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Le Porge (33) : comment la suppression des poubelles sur les plages a augmenté la propreté et modifié les comportements

La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à une initiative de la ville du Porge (33). Si elle possède sur son territoire la plage la plus proche de Bordeaux (car située à 45min de route de la capitale girondine), elle ne touche principalement qu’une clientèle de passage et n’a que peu de revenus liés au tourisme. Un problème sur de nombreux aspects comme la gestion des déchets. Dans ce domaine, l’équipe municipale tente le pari d’une plage zéro déchet depuis 2014. Comment ? En supprimant toutes les poubelles de sa plage et en incitant les touristes à repartir avec leurs déchets. Après cinq ans, les résultats observés montrent l’efficacité du dispositif et la modification des comportements des habitués.

Nous avons interviewé Valentin Désiré, le Responsable du Pôle Technique et Environnement de la ville du Porge pour en savoir plus sur leur démarche.

Sommaire:

– Mise en place –

Comment l’idée vous est-elle venue ?

Nous avions une situation critique sur la commune. Pour vous évoquer le contexte, nous sommes la plage la plus proche de Bordeaux Métropole. Nous ne bénéficions donc pas, comme d’autres communes du littoral de fortes retombées liées au tourisme. Nous avons principalement sur notre territoire, ce que nous appelons des excursionnistes. C’est-à-dire que ceux qui fréquentent nos plages le font en partant le matin et en rentrant chez eux le soir. Pour nous, cela entraine des difficultés. Nous avons des commerces en arrière-dune et l’ensemble des recettes est reversé à l’office national des forêts. Ce qui veut dire que, pour la collectivité, nous n’avons pas d’entrées d’argent mais nous avons des dépenses à gérer.

Ce qui n’est pas simple pour développer des projets…

Exactement. Nous essayons depuis plusieurs années de mettre en place une politique liée au développement durable. Cela a commencé en 2008. Le maire qui a impulsé cela est malheureusement décédé en 2018. Mais c’est son 1er adjoint qui gérait le développement durable qui a pris la suite. Nous avons un peu plus de 3000 habitants sur notre territoire. Nous essayons de traiter ce sujet de la façon la plus transversale possible d’où la création de mon poste de directeur adjoint en charge de tout ce qui est technique et environnement. En 2014, suite au renouvellement de l’équipe municipale, nous nous sommes retrouvés avec l’élu en charge du littoral pour évoquer la problématique des déchets. C’était un de nos plus gros poste de dépenses. Dans l’idée d’avoir une approche systémique, je trouvais dommage, dans le cadre de notre agenda 21, d’être en retard sur la problématique des dépôts sauvages.

Il fallait donc agir au niveau des poubelles ?

Au niveau de la plage par exemple, vous étiez accueilli par une haie de poubelles. Une cinquantaine. Et pourtant, malgré ce nombre très important, vous aviez des dépôts sauvages. Une dizaine les jours classiques et parfois jusqu’à cinquante. Ces dépôts pouvaient être directement sur la plage parfois… Quand on parle de dépôts sauvages, ils peuvent avoir une taille très variable. Cela va d’un petit sac poubelle qui s’éventre (et laisse échapper ses déchets) à une chaudière par exemple que l’on a déjà retrouvé dans un bois. Cela veut dire qu’il y avait de nombreuses nuisances. Aussi bien olfactives que paysagères. Le problème, c’est qu’en plus le déchet attire le déchet. Cela entraine des coûts exorbitants pour la collectivité. Nous avons donc dû trouver comment palier à ce défi. En rigolant, nous nous sommes dits qu’il fallait supprimer les poubelles. Et au final, nous nous sommes dits pourquoi pas. Celui qui est aujourd’hui notre maire a notamment pris l’exemple des refuges de haute-montagne. Cette politique de l’absence de poubelle se pratique depuis longtemps. Vous montez avec votre nourriture et vous descendez vos déchets.

Encore fallait-il convaincre ceux qui viennent à la plage d’adopter le même comportement ?

En y réfléchissant, nous avons voulu faire le test. Nous avons pesé le pour et le contre. De nombreuses personnes étaient dubitatives. On nous a traité de fous ! Mais quand nous décidons d’agir dans un domaine, c’est toujours à l’aune de la réversibilité. Nous souhaitons pouvoir expérimenter et décider de revenir en arrière si besoin. Pour ne pas avoir peur d’innover, il faut s’autoriser le droit à l’erreur. Pour ce test, c’était tout à fait possible. Nous sommes partis du principe que si cela ne fonctionnait pas, nous avions juste à remettre des poubelles.

Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?

La décision a été prise après les élections de 2014, au mois d’avril. Nous avons pris deux semaines pour lancer une petite campagne de communication, avec nos moyens. Nous avons donc décidé de mettre en scène quelques enfants de la commune. Le discours était toujours le même : « Je m’appelle Tom, j’ai huit ans et je ne veux pas ramasser tes déchets alors ramène-les chez toi. » Nous avons misé sur le ton à l’impératif pour faire réagir. Quitte à prendre une décision radicale, autant aller jusqu’au bout. En deux semaines, nous avons pu mettre en place notre idée et les panneaux sont arrivés sur la plage. Les poubelles avaient été retirées pour l’hiver donc nous ne l’avons juste pas remises.

Vous êtes vous inspirés du travail d’autres communes ?

À cette époque, aucune autre commune située sur un littoral n’avait lancé un tel dispositif. Nous n’avons pas pu nous inspirer du travail des autres. En revanche, j’ai lu beaucoup d’études sociologiques sur les comportements vis-à-vis des déchets et du conditionnement social. Elles aboutissaient toutes à la même conclusion. Le déchet attire le déchet. Quand vous avez un dépôt sauvage, il faut intervenir très rapidement car sinon les personnes se disent qu’ils peuvent jeter au même endroit. Après il y avait l’idée que plus un lieu est fréquenté, plus une personne se sent jugée par ses pairs et n’aura donc pas un comportement déviant. Cela reste des principes très basiques.

Où a été diffusée votre campagne de communication ?

Notre campagne a principalement été diffusée sur nos plages. Au départ, il a été très difficile de mobiliser les médias sur ce thème. Il faut dire qu’évoquer le zéro déchet en 2014, c’était tout de même moins tendance qu’aujourd’hui. Même au niveau de nos institutions, personne n’a voulu prendre le risque de nous soutenir. C’est dommage car un possible échec n’aurait pas remis en cause le travail effectuer jusque là.

– Le projet aujourd’hui –

Aujourd’hui, à quoi ressemble votre plage sans poubelle ?

Les poubelles avaient été enlevées lors de l’arrière saison. En 2014, il a donc suffit de ne pas les remettre. En revanche, nous avons installé de nombreux panneaux avec les enfants que ce soit dans le sens aller et retour de la plage. Il faut savoir qu’à l’époque, il existait encore des poubelles sur le parking. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous avons eu peur d’un effet report sur le parking. Mais cela n’a pas été le cas. Finalement c’est une initiative qui ne demande pas beaucoup de mise en œuvre. En revanche, il faut un peu de courage politique. Aujourd’hui, nous avons remplacé les panneaux et complété le dispositif. Sur le rond point d’accueil, il existe un grand panneau qui indique que la plage est un site zéro déchet. Cette campagne a été réalisée avec l’ADEME. Enfin, en 2018, nous avons retiré les poubelles des parking. Nous avons laissé à leur place des panneaux.

Quelle a été la réaction des citoyens ?

Avant de répondre, je veux signaler ce que nous avons décidé de mettre en place pour renforcer notre lien avec les citoyens sur ce projet. Comme nous avions demandé un effort aux touristes et à nos habitants, j’ai trouvé normal que nous communiquions sur les résultats de celui-ci. Dès 2016, nous avons réalisé des panneaux complémentaires pour dire « Merci. Grâce à vous, nous avons réduits de Xm3 le nombre de déchets ». Les gens ont été très touchés. Autant, au départ de l’initiative nous avions des retours très négatifs parfois même des insultes. Mais après, ils nous ont remercié car ils étaient fiers du résultat. Les utilisateurs réguliers de la plage ont été nos meilleurs ambassadeurs.

Que faire des déchets que les touristes peuvent ramener de la plage ?

Sur la route du retour, nous avons mis des conteneurs semi-enterrés. Il y a donc tout de même une solution pour celui qui ne souhaite pas ramener ses déchets chez lui. Nous avons un volume de déchets résiduels encore assez important. Il faut donc que nous proposions une offre qualitative pour les déchets. Nous proposons donc ces conteneurs avec du tri possible. Sur ce dernier point, nous également eu beaucoup de retours négatifs. Or cela a parfaitement fonctionné. A tel point que le tri est de meilleure qualité que lors du ramassage chez les résidents.

Quelle est la réaction des touristes à votre initiative ?

Il y a de la surprise. Au poste de surveillance, de nombreuses personnes viennent demander pourquoi il n’y a pas de poubelles. À partir du moment où nous prenons le temps d’expliquer la démarche, cela se passe presque toujours bien. Ils voient bien que la plage est propre et que cela fonctionne. Ils ramènent donc leurs déchets chez eux…

Ce qui peut pousser à un changement de comportement plus global…

Oui et nous voulons insuffler un changement de comportement. C’est très intéressant. La première étape, ce sont les personnes qui ramènent les déchets chez eux. Mais le défi ultime, c’est d’arriver à une anticipation de leurs pratiques. Dès la première année, nous avons le directeur de notre supermarché local qui est venu se plaindre. Pour les salades préparées avec un suremballage, les touristes leur disaient qu’ils n’en voulaient pas car il n’y avait pas de poubelles sur les plages. Nous avons écouté sa plainte mais au fond il y avait une véritable satisfaction d’avoir fait réfléchir les gens à leurs déchets. Depuis quelques années, nous observons au maximum les comportements. Nous pouvons voir des personnes qui mettent leurs sandwichs dans des torchons, qui prennent des gourdes plutôt que des bouteilles en plastique ou qui ont des tupperwares. Même dans leur picnic, ils ont changé leurs comportements. Il y a un sentiment de toucher au but quand vous observez cela.

Comment avez-vous travaillé autour de la pédagogie pour réussir votre objectif ?

Nous nous sommes appuyés sur une volonté d’exemplarité. Pour dire aux citoyens, nous avons besoin de vous sur l’écologie, il faut que la commune soit engagée. Nous avons donc mis en place des actions en faveur de la biodiversité, la transition énergétique ou sur les déchets de la collectivité. Notre agenda 21 était cohérent. Le Porge a une image liée à la nature avec des labels etc. Le travail autour du zéro déchet a pu bénéficier de tout cela. Après c’est sur que c’est de la pédagogie. La première année, il faut accepter de prendre des coups. Même avec le succès de la première année, certains nous ont dit que c’était de la chance.

Lors du changement, les résidents et les touristes ont-ils eu des réactions différentes ?

Pour les résidents, cela a été plus facile. Ils avaient bien en tête cette idée qu’ils payaient pour les déchets des bordelais. Mais il n’y croyait pas. Il nous disait que la plage allait être sale. Le changement de paradigme est en contradiction avec tout ce que l’on nous enseigne… Lors de ma formation en développement durable, on nous expliquait que pour avoir moins de déchets, il faut ajouter des poubelles. Côté estivant, le changement a été mal perçu. J’ai plusieurs fois été insulté en direct, par mail ou au téléphone. Ce qui était assez drôle, c’est que chacun disait qu’ils allaient respecter mais que les autres étaient trop bêtes pour respecter. Une fois la première passée et les résultats affichés, les retours sont devenus positifs. Nous avons même certains résidents qui nous disent qu’ils n’imaginent plus la plage avec les photos et que quand ils voient les anciennes photos cela les choque. Une chose est sûre : nous n’avons pas eu d’incidences sur la fréquentation de nos plages. 600 000 touristes viennent chaque année. C’est une fierté, d’autant plus que les institutions avec lesquelles nous avons évoqué le projet, nous ont dit : « mais votre plage n’est pas fréquentée par des CSP+ donc votre population n’est pas prête. C’est un racisme de classe. Les classes populaires respectent tout aussi bien l’environnement.

– Dupliquer le projet –

Quel impact concret avez-vous mesuré ?

Au niveau des dépôts, nous étions avant cette initiative entre 10 et 50 par jour. Nous en avons une dizaine sur l’ensemble de la saison 2019. Et ceux que nous avons eu, étaient des dépôts volontaires au pied de nos panneaux zéro déchet. Ce qui veut dire que ce n’est pas inquiétant. C’est de la provocation. Sur le temps de nettoyage de la plage, nous avions entre 1 et 2 agents qui passaient entre 4 et 5h par jour à réaliser des opérations de ramassage. Aujourd’hui, nous avons uniquement deux emplois jeunes qui font presque exclusivement des opérations de sensibilisation. L’agent en charge du nettoyage de la plage n’a lui presque plus besoin de passer. Le temps que nous avons gagné, nous en avons profité pour l’affecter à d’autres missions liées au littoral. Nous avons réalisé des économies de l’ordre de 25 à 30 000 euros par an.

Sur la quantité de déchets qu’est ce que cela change ?

C’est le jour et la nuit. Je vais vous donner des chiffres par secteur. Sur la plage, nous sommes passés de 27 tonnes à 196 kilos. Sur le parking et les conteneurs semi-enterrés, nous avions 90 tonnes à un peu moins de 6,4 tonnes. Sur ce qu’il reste nous avons un taux de valorisation de 40% via le recyclage. Ce sont les chiffres de 2013 comparés à ceux de 2019. Nous avons eu entre les deux une baisse constante à chaque opération de notre part (communication sur les résultats…). Le tout pour la même fréquentation en moyenne. De nombreuses personnes fréquentant la plage nous ont également témoigné leur satisfaction. En revanche, cela suscite beaucoup de curiosité. Pour nous, c’est une réussite. À

Quel a été le coût de votre initiative ?

Nous avons dû faire le calcul pour le ministère de l’environnement lors d’une mise en valeur il y a quelques semaines. Au total, nous avons dépensé 3000 euros. En majorité pour les panneaux de communication. Il faut y ajouter le travail de suivi que j’ai pu réaliser. En revanche, nous avons économisé du temps de travail chez nos agents. Le changement de comportement n’est pas forcément le plus coûteux mais c’est souvent le plus compliqué à mettre en place. Il aussi fallu prendre le temps d’observer et d’expliquer. Mais la lutte en faveur de l’environnement, c’est un marathon.

Quel est le conseil que vous pourriez donner à un élu qui souhaite se lancer ?

Je pense qu’il faut prendre le temps de bien réfléchir à la communication. Nous n’avions pas de service dédié alors que cela peut aider. Il faut évidemment éviter les discours mobilisateurs. Sinon cela peut se retourner contre vous. Ensuite, il faut du courage car c’est un projet qui prend du temps à s’installer. Il ne faut pas baisser les bras et attendre des mesures objectives. Nous avons reçu de nombreux appels depuis la mise en place de cette initiative. Elle a été dupliquée par exemple dans la station de Vieux-Boucau dans les Landes (40). Certaines communes pensent également le mettre en place mais après les élections car ce n’est pas forcément une mesure populaire… Enfin, je pense qu’il faut se donner le droit à l’erreur. Cela ne va pas marcher partout. Nous avions gardé toutes les poubelles et elles sont prêtes à être installées si besoin.

Propos recueilli par Baptiste Gapenne