Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à un projet impliquant plusieurs collectivités publiques, des citoyens et des entreprises. La coopérative (SCIC) énergies renouvelables du pays de Dinan met en place avec tous ces acteurs une filière bois éthique et locale. Leur objectif ? Mieux exploiter la ressource naturelle que représente la forêt et la gérer de manière durable.
Rencontre avec deux des responsables de la SCIC : Émily Duthion et Jérémy Dauphin.
Sommaire:
– Reportage –
Les interviews d’Émily Duthion et Jérémy Dauphin sont disponibles au format vidéo ou texte pour chaque question.
– Mise en place du projet –
Comment vous est venue cette idée ?
Notre coopérative est née d’une réflexion collective au conseil de développement du Pays de Dinan (les collectivités ont évolué depuis). Nous avions une commission environnement qui souhaitait travailler autour d’une filière bois et énergie. Particulièrement sur la façon dont il était possible de collaborer avec les agriculteurs pour replanter et valoriser le bocage.
Il y avait une problématique particulière ?
Oui. Nous nous disions que le bocage était en train de disparaître. L’idée était de replanter pour le maintenir. Nous voulions proposer un service en plus aux agriculteurs sur la partie valorisation et entretien du bocage. Très vite, il y a eu un programme régional appelé Breizh Bocage qui a été mis en place. Nous nous sommes emparés de cet outil-là avec les techniciens bocagés des collectivités locale. Nous avons répondu aux appels d’offres pour faire le travail. L’idée était de montrer aux agriculteurs que l’on peut replanter, entretenir sur la durée et valoriser le bois. Que ce soit pour du paillage ou pour des chaufferies bois localement.
L’idée était de relier des acteurs très différents autour de cette filière ?
Exactement. La spécificité de notre coopérative, c’est que nous sommes une SCIC. C’est une Société Coopérative d’intérêts Collectifs. Elle regroupe une centaine de sociétaires aujourd’hui. Ils sont classés en quatre catégories d’associés. Il y a les salariés, nous sommes sept ou huit en fonction du moment de l’année. Puis les agriculteurs, les collectivités publiques et le monde professionnel. Ce dernier groupe contient les entreprises travaillant autour du bois sur le territoire. Ces acteurs nous les avons tous rassemblés derrière notre projet. C’est le seul statut juridique qui permet ce genre de regroupement. Nous avons un projet de territoire. Un projet d’intérêt collectif.
Le point commun entre tout le monde, c’est le territoire…
Oui. Il y a le territoire et la thématique comme point commun. L’idée était vraiment de développer le bocage, la forêt et le bois localement avec une logique de durabilité. Le bois c’est assez facile aujourd’hui. Tout peut être mécanisé. La production est assez facile à mettre en place. La replantation nous accorde, elle, notre légitimité. Pour moi c’est le plus important, de penser à replanter pour nous, pour les générations futures et pour l’érosion des sols. Il y a toujours une bonne raison de replanter mais ce n’est pas toujours facile. Il faut un bon suivi et un bon entretien sur les premières années pour avoir des haies productives et intéressantes pour la biodiversité.
Comment le projet s’est-il mis en place ?
Après la réflexion, nous avons réalisé des journées de sensibilisation, de démonstration et des implications. Très vite, nous avons mis en place des chaudières bois dans des collectivités locales. Elles nous ont bien aidés pour mettre en place le projet. Puis c’est le bouche à oreille et l’implication des différents acteurs qui a permis au projet de se lancer.
L’argument « local » au lancement d’une filière est-il un atout ?
Oui cela marche. C’est un argument commercial, marketing et éthique. Nous n’aurions pas une coopérative si nous n’avions pas envie d’avoir un travail éthique autour de l’environnement. Nous avons une charte et nous sommes dans l’air du temps. Par exemple, sur le plan économique, nous sommes totalement transparents. Si c’est pour faire du développement durable avec les mêmes logiques économiques que le libéralisme, moi cela ne m’intéresse pas. Nous recherchons une alternative économique différente et transparente. Que ce soit pour les salariés ou le territoire. Sur la thématique, nous ne travaillons pas tout seuls dans notre coin. Nous voulons agglomérer tous les acteurs pour pouvoir montrer comment nous pouvons avancer tous ensemble. C’est porteur car il y a des retombées. L’argent que nous investissons bénéficie à l’échelle locale que ce soit via les salaires des employés ou les différents chantiers que nous réalisons.
Quel rôle ont joué les collectivités locales dans cette mise en place ?
Au départ, les collectivités publiques nous ont soutenus. Nous avions des aides à la création durant les trois premières années pour notre coopérative. Quand je parle des collectivités, j’inclus les communes, les communautés d’agglomération, la région, le département et l’Europe. Nous avons vraiment eu de l’aide de la part de toutes les collectivités publiques. Cette aide a pris la forme de subvention ou d’une confiance pour réaliser des travaux rapidement. Aujourd’hui, nous sommes indépendants vis-à-vis des subventions depuis plus de cinq ans. Elles ne représentent que quelques pourcents sur notre chiffre d’affaires. Suivant certaines missions innovantes que nous développons comme le bois d’oeuvre (servant pour les meubles), nous recevons le soutien des collectivités. Je trouve que c’est légitime car la transition écologique et énergétique est présente tous les jours. C’est leur rôle d’accompagner des projets. Nous avons tout de même dans la notion de coopérative, une justification financière. C’est-à-dire que nous leur disons où passe l’argent qu’ils nous donnent.
– Le projet aujourd’hui –
Qu’est-ce qu’une filière bois éthique ?
Il faut savoir regarder l’arbre et lui donner toute l’envergure qu’il peut déployer tout au long de sa vie. Il faut savoir le former et l’entretenir d’une belle manière. C’est un cheminement avec lui pour qu’il puisse donner tout ce qu’il sait faire au territoire. C’est regarder l’arbre dans toute sa splendeur pour lui donner une viabilité économique.
Comment fonctionne la SCIC au quotidien ?cÉmily Duthion. Au quotidien, nous réalisons de nombreuses missions. Il y a tout d’abord le côté replantation de la haie bocagère via les marchés publics. Nous entretenons et plantons. Il y a la partie valorisation du bois. C’est la vente du bois sous tous ses états. Cela correspond au bois bûche, au bois déchiqueté pour les chaufferies ou pour pailler les haies. Il y a également la notion d’élagage et de soin aux arbres. Nous avons cette expertise. Tout cela est effectué en circuit court dans une gestion pérenne des gisements. C’est un ferment pour éveiller des graines et des envies chez tous les publics. Nous montrons comment nous pouvons produire une énergie renouvelable localement. Vous voyez, j’ai avec moi cette pelote, je l’utilise pour réaliser des ateliers d’animation. Elle est passée dans les mains de centaines d’enfants. Je les interroge sur ce qu’est un arbre ? Pourquoi un arbre ? Qu’est-ce qu’on peut en faire ? Nous réalisons de la sensibilisation avec un public scolaire mais aussi à l’échelle européenne ou nous essaimons notre manière de collaborer autour d’une filière bois locale vers d’autres territoires.
Vous arrivez à toucher tous les acteurs via toutes ces activités…
Exactement. En fonction des activités réalisées, nous touchons un public très différent. Il y a le scolaire, les petites collectivités, le particulier etc. Le tout est soutenu par des collectivités à grande échelle que sont les agglomérations, le département, la région ou les projets européens. Nous voyons vraiment qu’il y a une imbrication d’acteurs que ce soit dans le bénéfice ou juste l’intérêt d’une filière bois locale.
Sur votre territoire, êtes-vous un acteur bénéfique pour tout le monde ?
Complètement. Si on prend l’exemple de l’inauguration de la dernière chaufferie bois à Saint-Malo, j’ai pu travailler avec les enfants de l’école sur ce que ça voulait dire. J’avais amené du bois déchiqueté pour discuter avec eux autour de la provenance de ce bois par rapport aux autres énergies. Avant c’était du gaz alors d’où vient-il ? Ça permet aussi d’entamer une réflexion sur comment ils se chauffent chez eux. C’est intéressant de leur montrer les avantages que peut avoir notre filière. Nous voyons bien qu’il y a un éveil des consciences. C’est important car cela doit créer une vague de fond de notre projet.
Vous avez connu un développement très rapide…
C’était un souhait réel des sociétaires de la coopérative. En 2008, il y a eu la création de notre coopérative. Nous étions 45 sociétaires pour offrir un mi-temps à un employé. Aujourd’hui, nous avons 106 sociétaires pour huit équivalents temps pleins. La SCIC a été aidée via le Pays de Dinan. Mais deux ou trois ans après cette aide, les sociétaires nous ont bien dit qu’il fallait se dégager des subventions. De 2008 à 2010, les subventions ont permis le développement et de prendre les marques par rapport aux marchés possibles. Dès 2010, nous avons eu l’opportunité de nous diversifier sur le rachat d’un négoce de bois bûche, sur les marchés de plantation du bocage, sur de l’animation ou de l’élagage. Ce sont des missions très économiquement viables tout en tirant bénéfice pour le territoire de cette filière bois locale. Nous sommes à 700 000 euros de chiffres d’affaires et nos résultats sont toujours positifs. Notre système fait que les résultats positifs sont reversés dans les réserves impartageables de la SCIC pour continuer à dynamiser la filière. Nos sociétaires n’attendent pas la rémunération de leur part sociale. Nous voulons uniquement nous développer en faveur du territoire.
Quel est l’intérêt de planter des haies sur un territoire ?
Si on prend l’exemple de la parcelle où nous nous trouvons, elle est en pente. Nous avions une problématique d’érosion du sol et il y avait des coulées de boue régulières. Nous avons recréé un talus. Il retient l’érosion. Nous avons planté sur ce talus pour bien l’ancrer dans le sol. La haie a trois ans aujourd’hui et va pouvoir durer des décennies. La partie végétale agit aussi sur le paysage. Sur la sensibilisation, l’agriculteur en a profité pour se convertir au bio et cette haie lui sera utile. Il va pouvoir travailler d’une façon différente.
Les catastrophes naturelles nous rappellent ces dernières semaines l’importance des haies…
Oui. Nous sommes au printemps. Nous avons eu beaucoup d’émissions sur les catastrophes engendrées par les orages. Dans les reportages, les spécialistes disent qu’il faut des haies. Ici, c’est ce que nous faisons. Pour lutter contre l’érosion, il n’y a pas 40 000 possibilités. Il faut changer les pratiques agricoles mais avec un talus déjà l’efficacité est là. Nous sommes dans l’air du temps. Surtout que la partie touchée par l’érosion est celle qui est la plus fertile. C’est donc une grande perte pour les agriculteurs.
– Dupliquer le projet –
Avez-vous mesuré l’impact ?
Le premier impact se trouve dans la création d’emplois. Il y a ceux qui sont créés directement et ceux indirectement. Dans les 106 sociétaires, il y a une quarantaine d’entreprises qui répondent avec nous à des marchés publics. Cela représente une dizaine d’emplois en plus créés. Ensuite nous avons développé le nombre de chaufferies bois. Nous sommes passés de deux à quinze. Il y a un juste équilibre. Nous montrons via des plans de gestion du bois qui poussent sur le territoire que c’est possible de les fournir. Nous pensons que nous pourrions en fournir une centaine sur notre territoire. Après nous arriverons au bout de notre modèle. Le développement durable c’est aussi savoir dire stop. Sur un territoire de 250 000 habitantes, il y a une certaine finitude qu’il faut savoir accepter. Sur la replantation du bocage, depuis 2010, c’est 700 kilomètres de haies plantées. Ce n’est pas neutre sur le paysage et la biodiversité.
Sur quelle taille de territoire agissez-vous ?
Notre coopérative agit sur un rayon d’une cinquantaine de kilomètres. Nous sommes sur Saint-Malo agglomération, Dinan Agglomération, Lamballe Terre/Mer et Côte d’émeraude. Cela représente quatre communautés d’agglomération. En cumul, cela représente environ 250 000 habitants.
Pour quel type de territoires ce projet peut-il s’adapter ?
Nous pensons qu’il ne faut pas dupliquer. Il faut essaimer à partir de l’idée de départ. Je pense qu’il faut que chacun regarde son territoire et ses acteurs. Nous avons observé des duplications sur des territoires très variés. Il y en a eu par exemple des endroits où il y avait des parcs naturels ou des conseils de développement. Cette dynamique d’essaimage peut aller sur tout type de territoire pourvu que l’échelle soit viable. Nous sommes vraiment sur 60 à 100 communes et autour de 200 000 habitants. Dès lors où l’on voit plus grand, la compréhension d’une filière bois courte est nettement moins intéressante et écoutable. Nous sommes sur des petits périmètres pour capter le lien global.
Quel a été le coût depuis le début du projet ?
Au démarrage nous avons eu environ 90 000 euros d’aides sur les trois premières années. L’objectif était que la SCIC, les sociétaires et le premier employé puissent avoir une première vision. Il fallait commencer à prendre pas à pas la mesure du territoire et son potentiel. Aujourd’hui, c’est 700 000 euros de chiffre d’affaires et des emplois directs ou indirects. Je pense qu’entre le pari de départ et la réussite d’aujourd’hui cela vaut le coup et nous avons une stabilité qui le prouve. Nous la mesurons et nous allons créer un bâtiment pour être une victime de nos activités.
Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer ?
Nous avons plutôt bien fonctionné. Après, nous évoluons de mandat en mandat par rapport aux collectivités publiques. Il faut toujours prouver et argumenter sur le modèle. C’est une énergie que nous dépensons car il faut prouver. Au bout de dix ans, nous nous disons que la viabilité et la compréhension vont arriver. Mais il faut encore déployer de l’énergie. Il reste encore beaucoup de travail sur la prévention auprès du grand public pour justifier la présence d’une filière bois éthique. Ce n’est pas toujours évident et c’est un grand travail. Il a également bien fallu gérer les compétences de chacun mais nous avons bien réussi. Dans notre dynamique, le fait d’être salarié d’une coopérative d’autres perspectives. Il y a des possibilités vraiment grandes.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne