir voir les assemblées générales de citoyens pour s’en rendre compte. Il y a une montée en puissance de l’initiative, de l’énergie et de la compétence ! C’est absolument extraordinaire. Nous ne l’avions pas imaginé au départ. Cela ne s’est pas fait en un jour. Aujourd’hui la dynamique est enclenchée et il faut l’entretenir. C’est du quotidien.
– Le projet aujourd’hui –
Comment vous développez-vous aujourd’hui ?
Aujourd’hui, nous ne faisons pas qu’aider. Lorsqu’il y a un projet, nous travaillons avec un développeur dès le départ. Nous n’avons pas l’ingénierie et les citoyens non plus. Chacun reste donc à son niveau. Nous avons de notre côté une société d’économie mixte puis tout le monde se retrouve dans une société d’actions simplifiées avec les citoyens, les entreprises et les développeurs. C’est ainsi que se fait le mariage. Chacun vient avec son propre outil de portage.
Qu’en est-il des autres énergies ?
Nous avons des parcs photovoltaïques. Pour ceux-ci, nous avons acté, comme de nombreux autres territoires français, que nous n’allons pas en développé sur des terres agricoles. Là où nous fixons nos objectifs, ce sont sur les autres terrains comme les sites d’enfouissement de déchets ou nous avons une ancienne zone d’extraction d’uranium. Il y a un véritable champ du possible sur les bâtiments publics et les toits des maisons.
C’est un changement pour les développeurs…
Oui. Dans le modèle des développeurs, jusque-là, ils venaient, développaient puis appelaient des fonds. Tout le monde gagnait beaucoup d’argent. Nous leur avons expliqué que chacun à sa place mais que si un développeur souhaite venir sur notre territoire, il doit respecter notre volonté. Cela revient à une gouvernance de chaque projet par le territoire, à leur côté. Certains l’ont bien compris et nous travaillons avec eux. Pour les autres, nous ne développons plus de projets avec eux.
Est-ce un changement de paradigme facile ?
Parfois c’est un rapport de force. Mais de nombreux développeurs ont compris que, vu le nombre de recours déposés, ils ont besoin de cette forme d’acceptabilité. Le fait d’être à notre côté, et avec les citoyens, est un facteur de développement de leur projet. Je pense qu’ils auraient préféré continuer comme c’était au départ mais aujourd’hui ils savent qu’il faut faire différemment. Je crois que c’est juste et que c’est du gagnant-gagnant pour tout le monde.
Avec quelle structure juridique agissez-vous ?
C’est une société d’économie mixte. Nous avons décidé d’avoir 80% des parts détenues par la communauté de communes. Parmi les partenaires privés, il y a des banques, la banque des territoires et la SEM départementale Energie. Nous avons compris en développant des projets que nous allons plus vite et plus loin ensemble. Nous ne l’avions pas imaginé au départ. Dans notre SEML, les dividendes doivent être au rendez-vous. Si nous voulons financer la transition, c’est une obligation. Pour investir dans les économies d’énergie ou les mobilités douces, il va falloir des moyens. Quelles seront les leviers de financements des collectivités demain ? Nous n’en savons rien. Avec ce système, nous nous assurons un minimum de moyens. La production d’ENR peut nous faire descendre des revenus propres. C’est pour cela que nous investissons dans ce type d’énergie.
Y a t il un profil type de « citoyen investisseur » ?
Vous décrire un profil type d’un citoyen qui investi dans les ENR, c’est très compliqué. Les profils sont multiples. Mais il n’y a pas de problème. Certains le font avec une démarche environnementale, d’autres avec une logique plus financière. Mais au final ce qui est important c’est que le territoire se mobilise et que la part d’énergie renouvelable augmente, et que la richesse reste sur le territoire.
Est-ce facile de trouver des citoyens qui souhaitent investir ?
Ce n’est pas si simple. Comme dans chaque projet, il faut des locomotives. Nous avons la chance d’avoir eu une association, Atout vent (https://energie-partagee.org/ressource/atout-vent/), qui a été moteur. Ses membres sont rapidement montés en compétence. Par la suite, ils ont beaucoup aidé pour la création d’une deuxième association. Nous avons eu de la chance. Ce n’est pas si facile. Il faut trouver les bons interlocuteurs. Ce sont des sommes importantes qui peuvent faire peur, y compris aux collectivités. Il faut miser sur le réseau et les échanges. Aujourd’hui, il y a pour les territoires des moyens de rapidement faire monter en compétences les citoyens et les collectivités.
Il y a eu une montée en compétence globale sur le territoire…
Oui. C’est certain. Nous avons des citoyens aujourd’hui, quand vous leur parlez business, il y a du répondant. C’est une véritable montée en compétence. Pour nous aussi du côté des élus. Quand nous discutons avec un développeur, nous avons désormais l’expérience nécessaire pour mieux saisir les enjeux et les dangers. Quand vous êtes sur le terrain, il n’y a pas le choix. L’expérience arrive progressivement, sur le tas.
Benoît Lelong : Un cadastre solaire, c’est le calcul du potentiel solaire de tous les mètres carré de toitures à l’échelle d’un territoire. Cela donne une carte que nous mettons à disposition sur un site web, type géoportail ou google maps. Ici, l’outil est pour le moment disponible sur le site de l’agglomération. Il est possible de zoomer, dézoomer, taper une adresse, cliquer sur sa toiture, avoir son potentiel solaire, le niveau d’investissement correspondant et le temps de retour économique.
– Dupliquer le projet –
Quel est l’impact que vous avez pu mesurer ?
Aujourd’hui, sur la part de consommation électrique de notre territoire, nous sommes à 21% d’énergie renouvelable. Nous voulons, en 2050, être un territoire à énergie positive. Nous savons qu’il y a la part d’augmentation des ENR mais il faut également que les dividendes que nous touchons puissent permettre de financer une politique de rénovation énergétique. Il faut baisser la part de consommation d’énergie. C’est un levier extrêmement important. Pour avoir un effet ciseau le plus rapidement possible, il est obligatoire de travailler sur ces deux aspects. Depuis que nous nous sommes organisés, je pense que nous en sommes à sept projets éoliens et deux projets photovoltaïques.
Par rapport à votre objectif d’être un territoire à énergie positive en 2050, où vous situez-vous ?
Au niveau des ENR, nous avons notre plan en tête. Il est assez clair. Notre gros chantier que nous lançons en parallèle c’est la création d’une maison de l’habitat. Si nous voulons atteindre nos objectifs, nous devons baisser notre consommation d’énergie. Ce projet doit permettre de passer un cap dans ce domaine en accompagnant les habitants.
Quelle a été la somme investie par les citoyens ?
La part des collectivités est de 5,4M d’euros. Pour les citoyens, cela doit être la même car nous sommes presque à un investissement à 50/50 sur l’ensemble des projets.
Quelles sont les difficultés que vous avez pu rencontrer ?
Ce sont des difficultés liées à l’inconnu. Quand vous n’êtes jamais monté dans une voiture, il faut appréhender le volant, les pédales ou le code de la route… Pour nous, c’est la même chose. Nous avons dû apprendre ce qu’est une éolienne, une ZDE, un développeur et comment tout cela s’articule avec les services de l’Etat. Vous apprenez tout. Mais comme tout le monde apprend en même temps, ce qui est important ce que tout le monde se mette bien d’accord afin de porter un projet commun. Il y a, par exemple, des temporalités différentes. Une collectivité doit passer par des étapes qui sont différentes d’une assemblée de citoyens. Ce sont des choses comme ça où il a fallu apprendre à se connaître. C’est la principale difficulté à laquelle nous avons été confrontée.
Avez-vous un conseil à donner ?
Il faut se lancer. C’est passionnant. Un projet comme celui-ci ouvre un champ des possibles que l’on ne peut même pas imaginer. Et c’est passionnant car vous le faîtes collectivement. Si nous voulons maitriser notre énergie et les moyens qui sont mis, nous devons entrer dans la danse. Aujourd’hui une collectivité peut le faire et doit le faire. C’est aussi simple que cela.
Propos recueilli par Baptiste Gapenne