La Norvège recycle 97 % des bouteilles en plastique et des canettes consommées sur son territoire. Comment ? Grâce à une prise de conscience qui date de 1995. Suite à la création d’une taxe environnementale par le gouvernement, les fabricants et les commerçants se sont regroupés au sein d’une entreprise « Infinitum » afin de réussir le pari du recyclage. Leur méthode : un système de consigne comme celui mis en place depuis longtemps pour le verre dans certains pays. Ainsi du consommateur au commerçant toute la chaine est économiquement concernée par l’importance du recyclage. Une idée bien résumée par cette déclaration de Kjell Olav A. Maldum, le directeur général de l’entreprise : « En Norvège, vous achetez le produit mais vous empruntez l’emballage ».
Cette façon (réussie) de fonctionner prouve qu’un système de recyclage peut être efficace et rentable. Elle montre également que la pollution plastique peut être combattue à condition que tous les acteurs collaborent ensemble. D’ailleurs des délégations de nombreux pays viennent observer le fonctionnement d’Infinitum. Kjell Olav A. Maldum a répondu à nos questions.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
Comment est arrivé Infinitum ?
Dans beaucoup de pays du monde, il existe un système de consigne pour le verre car les bouteilles en verre sont très chères à produire. Il faut donc les récupérer et les réutiliser. Quand le plastique est arrivé, il y a eu une évolution dans la production des emballages. Ils ne sont plus utilisés qu’une seule fois maintenant. En Norvège, les politiciens et politiciennes ont réalisé, dans les années 1990, que les emballages plastiques pourraient devenir problématiques. Par conséquent, dans notre pays, une taxe environnementale élevée a été mise en place. Elle stipule que si les bouteilles vides ne sont pas collectées, 0,34 € par bouteille devront être payé. Pour cela, jusqu’en 1995, il n’était plus possible de vendre des produits en canette ou des bouteilles en plastique car les taxes étaient trop élevées. Les producteurs et les commerçants norvégiens se sont donc réunis pour discuter des possibilités offertes par les systèmes de collecte (les sites, les magasins, les municipalités, etc.). Ils ont conclu qu’ils devaient installer un nouveau système de traitement des emballages en plastique. En 1997, ils ont donc créé Infinitum, qui a la responsabilité de collecter toutes les canettes et les bouteilles en plastique. Les commerçants et les fabricants sont actionnaires égaux par le biais de leurs associations industrielles. C’est le fond du mouvement. Les politiciens ont compris qu’ils allaient avoir un problème s’ils ne faisaient rien. Ils ont lancé le modèle fiscal, puis l’industrie a réagi en établissant Infinitum. Il est possible de mettre en œuvre le système partout car le plastique et l’aluminium sont des matériaux efficaces à collecter et à recycler. Les émissions de CO2 sont plus basses pour recycler le plastique que pour d’autres matières. C’est la même chose pour la consommation d’énergie.
Quel est le rôle d’Infinitum ?
Notre responsabilité est de conduire toute l’opération. Si un fabricant veut vendre un emballage sur le marché ou déposer une marque, nous vérifions que le packaging est bien aux normes : s’ils utilisent le bon type de colle, s’ils respectent l’étiquetage, s’ils utilisent du plastique PET etc. Nous voulons être sûrs que les bouteilles soient recyclables. Si tous les critères sont réunis, nous autorisons le fabricant à intégrer Infinitum. Infinitum possède un label qui est mis sur les bouteilles et les canettes. Le produit peut ainsi être sur le marché avec la marque déposée, puis les consommateurs achètent le produit au prix du fabricant plus un acompte. Le consommateur doit retourner au magasin pour rendre la bouteille vide et récupérer son argent. En Norvège nous disons : « Tu achètes le produit mais tu empruntes l’emballage« . Chaque vendeur décide comment organiser la collecte des bouteilles vides. Les magasins, les kiosques, les stations-service et autres peuvent s’inscrire en tant que « point de collecte ». Il y a plusieurs options. Soit elles le font avec un distributeur automatique à numéro, soit en tant que point de collecte manuel. Régulièrement, Infinitum récupère les emballages dans les magasins. Les magasins de taille moyenne compressent le plastique et l’aluminium avant que nous le récupérions. Les magasins et kiosques de petite taille nous les rendent tel-quel. Nous amenons tout ça à notre site puis nous le transportons vers le recyclage. Nous avons la responsabilité de superviser les emballages qui arrivent sur le marché jusqu’à ce qu’ils soient collectés et recyclés. Il faut préciser que les fabricants peuvent choisir un autre système de collecte et être en compétition avec le système Infinitum mais la majorité des fabricants veulent rejoindre notre processus de collecte.
Comment travaillez-vous avec les marques internationales ?
Toute compagnie qui veut intégrer Infinitum doit postuler pour une adhésion. C’est autour de 1000 € pour être adhérent à vie. Toutes les grandes compagnies sont membres d’Infinitum que ce soit Coca cola, Nestlé, Pepsico etc. Ils doivent payer une petite redevance pour les bouteilles PET mais pour les canettes, ils reçoivent de l’argent car cela peut devenir du matériel de construction. Quand ils deviennent membres d’Infinitum, tous les fabricants (qu’ils viennent de l’échelle nationale ou internationale) ont leurs emballages contrôlés, et doivent mettre la marqué déposée d’Infinitum sur leurs produits avant de les vendre.
Combien de temps a pris le processus pour être mis en place ?
Ça a pris moins de 2 ans en Norvège à partir du moment où la décision était prise jusqu’à ce que le processus soit opérationnel. Nous avons dû mettre en place la technologie. Aujourd’hui cela n’est plus un problème car elle est connue, et le modèle des pays qui utilisent ce système peut être repris.
Quelles étaient les différentes étapes de mise en place ?
Dans les deux premières années de mise en place, nous avons progressivement installé des solutions informatiques car la logistique est très importante. Il faut mettre en place une coopération efficace avec le secteur du transport. Ensuite, un programme de tri et de recyclage doit être créé. Une fois que le dialogue entre tous les acteurs est présent et que les infrastructures de recyclages sont existantes, il suffit juste de faire fonctionner l’opération. Pour ce qui est des critères nécessaires pour les emballages, c’est un document public. Les normes de régulation sont inscrites dessus. Une fois que c’est validé, la marque de dépôt est mise sur l’emballage. Ainsi, le consommateur sait que le produit peut être ramené à une consigne.
– Le projet aujourd’hui –
Comment avez-vous sensibilisé les citoyens ?
S’il n’y a aucun de système de consigne mis en place dans le passé, il faut partir de zéro. Il faut donc bien communiquer sur ce qui est en train de se mettre en place. Bien expliquer ce qu’est une consigne et que le prix du produit ne va pas augmenter. Il faut bien insister sur le fait que l’emballage est un emprunt et que si l’emballage est rendu, la consigne sera rendue au citoyen. Je pense fortement que ça ne prend pas beaucoup de temps de sensibiliser une population.
Quel rôle la politique joue-t-elle dans ce processus ?
En Norvège, c’est le système politique qui a décidé qu’un processus de ce genre devait être mis en place, et c’est lui qui a décidé d’imposer des normes environnementales sous contrainte de payer des taxes si les entreprises refusent d’intégrer le système. Si les entreprises acceptent, il y a une réduction linéaire des taxes. Si elles rapportent 90 % de collecte totale, alors il n’y a aucune taxe. C’est une façon très efficace de pousser les fabricants à joindre le processus. Aujourd’hui, les politiciens sont juste présents lors du rapport annuel. Nous donnons le total de vente ainsi que le total de collecte. Je pense que ce rapport est la clé du succès du système que nous avons mis en place. Le rapport est vérifié et revérifié par plusieurs acteurs pour être sûr qu’il soit correct.
Travaillez-vous avec les collectivités locales ?
En Norvège, nous collaborons beaucoup avec les autorités locales car les municipalités sont en faveur de notre système. Elles savent que le coût est moins cher pour les municipalités avec notre système qu’avec la collecte des poubelles. Nous avons donc une très bonne coopération avec les municipalités, tout comme avec le gouvernement central car nous sommes en constant dialogue. Nous partageons avec eux tout ce que nous faisons pour améliorer notre système.
Pensez-vous qu’il est indispensable de récompenser les citoyens pour leurs actions de recyclage ?
C’est une manière très efficace d’engager les citoyens. De cette façon, les citoyens expérimentent tout de suite les bénéfices du recyclage. C’est une des raisons pour laquelle il y a très peu de pollution plastique en Norvège car s’il y a une bouteille qui traîne, quelqu’un va la ramasser pour récupérer la consigne.
Essayez-vous de réduire la quantité de plastique utilisée ?
Nous n’essayons pas de réduire la quantité de plastique consommée. Néanmoins, le recyclage permet de réutiliser le plastique, cela réduit la quantité de plastique produite. De plus, le plastique est le matériel le moins cher et le plus facile à recycler. Avec ce système mis en place, il n’y a aucune raison de réduire la consommation de plastique.
– Dupliquer le projet –
Combien avez-vous dépensé pour le projet ?
En 1997, quand nous avons commencé, nous avons dépensé 500 000 €. Quand le système est mis en place, très rapidement il y a un flux d’argent qui arrive. Quand les consommateurs achètent leur premier produit, puis le rendent au magasin, ils achètent généralement tout de suite de nouveaux produits. Cela rend l’investissement beaucoup moins cher car l’argent obtenu peut être utilisé pour acheter les équipements, etc. Notre système est rentable. Le recyclage du plastique finance la collecte.
Comment mesurez-vous les impacts ?
Avant que les bouteilles et canettes soient vendues, nous les enregistrons. De ce fait, après qu’elles soient rendues, nous les scannons et pouvons ainsi mesurer le nombre de celles-ci recyclées. Nous sommes à 97 % de recyclage dans tout le pays. Nous avons de très bons résultats de la part des ménages mais de moins bons résultats de la part des industries. C’est très compliqué de trouver un système où 100% des bouteilles et cannettes seront recyclées.
Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Il y a toujours des gens qui ne veulent pas prendre part au recyclage, donc nous faisons notre possible pour rendre le processus de recyclage facile. Par exemple, quand certaines personnes boivent dans une bouteille en plastique ou dans une canette dans un lieu public et ne veulent pas s’embêter à la rendre, nous mettons en place des solutions pour ramasser ces bouteilles et canettes. Quand nous interrogeons les consommateurs en Norvège, 99 % des habitants nous disent qu’ils participent. Ils le font la grande majorité du temps, mais une fois de temps en temps, ils ne le font pas. Nous devons donc sensibiliser la population sur le fait que même une bouteille non-recyclée à un impact.
Comment travaillez-vous avec le gouvernement ?
Nous donnons des rapports tous les ans. Avec celui-ci, le gouvernement peut décider le pourcentage de taxe environnementale qui sera appliqué l’année suivante.
Avez-vous un conseil pour un territoire qui voudrait faire la même chose ?
Je conseillerais d’impliquer les fabricants et les commerçants dans l’installation du système. Le soutien des fabricants est très important car ils doivent être les responsables de ce système. La politique doit se concentrer sur les résultats. Si les politiciens décident que la pollution est un problème, que l’industrie doit être celle qui trouve une solution, alors ça doit être fait de cette façon, et la politique elle seule peut influencer.
Propos recueillis par Claire Plouy