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Alfortville (94) : le Kiosque numérique, un lieu d’accueil pour aider les usagers dans leurs démarches

La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à une initiative développée dans la commune d’Alfortville (94) :  le Kiosque numérique. Ce nouveau lieu permet de réaliser toutes les tâches administratives. C’est un service supplémentaire afin de proposer un accompagnement humain personnalisé aux citoyens ayant besoin d’aide pour effectuer leurs démarches dématérialisées. Situé juste à côté de la gare de RER, Le Kiosque est ouvert sur des horaires différents de ceux de la mairie. Il se rapproche de la démarche des maisons France Service souhaitées par le gouvernement.
Nous avons interviewé Eric Bocquel, directeur de la modernisation et de l’innovation de l’action publique à Alfortville pour qu’il nous parle plus précisément de cette initiative.
Avant cela prenez le temps de découvrir notre reportage vidéo tourné au kiosque :

Sommaire:

– Mise en place du projet –

Comment vous est venue l’idée du kiosque numérique ?
À l’origine, il y a un engagement de la ville combiné à une opportunité de pouvoir s’installer sur la place de la gare, où passent environ 12 000 usagers au quotidien. Le Kiosque, c’est l’idée d’assurer un service de proximité. À la fois en proposant des démarches administratives pour la ville mais également des dispositifs mis en place par nos partenaires territoriaux et institutionnels comme l’État : service-public.fr, les impôts, la CAF, Pôle emploi. Cet équipement permet aussi de valoriser les projets, notamment urbains, qui ont eu (ou qui vont avoir) lieu dans la ville, à travers une maquette 3D en temps-réel.

En plus de cette opportunité, y avait-il une réelle demande du public ?
Oui. Il y a une demande qui est remontée l’an dernier lors de la période de concertation menée par les élus de la ville. Les citoyens souhaitaient avoir la possibilité d’avoir un équipement de proximité avec des horaires plus adaptés. Pour compléter, nous pouvons dire que nous sommes dans une période avec un besoin de médiation important pour les oubliés du numérique, ceux qui ne sont pas à l’aise avec ces outils parfois complexes. C’est ce public qu’on a majoritairement reçu dans ces premiers jours d’ouverture. De nombreux individus sont un peu perdus. Ils sont outillés, ont des smartphones mais ce sont des démarches qui nécessitent une certaine dextérité. C’est aussi pour cela que nous avons lancé une application mobile au même moment. Nous devons apporter de nouveaux outils et qu’ils prennent goût à les utiliser, et progressivement s’autonomiser.

Quelles ont été les étapes de la mise en place du projet ?
L’opportunité s’est présentée fin 2017. Le temps de concevoir le projet, de faire en sorte que le contenu soit validé par tout le monde et d’établir les conventions avec la SNCF, nous avons travaillé pendant environ un an. À partir du moment où les fournisseurs et les prestataires ont été choisis, nous avons pu réellement travailler sur la mise en œuvre. Cela date du mois de mars. En terme d’aménagement intérieur (sol, plafond, banquettes connectées) et sur l’aspect numérique, une dizaine de fournisseurs ont participé pour rendre le dispositif opérationnel. Au total, c’est donc un projet de presque deux ans.

Quels sont ces acteurs et quels rôles ont-ils eu ?
La ville est maître d’œuvre. En interne, quasiment tous les services ont travaillé sur ce projet : les services techniques pour l’aménagement, les services numériques, la direction en charge de faire vivre l’équipement en même temps que la mairie et l’hôtel de ville, le service communication, celui des archives, etc. Chacun a pu proposer d’investir le Kiosque pour développer une initiative (semaine des seniors, de la petite enfance, etc.) En interne, environ 60 à 70 personnes ont contribué à faire naitre et font vivre cet équipement.
En externe, nous avons travaillé dans le cadre d’une programmation : « Les explorateurs du numérique », de la métropole du Grand Paris. Elle nous donne un financement important, en plus de celui de la ville. Une vingtaine d’entreprises sont aussi intervenues. De celles qui s’occupaient de l’aménagement à celles portées sur numérique. Elles ont pu faire des choses innovantes comme la borne qui permet l‘accessibilité, et qui est sans doute, une des premières de ce genre en France.

– Le projet aujourd’hui –

Quel est le but, concrètement, de ce lieu ?  
Cet équipement fait référence à un projet mené depuis 2014, sur la relation usager. Nous faisons en sorte que les démarches de la ville soient humanisées. Dans le Kiosque, il y a donc une banque d’accueil plutôt classique comme à l’hôtel de ville ou la mairie de proximité.
Et en même temps, dans cet équipement, nous avons mis en place des dispositifs qui permettent aux gens de faire leurs démarches en toute autonomie mais aussi, et surtout, de faire en sorte qu’une partie de la population qui n’a pas forcément de facilité ni de possibilité d’accéder aux démarches en lignes, d’êtres accompagnées. Cela se fait de deux manières. Premièrement, nous proposons un accompagnement par les conseillers usagers qui sont dans le kiosque. Elles vont aider les personnes à faire leurs démarches. Celles-ci peuvent être alfortvillaises mais pas seulement (cela peut être une demande de carte grise par exemple). Deuxièmement, nous avons mis en place une borne dans un espace confidentiel. Ce moyen est à destination des personnes qui sont sourdes et malentendantes ou les personnes qui parlent des langues que nous ne maîtrisons pas forcément. Nous disposons d’un panel d’environ 250 langues grâce à un partenaire. L’usager est mis en relation avec un traducteur. Cela permet d’instaurer un dialogue entre le conseiller et l’usager pour comprendre ce pourquoi il est venu. Nous pouvons alors lui expliquer comment entrer dans la démarche et l’accompagner jusqu’au bout.

Sur ce dernier point, ce sont de vraies personnes qui communiquent avec les utilisateurs ?
Tout à fait, nous sommes en visioconférence donc vous avez un système de micro, de caméra et vous avez un haut-parleur, d’où l’espace confidentiel pour fermer la porte. Une personne apparaît vraiment et vous avez trois modes d’échange : la langue des signes, un traducteur de langue particulière (anglais, arabe, arménien, etc.) et vous avez aussi possibilité de vous faire afficher une traduction à la volée. C’est-à-dire que le texte apparaît et vous pouvez lire directement ce qui a été dit.

L’idée derrière ce kiosque était aussi d’apporter des horaires différents ?
Tout à fait, c’est un équipement complémentaire aux autres accueils de la ville. Il rend possible l’accès à des démarches en dehors des heures de fermeture des autres équipements, il s’adapte au flux qu’on a sur la gare. Il est ouvert le matin dès 7h30 et ne ferme qu’à 19h30. Entre 11h et 16h il y a beaucoup moins de monde que le matin très tôt et le soir. L’idée, c’est vraiment de s’adapter à ça, le kiosque peut aussi être considéré en quelque sorte comme un laboratoire, on expérimente des choses. Si ça fonctionne, si ça rend service, il pourra être répliqué dans d’autres gares, par exemple sur le chantier du Grand Paris Express.

Comment le lieu fonctionne-t-il ?
Au niveau de l’organisation, notre volonté est de mettre en place une organisation en lien avec les usagers, de traiter leurs démarches et d’assurer un suivi afin de répondre aux demandes. Quand nous avons mis en place le Kiosque, avec ses horaires atypiques, il a fallu trouver le mode d’organisation qui fasse qu’il n’y a plus deux équipements (hôtel de ville et mairie) mais trois, sans ressources ajoutées. Cela se met en place grâce à la collaboration de la direction et des agents qui vont travailler sur ce lieu.
Au niveau de ce qui est proposé dans le kiosque, le but est de réaliser des démarches administratives. Certaines purement alfortvillaises : inscrire son enfant à l’école ou à la crèche, payer la cantine, acte d’état-civil, demande de CNI/passeport, connaitre les dispositifs mis en place par la ville. Nous les accompagnons aussi sur ce que l’état propose : déclaration d’impôt, compte de prestataire d’énergie, CAF, accès à votre messagerie électronique, numérisation et impression de document. L’idée, c’est que ce soit le plus éclectique et évolutif possible. Nous dialoguons avec les personnes qui passent dans le kiosque et si on nous formule une nouvelle demande, nous mettons le service adéquat en place.
L’équipement a aussi vocation à valoriser les projets d’aménagement urbain, notamment via la maquette 3D. Elle permet de montrer comment le sud de la ville a évolué lors du projet de rénovation urbaine. Cet outil va être alimenté avec les nouvelles opérations en cours pour que les habitants aient des idées concrètes de l’évolution de leurs quartiers.
Au-delà des projets actuels nous voulons valoriser l’histoire de la ville, qui est assez jeune via des médias, des concept ludiques. Un dispositif est déjà actif, c’est un jeu sur smartphone où nous pouvons nous promener dans des quartiers (et découvrir leur histoire), les lieux et personnages célèbres de la ville. Ce jeu est en réalité augmentée et quand l’utilisateur revient au kiosque il gagne un magnet avec la fourmi que l’on voit sur l’hologramme. Prochainement, nous aurons sur la grande tablette une vidéo immersive qui permettra de voir comment était la ville à l’époque, nous reviendrons notamment lors des inondations. Ces moyens sont complétement évolutifs, nous pouvons greffer tout type de solutions en fonction des besoins qui seront demandés.

Comment fonctionne le kiosque pour quelqu’un qui entre ?
Lorsqu’une personne entre, deux conseiller.es sont présent.es. L’un.e d’eux/elles va venir à sa rencontre. L’idée est de changer de l’accueil traditionnel, l’agent va venir au contact de l’usager, comprendre ce qu’il est venu est venu faire, l’orienter et la mettre en autonomie ou l’accompagner dans ses démarches. Le mode de fonctionnement est beaucoup plus dynamique, moins derrière des guichets et plus à la rencontre.

Ces dernières années, nous entendons parler de « fracture numérique », comment lutter vous contre cela ?
Nous avons mis de l’humain, pour être au plus proche des usagers et leur faciliter leurs démarches tout en les sécurisant. Pour les personnes habituées ça peut paraître simple mais en fait ce n’est pas si aisé que ça et c’est une problématique que nous rencontrons au quotidien. Un de nos objectifs est de prendre en charge les oubliés du numérique. Nous ne toucherons pas la totalité du public en dématérialisant les démarches. Encore 50 à 60% d’entre-elles effectuent leurs démarches Alfortvillaise au guichet. Et pour casser le mythe, il n’y a pas que des gens de plus de 50 ans qui ont des problèmes avec le numérique, ça touche tout type de personne. C’est un travail humain de longue haleine car il faut que les gens osent venir. Nous espérons qu’ils découvrent d’autres possibilité et repartent en se disant qu’ils vont se lancer dans ces démarches plus sereinement.

– Dupliquer le projet –

C’est un projet qui se rapproche de la démarche des Maisons France Services ?
Oui, c’est d’ailleurs un objectif. Nous en sommes encore au statut d’expérimentation, mais à terme, ce genre de dispositif va se généraliser. De profondes mutations sont en court, on peut dématérialiser beaucoup de démarches. Mais il faut quand même de l’humain derrière pour permettre aux usagers de les faire, parce que sinon il y aura des oubliés du numérique mais aussi des oubliés du service public.

Vous avez eu des retours ?
Nous avons une sorte de feuille de présence. Tous les jours nous notons les horaires de passages, la raison de la venue des personnes et les demandes qui ont été faites. Si nous ne pouvons pas répondre de suite, nous leur demandons de repasser pour y répondre plus tard. Nous avons commencé depuis une semaine donc c’est dur de donner des chiffres mais nous sommes sur environ 30/50 personnes par jour. Ce que nous jaugeons aussi c’est que les horaires proposés soient adaptés car 12 000 usagers passent devant le kiosque. Ceux qui rentrent ne sont pas forcément ceux qui prennent le train. Il y aussi des gens qui viennent exprès, parce qu’ils en ont entendu parler mais aussi car ils souhaitent être accompagnés, alors ils viennent avec leurs papiers.

Quel est le coût d’un tel équipement ?
Je n’ai pas les chiffres exacts mais hors investissement humain, nous sommes sur un total, tout confondu (aménagement, numérique, etc.) de l’ordre de 400 000 euros. Par-dessus, nous avons eu un financement de la métropole d’environ 168 000 euros. Une partie a servi à l’aménagement et l’autre au numérique.

Et quel a été le coût humain ?
On va parler en équivalent temps plein. Pour l’instant nous avons mobilisé une équipe de huit agents. Il y a un code du travail, donc nous ne pouvons pas faire travailler quelqu’un de 7h à 19h45. Nous avons donc une équipe du matin, qui termine à la mairie et une qui prend le relai en commençant sa journée dans son équipement habituel et en la terminant au Kiosque. L’idée, c’est que progressivement l’ensemble de la direction « relations usagers » travaille sur cet équipement. Ce n’est pas encore le cas, nous sommes sur une opération de lancement donc nous avons beaucoup joué sur le volontariat. Cela nécessite un effort de formation qui a été entrepris il y a quatre mois. Nous mutualisons les directions comme celle qui prend en charge les prestations familiales, l’état-civil, les demandes de logement, les CNI/passeport etc. Suite à cela, il a fallu que les agents qui viennent au Kiosque montent en grade sur ces différents métiers pour connaître les prestations et les logiciels auxquels ils se réfèrent. Comme nous gérons un accueil de type volant, les agents doivent être formés sur les outils numériques, connaître l’histoire de la ville, les projets d’aménagements, etc. C’est pour cela que nous avions un programme où l’ensemble des services viennent contribuer progressivement, non pas en venant au kiosque mais en accompagnant les agents en poste.

Vous êtes-vous fixés un objectif d’impact ?
Non. Mais nous avons prévu des évaluations tous les mois. Nous réaliserons un bilan quantitatif pour savoir combien de personnes ont été touchées et qualitatif, pour savoir quelles prestations ont été assurées ou non, ce qui est utile ou non. Si on veut le répliquer il faut savoir ce qui fonctionne ou non pour améliorer le service.

Avez-vous rencontré des difficultés ou des obstacles ?
Sur un projet de cet ordre-là, qui est très vivant, nous avons travaillé avec une équipe projet. Nous étions deux avec ma collègue en charge des relations usagers et moi avec deux directeurs généraux pour réussir à articuler correctement l’ensemble des services et des prestataires qui devaient permettre l’ouverture du kiosque. Comme dans tout projet il y a des moments où il peut y avoir des difficultés mais globalement ça s’est bien passé sans trop de soucis.

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous a une commune qui voudrait mettre en place un kiosque numérique comme le vôtre ?
Ce que je n’ai pas indiqué, et c’est le conseil que je donnerais, c’est que lorsque nous avons lancé ce projet, en parallèle sur le projet relation usager, nous avons fait un design de service. C’est une étape de co-construction sur la manière de mettre en place un accueil et une prise en charge des usagers. Nous avons impliqué tous nos agents concernés. En plus, nous avons aussi impliqué les usagers. Cela s’est fait avec des agences de design composées de sociologues, de designers graphiques, d’anthropologues, etc.
Ce qui a été très intéressant, c’est de comprendre comment nous fonctionnions à l’époque et comment nous pourrions mieux répondre aux demandes. Une centaine d’usagers ont été interviewés et nous avons fait des ateliers où nous mêlions usagers et agents. Cela a donné lieu à des propositions, toutes n’ont pas été mises en place mais cette étude nous a permis de mieux phosphorer sur l’ensemble de ces questions. Ce qui en est notamment ressorti c’est la problématique de l’accueil pour les démarches dématérialisées, nous avons rencontré des acteurs qui n’étaient pas vraiment positifs sur ces dispositions.

Propos recueillis par Léa Tramontin