La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à un projet national. Dix territoires se sont lancés dans une expérience sans précédent : éradiquer le chômage de longue durée. Pour y arriver, ils se sont fixés comme défi de proposer un emploi en CDI à tous leurs chômeurs de plus d’un an. Le projet est encadré à l’échelle nationale par une loi d’expérimentation votée à l’unanimité à l’assemblée nationale en 2016. L’association « Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée » a désormais jusqu’en 2022 pour prouver que son idée peut avoir un vrai impact en France.
Sommaire:
- Introduction
- Mise en place de l’initiative nationale
- Le projet à Pipriac et Saint-Ganton
- Dupliquer le projet
– Introduction –
Les interview sont disponibles au format vidéo ou texte pour chaque question.
– Mise en place du projet –
Comment le projet s’est-il mis en place ?
Cette expérimentation n’est pas arrivée par hasard. Elle est liée à un travail d’une dizaine d’années. Les idées pivots de l’expérimentation ne sont pas nouvelles. Ce qui est nouveau , c’est de s’en saisir. L’idée centrale, c’est de dire que personne n’est inemployable. La seconde idée, c’est qu’il y a beaucoup plus de travail utile à réaliser sur un territoire qu’il n’y a de temps disponible chez les chômeurs de longue durée. Et la troisième, c’est qu’il n’y pas de problème d’argent pour financer l’emploi, il faut simplement faire de l’activation de dépenses passives. C’est à dire prendre les coûts de la privation d’emploi pour les injecter afin de financer des emplois.
En quoi votre démarche apporte un nouveau regard ?
Ce qui est original dans cette expérimentation, c’est la manière dont nous avons cousu ces trois idées autour de la notion d’initiative territoriale responsable. Autrement dit, en partant du terrain et non pas d’en haut. Nous disons, si un territoire veut réduire le chômage de longue durée et donner au citoyen le droit qu’il a de participer à la vie économique, il faut que ce soit le territoire qui mette en œuvre une méthode très précise.
Quelle est cette méthode ?
Notre méthode se déroule en quatre étapes. La première, c’est de parvenir localement à un consensus. J’aime même dire, une unanimité sur la volonté collective d’expérimenter. C’est long et difficile car il faut que le maire ou le président de la communauté de commune rassemble autour de la table toutes les parties prenantes de l’emploi c’est-à-dire de la vie économique et sociale. C’est tout aussi bien les associations locales que l’ensemble des syndicats, des patrons, des artisans… Toutes les personnes qui constituent le tissu local. Tout le monde doit être d’accord pour cette expérimentation.
C’est long et compliqué car il faut détruire beaucoup d’idées reçues avant de passer à la seconde étape qui correspond au fait de rassembler tous les demandeurs d’emplois du territoire. C’est évidement libre, on ne fait pas de travaux forcés. À ce moment-là, il faut leur dire qu’est ce que vous voulez faire, qu’est ce que vous savez faire et qu’est ce que vous acceptez d’apprendre ? C’est tout. Il faut leur dire cela dans un contexte inhabituel, un contexte où il n’y aura pas de sélections où ils vont être 30 ou 40 et où il finiront par être tous recrutés. Ça change tout. Ce n’est pas une sélection mais un accueil de tout ceux qui veulent un emploi. C’est une étape qui demande un peu d’argent car il faut du temps et des gens compétents.
La troisième étape consiste à dire, nous savons qu’il y a du travail utile et nous allons le chercher. Nous pouvons le faire car nous savons pourquoi ce travail est utile. Il le sera pour l’ensemble de la population mais aussi pour les personnes qui sont aujourd’hui exclues. On fait alors un inventaire avec des tas de choses dans des domaines très divers. La seule contrainte, c’est que ces tâches soient issues d’une économie interstitielle, que cela vienne compléter ce qui existe déjà, combler des vides. À ce stade, on connait les futurs salariés et les futurs travaux. Il faut alors réaliser le « matching ». C’est à dire le rapprochement entre les uns et les autres.
La quatrième étape est alors l’occasion de la mise en œuvre des entreprises à but d’emploi qui correspondent à ces trois premières étapes.
– Le projet aujourd’hui –
Comment le projet a-t-il été accueilli à Pipriac ?
L’accueil de la part des chômeurs a été assez étonnant : ils ont suivi. Pourtant nous avions commencé en 2014, c’est à dire avant que la loi d’expérimentation soit votée (2016). Ils ont pris le risque de réussir avec nous. Ils se sont dit « de toutes façons on a rien à perdre ». Ça a été une force de pour nous de voir qu’il y avait autant de personnes qui y croyaient. Ensuite, on a commencé à chercher les travaux utiles avec eux. Ce sont des personnes qui vivent sur le territoire, elles repèrent ce qu’il peut manquer au quotidien. Ils nous ont apporté les premières idées de choses utiles à faire sur le territoire. C’est un projet collectif qui s’est construit avec eux. C’est pas une équipe qui a construit à leur place cette entreprise qui aujourd’hui est ouverte.
Comment fonctionnez-vous au quotidien ?
L’idée de base, c’est qu’on crée une entreprise qui recrute, sans sélection, les personnes qui lui sont présentées et qui cherche des activités qui correspondent à ce que souhaitent faire ces personnes. Bien sur c’est dans l’idéal ! Parfois on a des clients qui nous demandent de faire des choses pas forcément agréable mais dans ce cas il faut qu’il y ait de la solidarité et que chacun prenne sa part pour faire ce travail-là. Mais on cherche à coller au maximum aux envies et aux savoir-faire des personnes. On fait alors du CDI à temps choisi, c’est-à-dire que celles qui souhaitent travailler 35h, on fait un contrat à temps complet et celles qui veulent travailler moins, on fera un contrat avec moins d’heures. C’est le salarié qui dit le temps de travail qu’il souhaite.
Quels sont les travaux utiles que vous avez pu recenser ?
On a une grande diversité des activités. Pour les communes, par exemple, nous faisons la sécurité aux abords des écoles, le nettoyage des panneaux de signalisation ou la vérification de la numérotation des maisons. Nous faisons du désherbage manuel aussi car les collectivités ne peuvent plus utiliser certains produits. Tout cela, se sont des activités que les communes n’ont plus les moyens de faire. Côté entreprises, nous faisons toutes sortes d’activités. Pour une entreprise de transport : nous réparons des palettes, pour une entreprise informatique : nous avons fait du classement de factures ou du nettoyage de voitures. Ce sont des choses que les entreprises font sur les temps de loisirs ou ne font pas du tout. Ce sont des tâches qui ne sont pas prioritaires mais le fait qu’elles ne soient pas faites, cela perturbe le bon déroulement de l’entreprise. Nous rendons service aux entreprises et améliorons le cadre de vie des habitants. Nous avons même mis en place un commerce ambulant. C’était un vrai besoin mais qui n’était pas rentable. Nous nous pouvons le faire grâce à notre système.
Quelles sont vos relations avec les entreprises locales ?
Il faut que tout le monde joue le jeu. Les entreprises ont assez rapidement compris leur intérêt. Il a d’abord fallu les rassurer sur le problème de la concurrence. Qu’elles puissent voir comment nous résonnions et que cela ne nous intéressait pas du tout d’aller leur prendre leur travail. Il y a aussi un comité local qui s’assure que nos activités sont bien supplémentaires à ce qui existe déjà et pas concurrentes. L’autre intérêt, c’est qu’il y a une dynamisation du territoire. Ces chômeurs qui trouvent un emploi, ils vont pouvoir consommer, mieux faire tourner les entreprises locales. Enfin, il y a question de l’aide. Nous avons su créer des moments de rencontres pour que puisse mieux connaitre l’autre. Donc dès que l’on ne voit plus le chômeur comme quelqu’un qui se complaît dans sa situation mais plutôt comme quelqu’un qui est en souffrance et veut vraiment travailler, on veut vraiment l’aider. Les chefs d’entreprise se sont aussi engagés pour la dimension humaine.
Combien d’emplois avez-vous créé ?
Nous avons une cinquantaine de personnes. Ils étaient au chômage de longue durée et ils sont aujourd’hui en CDI. Il en reste encore une trentaine à embaucher sur notre liste. Mais après parfois, nous en découvrons de nouvelles en faisant des opérations de porte à porte etc… Aujourd’hui, on est sur 80 mais en régime de croisière, nous serons sûrement aux alentours d’une centaine de personnes. C’est vraiment le principe de base du projet : proposer un emploi à tous ceux qui veulent travailler. Nous ne voulons laisser personne de côté qui voudrait être utile. C’est inadmissible de condamner des gens à l’inutilité dans cette société.
– Comment dupliquer le projet –
Quelle est la suite prévue pour cette expérimentation ?
On se projette déjà dans l’avenir car nous sommes ambitieux. Ce n’est pas nouveau, au lancement du projet, on nous qualifiait d’utopistes. Nous on défend une utopie réaliste, c’est-à-dire qu’on a l’ambition de réussir. Nous voulons réussir l’expérimentation dans les dix premiers territoires concernés. Mais nous voulons aussi préparer la deuxième étape, pour qu’il y ait une deuxième loi en 2019 avec un droit d’option qui permettrait à tout territoire qui voudrait tester l’idée de le faire à partir du moment où son projet est sérieux. On doit lutter contre le chômage de longue durée car il touche près d’un chômeur sur deux. C’est un fléau.
Il y a donc une volonté de rapidement étendre l’expérimentation ?
Nous savons maintenant que cela marche. Que cela repose sur des activités nouvelles qui n’entrent pas en concurrence avec celles déjà présentes sur les territoires. Qu’il n’y pas de sélections des chômeurs de longue durée. On sait aussi qu’il y a des limites avec des difficultés que l’on a identifiées et que l’on va pouvoir résoudre. Pour s’inscrire dans la durée, nous devons maintenant convaincre les pouvoirs publics pour que le président de la République ou le premier ministre puissent porter cette idée à leur niveau. Je sais que le président est sensible à notre démarche, qu’elle l’intéresse. Il faut que l’on puisse créer un droit d’option qui ne permettra pas que d’expérimenter mais aussi que le projet puisse s’étendre là où il y a des volontés.
Il faut du temps pour déployer sur un territoire une telle initiative ?
Ce n’est assurément pas un modèle hydraulique où l’on appuie sur un bouton et ça crée les effets. Il faut d’abord respecter toutes les étapes avec chacun des acteurs. Notamment avec les chômeurs de longue durée pour qu’ils soient acteurs dès le départ du projet. Dans le territoire qui sont aujourd’hui les plus avancés, nous avons vu qu’il a fallu deux ans de préparation avant de pouvoir activer le lancement. Cela demande du temps. Il faut construire un consensus local. Ce n’est pas une baguette magique.
Comment ces nouveaux emplois sont-ils financés ?
Nous activons ce que nous appelons des dépenses passives. Nous mobilisons le coût du chômage pour financer en partie les emplois supplémentaires du territoire. C’est un modèle assez original. Nous disons : il y a des coûts et pour les éviter, mieux vaut accompagner les gens pour sortir du chômage. Cela sera un bénéfice pour la personne, les entreprises et pour le territoire, via les recettes fiscales et l’activité économique créée. Tout cela c’est plus que le coût du chômage, c’est bon pour tout le monde. C’est un cercle vertueux. Il faut se dire aussi qu’à terme, nos entreprises à but d’emploi, vont aussi créer un modèle économique qui dans le temps va pouvoir s’auto-financer. Les activités qui vont se développer vont ensuite intégrer l’économie classique.
13/ Quels acteurs participent à ce fond ?
Tout le monde. C’est l’Etat, les conseils régionaux et départementaux, les communes… Tout ceux qui mobilisent des fonds publics pour accompagner les personnes qui sont au chômage de longue durée. Par exemple à l’échelle de la commune, il y a le CCAS qui doit accompagner les chômeurs. A l’échelle du département, c’est ce coûte le RSA. Pour les régions, c’est la formation professionnelle. Toutes ces aides cumulées représentent environ 17 000 euros par an et par personne selon les études sans prendre en compte les dépenses de l’Unédic. Les acteurs ont donc un intérêt à participer au financement du smic du contrat créé qui va coûter aux alentours de 20 000 euros.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne