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Et si un doctorant venait résoudre une problématique de votre collectivité publique ?

Cette semaine, la lettre de l’impact positif vous présente le projet 1000 doctorants pour les territoires. Mené par une petite équipe, il a pour objectif de mettre en lumière une possibilité peu connue pour les collectivités publiques : celle d’embaucher un étudiant réalisant une thèse. Ainsi, pendant trois ans celui-ci peut mélanger un travail de recherche à un poste opérationnel afin d’avoir un impact important sur le territoire. Le projet vient même de lancer une plateforme afin de favoriser les liens entre les différents acteurs. Vous pouvez la retrouver en cliquant ici
Nous avons rencontré Jean-Luc Delpeuch. Il est président de la communauté de communes du Clunisois et il est à l’origine du projet. Il a notamment fait travailler, un doctorant, Boris Chevrot, sur la création d’une maison des services publics.
Retrouvez-les tous les deux dans une interview croisée.
Sommaire:

– Introduction –

« 1000 doctorants ‎pour les territoires » est un programme d’information, d’accompagnement et de mise en réseau pour le développement de l’emploi de jeunes chercheurs en collectivités territoriales. Il est géré par HESAM Université avec le soutien de 4 membres-fondateurs (ANRT, CNFPT, ABG, AD Cifre SHS) et le financement du Ministère en charge de la Recherche et de l’Innovation. Les associations d’élus (AMRF, AdCF, ANPP), le PUCA, le CGET mais aussi la 27e Région et le Labo ESS apportent également leur soutien au programme.
Il comporte trois caractéristiques principales :

  1. J’irai chercher chez vous – Dans un monde qui se transforme, les collectivités territoriales et les associations des territoires urbains ou ruraux doivent innover et inventer de nouvelles formes de service au public. Pendant les 3 années de sa thèse, le doctorant fait partie des services de la structure qui l’embauche et travaille, sous l’angle de la recherche, sur un sujet d’intérêt commun (revitalisation des centres-bourgs, politiques du vieillissement, transition écologique, numérique…).
  2. Embaucher un doctorant, c’est subventionné – Sous réserve d’éligibilité au dispositif Cifre et d’acceptation du dossier, la structure peut recevoir une subvention de 42 000 euros ( 14 000 euros par an, sur 3 ans) pour l’embauche d’un doctorant.
  3. Adopte un doctorant – Dans le cadre du programme, une plateforme de mise en relation, de rencontre entre acteurs territoriaux et chercheurs sera mise en ligne début 2019.

– Mise en place du projet –

Comment l’idée de prendre un doctorant vous est-elle venue ?
Pour nous, c’était surtout une question de personne. Nous avons eu pendant quelques mois un jeune étudiant qui était là pour son mémoire de master en sociologie. C’était un enfant du pays mais il étudiait à Lyon. Il avait eu l’idée de venir faire son stage dans sa ville d’origine. Il souhaitait travailler sur les questions d’inclusion sociale. De notre côté, nous voulions mettre en place au même moment un relais de services publics. C’est-à-dire un guichet unique qui permet en fonction des problématiques de n’importe quel habitant d’être un peu comme le médecin généraliste vis-à-vis des médecins spécialisés. Il propose un premier examen afin d’avoir une vue d’ensemble de la problématique. Il y a des choses qu’il peut résoudre assez simplement et d’autres sujets sur lesquels il y a besoin d’approfondir avec un spécialiste…

Il y avait donc d’un côté un projet et de l’autre un potentiel talent ?
Pendant les six mois de stage de Boris, nous avions avancé sur ce sujet. Nous étions encore loin d’être opérationnels. Il a pris le sujet à cœur. Étant donné qu’il était originaire de notre territoire, son contact avec les habitants était facile et rapide. Son travail de mémoire et d’observation avait été utile pour tous. Nous nous sommes donc demandés s’il n’était pas possible d’aller plus loin. Il avait envie de réaliser un doctorat en sociologie. Nous avions envie d’expérimenter et de créer une maison des services publics. Nous avons donc employé Boris avec la communauté de communes du Clunisois. Il a mis en place notre projet et cela a nourri son travail de thèse sur l’exclusion en milieu rural.

Pourquoi avoir plutôt favorisé l’embauche d’un doctorant ?
Sur ces problématiques complexes et innovantes, cela ne peut pas être du bricolage sympathique. C’est tout un travail de recherche. Il faut aller voir s’il y a d’autres projets de ce type en France ou en Europe. Mais aussi observer si des théoriciens ont travaillé sur l’exclusion en milieu rural. Il faut également observer les processus et voir comment travailler avec une personne qui est déconnectée de la société. Tout ça, c’est un travail d’innovation et de recherche. Il faut mettre en forme et théoriser car nous ne souhaitions pas résoudre un problème par rapport à un moment donné mais apporter des solutions transversales qui soient utilisables par d’autres ailleurs.

J’imagine qu’il y a de nombreux avantages…
Quand on fait une thèse en sociologie, il y a toujours des interviews à faire et des gens à rencontrer. Avec un doctorant, nous avons pu avoir une personne opérationnelle puisque Boris a tenu le guichet sur une partie de ses horaires. Mais il a réalisé ce travail tout en menant son travail de recherche. Il fallait en revanche que cela soit clair vis-à-vis des habitants. Ils savaient que Boris était à leur disposition mais qu’en même temps il leur demandait l’autorisation de prendre des notes pour son doctorat. Mais cela a intéressé les gens car ils se disent qu’ils expérimentent avec lui. Tout notre territoire a fini par devenir chercheur autour d’un professionnel.

Comment avez-vous mise en place concrètement le travail du doctorant sur votre territoire ?
Il y a plusieurs façons de faire. Nous avons préféré commencer par un stage pour que la confiance puisse se construire. C’est une bonne manière de voir la valeur que peut apporter un étudiant de ce niveau. Ensuite, il est possible de passer à la dimension thèse. Mais cela peut aussi être la collectivité qui a identifié un sujet sur lequel elle a un besoin d’expertise. Dans ce cas, vous pouvez passer par un cabinet de consultants ou vous pouvez prendre un chercheur qui va pouvoir travailler avec vous. Dans ce cas-là il ne va pas vous vendre de la soupe car il sera impliqué dans le changement qu’il contribue à mettre en place.

Quel est le montage juridique pour qu’une collectivité publique puisse embaucher un doctorant ?
La meilleure des formules est d’utiliser une convention CIFRE. Elle est signée entre la collectivité publique et l’Etat. Le territoire embauche le chercheur pour trois ans (le temps d’une thèse). C’est lui qui le paye selon un tarif minimum qui correspond à un peu plus qu’un smic. L’Etat rembourse de son côté la moitié du coût chargé du chercheur pendant cette période. C’est donc un coût diminué de moitié par rapport à un salarié normal. C’est intéressant. En plus, quand vous êtes sur certains sujets comme l’énergie, vous pouvez bénéficier d’autres subventions. Elles peuvent par exemple venir de l’ADEME. Avec ce complément de financement, le coût de votre action peut être extrêmement réduit alors que la valeur qu’elle apporte est extrêmement importante. Il faut juste un peu de créativité pour compléter le soutien que l’Etat apporte. Enfin, ce qui est très important, il y a une troisième entité qui est mêlé au projet : un laboratoire de recherche. Le doctorant est en effet encadré par un directeur de thèse. Il permet au doctorant d’avoir une méthodologie et de donner des orientations. C’est un gage de qualité du travail qui va être fourni.

– Le projet aujourd’hui –

Tous les acteurs ont à y gagner dans une telle association…
Oui. Il y a de nombreux thèmes qui peuvent être traités mais c’est souvent dans les sciences humaines et sociales. Or c’est un domaine où il est très compliqué de trouver des bourses de thèses que ce soit pour les doctorants ou les laboratoires. La convention CIFRE était à l’origine plutôt adaptée à des sujets liés aux entreprises. Mais rien n’empêche de s’en servir aussi pour nos territoires ! Le pourcentage aujourd’hui est très faible mais en faisant connaître cette possibilité à travers le programme « 1000 doctorants pour les territoires », nous ouvrons les perspectives et développer ce type d’activité. Tout le monde est gagnant.

Boris Chevrot, pourquoi avoir choisi d’effectuer votre thèse dans une collectivité publique ?
Parce que les collectivités publiques représentent, au niveau institutionnel, des territoires qui sont autant de laboratoires à ciel ouvert pour un chercheur en sciences sociales. Travailler dans une collectivité au quotidien m’a également permis d’être en contact constant avec le sujet que j’étudiais. Le contact avec le public, les agents, les élus, m’a également permis d’avoir un ancrage essentiel pour ma recherche. C’était aussi une opportunité pour moi de me professionnaliser et d’acquérir des compétences dans d’autres domaines que la recherche.

Quel sujet avez-vous décidé d’étudier ?
Le traitement public des vulnérabilités sociales en milieu rural, plus spécifiquement au niveau intercommunal.

Qu’avez-vous mis en place sur le territoire pendant votre thèse ?
Un dispositif de « recherche impliquée », mêlant à la fois l’immersion du chercheur et l’organisation d’expérimentations avec les acteurs, comme cela peut également se faire dans les recherches actions. Mon travail a contribué à développer un Relais Services Publics, puis une Maison de Services au Public dont je suis aujourd’hui le responsable opérationnel. J’ai également contribué à formaliser le réseau d’acteurs des solidarités locales et à construire différents projets économiques et sociaux.

Quels avantages par rapport au monde privé de faire votre thèse dans une collectivité publique ?
J’ai particulièrement apprécié toute la diversité des problèmes qu’ont à traiter les collectivités, et leur prise direct avec les besoins des habitants. Pour le sujet que je voulais faire, il était plus logique de le faire dans une collectivité. Les opportunités de terrain ont orienté mon choix. J’ai été dans de très bonnes conditions de travail et cela m’a permis de développer mon projet. Ma recherche a été complète et j’espère qu’elle pourra inspirer d’autres territoires.

En quoi est-ce particulier d’être sous la tutelle d’élu(s) pour réaliser vos travaux ?
Les élus sont constamment sollicités et en prise directe avec les problèmes publics. Ils disposent par ailleurs de peu de moyens pour intervenir et sont en cela constamment poussés à l’innovation. A leur contact, la recherche devient stimulée, concrète et utile.

– Dupliquer le projet  –

Quels conseils donneriez-vous à des élus qui hésitent à se lancer dans ce domaine ?
De voir, qu’au-delà de l’apport financier qui leur permettra de bénéficier d’un étudiant diplômé, à moindre coût, pour accompagner leurs projets, une collaboration avec un doctorant peu leur permettre de trouver des réponses ajoutées aux problèmes qu’ils rencontrent, face auxquels la recherche peut contribuer à redonner du sens et trouver des voies innovantes pour y répondre.

Et vous Jean-Luc Delpeuch ? quels conseils donneriez-vous à un élu qui souhaite se lancer ?
Je leur dirais d’essayer. Ceux qui ont déjà eu la chance de le faire sont à leur service pour un partage d’expérience. Le programme 1000 doctorants pour les territoires est là pour cela. Nous allons bientôt avoir une plateforme qui permettra de présenter les territoires, les projets, les doctorants et les laboratoires. Notre objectif, c’est que les gens se trouvent et puissent sceller leur projet pour avancer.

Quel est le coût pour une collectivité ?
Le coût chargé pour un doctorant est de 28 000 euros. Là-dessus, la convention CIFRE apporte 14 000 euros. Ce qui fait un coût annuel de 14 000 euros sans compter les autres aides possibles. Il faut multiplier ensuite ce chiffre par trois car la thèse dure trois ans. Avec les compléments de financements cela peut revenir à quelques milliers d’euros. Ce n’est pas forcément facile à monter mais c’est un dispositif vraiment intéressant. Il faut signaler que le ministère finance le programme 1000 doctorants pour les territoires. L’ANRT est elle en charge, pour le compte du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation de l’instruction des dossiers et de la gestion administrative et financière des CIFRE.

Avez-vous mesuré l’impact sur votre territoire ?
Oui. L’impact est évident. Nous avons par exemple avec Boris créé notre maison des services publics. Nous suivons la courbe du nombre de personnes qui viennent et leur satisfaction. Cela explose ! Nous n’avions pas d’objectif de rentabilité mais c’est de la satisfaction sociale. Elle a été boostée par son travail. Il y a également la possibilité à l’issue des trois ans de thèses de garder la personne en CDI. C’est ce que nous avons fait. Boris est désormais un agent territorial.

Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer ?
Ce n’est pas économique. En revanche, il y a une véritable problématique autour de la langue. Entre le vocabulaire d’un directeur de recherche, d’un élu ou d’un étudiant, il y a des différences. Bien souvent, vous parlez de la même chose mais avec des mots différents. Ou vous pensez parler de la même chose alors que pas du tout. Il y a tout un travail d’intermédiation qui est important. Au départ, ce sont des mondes qui s’ignorent beaucoup.

Est-ce un projet facile à porter politiquement ?
Oui. Il y a quelques freins à lever. Par exemple, il faut expliquer que la commune va embaucher quelqu’un. Par les temps que nous vivons ce n’est pas forcément évident. Il peut aussi y avoir un problème juste avec le nom de « chercheur ». Mais quand cela fonctionne, au contraire, cela devient très porteur ! Quand je croise des personnes qui me parlent positivement de la maison des services publics, c’est plutôt valorisant.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne