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Montval-sur-Loir (72) mise sur la danse comme vecteur social

La lettre de l’impact positif vous propose cette semaine un focus sur une initiative de la ville de Montval-sur-Loir dans la Sarthe. Sa maire, Béatrice Pavy-Morançais, a décidé de miser sur la danse pour créer du lien sur son territoire. Ainsi, depuis 2015, la compagnie Zutano Bazar est accompagnée via une résidence d’artiste, une subvention et des commandes de spectacle. En contre-partie, les artistes ont pour objectif de faire en sorte que la danse s’invitent un peu partout sur le territoire : dans les commerces, les établissements scolaires, l’hôpital ou les entreprises… La salle de spectacle a également été rénovée et une biennale de danse a été créée. Cette initiative découle de la volonté des élus d’accorder une place important à la culture sur le territoire. 11% du budget de la collectivité y est même dédié.

Pour en savoir plus sur cette initiative, nous avons interviewé Béatrice Pavy-Morançais, maire de la ville.

Sommaire:

– Mise en place du projet –

Comment avez-vous eu l’idée de cette initiative ?

Nous avions constaté en prenant nos fonctions après les élections de 2014 que le domaine de la culture avait été laissé de côté. Nous avons donc fait une première approche pour permettre à tous les cycles scolaires de pouvoir assister au moins une fois par an à un théâtre ou à des manifestations culturelles. Par la suite, nous avons voulu avoir une véritable identité culturelle sur notre territoire. Il y avait également un problème autour de notre salle de spectacle qui était en très mauvais état. La commission de sécurité est passée avant l’élection. Elle a émis un avis très réservé sur son utilisation. Elle demandait à la collectivité de réfléchir à un projet sous peine d’une fermeture sous trois ans…

Il fallait donc agir…

Oui. Nous avons réfléchi à un projet culturel. Nous nous sommes rendus compte que nous ne laissions pas assez de place aux artistes du territoire pour qu’ils s’expriment. La danse était totalement absente alors que c’est un très bon moyen d’expression. Nous avions une artiste sur notre territoire. Nous avons décidé de la prendre en résidence sur une période de trois ans. L’objectif était, avec elle, d’aller chercher différents publics là où ils se trouvaient. Mettre la danse dans des lieux insolites, comme des lieux publics. Nous souhaitions toucher de nouvelles personnes. Nous avons commencé par les écoles puis l’hôpital, les Ehpad et le lycée professionnel. Petit à petit, il y a eu cette émergence d’idées afin de permettre à la population de s’exprimer par la danse. Comme notre salle n’était plus en conformité, il était très naturel d’aller danser hors les murs. Nous avons également eu la chance de tomber sur une chorégraphe assez exceptionnelle qui a bien saisi le projet que nous avions pour notre territoire.

C’était un pari de réussir à aller vers l’extérieur ?

Oui. Tout le monde sait que les portes d’une salle de spectacle sont parfois difficile à pousser. C’est donc plutôt la chorégraphe et sa compagnie qui partent à la rencontre du public. Nous nous sommes adaptés à notre territoire. L’absence de salle a favorisé les rencontres avec la population.

La culture est souvent oublié sur les territoires…

Oui. La culture est souvent la variable d’ajustement des budgets. Nous l’avons bien vu dans les communes lors des baisses de dotations de l’État dans les années 2015. Partout les budgets culturels ont baissé. De notre côté, il y a eu un choix fort de l’augmenter. C’est un choix fort mais la culture participe à l’éducation. Nous avons mis en place une médiatrice culturelle. Quand les enfants vont voir un spectacle, il y a une réunion avec eux avant ou après. Nous ne souhaitons pas que la culture corresponde uniquement à de la consommation. Ce n’est pas de la télévision. C’est aussi un vecteur afin de passer des messages. La danse, par exemple, est une formidable occasion de parler des différences. Vous pouvez faire danser des personnes handicapées ou âgées. Il y a des moyens d’expression qui se font par le corps.

Pourquoi la danse par rapport à votre territoire ?

C’était une volonté d’inscrire la danse dans notre programme culturel. Nous avions une association qui proposait des cours de danse payants. Nous voulions travailler autour d’un service public. C’est pour cela que nous avons travaillé autour d’un résidence d’artiste pour agir à l’échelle du territoire. La rencontre avec la chorégraphe a beaucoup joué. Elle a tout de suite compris notre ambition. Elle travaille autrement et s’inspire de la vie des gens. Elle a par exemple créé des chorégraphies autour du corps humain et du vieillissement. C’est peut-être là où nous avons eu un peu d’audace. Au moment, où nous avons signé avec elle, il y avait une ligne directrice mais elle était libre d’agir en allant à la rencontre des publics. C’est elle qui a proposé des programmations.

Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?

Nous avons travaillé autour du projet et rencontré cette chorégraphe durant l’année 2014. Tout début 2015, nous avons signé une convention pour héberger l’artiste pour une période de trois ans. Elle avait aussi carte blanche pour intervenir dans tous les lieux qu’elle souhaitait. Il y avait une convention pour le financement de l’association (sa compagnie Zutano Bazar) et l’achat de programmations. L’artiste crée des spectacles et nous les achetons. Ensuite, elle les présente sur notre territoire et peut les exporter.

Son arrivée sur le territoire a été progressive ?

Oui. Chaque année, elle a découvert de nouveaux publics et des lieux. La convention avait été signée pour trois ans et nous l’avons renouvelée pour trois nouvelles années en 2019. Nous trouvons que cette artiste continue à faire se rencontrer des publics différents. C’est important pour notre territoire. Enfin, nous nous sommes aussi concentrés sur la création d’une véritable salle de spectacle avec un studio de danse. Il y a 250 places pour avoir des conditions optimales pour le public et les artistes. Nous avons une programmation pour tous les cycles scolaires. Chaque classe va voir au moins spectacle par an. La médiatrice appuie également les enseignants et la chorégraphe pour que les élèves soient bien accompagnés dans leur compréhension.

Avec quels acteurs avez-vous mis tout cela en place ?

Nous nous sommes positionnés par rapport aux différentes politiques culturelles, départementales et régionales. Nous avons ainsi pu obtenir des subventions pour les évènements présentés sur notre territoire. La collectivité n’en avait jamais obtenu avant car il ne se passait rien. De mon côté, il me semblait important d’avoir des prestations de qualité. Nous avons ainsi pu obtenir ces subventions.

– Le projet aujourd’hui –

Comment votre initiative fonctionne-t-elle au quotidien ?

La danse s’invite partout. Dans les commerces, les entreprises, les établissements sanitaires, médico-sociaux… D’autres acteurs se lancent dans la danse. Notre compagnie est intervenue aussi dans des établissements avec des personnes âgées l’année dernière. L’hôpital vient donc de répondre à un appel à projet « Culture et Santé à l’hôpital ». Notre territoire bouge. La culture doit être partout. Des écoles aux entreprises. Nous voulons montrer par exemple comment un mouvement du quotidien dans le travail peut devenir quelque chose de valorisant.

Qu’est-ce que cela veut dire : « la danse s’invite » ?

Les danseurs de la compagnie viennent dans les commerces. Par exemple, dans un bar. D’un seul coup, le geste du barman va devenir différent car décomposé par les danseurs. Ce geste anodin prend un sens différent. Faire comprendre le mouvement différemment pour les gestes du quotidien.

Avec quel objectif ?

Nous voulons revaloriser des gestes et des métiers. Il faut prendre conscience de l’estime de soit. Rien n’est dévalorisant et tout peut être mis en lumière.

Comment se déroule le travail avec les enfants au quotidien ?

La compagnie va dans les écoles. Elle mène des ateliers en travaillant avec les enfants autour de la gestuelle. Les enfants, les collégiens ou les lycéens sont invités à participer à des ateliers. La compagnie est libre de prendre contact avec les différents établissements scolaires. Elle fait des propositions afin de, par exemple, monter un petit spectacle. Il faut valoriser le quotidien. Il y a de la sensibilisation et des ateliers. Parfois cela peut déclencher une vocation et aboutir sur des cours pour l’enfant qui veut s’engager.

Tout cela permet d’agir au niveau culturel sur le territoire ?

Nous voulons montrer que la culture n’est pas réservée à des élites. Trop souvent quand on parle de culture, certaines personnes se disent que ce n’est pas pour eux. Quand vous allez danser dans la cours de logements sociaux avec de la musique, certaines personnes vont se mettre à leur balcon, observer. Puis ils vont venir danser. C’est notre idée. Aller à la rencontre de tous les publics. Vous avez des personnes qui n’auraient jamais poussé la porte d’une salle de spectacle. Il faut dédramatiser. Les messages passeront à travers la culture pour tous les publics. Quand vous présentez un spectacle auquel les habitants ont participé, ils vont pouvoir franchir la porte de la salle beaucoup plus facilement. C’est pareil avec les parents. Quand leurs enfants sont sur scène, ils vont venir. Parfois ils se surprennent eux-mêmes. C’est fabuleux.

Être acteur dans le domaine de la culture, qu’est-ce que cela change ?

Il faut intéresser et réussir à développer le sens critique. Savoir ce que chacun aime ou pas. C’est l’occasion de porter un regard différent sur les différences. Parfois, il est difficile d’approcher des personnes handicapées. Quand elles dansent, elles vont vous transmettre une émotion. C’est un regard totalement différent. Les retours que nous avons de la population de notre territoire sont très favorables. La culture permet de sensibiliser sur beaucoup d’autres domaines. C’est le cas de l’apprentissage par exemple. Avec des chorégraphies créées au sein de lycées professionnels, nous avons pu sensibiliser à tous ces métiers peu souvent mis en valeur et qui pourtant apportent énormément à notre quotidien. La culture permet de faire passer des messages.

Quel retour vous fait la compagnie ?

Pour eux, c’est très positif. Ils ont pu mettre en place leur travail et se faire connaître. Ils ont été repéré par la DRAC et interviennent même aux échelles nationales et internationales. Cela a été le cas au Québec par exemple et nous travaillons à un échange avec la Tunisie. C’est novateur et les plus hautes instances culturelles ont repéré le travail qui a été fait. Nous sommes donc ravis qu’ils puissent continuer pour les trois prochaines années sur notre territoire. En plus, nous allons travailler avec la Communauté de communes pour que d’autres habitants puissent bénéficier de leur expérience.

Quel accord avez-vous avec la compagnie ?

Sur le fond, c’est très simple. Nous voulions qu’ils travaillent avec tous les publics. La compagnie doit faire de la création et s’inspirer en travaillant avec tous les publics. C’était notre message de base. Pour nous, il ne fallait pas intervenir dans le cadre de la création. C’est un domaine réservé aux artistes. Les élus n’ont pas à intervenir. La compagnie a donc carte blanche. Le projet culturel est clair et la compagnie suit un fil rouge. Nous faisons des réunions régulières pour vérifier qu’il est respecté mais nous n’intervenons jamais dans l’espace de création des artistes. C’est important pour que tout fonctionne bien.

Financièrement, vous les hébergez et financez leur création ?

Nous les hébergeons et nous leur apportons toute la technique. La directrice des affaires culturelles et notre technicien son et lumière interviennent pour les aider. Il faut les soutenir pour qu’ils puissent jouer en dehors des salles.

Votre action s’étend également à l’organisation d’une biennale de danse ?

Exactement. Nous avons lancé la première en 2017. Pendant trois jours, la compagnie ainsi que d’autres (professionnelles et amateurs) venues d’ailleurs ont dansé un peu partout sur notre territoire. Cette biennale est aussi le résultat du travail effectué toute l’année. C’est le moment des spectacles pour les écoles et les autres établissements. Nous avons réussi à nous créer une petite notoriété. Certains artistes, comme Mourad Merzouki, un danseur contemporain très connu, sont venus danser chez nous. C’était impensable avant. C’est une belle reconnaissance de notre professionnalisme. C’est une belle manière d’associer la population à nos actions du quotidien. Certains habitants se sont découverts des passions. Nous faisons bouger la commune.

– Dupliquer le projet –

Combien a coûté l’ensemble de votre projet ?

Au niveau de la compagnie, nos actions coûtent environ 70 000 euros par an. Cela correspond à l’achat de spectacles et la subvention de la compagnie. Ensuite, il y a la partie technique. Nous avons notre personnel et nous faisons appel à des intermittents du spectacle en fonction des besoins sur certaines manifestations. Pour vous donner une idée, nous avons un budget culturel qui correspond à 11% du budget municipal (7,7M d’euros) donc environ 800 000 euros. Dans la culture, il y évidemment la danse mais également d’autres initiatives comme une bibliothèque (et ludothèque) qui fonctionne en lien étroit avec l’ensemble du domaine culturel.

Comment gérez-vous l’hébergement ?

Ce que nous appelons hébergement, c’est la possibilité pour la compagnie de bénéficier de nos structures culturelles. C’est-à-dire que nous lui mettons nos salles de spectacles à disposition. Pendant trois ans, il n’y a pas eu notre salle principale mais nous avons trouvé de l’espace dans des friches industrielles, des espaces dans les écoles… Nous prenons en charge les éléments techniques pour leur permettre d’être dans les meilleures conditions possibles pour créer.

Sur le financement, recevez-vous des aides ?

Oui nous avons des subventions par exemple de la région. Cela représente environ 30 000 euros. Cela nous permet d’avoir des spectacles supplémentaires sur le territoire. Nous avons également des subventions au niveau des cinémas et des labels jeunes publics.

Avez-vous mesuré l’impact ?

Nous n’avons pas vraiment d’indicateurs. Mais la population adhère puisque nous relevons de très bons taux de présence dans nos ateliers. Nous avons aussi des conférences où les artistes interviennent pour expliquer des petites choses. Il y a beaucoup de public. Notre salle de spectacle pouvait accueillir une centaine de personnes. Nous avions une quarantaine de spectateurs par représentation. Aujourd’hui, la salle neuve possède 250 places et c’est régulièrement complet. Nous avons mis en place un système d’adhésion et il y a en 220. C’est-à-dire presque autant qu’il y a de place. C’est une bonne mesure d’impact ! Nous avons, enfin, une reconnaissance nationale avec de nombreux articles et prix obtenus.

Quelles difficultés avez-vous rencontré ?

Nous avons eu la chance d’être assez vite suivis par la région et le département. Nos interlocuteurs ont apprécié notre audace. Ma principale difficulté s’est plutôt située au niveau de la politique interne. Une partie de mon équipe municipale avait validé le projet au départ mais ont souhaité se désolidariser car ils trouvent que nous en faisons trop pour la culture. Que c’est un domaine qui coûte trop cher. Cela a été très difficile et c’est pour cela que j’ai décidé de ne pas me représenter.

Quels conseils pouvez-vous donner à un élu qui souhaite lancer ce genre de projet sur son territoire ?

Je crois qu’il faut vraiment bien connaître son territoire. L’idée, c’est de partir sur un projet où la population peut adhérer facilement. Avant tout, un diagnostique est obligatoire. Il faut savoir ce qu’il manque sur un territoire. Il faut prendre en compte les spécificités de chacun. Je pense ensuite qu’il faut essayer de faire en sorte que les différentes populations se mélangent et s’apprécient. L’émotion apportée par la culture peut participer à cette idée. Avoir une compagnie en résidence est également très intéressant pour un territoire.

Propos recueilli par Baptiste Gapenne