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Rennes : Cantine, en collaborant avec une start-up, Rennes a diminué son gaspillage alimentaire de 45%

Cette semaine, la lettre de l’impact positif revient sur la volonté de la ville de Rennes d’agir contre gaspillage alimentaire au sein de ses cantines scolaires. La municipalité a collaboré avec la start-up Phénix (spécialisée dans ce domaine) afin de faire un état des lieux et de mettre en place des actions dans les écoles. En rendant l’enfant plus autonome face à son repas et en menant différentes actions de sensibilisation, les élus observent déjà un résultat concret : le gaspillage a diminué de 45%.
La Part du Colibri a rencontré Nadège Noisette, adjointe au maire de Rennes en charge de l’approvisionnement ainsi que Nicolas Perrin, associé chez Phénix pour en parler.
Sommaire:

– Introduction –


Les interviews de Nadège Noisette et Nicolas Perrin sont disponibles au format vidéo ou texte pour chaque question.

– Mise en place du projet –

Comment l’idée vous est-elle venue ?
Cela fait parti d’un élément plus global que nous avons appelé le Plan Alimentaire Durable. L’idée, c’est d’améliorer l’approvisionnement en denrées des enfants. Nous voudrions avoir plus d’aliments bio et locaux. Nous voulons avoir un ancrage territorial sur ces denrées. Nous nous sommes rendus compte que la lutte contre gaspillage pouvait être un levier intéressant d’un point de vue financier pour pouvoir améliorer notre service sans dépenser plus.

L’idée était de se dire, où est-ce que l’on peut trouver de l’argent ?
Exactement. Pour réussir, il fallait réaliser un état des lieux afin de savoir ce que nous gaspillions réellement. C’est là que nous avons commencé à collaborer avec l’entreprise Phénix. Nous leur avons demandé de travailler sur cinq écoles de la ville. Elles étaient avec différentes caractéristiques que ce soit géographiquement ou au niveau de la taille. Nous avons évalué ensemble le gaspillage en pesant en fin de repas ce qui était jeté en entrées, plats, desserts et contenants.

Pourquoi passer par une start-up ?
Nous avions besoin d’un regard extérieur pour travailler sur ce domaine. Cela aurait pu être n’importe quel organisme externe. L’intérêt de travailler avec Phénix, c’est qu’ils avaient déjà une bonne connaissance autour du don alimentaire. C’est une question que nous nous posions derrière le gaspillage. Nous voulions savoir ce que nous pouvions donner ou pas suite aux repas et quand il y a des grèves. Dès que nous jetons de grandes quantités, nous le vivons mal en tant que collectivité et nous avons toujours des remontées de la part des citoyens. Nous fabriquons entre 10 et 12 000 repas par jour. Cela peut choquer quand nous les jetons. Nous voulions des solutions pour remédier à ces difficultés-là. La société Phénix avait cette capacité de chercher des solutions pour le don tout en travaillant sur le gaspillage alimentaire.

Vous avez travaillé avec eux sur plusieurs points ?
L’un des points d’entrée était l’évaluation du gaspillage et le don. Rapidement la question du don a été résolue grâce à leur logistique. En cas de grève, nous redistribuons désormais les repas à des associations qui peuvent en avoir besoin. Nous activons ce levier dès que nous en avons l’opportunité. Par contre, pour le quotidien, nous avons vu que nous avions environ 22% de gaspillage alimentaire dans notre cantine. Cela correspond environ à un plat de 10 à 12 portions d’enfants pour chaque école. Donner ce plat était vraiment compliqué car il fallait mettre en place toute une logistique. Nous avons donc plutôt travaillé sur comment réduire ce gaspillage.

 

– Le projet aujourd’hui –

Concrètement qu’avez vous mis en place ?
Sur ces cinq premières écoles, nous avons testé des nouveaux modes de service. Notre idée, c’est de rendre l’enfant plus autonome. Il faut qu’il soit plus en capacité de prendre dans son assiette ce qu’il a véritablement envie de manger. Pour les entrées, cela correspond à la mise en place d’un salade-bar. Les enfants se servent directement dans le plat la quantité qu’ils souhaitent. Pour le plat, nous avons mis en place deux portions que nous avons appelées de manière ludique petite faim et grande faim. Les enfants peuvent également venir redemander ensuite d’en avoir un peu plus s’ils le souhaitent.

Plus d’autonomie pour les enfants, cela permettrait donc de réduire le gaspillage...
Oui car du coup les enfants mangent ce qu’il y a dans leurs assiettes. Nous l’avons constaté et avons réalisé plusieurs pesées sur ces cinq écoles. Depuis, nous l’avons généralisé à toutes les écoles de la ville. Nous avons vu qu’il y avait un résultat concret : le gaspillage a été réduit de 45%. Nous nous étions fixés dans notre plan global d’avoir 40% de denrées durables et de diminuer le gaspillage de 50%. Nous ne sommes plus très loin. Ce qu’il faut maintenant, après avoir agi sur les assiettes des enfants, c’est diminué les quantités sur les plats. C’est un travail que nous menons actuellement avec notre cuisine centrale. Il faut que sur les plats qui sont gaspillés nous puissions adapter les portions à ce qui est réellement mangé. Nous ne devons pas produire plus que ce qui va être consommé. Nous travaillons recette par recette pour avancer.

Vos résultats sont très concrets…
Oui. Il faut bien imaginer que tout cela s’est effectué sur un temps long. Nous avons commencé en 2015. Nous n’avons généralisé qu’il y a un an. Nous avons 43 groupes scolaires, il faut que l’on travaille avec les agents pour qu’il soit partie prenante de ce système. En général, ils sont toujours très partants. Par moment, il y a juste quelques petites réticences par exemple sur les petites ou grandes faims. Cela ne convient pas à certaines personnes car cela ne va pas avec leur façon de servir et leurs habitudes. Petit à petit nous levons tous les freins et cela fonctionne plutôt bien dans l’ensemble.

Vous affichez les résultats dans la cantine de cette chasse au gaspillage, quel est l’objectif ?
Tout simplement pour les enfants. Dès que nous leur expliquons le fonctionnement et le pourquoi nous avons entamé une telle démarche, ils comprennent tout de suite et ils sont partants. Ce sont les enfants qui pèsent. Il y a un enfant qui est responsable et qui aide ses camarades à jeter ce qu’il faut dans les bonnes poubelles. Ils sont très sensibles à cette question-là et sont moteurs dans notre démarche.

Sur le don de repas, où en êtes vous ?
Sur le don, nous arrivons à donner quand nous avons de grandes quantités. Il y a un mois, une cantine a pris feu. Nous avons réussi à redistribuer les repas via Phénix à des associations. Nous regardons s’il est possible de réaliser des dons au jour le jour sur les plats qu’il reste. C’est plus compliqué mais nous testons sur deux écoles de la ville et un foyer de jeunes travailleurs le fait de pouvoir récupérer les plats pour que les jeunes puissent les manger le soir. Cela vient d’être mis en place, nous allons voir si cela fonctionne ou pas.

– Dupliquer le projet  –

Quels conseils donneriez-vous à un élu qui souhaite se lancer dans une chasse anti-gaspi ?
Je pense que cela n’est pas très compliqué à mettre en place. En revanche, cela nécessite une forte sensibilisation et une formation des gens sur le terrain de façon perpétuelle pour que cela fonctionne. Cela dépend aussi de la taille des collectivités. Une mairie qui n’a que deux écoles, c’est peut-être plus facile de réunir les agents et de travailler avec eux concrètement. Nous à Rennes, il y a en tout 300 agents qui tournent d’une école à l’autre, voir d’une collectivité à une autre. Ce n’est pas toujours facile de les mobiliser. Le nerf de la guerre est là je crois. En revanche, ce que nous avons mis en place n’est pas une révolution, ce sont des petits gestes simples et pratiques. Pour y arriver, il faut expliquer pourquoi nous faisons les choses. Les agents ont aussi des retours à faire sur le fonctionnement et c’est un des fondements de la réussite du projet.

Est-ce qu’il y a un coût ou c’est juste beaucoup de temps ?
Les deux sont liés. Le temps que l’on prend avec les agents a un coût. Mais on s’y retrouve à la fin avec l’économie qui est réalisée sur les achats de denrées alimentaires. Aujourd’hui, nous ne le voyons pas encore vraiment, c’est trop tôt mais nous avons budgété environ 50 000 euros d’économies sur les quatre millions de dépenses alimentaires. C’est beaucoup. Nous réinjectons ces économies dans l’achat de denrées alimentaires bio et durables.

Combien cela vous a coûté en tout ?
C’est difficile à dire car nous n’avons pas calculé le temps des agents. Pour la prestation de la start-up Phénix, c’est de l’ordre de 10 à 15 000 euros pour la prestation. Pour animer, le Plan Alimentaire global, nous avons recruté une animatrice qui travaille à temps plein sur le sujet. Nous avons donc une personne en plus pour travailler sur ces aspects.

Quel retours avez-vous de la part des parents ?
J’ai des retours car je déjeune dans les cantines toutes les semaines. J’en profite pour en parler avec les parents. Désormais les parents sont informés avant même que je discute avec eux sur les actions mises en place. Nous essayons de communiquer via les différents biais comme le magazine municipal ou notre site internet. Je vois bien que l’information commence à bien tourner. Ce sont des sujets qui touchent les parents et ils sont contents que nous puissions avancer

Comment travaillez vous avec les collectivités locales ?
Nicolas Perrin : Nous proposons aux collectivités locales d’appuyer la réduction du gaspillage au sein de la restauration collective. Nous savons qu’il est possible de diminuer sous les 10% de gaspillage dans les écoles notamment. La moyenne nationale est aujourd’hui de 20%. On peut dire que d’une certaine façon l’éducation nationale apprend à nos enfants à gaspiller.

Quelle est la méthode Phénix ?
Nous avons montré avec cette expérimentation à Rennes qu’en diminuant le gaspillage de 45% et en mettant l’enfant au centre du repas pour qu’il soit acteur cela peut marcher. Il faut lui permettre de se servir tout seul et bien former le personnel en charge de la distribution. Enfin il faut mener des campagnes de pesées et de diagnostic. C’est possible d’avoir des résultats très positifs.

C’est facile pour une start up de collaborer avec une collectivité ?
C’est une prestation et un accompagnement. Nous avons eu la chance à Rennes d’avoir une ville très dynamique et ouverte à l’innovation sociale. Nous essayons nous-même en permanence de nouvelles choses ce qui a rendu possible la collaboration. Le plus dur pour une start-up c’est de rentrer dans les codes des marchés publics et de répondre à des appels d’offres. Mais pour des projets expérimentaux comme celui-là qui ne demandent pas des budgets trop conséquents, c’est possible.

Quel impact avez-vous mesuré ?
Nous avons mesuré que sur les 10 000 repas jours produits par la collectivité, il y a eu 45% de gaspillage en moins sur les écoles primaires. Cela représente encore trop de repas puisque c’est encore 13% qui terminent à la poubelle. Mais la ville est en train d’adapter les approvisionnements pour continuer à diminuer ces résultats-là.

Quelles difficultés peut-il y avoir ?
Pour une collectivité, il y a une difficulté. C’est que toutes les personnes en charge de la chaîne éducative ne dépendent pas d’elle. Certaines sont affiliées à l’éducation nationale, d’autres de la ville ou de la métropole… Cela peut créer des difficultés sur la chaîne de valeur. Mais dans certains cas avec une forte volonté politique, les villes sont capables de dépasser les clivages.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne