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Castillon la Bataille (33) : un poste de concierge de ville créé pour lancer l’expérimentation Territoire zéro chômeur

La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à une initiative portée par la ville de Castillon la Bataille. Le territoire souffre d’un taux élevé de chômage. Il se prépare depuis 2017 pour entrer dans l’expérimentation Territoire zéro chômeur. Depuis deux mois, la ville a concrétisé cette volonté par une action symbolique. L’association Casti’lab a pu embaucher un premier chômeur de longue durée, sur le même principe que Territoire zéro chômeur. Un CDD d’un an pour Jérôme Martin qui est devenu le concierge de la ville. Un rôle qui a été d’autant plus important pendant le confinement et la crise du Covid19.

Nous avons interviewé Audrey Vendrame, chargée de développement Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée à la mairie de Castillon la Bataille, pour en savoir plus sur leur démarche.

Pour en savoir plus sur l’expérimentation « Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée », vous pouvez lire (ou relire) notre interview des porteurs du projet au niveau national : Éradiquer le chômage de longue durée sur les territoires

– Mise en place du projet –

Vous êtes candidat pour être territoire d’expérimentation Territoire zéro chômeur ? Pourquoi ? 

Le maire Jacques Breillat et Audrey Vendrame lors de la grève du chômage

Castillon la Bataille est un territoire avec une grand fragilité sociale, nous avons 25% de personnes bénéficiaires du RSA et 25% de chômage. Aujourd’hui, nous devons trouver une solution pour résoudre cette problématique. Monsieur le maire, Jacques Breillat, s’est renseigné sur les différents dispositifs existant mais notre ville ne rentrait jamais dans leurs critères. Soit la ville était trop petite, soit trop grande, ou autre. Et en 2016, il a entendu parler de Territoire zéro chômeur, enfin quelque chose où nous pouvons candidater pour régler notre problématique de territoire. Nous avons été candidat à la première vague, mais nous n’avons pas été sectionné. Le maire et le conseil municipal savaient qu’il y en aurait une seconde, ils ont alors décidé de se préparer. 

Qu’avez-vous mis en place ? 

Dès janvier 2017, le maire a embauché un chargé de mission pour préparer le territoire et se tenir prêt à entrer dans la seconde vague. Nous avons ensuite répondu aux différentes phases. La mobilisation des personnes privées durablement d’emploi, la mobilisation des partenaires (sociaux, les entreprises, les collectivités, les habitants, etc), avec un travail sur le consensus local et en repérant les besoins du territoire auprès de tous les acteurs confondus. 

Comment avez-vous fait ?

Réunion des Castillonnais privés durablement d’emploi

Castillon la Bataille a été un lauréat de l’outil Le Labo mobile, de l’agenda 21 du département. Il accompagne des objectifs comme « zéro voiture », « zéro pesticide », « zéro chômeur ». Grâce à lui, nous avons pu organiser un cycle de cinq rencontres. La première avec les acteurs sociaux (AMDS, pôle emploi, mission locale, Cap emploi, etc), ensuite avec les demandeurs d’emploi longue durée, mobilisé grâce aux acteurs sociaux qui les ont contactés. La troisième s’est déroulée avec les acteurs économiques (les entreprises et les associations), la quatrième était collective et la dernière servait de restitution finale. L’objectif était de se projeter, nous leur expliquions : « Aujourd’hui, nous sommes en 2025, il n’y a plus de chômage à Castillon la Bataille, nous avons réussi, il faut que nous expliquions à la France entière comment nous avons fait. Pour cela, on va élaborer un film avec différentes séquences ». C’était une manière originale et positive de repérer les besoins du territoire. 

La grève du chômage a également été efficace en 2018 et en 2019. Les demandeurs d’emploi sont partis du constat qu’un employé mécontent peut faire grève, alors un chômeur privé d’emploi le peut aussi. Ils ont alors développé des activités, réalisé des travaux utiles pour le territoire : un jardin partagé, restauration une tombe d’un soldat de la première guerre mondiale, glanage pour concevoir des soupes.  

Pour repérer les besoins du territoire, nous avons bénéficier de l’ingénierie de l’Afpa qui nous a aidé à élaborer un questionnaire et à traiter les données. Nous avons distribué ce questionnaire à toutes les entreprises et aux habitants. Les demandeurs d’emploi ont également tenu des permanences sur le marché pour mieux connaître les besoins du territoire. Les réponses ont permis d’amender le questionnaire de l’Afpa. Aujourd’hui, les demandeurs d’emploi se réunissent toutes les deux semaines pour des actions de ce type. 

Comment avez-vous eu l’idée d’ouvrir un poste de concierge de ville ? Comment s’est déroulée la mise en place ? 

Ce poste a été une manière pour nous de commencer à transformer l’essai. Nous voulons montrer que nous sommes prêts. Nous voulions qu’il réponde à un besoin, le président de Casti’lab a pensé au concept du concierge de ville. Il a vu qu’à Paris il y avait des missions plus ou moins similaires. Le maire et moi-même avons été séduit. Localement, ce type de poste n’existe pas. Nous avons ensuite rencontré les personnes que ce poste pourrait déranger pour en discuter. Nous respectons tous les principes de non concurrence, c’est important pour nous. L’association Casti’lab est une préfiguration de notre future entreprise à but d’emploi. Le poste de concierge de ville est un poste clé car il continue d’aller à la rencontre des différents acteurs et de recenser leurs besoins, mais directement sur le terrain. 

Comment avez-vous choisi le candidat ? 

Le principe de Territoire zéro chômeur c’est de ne pas choisir à partir du CV. Nous avions diffusé l’offre via tous nos partenaires sociaux. Sept personnes se sont montrées intéressé. Et M. Jérôme Martin a su faire la différence car il connaissait bien l’expérimentation, il s’était renseigné, et pour nous c’était essentiel de comprendre que ce n’était pas juste un poste de conciergerie mais que ça faisait partie d’un projet plus global, que derrière, il y aura la création d’autres emplois.

– Le projet aujourd’hui –

Quand le concierge a-t-il été embauché ? Quelle est sa journée type ?

Il a pris ses fonctions le 2 mars. Il a un CDD d’un an à temps plein. Il se déplace en vélo, c’est un poste qui demande de la flexibilité. Pendant le confinement, il était chez lui, à part quand il réalisait des prestations. Maintenant, nous avons une salle à la mairie qui s’appelle « la conciergerie ». Donc les personnes peuvent le contacter par téléphone ou venir directement le voir. Nous avons communiqué le numéro partout : journal, panneaux électrique, site de la ville, réseaux sociaux, etc. Et là, nous allons distribuer des flyers dans chaque boîte aux lettres. 

Quelles sont ses missions ? 

Sa mission principale a été de réaliser les courses pour les personnes âgées et la livraison des devoirs aux élèves des écoles primaires, maternelles et au collège. Il a aussi pré rempli et apporté des attestations, branché des appareils multi ménagers, réparé des meubles, peint un banc, changé des ampoules, et beaucoup de missions de jardinage. 

Une aide d’autant plus utile en période de confinement…

C’était un hasard, nous ne nous doutions pas qu’il y aurait le Covid-19 et le confinement quelques jours après son embauche. Finalement, heureusement qu’il était en place car il a été d’un très grand service pour la collectivité. C’est comme un concierge d’immeuble, mais pour la ville.

Ses missions sont donc réservées aux habitants de la ville ?

Avant le confinement, des entreprises souhaitaient faire appel au concierge. Nous allons reprendre ce démarchage. Nous pourrions aussi avoir des demandes des communes alentours. Au sein de notre entreprise à but d’emploi, il y aura une vraie conciergerie de ville. 

D’autres postes vont-ils être ouverts ? Quelle est la prochaine étape ?

Jérôme Martin, concierge de ville.

Les demandeurs d’emploi ont des idées précises, qu’ils vont présenter au maire la semaine prochaine. Ils aimeraient développer une conserverie. Concevoir des soupes, des smoothies avec les invendus du marché par exemple. Mais aussi faire du glanage, proposer d’aller entretenir les jardins de certains particuliers et récupérer les fruits et légumes non utilisé. Ils ont également commencé à faire du recyclage de palette et de tissu pour fabriquer du mobilier. Aujourd’hui, nous n’avons pas les financements pour créer ces postes, nous nous tenons prêt. Nous attendons juste que notre dossier soit accepté pour créer notre entreprise à but d’emploi. 

Quand aurez-vous la réponse ? 

La proposition de loi a été créée mais le débat à l’assemblée nationale, qui devait être mi-mai, est repoussé à l’automne. Donc nous imaginons qu’après le débat pour voter cette loi, le dépôt des candidatures se fera avant fin 2020. 

– Dupliquer le projet –

Quel impact a le concierge sur le territoire ? 

Pendant le confinement, le concierge était à temps partiel. La maire a décidé de prendre en charge tous les prestations urgentes, nous avons donc travaillé étroitement avec le CCAS de Castillon. Celui-ci appelait toutes les personnes vulnérables de la commune une fois par semaine, et en fonction des besoins, ils renvoyaient sur le concierge de ville. En tout il a eu une soixantaine d’interventions en un mois. Maintenant, il est repassé à temps plein. Les personnes font appel à lui, comprennent le projet, tous les retours sont positifs, les partenaires ont suivi.

Comment avez-vous financé ce premier poste ? Combien gagne le concierge ? 

Nous sommes en partenariat étroit avec l’unité départementale de la Direccte, grâce à qui nous avons obtenu des financements de la fondation Suez, en plus de ceux que nous avions par le département, qui est aussi notre partenaire car le concierge a contrat PEC. Le poste a ainsi pu être créer. L’association le rémunère au Smic. Nous avons défini des tarifs, toutes les interventions qui sont en dessous de 30 minutes, c’est 5€, sinon c’est 10€. 

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Nous pensions en avoir plus, par contre, l’attente de la loi est très compliquée. Nous nous préparons depuis 2017, pour nous c’est long, et encore plus pour les personnes en demande d’emploi. Il faut qu’on reste actifs et mobilisés. Les personnes avec qui j’ai travaillé en septembre 2018 ne sont pas les mêmes aujourd’hui, à part deux ou trois. Parmi nos volontaires, l’une m’a dit qu’elle s’est rendu compte que le projet était faisable une fois avoir compris la démarche. Comme c’est un projet innovant et complexe, il faut bien comprendre pour ne pas trouver ça farfelu et irréalisable. Mais comme nos parlementaires prennent beaucoup de temps, il ne faut pas que l’espoir disparaisse chez ces personnes.

Quel conseil donneriez-vous à un territoire souhaitant se lancer dans l’expérimentation ? 

L’association nationale parle du consensus local, c’est une priorité, sinon le projet est impossible. Il faut que les élus, les habitants, les acteurs économiques soient d’accord. C’est un gros travail qui ne s’arrête jamais. C’est un projet qui n’est pas pour les demandeurs d’emploi mais avec. C’est ça qui fait que ça fonctionne. De leur part, il y a une motivation qui renaît et qui est énorme, malgré toutes les blessures qu’ils ont pu vivre. 

Propos recueillis par Lea Tramontin.