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Adaptation des villes aux changements climatiques : "Il faut un changement global de mentalité, une vraie réflexion sociétale"

En cette semaine de fortes chaleurs, les journalistes de Territoires-Audacieux.fr ont décidé de vous proposer un focus sur des initiatives de lutte contre les îlots de chaleur urbaine. Nous avons voulu savoir où en étaient les différentes recherches dans ce milieu. Nous donnons donc la parole à Solène Marry, docteur en urbanisme à l’ADEME et Sophie Debergue, ingénieure et experte en urbanisme à l’ADEME.
En plus de leur interview, retrouvez des documents de recherche et différentes informations dans les liens ci-dessous : 

Enfin l’ADEME vient de sortir une formation en ligne (Mooc) en lien avec le CNFPT. Elle est disponible gratuitement sur la plateforme FUN Mooc (cliquez ici). Elle est à destination des élus et des agents qui ont envie d’en savoir plus sur l’aménagement durable de nos villes. Vous y trouverez par exemple une session sur l’adaptation au changement climatique.
Sommaire:

– Mieux adapter la ville –

La France connaît un épisode de canicule. Nos villes sont-elles suffisamment adaptées pour affronter le changement climatique ?
La canicule intervient comme un révélateur d’un problème croissant. J’ai entendu des comparaisons avec la canicule de 1947. Nous n’avons pas assez pris en compte que nous allons vers des modifications du climat. C’est assez récent que l’on y fasse attention dans l’aménagement des villes. Il y a un manque de prévention. L’urbanisme s’inscrit dans un temps long. Pour nous adapter au changement climatique, il faut prendre des actions dès maintenant. Nous nous sommes rendus compte que le fait que les villes soient très minérales avec des formes urbaines très octogonales cela piège la chaleur. C’est dommage car nous connaissons des moyens très simples d’agir, en jouant par exemple sur la couleur et la composition des matières, la végétalisation ou l’apport de l’eau. Je vous parle de moyens très simples et naturels. Je ne parle pas des climatiseurs qui surchauffent l’environnement urbain. Ré-introduire la nature en ville, cela permet d’avoir un impact fort.
Sommes-nous en retard par rapport à cette adaptation ?
Nous ne sommes pas en retard dans le sens où il y a eu des avancées. Mais les mesures d’impact sont assez récentes. C’est le cas sur la végétalisation par exemple. Il y a eu des précurseurs qui ont agi sans trop savoir où ils allaient et d’autres qui avancent plus lentement. Pour moi, ceux qui ont de l’avance sont ceux qui ont décidé de s’associer aux chercheurs pour trouver des solutions. Même pour des petits projets, certaines collectivités ont accepté le risque de travailler avec des personnes comme nous pour améliorer cette question de l’ilot de chaleur. Nous ne sommes pas en retard mais nous faisons face à un problème. Il n’y a pas de solution unique. Pas de recette miracle. Une initiative intéressante en Normandie, ne le sera pas forcément en Moselle. Il y a des pistes mais les résultats ne sont pas les mêmes selon les territoires. Pour les collectivités, cela demande de l’ingénierie. Elles doivent avoir un approche la plus locale possible.
Il faut donc s’inspirer… Mais pas dupliquer ?
C’est exactement ça. Par exemple, la collectivité d’Agen s’est posée il y a déjà quelques années la question des inondations. Ils ont pu faire tout un travail sur l’eau qui permet une récupération de la pluie et de la rétention en limite de zone urbaine qui permet en cas de forte chaleur de créer des ruisseaux pour irriguer la ville. C’est un travail global réalisé avec une université. C’est très intéressant mais cela correspond à leur territoire qui est régulièrement touché par des inondations en hiver. Est-ce que cela serait pareil à Metz ? Je ne pense pas.
Par rapport à ce que vous avez observé, de quoi nos villes ont-elles besoin ?
La première chose que nous avons pu observer, c’est que les villes ont besoin de mesurer. Il faut mieux quantifier et qualifier le phénomène des îlots de chaleur urbaine. Nous avons proposé une analyse, à la fois nationale et internationale, des différentes méthodes pour réussir à analyser un territoire. Cela peut être un très simple thermomètre mobile. Mais cela peut aussi correspondre à des logiciels beaucoup plus complexes de prise par satellite. Il y a également de la thermographie aérienne qui existe. Ce sont des outils qui ont des coûts très différents. Mais c’est primordial, à notre avis, de commencer par effectuer un bon diagnostic. Et il faut que ces mesures soient réalisées sur l’ensemble de la journée. Le phénomène de canicule n’est pas uniquement diurne. Il est aussi nocturne quand la chaleur n’arrive pas à sortir de l’espace urbain. Avec un bon diagnostic, vous pouvez chercher la meilleure solution.
Quelles sont-elles ?
Nous les avons classé en trois catégories. La première correspond aux solutions vertes. C’est par exemple des actions sur l’eau ou la végétation. La seconde correspond aux infrastructures. Ce sont toutes les actions liées aux matériaux, notamment des bâtiments. Et la troisième, que nous voyons aujourd’hui se déployer lors des épisodes de canicule, qui correspond à l’aspect comportemental. Ce sont toutes les actions liées aux modes de vie ou de gouvernance. Il ne faut pas oublier qu’une bonne partie de la chaleur vient aussi de nos modes de transport. Nous voyons ces actions lors des épisodes de chaleur mais il faudrait qu’elles soient présentes de façon beaucoup plus permanente contenu du réchauffement croissant.
Les actions seraient donc à la portée des collectivités…
Les solutions se trouvent à toutes les échelles pour les collectivités. C’est à la fois de la grande échelle sur les documents de planification régionaux ou intercommunaux mais aussi à celle de l’ultra local. Nous venons, par exemple, de suivre un projet de recherche lié à la ville de Paris qui correspond à la revégétalisation des cours d’école. Nous allons entrer dans une phase de mesure d’impact sur le rafraîchissement et le bien-être… C’est un exemple intéressant car il y a beaucoup d’espaces publics ou privés minéralisés que l’on peut modifier. Nous devons changer et les faire passer du minéral ou végétal.

– Végétaliser les territoires –

Cette semaine, nous avons beaucoup entendu parler de végétalisation, est-ce une bonne solution ?
Oui. C’est une solution très efficace car il y a de nombreux co-bénéfices liés à la végétalisation. Vous agissez sur la chaleur mais aussi la rétention des eaux de pluie,le bien-être, la santé, la perception sonore. C’est un impact fort. Il faut mettre en lumière des projets de désimperméabilisation des sols comme celui de la ville de Lyon. Plus d’une centaine d’hectares sont concernés. Avec la désimperméabilisation, vous agissez sur les inondations mais aussi sur le stockage du carbone. La végétalisation des bâtiments est souvent évoquée. C’est intéressant. Mais une toiture terrasse végétalisée a un effet très réduit (surtout en étages élevés). La plupart du temps, cela n’intéresse que l’appartement qui est juste en dessous. En revanche, en travaillant à la désimpermabilisation des sols d’une ville vous agissez de façon beaucoup plus globale. Il faut essayer de travailler, et c’est un défi lancé aux aménageurs et architectes d’aujourd’hui. Nous devons densifier les villes, mais cela ne veut pas dire qu’il faut minéraliser ! Il faut aussi réduire l’utilisation des terres agricoles. Nous avons besoin d’innovations architecturales.
Qu’apporte précisément la végétalisation en cas de grande chaleur ?
Mettre de la végétation sur une façade peut créer de l’ombrage. Il y a une différence de 10 degrés entre une façade ombragée et une façade ensoleillée. Sur le ressenti et sur la température immédiate, cela a un impact. De plus, la végétalisation ré-introduit de la biodiversité en ville. Il y a un outil, élaboré par la région Hauts de France qui est sorti, appelé Arboclimat (Voir lien). Il propose tout un travail d’analyses des feuillus et des arbres pour accompagner les aménageurs dans le choix des essences, des hauteurs, des matures, car un arbre doit atteindre un certain âge pour être « rentable » en terme de stockage de carbone. Quand on parle de végétalisation urbaine, ce n’est pas la même chose que planter un arbre dans une forêt en terme d’ombrage. Nous sommes en train de retravailler sur plusieurs types d’essence : les herbacés, les arbustives et les arborés. Ces trois ont un impact plus fort sur le rafraîchissement.
À quel degré faut-il re-végétaliser la ville ?
Nous devons ré-introduire la nature partout là où c’est possible. Pour les projets d’aménagements, c’est pareil, il faut re-végétaliser le plus possible. La ville se modifie très lentement donc dès qu’il y a un nouveau projet de construction ou de réhabilitation, il faut, dès que possible, réintroduire la nature. Nous avons à l’ADEME un service de friche et de sols pollués. Il lance tous les ans un appel à projet pour la reconversion des friches. Il y a un financement dans la dépollution au regard de la qualité environnementale du projet. Nous remarquons que les projets vont de plus en plus vers la déminéralisation. Sur les sols des anciennes usines, par exemple, nous faisons aujourd’hui construire de façon plus compacte.

– Agir –

Dans un idéal, qu’est-ce que les élus doivent décider pour que ça aille mieux, pour que ça avance ?

Il faut travailler ensemble. Sur des projets, nous voyons parfois trois arbres au milieu d’une place. Nous en sommes encore là à certains moments. Tout cela, parce qu’il n’y a pas un travail suffisant derrière. Les services d’urbanisation ne travaillent pas suffisamment avec les services de voiries, d’assainissement ou les personnes chargées des espaces vert, etc. Nous voyons que les projets réussissent quand tout le monde travaille ensemble. Nous sommes dans un système où l’approche globale est intéressante.
Quelles sont les autres idées à développer en plus de la végétalisation ?

À Lyon, ils ont remis en route tout un système de ruisseaux de ville (Voir focus réalisé par Territoires-Audacieux.fr). Ils gardent des eaux de pluie pour alimenter les espaces en temps de canicules. Ils ont notamment remis en service des fontaines grâce à des dispositifs de récupération d’eau. Ils ont aussi reminéraliser certains parcs. Ils ont fait tout un parcours comme cela pour que les gens puissent marcher dans des rues très denses en ayant des espaces « d’oasis » pour se rafraîchir. Quand vous passez à coté d’une fontaine, vous aurez une impression de température apaisée. D’une manière générale, il faut essayer de mettre davantage des points d’eau plutôt que d’arroser les routes, et les trottoirs par exemple. La ville de Paris en a fait l’expérience et la différence de température est très faible. Je pense aussi que dans le cadre de la  réhabilitation de certains quartiers, il peut être intéressant de réfléchir à quelles formes urbaines permettront de moins piéger la chaleur. Une autre idée est de réutiliser le vent. À Grenoble, il y a tout un quartier où des chercheurs ont travaillé. Ils se servent du vent pour favoriser le rafraîchissement des quartiers.
Est-ce que cela demande à la collectivité un grand investissement ?

Oui car ce sont des projets généraux et qui nécessitent du temps. Les arbres par exemple coûtent plutôt cher. Lille a un patrimoine arboricole de 30 000 arbres. Ils en plantent environ 300 à 500 chaque année, ce qui est un investissement de 200 000 euros par an pour les plantations. Il leur faut aussi un budget de 50 000 euros pour réaliser des diagnostics relatifs à la sécurité et à la santé du patrimoine arboré.
Quelles sont les premières étapes à mettre en place ?

Il faut intégrer toutes les réflexions que nous venons d’avoir dans tous les nouveaux projets, par exemple quand une collectivité publique étudie son PLU. Il faut voir quelles sont les zones qui ont été urbanisées, et quelles sont les parcelles délaissées et surtout, se poser la question sur notablement les zones qui sont dites à urbaniser par rapport au besoin.
Est-ce que vous pensez que le changement de mentalité a eu lieu ou doit avoir lieu ?

Je pense qu’il y a de plus en plus d’élu·es et de services techniques qui ont un comportement complètement modifié sur le sujet. Nous avons par exemple rencontré un élu qui a décidé de mettre dans son PLU toute une liste de choses pour réduire l’imperméabilisation des sols. Cela a fait fuir les promoteurs. Mais au fond son projet est cohérent. Il faut un changement de mentalité plus global, une vraie réflexion sociétale.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne

Photo : Rob Potvin