La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à une initiative de la la Communauté d’agglomération Pau Béarn Pyrénées (64). Le réseau des médiathèques de la collectivité a décidé de proposer une box littéraire aux habitants. Appelée « Bouqu’in box », son concept est inspiré de ce qui est proposé par des entreprises privées dans d’autres domaines. Chaque mois, à partir d’un questionnaire rempli par les bénéficiaires, les bibliothécaires préparent une boite avec deux ou trois livres correspondant aux attentes de chacun. Cette initiative répond à plusieurs enjeux. Tout d’abord il permet de toucher un public qui n’a pas le temps de venir dans les médiathèques. Mais il permet de valoriser le rôle de conseil des agents.
Nous avons interviewé Marie Carrega, directrice du réseau des médiathèques et du service politique de lecture publique de la ville de Pau pour en savoir plus sur leur démarche.
Sommaire:
– Mise en place –
D’où vous est-venue cette initiative ?
Nous avons une collègue, Myriam Vermot, qui est chargée du développement numérique des médiathèques. Elle a eu cette idée. Elle s’est inspirée des box privées auxquelles les gens s’abonnent. Cela existe pour recevoir de la cosmétique ou du vin. Elle s’est inspirée de ce concept mais elle l’a appliqué à un service public.
Transformer une initiative privée en service public…
S’il y a un système qui fonctionne dans le privé, nous sommes preneurs. Nous avons juste à les arranger à notre sauce. Ici, nous ne donnons pas les livres, nous les prêtons. Dans le réseau des médiathèques, la box est gratuite et toutes les actions le sont. C’est une manière de proposer du conseil personnalisé et un prêt de document. C’est une adaptation d’un concept, sous forme d’abonnement, qui fonctionne parfaitement dans le privé.
À quelle problématique cela répondait sur votre territoire ?
Il y en a plusieurs. La première, c’est le développement de publics différents. Par exemple, avec la Bouqu’in Box, nous allons pouvoir toucher des personnes qui n’auront pas le temps de venir choisir leurs livres à la médiathèque. En cinq minutes, ils pourront prendre leur box et repartir. Cela répond également à une problématique interne. Nous allons pouvoir faire tourner nos fonds et valoriser des documents que les lecteurs ne prennent pas forcément. Enfin, le troisième objectif est de créer un lien privilégié avec le bibliothécaire. Il est là pour faire un conseil individualisé.
C’est une initiative assez complète…
Oui. Pour nous c’est très complet et nos lecteurs trouvent d’autres raisons d’apprécier. Par mail, ils nous ont par exemple signalé que c’était une autre manière de proposer des livres. Que c’était « fun ». Ce n’était pas dans notre objectif.
Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?
En fait, on a un projet d’établissement. Nous l’avons rédigé l’an dernier avec la moitié des agents du réseau (l’ensemble de ceux ayant souhaité participer). L’idée a été apporté par Myriam dans le cadre de celui-ci. C’est dans ce cadre que, fin 2019, nous avons fait valider 103 actions à destination des publics du réseau. Chaque groupe de travail a pu avancer sur la création d’une fiche action. La bouqu’in box a fait l’objet de nombreuses réflexions. Nous avons ensuite pu définir et finaliser le budget, la démarche, le protocole etc. Nous avons commencé à tout mettre en œuvre en ce début d’année 2020. D’autres démarches accompagnent la box comme un drive à disposition des personnes n’ayant pas le temps de venir en médiathèque. Ils peuvent réserver en ligne et venir les chercher directement pour gagner du temps. Avec la box, c’est très différent. Il y a un travail de conseil.
Comment s’est déroulé le cheminement jusqu’à la naissance de l’initiative ?
La question principale était de chercher à adapter une initiative privée à un service public. C’est un défi. Il faut être capable de passer d’un service payant et à quelque chose de gratuit. Nous avons décliné notre initiative par la suite en nous demandant comment interroger les lecteurs sur leurs goûts. Savoir ce qu’ils veulent découvrir ou lire. L’étape suivante a été de réfléchir avec les bibliothécaires pour savoir comment ils peuvent répondre à la demande. Enfin, nous avons dû nous pencher sur le packaging. Le projet a été validé par notre Directeur Général des Services, nos élus Culture et les élus de l’agglomération.
Mettre du marketing sur un service public…
Une fois que les problèmes conceptuels et d’organisation du travail sont réglés, nous avons dû réfléchir à tout l’aspect de cette bouqu’in box. Est-ce que cela doit être un sac ? Une boite ? Comment l’illustrer ? C’est pas si simple. Après la dernière étape a été de trouver une communication positive. Nous sommes allés trouver la direction de la communication de notre collectivité. Elle a trouvé ça super comme idée et nous avons bénéficier d’un plan de com comme nous n’avions jamais eu !
Vous êtes vous adaptés à une demande ou avez-vous décidé de faire un test pour voir si cela pouvait marcher ?
Nous nous sommes lancés dans un projet innovants. Nous voulions voir si cela pouvait rencontrer nos usagers. Nous savions déjà que nous avions un très fort pourcentage de fréquentation de nos médiathèques. Nous sommes à 30% de taux de fréquentations alors que la moyenne nationale est à 18%. Nous faisons le constat que nous avons atteint un niveau élevé de gens qui viennent s’inscrire dans nos établissements. Notre objectif, c’est maintenant de gager d’autres publics. L’idée de la box c’est de faire venir des personnes qui n’ont pas forcément le temps ou pour qui les horaires ne conviennent pas. Même si c’est de plus en plus difficile car nous sommes ouverts sept jours sur sept. Il y a une partie de la population qui peut être pressée mais qui a envie d’être accompagnée ou conseillée. Mais avant tout c’était un challenge.
Avec quels partenaires avez-vous travaillé en interne ?
C’est un projet qui a nécessité assez peu de collaborations. Nous avons été en lien avec le service com de la collectivité et l’ensemble de notre initiative a été validée par le DGS. En revanche, nous avons eu plusieurs partenaires extérieurs. Ils ont été démarchés tout au long de l’année 2019. Nous avons pris le concept dans son ensemble. Quand les bénéficiaires de la bouqu’in box ouvrent leur boite, ils trouvent les ouvrages mais aussi des goodies. Nous avons donc sollicité des producteurs et des artisans locaux pour avoir des échantillons de leur production. Ce mois-ci, par exemple, ils ont un petit savon. Il y a aussi des marques pages et des informations sur l’offre culturelle du territoire.
– Le projet aujourd’hui –
Comment fonctionne l’initiative au quotidien ?
Le concept est simple. Vous êtes inscrit à la médiathèque ou vous souhaitez le faire. Vous prenez une carte. Vous passez par notre portail pour vous inscrire et vous allez répondre à un questionnaire pour nous informer sur vos goûts. Nous voulons savoir ce que vous aimez lire et ce que vous voulez découvrir. Par exemple, le polar scandinave. Vous nous le dîtes, vous précisez également ce que vous avez déjà pu lire et le dernier livre lu. A partir de ce questionnaire, les bibliothécaires préparent deux ou trois documents qui peuvent correspondre à vos critères. Nous préparons tout (avec les goodies) et vous pouvez venir un mois après retirer la box dans la médiathèque de votre choix. Nous sommes fiers de pouvoir promouvoir des producteurs locaux. Trois médiathèques sur dix proposent le concept pendant sa phase d’expérimentation.
Quelles sont les informations demandées aux lecteurs ?
Nous leur demandons ce qu’ils veulent découvrir. Ce qu’ils aiment lire. Nous cherchons à savoir ce qu’ils ont déjà lu et le titre du dernier livre emprunté. Enfin la dernière question concerne leurs auteurs préférés. Ils vont pouvoir faire une demande et donc remplir un nouveau questionnaire tous les mois.
Il y a donc bien l’idée de faire découvrir des livres, d’utiliser au maximum votre fond…
Nous souhaitons ouvrir l’esprit des gens. Nous voulons conseiller. Nos bibliothécaires sont majoritairement des gros lecteurs et sont en capacité de conseiller. Si on reprend l’exemple du polar suédois, nous allons vous faire sortir des auteurs célèbres comme Henning Mankell. C’est très bien. Mais il y aussi des tas d’auteurs intéressants, à commencer par ceux qui ont inventé le polar suédois. Nous sommes en capacité de proposer autre chose que ce qu’il y a sur Amazon.
Les habitants recherchent cette dimension de conseil ?
Oui. Nous avons remis au cœur de notre projet d’établissement la dimension de médiation. Nous devons mettre le public au centre du projet. Depuis quelques années, nous avons réorganisé nos services de manière centralisée pour libérer du temps pour les agents des médiathèques afin qu’ils puissent en avoir un maximum à consacrer à l’accueil du public, au conseil et à des actions de médiation. Nous avons des clubs de lecture, de présentation d’ouvrage… Nous avons libéré du temps à nos agents pour qu’ils puissent gérer cela. Et ça marche.
C’est comme ça que les librairies indépendantes tentent également de tirer leur épingle du jeu ?
Oui. C’est aussi comme cela que peuvent s’en sortir les médiathèques. Il y a une désaffection au niveau national. Si on ne franchit pas ce cap au niveau national, nous ne pourrons pas inverser la tendance. Les bibliothécaires ont parfois tendance à se tourner vers leurs collections. Non, c’est le public qui est notre cœur de métier. Il faut se réorganiser pour donner du temps aux bibliothécaires pour qu’ils puissent renseigner, conseiller, accueillir et mener des actions de médiations. Nous avons que des médiathèques « troisième lieu ». Les bénéficiaires pour rester sur place mais nous voulions aussi offrir ce service à ceux qui n’ont pas le temps.
Qu’est-ce qu’une médiathèque « troisième lieu » ?
C’est un concept qui date d’une dizaine d’années. L’idée, c’est d’aménager nos médiathèques pour que les gens s’y sentent bien. Nous voulons qu’ils puissent s’y sentir bien, écouter de la musique, visionner des films ou jouer. Il y a des espaces où les familles peuvent venir jouer à des jeux de sociétés. C’est un tiers-lieu en fait. Nous faisons des ateliers numériques pour accompagner les gens sur internet etc. Nous avons aussi des personnes qui se donnent rendez-vous ici ou des profs qui donnent des cours particuliers. C’est un peu plus qu’une médiathèque classique…
Il y a donc deux catégories de personnes…
Oui. Nous souhaitons à la fois que les gens viennent passer du temps dans nos médiathèques mais aussi nous ouvrir à ceux qui n’ont pas le temps. Nous voulons jouer sur tous les tableaux pour toucher un maximum de personnes.
Quelle est l’organisation interne pour réussir à proposer les bouqu’in box ?
Il y a un référent et une petite équipe dans chaque médiathèque. Ils s’occupent de préparer les documents. Certains travaillent à partir des rayonnages et d’autres comme moi peuvent aussi préparer les commandes via internet ou mes connaissances. A partir des listes effectuées, les équipes préparent les box. Il y a un gros travail. Nous avons quinze jours pour faire cela. Ensuite, une équipe gère les boites avec un joli papier. Nous mettons les goodies, préparons les sacs, il faut mettre le nom des gens… C’est un travail manuel sur la partie technique et une réflexion intellectuelle sur le choix des livres.
Comment avez-vous convaincu les équipes de participer à l’initiative ?
Cela a été relativement facile. Nous avons eu de bons retours. Dans une médiathèque, huit personnes sur huit ont souhaité participer. Parfois, ce n’est que 50% de l’équipe. De toutes façons, nous sommes sur un test et donc c’est du volontariat. Si jamais nous manquons de personnels, nous ferons de l’accompagnement pour que les équipes adhérent à ce projet. Quand les actions sont définitivement en place, tout le monde doit participer.
Comment s’est déroulé la phase de communication ?
Nous avons fait des affiches dans toute la ville, dans les bus et avons distribué des flyers. Nous avons aussi communiqué sur notre portail et dans les différentes bibliothèques. Nous avons proposé aux habitants de s’inscrire. Les 30 premiers ont une box, pour les autres ils ont les mêmes services mais dans un sachet kraft.
– Dupliquer le projet –
Combien coûte une telle initiative ?
En petit matériel (sac Kraft, petit papier de soie…), nous en avons eu pour 1139 euros. Nous avons du matériel pour toute l’année. Pour les soixante boites (équivalent de deux mois), nous avons payé 223 euros. Sur ces boites, nous faisons imprimer un nouveau visuel tous les mois pour essayer de les rendre collector. Sur le temps de travail des agents, rien n’a changé. Il n’y a pas eu de recrutement spécifique. Nous avons 55 agents ayant participé à la réflexion du nouveau projet de service. Sur la mise en œuvre, nous en avons 82 sur 115 qui participent. Nous sommes sur la base du volontariat.
Avec quel impact ?
Nous avons limité à 200 le nombre d’inscrits pour ce service. Dès le premier mois, nous étions à 189. Nous allons être à 200 facilement dès le second mois. Le plan de com a très bien fonctionné. Nous sommes notamment passés par des influenceuses palloise. Elles ont fait des vidéos où elles ouvraient leur box en ligne. C’était très rigolo mais je crois que cela a été efficace. C’est une satisfaction et nous verrons si nous augmentons notre capacité par la suite.
Quels sont les retours ?
Ils sont positifs. Les bénéficiaires sont très heureux de recevoir un petit cadeau en plus. Pour l’instant, nous avons aucun retour de personnes déçues par la sélection des ouvrages. Nous avons plutôt des gens qui découvrent des nouvelles littératures et des auteurs.
Et côté agents ?
Les volontaires étaient assez enthousiastes avant même la mise en œuvre. Ils ont l’impression de revenir sur leur cœur de métier : le conseil. Il faut dire que, sur un territoire comme le notre, quand vous êtes dans une banque de prêt, il y a beaucoup de travail lié aux prêts. Assez peu de conseil. Notre plus grosse médiathèque accueille 3000 personnes par jour. Vous n’avez pas toujours le temps de conseiller les lecteurs car il faut ranger les livres et assurer le fonctionnement global de la structure. Là, ils ont pris du temps, en interne quand la bibliothèque est fermé, pour faire des choix pour nos lecteurs. C’est un repositionnement sur le côté valorisant de leur travail.
Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Le temps. Quand on a eu l’ensemble des inscriptions et que nous avons vu qu’il y en avait beaucoup, les deux semaines ont été intenses. Nous avons été même été inquiets de la faisabilité. C’est quelque chose que nous ne maitrisions pas. Il faut du temps de préparation. Mais nous avons réussi. A partir de ce mois-ci nous allons solliciter plus d’agents.
Quels conseils donneriez-vous à un élu qui souhaitait dupliquer votre projet sur son territoire ?
Il faut bien consulter les équipes et voir s’il y a des agents pour se lancer. Cela implique un investissement en temps. Notamment un investissement intellectuel pour faire les propositions. Pour le reste, ce n’est que de l’organisation et de la logistique pour y arriver.
Propos recueilli par Baptiste Gapenne