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Bioule : La cantine municipale accueille les enfants et les personnes âgées

Cette semaine, la lettre de l’impact positif vous propose de découvrir une initiative menée par la mairie de Bioule (82). Depuis six ans, les personnes âgées du village ont la possibilité de manger à la cantine municipale avec les élèves de l’école. Pour six euros par repas, elles peuvent manger le même repas que les enfants. Une bonne occasion de créer du lien intergénérationnel tout en proposant un véritable service.
Pour en parler, La Part du Colibri a mangé à Bioule afin de rencontrer Florence Danthez, première adjointe au maire.
Sommaire:

– Introduction –


L’ interview de Florence Danthez est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.

– Mise en place du projet –

Comment l’idée vous est-elle venue ?
L’idée est venue avec la construction d’une nouvelle cantine en novembre 2010. Les papis et les mamies habitant le quartier ont sollicité le maire pour demander s’ils pouvaient envisager de manger dans cette cantine, une fois la construction terminée. Le maire avait eu justement la même idée. Nous avons, dans un premier temps, ouvert avec uniquement les enfants pendant les premières semaines. Puis nous avons proposé aux papis et mamies de venir partager le repas des enfants. Bien sûr, il a fallu fixer des règles : trouver un âge, plutôt minimum que maximum ; fixer le prix du repas et vérifier la non-concurrence auprès des acteurs concernés. Une fois tous ces détails réglés, le conseil municipal a délibéré et les premiers convives, de plus de 75 ans, sont venus prendre leurs repas au début de l’année 2011.


Qui sont les « papis et mamies » ?
Ce sont les habitants de Bioule de plus de 75 ans. Très récemment nous avons également décidé d’élargir cette possibilité aux personnes des communes avoisinantes. En effet, certains habitants ont des amis qu’ils ne voient que rarement et avec qui ils souhaiteraient déjeuner. De temps en temps, nous les aurons donc à table avec nous et avec les enfants.

L’objectif était de créer du lien intergénérationnel ou de proposer un service pour les personnes âgées ?
Il était double. Nous voulions créer du lien intergénérationnel. Sur ce point, ce fut au-delà de nos espérances car la joie était totalement partagée. Les enfants étaient aussi contents que les papis et les mamies de partager leur repas. De plus, ce fut l’occasion de créer des liens entre les personnes âgées car à partir d’un certain âge, elles ne sortent plus beaucoup de chez elles et les rencontres se font rares. Ce sont des gens qui ne se voyaient pas et qui maintenant se retrouvent pour parler du passé, des gens qu’ils ont connus… Et tous les jours à midi, les conversations ont de la peine à s’arrêter.

Quels liens ont été créés ?
Avec les enfants, les animateurs du centre de loisirs ont eu la bonne idée de prolonger ces liens. Il y a eu des jeux de société, des petits travaux manuels faits par les mamies. Ce sont des liens qui vont au-delà d’une discussion autour d’une table. Quand des familles rencontrent un des papis ou mamies de la cantine dans la rue, cela devient « Tiens c’est mamie Denise, ou Marie-Louise… » et les enfants vont lui faire la bise. Les parents font ainsi la connaissance de cette dame qu’ils n’auraient jamais eu l’occasion de connaître avant.

Que fallait-il pour respecter la loi ?
La préfecture nous a demandé de veiller à la concurrence, surtout vis à vis du service de portage de repas. C’est quelque chose de vraiment différent puisque cela s’adresse plutôt aux personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer. Il fallait aussi veiller à ne pas concurrencer les trois restaurants du village. Nous en avons parlé aux restaurateurs et ils n’y ont vu aucun inconvénient. Au contraire, quand la cantine est fermée pendant les vacances scolaires, notre groupe de fidèles va au restaurant pour ne pas se retrouver seul tous les midis.

Il ne fallait pas que la mairie se pose comme un concurrent…
Tout à fait. Il ne fallait pas créer un service déloyal par rapport à ce qui existait car nous avons un prix de repas très bas. Il revient juste à ce qu’il coûte à la mairie, c’est à dire 6 euros. Cela comprend la nourriture, les frais de personnels, les charges liées aux fluides… Nous ne voulions pas que le contribuable intervienne dans le prix du repas. C’est le prix de revient net d’un repas. Cela permet d’être accessible à toutes les bourses et d’avoir un système très égalitaire.

– Le projet aujourd’hui –

Comment fonctionne le repas aujourd’hui ?
Nous avions posé des règles. La délibération précisait qu’il fallait s’inscrire une semaine à l’avance, elle limitait à douze places les inscriptions et il fallait acheter son ticket en avance. Sur les places, c’est respecté. Nous avons un groupe de six personnes qui viennent régulièrement et ce groupe peut s’élargir à une douzaine de personnes quand ils fêtent leur anniversaire. En revanche, pour l’inscription en avance nous n’avons pas réussi. Mais nous avons deux cantinières adorables qui ont un très bon contact avec eux et qui passent au- delà des rigidités que pourrait avoir un tel système. Elles prennent même le temps de prendre le café avec eux, de discuter. C’est très important dans la réussite de cette initiative.

Chaque midi, quel est le rituel mis en place ?
Les papis et les mamies arrivent un petit peu avant les enfants vers 11h55. Les jours d’été, ils s’installent à l’extérieur pour les accueillir et l’hiver, ils les attendent à table. Nous coupons le groupe en deux pour faire des tables mixes avec les enfants. Une fois le repas terminé, nous ne les mettons pas dehors. Les enfants repartent vers la cour de récréation et eux restent encore une bonne heure de plus pour prendre le café tranquillement. Il n’y a souvent que lorsqu’on passe le balai sous leurs pieds qu’ils comprennent qu’il va peut-être falloir déménager…

Qu’est- ce que cela apporte aux enfants ?
D’abord ils font des blagues. Ils adorent rire en leur faisant des surprises. Parfois mamie Marie-Louise retrouve une fourchette cachée dans son déambulateur, ou alors ce dernier disparaît le temps d’une course entre enfants… Ils font des plaisanteries et échangent à table sur des tas de sujets. Comment était le village autrefois ? Comment se déroulait le certificat d’études ? Des informations qu’ils n’ont plus bien souvent dans leurs familles. C’est du savoir. Autrefois, il y avait plus d’échanges quand les différentes générations se rencontraient lors des repas de famille. C’est un peu plus rare aujourd’hui. Avec les papis et les mamies, il y a un véritable échange et une convivialité. Il y a même quelques remarques de politesse ou des petites leçons qui se font très naturellement.

Et dans l’autre sens, qu’est-ce que cela apporte aux personnes âgées ?
Le gros intérêt, c’est que cela anime leur journée. Le quotidien d’une personne âgée qui ne travaille plus et qui est seule, c’est une longue journée. Encore plus l’hiver ! Souvent, sans ce repas, elles ne verraient personne si ce n’est leur aide- ménagère. Les familles sont assez loin, ce n’est pas facile. Une de nos mamies nous dit que les jours où elle vient à la cantine, elle dort mieux car elle a vu du monde et qu’elle a une saine fatigue. Cela évite d’être dans des pensées qui tournent en boucle et qui sont tristes pour des personnes seules.

 

– Comment dupliquer le projet  –

Est-ce que d’autres communes se sont intéressées à votre projet ?
Nous avons été sollicités de nombreuses fois. Mais, à ma connaissance, seulement deux d’entre-elles ont réussi à mettre en place ce type de relation intergénérationnelle. L’une, en Charente-Maritime, le fait de façon plus ponctuelle, c’est à dire une fois par semaine. Et l’autre, plus près de chez nous, vers Montauban, l’a mis en place au quotidien mais je n’ai pas de retour sur le fonctionnement. Il n’y a pas de raison que ce ne soit pas un succès car ils avaient les mêmes ingrédients que nous. Je rappelle souvent aux gens qui nous contactent que cela tient beaucoup à la gentillesse et à la disponibilité de nos cantinières. Si vous dites aux personnes âgées que c’est entre 12h et 12h30 et qu’à 12h31, vous les mettez dehors ça ne peut pas marcher. Ils attendent un moment de convivialité.

Pourquoi n’y a- t- il pas plus de communes qui dupliquent votre projet alors qu’il parait simple ?
C’est vrai que c’est une idée extrêmement simple. Alors pourquoi ? Je ne sais pas. Je crois que là où cela n’a pas fonctionné, cela était dû à un problème de communication. Ici tout le monde se connait. Quand nous avons mis en place cette initiative, nous ne nous sommes pas contentés d’envoyer un courrier. Nous sommes allés voir chaque personne concernée. Cela a pris du temps, presque un mois. Nous avons pris le temps d’expliquer le projet et c’est ce qui fait que nos âgés se sont sentis bien accueillis.

Justement quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Je dois avouer que nous n’en avons pas trop rencontrées. Dans le groupe, nous avons en revanche des personnes qui nous ont quittées ou qui sont parties en maison de retraite. Cela fait un vide mais c’est la vie, ça l’apprend aux enfants. Un jour, ils n’ont plus eu papi Pierrot qui était un des pionniers, ça fait partie de l’apprentissage de la vie. Après, il faut quand même que les personnes âgées s’entendent bien, qu’elles aient une bonne communication entre elles. Sinon cela peut vite « coincer ». Mais nos cantinières les connaissent bien et s’il y a un problème, elles organisent les tables avec finesse !

Quels prérequis faudrait-il pour une commune qui voudrait s’y mettre ?
Il est impossible de faire abstraction des éléments techniques. Il faut de la place dans les cantines par exemple. Dans la commune qui vient de nous imiter, ils avaient deux services. Ils ont pensé que les personnes âgées voudraient manger à midi pile mais en fait le deuxième service est plus adapté. Il faut penser à tous ces éléments qui font que les gens vont se sentir bien et avoir envie de revenir. Car les personnes âgées sont quelquefois, sauf peut-être sur le plan culinaire, difficiles à satisfaire. Mais bon c’est normal !

Combien cela coûte-t-il à la commune ?
Rien. Peut-être un peu, mais nous ne l’avons pas quantifié, de disponibilité de personnel. Six repas par jour ou un peu plus, cela prend un peu de temps en plus. Sinon le prix du repas payé par les personnes âgées comprend tous les autres éléments. Le menu par contre est identique. C’est un des préalables que nous avions posés. Nous ne sommes pas en mesure de faire un menu de régime ou sans sel. Ce sont des menus équilibrés, en grande partie faits sur place et en partie aussi avec des produits locaux. Les personnes âgées ont le même repas que les enfants mais avec un café et un verre de vin à table.

Avez-vous mesuré l’impact du projet ?
L’impact social au niveau de la commune est difficilement quantifiable mais nous l’avons mesuré par le bouche à oreille. C’est quelque chose qui est ressenti très positivement par les habitants de la commune, qu’ils soient ou non concernés d’ailleurs. Au niveau national, voir même international, les retombées ont été importantes puisque nous avons été contactés par une trentaine de communes et on a eu la chance d’avoir des reportages. Cette semaine, notre maire se rend même à Vienne pour présenter le projet aux journées européennes de l’innovation sociale. Nous avons été retenus au milieu de plus d’une centaine de projets.

Y a- t- il eu une opposition politique ou citoyenne ?
Une opposition politique non. Citoyenne, il y a eu quelques craintes parmi les parents d’élèves. C’était plutôt de la méconnaissance. Ils se demandaient qui étaient les personnes âgées, quel était leur état de santé …etc. Mais tout cela s’est très vite dissipé dès les premiers repas. Je dirai que cela peut être mis en place dans n’importe quelle commune, même si c’est plus facile en zone rurale avec une échelle de commune d’un millier d’habitants. Les gens se connaissent et cela facilite les choses.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne