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Jaulnay (37) : la boulangerie associative créée à l’initiative du maire a permis d’enclencher une dynamique positive

La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à une initiative coordonnée par Maurice Talland, le maire de Jaulnay (37). Ce village de 280 habitants, était à deux doigts de perdre son dernier commerce : une boulangerie. Mais les habitants, encadrés par leur maire, en ont décidé autrement. Ils ont créé une boulangerie associative qui propose du pain et des produits locaux. Les habitants se relaient pour animer le point de vente entre 07h30 et 13h. L’initiative a permis de créer une dynamique sur le territoire puisque désormais le village compte également une coiffeuse et un bar !
Retrouvez l’interview de Maurice Talland afin d’en savoir plus sur cette initiative.
Sommaire:

– Mise en place du projet –

D’où vous est venue l’idée de cette initiative ?
Nous avions une problématique. Il existait une boulangerie depuis 1929 dans le village. Celle-ci était vieillissante. Elle a donc été refaite en créant des locaux un peu démesurés par rapport au nombre de pains vendus. Le bail commercial et le loyer étaient donc trop importants pour les boulangers ayant repris cette affaire. Cela n’a donc pas tenu. Nous avons bénéficié pendant trois ans des travaux liés à la création de la LGV (Ligne à Grande Vitesse) entre Paris et Bordeaux. La population de notre village a quasiment doublé à ce moment-là. La boulangerie a donc pu se maintenir sur cette période mais une fois les travaux terminés, nous nous sommes retrouvés démunis puisque nous étions uniquement les habitants et les utilisateurs de la grande route qui traverse le village. Nous avons trouvé un boulanger d’une commune voisine. Il est venu monter une unité de production. Il avait tout un projet avec des distributeurs dans les communes voisines. Mais le projet a avorté. Ensuite, nous avons eu un dépôt de pain avec un boulanger voisin.

Il fallait donc trouver une solution pour ne pas perdre la boulangerie…
Oui. Quand ce dernier boulanger a décidé d’arrêter, j’ai provoqué une grande réunion dans notre salle des fêtes. J’ai demandé à ceux qui sont venus s’ils avaient des idées pour l’avenir de notre boulangerie. Il n’y en avait pas beaucoup. J’ai donc proposé un format associatif de boulangerie sous un format de dépôt de pain, en achetant nos produits chez un boulanger voisin de cinq kilomètres.

Cela répondait à une problématique plus générale qui est celle de la fermeture de l’ensemble des commerces de votre territoire ?
Bien sûr. Là nous avions un loyer trop important et des locaux démesurés. Nous avons pu garder le magasin en tant que tel car l’ensemble du bâtiment est propriété de la commune. Nous avons donc créé une association, Le Débit de Pain. La commune a signé une convention avec cette association pour lui mettre à disposition les locaux. Ils sont mis à disposition de l’association à titres gracieux. Il n’y a pas de location. L’association paye les frais d’électricité, d’eau et une assurance (Sécurité Civile). Et parallèlement, nous avons transformé le fournil en salon de coiffure. Une jeune coiffeuse s’est installée et elle travaille très bien. Le loyer que nous lui avons demandé, c’est elle qui l’a fixé. Elle nous donne donc 150 euros par mois de loyer. C’est raisonnable pour aider un jeune à se lancer.

Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?
Nous avons eu la réunion dont je vous ai parlé. Les habitants volontaires ont pu venir donner leur nom en bas de la feuille d’émargement à disposition. Une vingtaine de personnes ont signé. Cela permet de gérer l’ensemble des horaires d’ouverture. En un mois les statuts ont été rédigés. La préfecture les a validés très rapidement. Cela a donc été très vite. Nous avons commencé à y réfléchir en novembre 2017 et l’inauguration s’est faite fin décembre 2017. L’ouverture officielle a eu lieu en janvier 2018.

Comment avez-vous donné envie à chacun de participer ?
J’avais entendu parler d’un système similaire dans la Vienne. Une association avait essayé mais sans succès. J’avais téléphoné à la mairie de ce village qui m’avait confirmé que le principal écueil à éviter se situe au niveau du bénévolat. Chez eux, cela n’a pas fonctionné mais pour nous, nous pouvons dire deux ans après que cela a été un succès. Cela reste malgré tout un peu fragile. Nous avons eu de la chance car la vie associative de notre territoire est très active. Nous en avons une dizaine dont une grosse association qui gère la bibliothèque municipale. La plupart des membres de cette association ont rejoint le projet du débit de pain. Ce qui est intéressant, c’est que nous avons créé une bonne dynamique. Par exemple, nous avons des résidences secondaires. Ceux qui ne viennent que quelques semaines dans l’année participent dès qu’ils sont présents pendant leurs congés ! C’est sympa. Ils sont contents de trouver le pain et les produits locaux que nous proposons alors ils participent. Nous vendons en plus du pain, des produits de premières nécessités (sucre, riz, vinaigre…).

Comment situez-vous votre initiative ? Municipale ou citoyenne ?
C’est une initiative personnelle mais bien aidée par la mairie. L’idée vient de moi mais c’est tout le conseil municipal qui a abondé dans le sens du projet. Nous n’avions pas beaucoup de solutions.

– Le projet aujourd’hui –

Très concrètement, comment le Débit de Pain fonctionne au quotidien ?
Nous ouvrons à 07h30 (heure de la livraison du pain) jusqu’à 13h. Notre boulangerie associative est tenue par nos bénévoles. Ils sont fidèles. Ils viennent soit pour une matinée entière soit pour quelques heures. Nous vendons le pain au même prix que le boulanger le fait dans son magasin. Il y a uniquement une légère majoration dû à la livraison. L’association peut vivre grâce aux ristournes de nos fournisseurs. Nous ne faisons aucun bénéfice puisque si nous avons un petit surplus, nous réinvestissons dans du matériel. Notre fond de roulement est de 10 000 euros. Cela permet de payer les fournisseurs comptant.

Quelles sont les dépenses de l’association ?
Nous payons l’eau, l’électricité et l’assurance. Ce sont les seuls frais que nous avons. Il faut juste ajouter quelques achats d’emballages.

Combien avez-vous de personnes qui viennent chercher leur pain au quotidien ?
Nous vendons en ce moment entre 80 et 90 pains par matinée. Cela peut varier en fonction des saisons puisque l’été nous doublons ce chiffre. Le chiffre est également plus grand le week-end. Je tiens à dire que c’est un vrai boulanger qui nous livre. Ce n’est pas un magasin franchisé. Il y a également toutes les viennoiseries et les produits locaux. Nous sommes ouverts tous les jours à l’exception du mardi de 07h30 à 13h.

Avez-vous senti une dynamique particulière autour du projet dans le village ?
Ce matin, j’ai fait l’ouverture jusqu’à 09h. Par moment, je fais des permanences complètes. Je vois bien que nous avons créé un lieu de discussion. Les gens trouvent que c’est plus agréable que de discuter à la mairie. Le cadre est moins formel. Il faut que ce soit une chose importante pour venir à la mairie. À la boulangerie, il est possible d’avoir des discussions à bâtons rompus ! C’est très intéressant. C’est un lieu de vie comme pouvait l’être le bistro dans le temps. Nous avons certaines personnes qui ont été méfiantes vis-à-vis du projet au départ et qui viennent désormais. Elles nous disent que l’on a eu raison et qu’ils sont contents.

Est-ce que cela a créé une fierté autour du village ?
Oui, surtout que nous ne nous sommes pas arrêtés à la boulangerie. D’un magasin, nous avons créé deux ateliers différents. La boulangerie et le salon de coiffure. Depuis le début de l’année, nous avons également racheté le bar. Il s’était retrouvé, depuis deux ans et demi, sans tenancier. Nous l’avons repris, avons réalisé des travaux puis nous avons trouvé un couple qui le gère. Cela a ajouté un nouveau commerce. Nous avons désormais sur notre territoire un garage avec une pompe à l’ancienne, la coiffeuse, la boulangerie et le bar. Enfin une fleuriste vient de s’installer. Elle était dans un village voisin mais elle a jugé comme notre territoire était plus dynamique. Elle a donc acheté un ancien commerce pour s’installer. Il y a donc toute une dynamique qui s’est installée. Nous le mesurons car les maisons en vente ne le restent pas longtemps. Quand vous êtes sûrs d’avoir dans votre village des commerces de proximité, il n’y a pas de raison d’aller habiter en ville.

Quelle a été la logique autour du café ?
Ce n’est pas la même logique que pour la boulangerie. Ce n’est pas un café associatif. Ce sont des gérants. Ils ont un bail de 150 euros. Toute la famille habite dans le logement au-dessus du commerce. Il y a six enfants, c’était une excellente nouvelle pour l’école. C’est donc une bonne nouvelle pour tout le monde.

– Dupliquer le projet  –

Combien vos différentes initiatives ont-elles coûté ?
Sur la boulangerie, pratiquement rien. Peut-être autour de 20 000 euros. Nous avons aidé à l’équipement de la petite coiffeuse. Mais l’ensemble du bâtiment était déjà installé. Pour la boutique, nous avons bénéficié du mobilier laissé par l’un des anciens boulangers. Nous lui avons fait don de quelques mois de loyer en échange. L’association ne coûte rien pour son fonctionnement. La coiffeuse a également mis un peu d’argent de sa poche.
Pour le bar restaurant, c’était une liquidation judiciaire. C’est toujours dramatique. Pour les banques, le lieu est assimilé à un commerce qui n’a pas marché. Or, ce n’est pas toujours vrai. Nous avons eu sur notre territoire des fluctuations de population avec les travaux de la LGV. De mauvais choix ont été faits mais nous ne maîtrisions rien car tout était privé. Il n’y avait pas de repreneurs donc nous avons pu acheter le bâtiment et le matériel pour 40 000 euros. Par la suite, avec les travaux de remise aux normes et de re-équipement, nous avons dépensé, au total, 120 000 euros. Nous avons usé de nos réserves mais nous allons maintenant attendre pour continuer certains travaux.

Ce sont des montages originaux…
Oui certaines choses sont prises en charge par la mairie, d’autres par les commerçants. Mais c’est important de faire sentir aux gens qu’il y a un maire qui est à leur côté. Derrière, ils peuvent foncer ! Suite à la forte médiatisation de notre boulangerie associative, nous avons reçu de nombreuses demandes pour le bar. Mais j’ai été sensibilisé par cette famille avec six enfants. Ils n’avaient pas beaucoup d’argent de disponible. Les banques ont refusé leurs demandes de crédit. Parfois, ils ne demandaient presque rien. Par exemple, 5000 euros pour le stock d’alcool. Aucune banque ne suivait car c’était une liquidation. C’est là que la mairie intervient dans la mesure de ses moyens car nous croyons au projet. Nous ne pouvons pas leur prêter 5000 euros mais nous les aidons autrement.

Avez-vous mesuré l’impact ?
C’est très difficile à mesurer. Mais celui dont je vous ai parlé montre bien que nous allons dans le bon sens. Quand il y a une maison à vendre, elle l’est très rapidement. Notre population augmente. Nous sommes passés de 250 habitants à 280. C’est notable ! L’été nous sommes même à plus de 300. C’est quand même intéressant. Nous sommes dans une bonne dynamique générale au niveau du territoire.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées ?
Je pense qu’il faut un fond de roulement d’avance au niveau municipal. Les mairies ne peuvent pas toujours avoir emprunté. Nos finances étaient saines et c’est ce qui nous a permis d’investir dans ces différents projets. Nous comptons également sur les différentes subventions que nous pouvons obtenir. Cela peut venir de l’échelle départementale ou de la dotation de l’équipement des territoires ruraux (accordée par l’Etat). Nous avons fait une demande et nous attendons la réponse dans les prochains jours. L’un des critères était le sauvetage des derniers commerces. Nous pensons donc pouvoir y avoir le droit.

Quels conseils pouvez-vous donner à des élus ?
Quand nous avons été médiatisés, j’ai reçu de nombreux appels d’élus. Ils souhaitaient m’encourager ou me féliciter. Certains souhaitaient également pouvoir accéder aux statuts de l’association. Nous les avons envoyé aux quatre coins de la France. Ils sont toujours disponibles à ceux qui souhaitent les lire et s’en inspirer. Si notre idée peut être dupliquée ailleurs, ce serait une bonne chose. Il ne faut pas oublier de discuter avec les habitants car il y a toujours des solutions quand il existe une réelle envie de passer à l’action.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne