Territoires AudacieuxTerritoires AudacieuxTerritoires AudacieuxTerritoires Audacieux
33650, Saint Médard d'Eyrans
(Lun - Ven)
baptiste@territoires-audacieux.fr

Les Concerts de Poche, des ateliers et des concerts pour créer du lien

Cette semaine, la lettre de l’impact positif vous propose de découvrir l’association Les Concerts de Poche. Elle organise avec les collectivités publiques un dispositif d’ateliers et de concerts itinérants. Leur objectif ? Créer du lien entre les personnes grâce à la musique et emmener les plus grands artistes français en zone rurale ou dans les quartiers. Elle a organisé l’an dernier près de 1500 ateliers pour une centaine de concerts touchant plus de 40 000 personnes.

Pour en savoir plus, nous sommes allés rencontrer à Gisèle Magnan, fondatrice et directrice générale de l’association Les Concerts de Poche.

– Introduction –

L”interview de Gisèle Magnan est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.

– Mise en place du projet –

Comment vous est venue cette idée ?

J’étais moi-même musicienne et pianiste. J’avais très envie de m’adresser plus que je ne le faisais à l’époque, il y a treize ans, à un autre type de population. J’allais toujours dans des grandes salles, des grands festivals ou des lieux dédiés à la musique et aux mélomanes. Je me suis dit, en allant de salles en salles, que l’on traversait des tas de petits villages qui ont chacun des salles des fêtes. Ce sont des lieux merveilleux pour jouer de la musique et rencontrer des habitants. Je souhaitais que la musique soit beaucoup plus partagée avec la population du XXIème siècle. Cela me manquait. Je me suis dit plutôt que d’attendre que cela vienne, essayons de faire soit même et d’inventer un système un peu différent. Je voulais des grands artistes pour des petits lieux.

Il y avait également la volonté de travailler avec les enfants…

J’ai tout de suite eu envie d’y associer une démarche d’ateliers et de rencontres avec les adolescents. Cela m’intéressait énormément car les adolescents sont à un moment où la musique peut leur parler avant que le fossé ne se crée définitivement. Ils étaient ma première cible et nous avons ensuite instauré notre grand principe : pas de concert sans ateliers et pas d’ateliers sans concert.

Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?

Il y a treize ans, quelques expériences ont été faites dans des villages de Seine-et-Marne et du Val-de-Marne. Puis la démarche s’est amplifiée car elle a trouvé son public. Elle a beaucoup intéressé les collectivités territoriales. Elles y trouvaient un moyen de rassembler des habitants autour de quelque chose d’inédit même si c’était de la musique classique. Cela permettait aux jeunes de se rencontrer, avec les parents aussi, et d’impliquer les professeurs… Cela a tellement bien marché que j’ai arrêté complètement d’être pianiste. Je ne le regrette pas du tout. C’est une autre manière d’aimer la musique et de la transmettre. L’activité de médiation de Concerts de Poche m’importe énormément. Aujourd’hui, nous sommes à l’échelle nationale. Nous allons partout, dans des communes, des villages ou dans des villes quand des quartiers font appel à nous. Les plus grands artistes sont désormais attachés à notre démarche. Nous organisons chaque année une centaine de projets ce qui représente 1500 ateliers avec des habitants de tous les âges et une centaine de concerts.

Pourquoi les ateliers sont-ils indissociables des concerts ?

Le concert boucle la boucle. Lors des ateliers, nous mettons tous les participants en situation d’entreprendre et de créer. Nous voulons qu’ils apprennent par imprégnation. Qu’ils apprennent non pas de façon ludique mais sans aucun didactisme. Nous voulons que les choses rentrent par émotion. Le concert va être l’émotion finale. Le moment où ils se rendent compte de ce que peut faire un très grand professionnel de la musique. C’est intéressant de voir que certaines personnes puissent s’apercevoir en un espace de temps relativement réduit (entre trois et six mois) ce que cela donne en vrai. Ils comprennent le pourquoi du comment et cela les émeut. Je suis également très attachée à ces artistes. J’ai envie de leur apprendre à ressentir ce qu’est le monde d’aujourd’hui dans lequel nous vivons. Il faut leur faire ressentir de l’intérieur par la sensibilité en faisant en sorte que l’idée ne soit pas uniquement de venir jouer pour des gens qui sont éloignés de leur métier. Il faut qu’ils puissent accompagner les choristes néophytes ou participer aux ateliers pour créer une symbiose.

Est-ce facile d’amener des grands artistes loin des salles habituelles ?

Ce n’est pas la partie la plus difficile de notre travail. C’est vrai qu’il faut en revanche les accompagner beaucoup. Quand ils viennent pour la première fois, ils se demandent ce qui va leur arriver. Chez nous, il n’y a pas vraiment de loge ou de beau bouquet de fleurs à la sortie. Par contre, nous leur promettons les plus beaux instruments. Les pianos par exemple, ce sont ceux les mêmes que ceux des grandes salles de concerts. Nous voulons également des conditions acoustiques dans lesquelles ils soient à leurs aises. Nous les accompagnons en nous débrouillant. Nous cherchons une petite pièce qui puisse servir de loge en mettant un canapé pliant… Ce sont des choses importantes qui font que les artistes au début sont un peu inquiets mais sont vite rassurés. Nous leur permettons de faire leur travail dans des conditions dans lesquelles ils vont s’exprimer réellement. Ils veulent toujours revenir donc c’est plutôt bon signe ! Après c’est leur travail aussi, nous les rémunérons. Ce n’est pas du bénévolat de leur part. Il y a une brochure et ils sont solidaires entre eux. Ils nous montrent bien qu’ils ont envie de venir. Ce n’est donc pas difficile de les convaincre surtout que j’ai une très belle équipe qui m’accompagne.

– Le projet aujourd’hui –

Comment le projet fonctionne il à partir du moment où vous rencontrez une collectivité ?

Au début, une collectivité a entendu parler de nous et nous appelle. Ils viennent vers nous pour savoir quel projet de type Concert de Poche il est possible de monter. Nous provoquons un rendez-vous pour vérifier qu’il y a bien la volonté de créer du lien social. À partir de ce moment-là, nous essayons de fixer avec la municipalité les différentes étapes du projet. Il faut savoir à quel public elle souhaite s’adresser, quelles sont les personnes qu’elle n’arrive jamais à toucher… Il y a beaucoup d’habitants dans une collectivité qui ne vont jamais à rien. Ils ne profitent pas de ce que peut leur offrir la collectivité. Nous essayons d’aller chercher ces personnes-là parfois une par une en leur proposant une activité d’ateliers qui va les intéresser. Ensuite, nous réfléchissons à la proposition artistique dont ils ont envie. Même si nous avons tout un choix artistique avec nos différents musiciens, il faut étudier la salle dans laquelle nous allons être ou son acoustique pour pouvoir proposer quelque chose qui soit perçu le mieux possible par les habitants. Nous voulons savoir ce qu’ils veulent et nous sommes attentifs aux désirs des acteurs locaux. Nous aimons bien quand les collectivités souhaitent associer les centres sociaux, les professeurs etc. Il faut que le projet soit construit et cousu main. Nous avons plus d’une centaine de projets par an et il n’y en a pas un qui ressemble à un autre. Ils sont différents car co-construits avec la collectivité qui nous reçoit.

Comment réussir à intéresser les personnes qui ne connaissent pas le classique ?

C’est vrai que nos ateliers ouvrent une curiosité importante. Les participants créent de la musique avec nous. Ils créent des histoires avec une dramaturgie qui en fonction des âges peut-être plus ou moins fouillée. Nous les amenons à inventer leur musique pour qu’au concert ils puissent entendre les professionnels raconter leur histoire avec un piano ou un violoncelle. Du coup, ça leur rappelle les ateliers… Nous parlons bien du concert pendant les ateliers pour les inciter à venir. C’est très complet. Nous voulons qu’ils viennent avec leur famille, leurs parents ou leurs amis… Quand on les met sur la scène, tout le monde vient pour les écouter !

Oui, on peut imaginer que les parents qui viennent voir leurs enfants ne seraient pas venus sinon…

C’est vraiment la réalité. Ils ne seraient pas venus et n’auraient pas eu les ateliers que nous faisons avec les parents des enfants. Nous voulons leur apprendre à entrer dans le travail effectué par leurs enfants ou juste à être curieux. Eux-même peuvent faire la chorale avec les enfants et nous voulons leur montrer. Quand on vient plusieurs années de suite au même endroit, nous remarquons bien que les choses s’étoffent. Aujourd’hui, plusieurs personnes sont venues me dire que c’était merveilleux de pouvoir venir entendre cela. Ce n’est pas très cher non plus. Les prix des places sont six ou dix fois moins cher que pour les salles habituelles où l’on entend ces mêmes artistes. Pour moi c’était vraiment important de rendre la musique accessible.

Votre objectif est-il aussi de laisser un héritage après votre passage sur un territoire ?

C’est très important. Même si nos activités s’amplifient beaucoup, il est impossible de faire 36 000 projets par année. Nous voulons, via la formation, permettre à des artistes de mener leurs propres ateliers. Il faut qu’ils puissent s’adapter et s’adresser à des populations qu’on leur avait vendues quand ils étaient au conservatoire. Ils doivent se lancer dans les territoires tout en étant capable de s’intégrer et d’intégrer tous les habitants au projet artistique. Nous ouvrons de nombreuses formations pour réussir à ce que les territoires puissent créer des projets après notre passage.

Vous prenez en charge toute l’organisation de l’évènement…

Oui. Nous avons une ingénierie avec des régisseurs techniques qui font tout le travail jusqu’à l’accueil du public. Nous ne nous substituons pas aux collectivités publiques qui souhaitent accueillir elles-mêmes. Nous arrivons comme un complément. Il y a en revanche quelque chose d’important que nous faisons, c’est la création et l’impression des affiches ou flyers. La ville va vouloir diffuser dans ses propres commerces mais nous allons le faire de façon plus large. Nous assurons une couverture de communication et de presse. Nous sommes en lien avec la commune pour lui servir d’outil. Mais l’outil est complet. Nous avons un service communication qui est là pour cela. Une petite commune n’a pas l’habitude de le faire et peut être démunie face à cette démarche. Nous les aidons dans ce sens pour avoir un bon impact.

Dupliquer le projet –

Quel est votre fonctionnement sur le plan financier ?

C’est notre association qui s’occupe du financement. Tous les budgets sont divisibles en trois. Il y a un tiers de mécénat et un tiers de subventions des collectivités comme la région, le département ou même l’Etat (via le ministère de la Culture ou de la Cohésion des Territoires). C’est ce que nous amenons dans notre hotte du Père Noël aux collectivités. Le troisième tiers provient de l’échelon local. Nous voulons que la collectivité qui nous reçoit puisse arriver à trouver elle-même via la communauté des communes ou des mécènes locaux le tiers de ce que cela coûte. C’est ce que nous appelons nos recettes propres. Nous passons beaucoup de temps à chercher notre part. C’est important car une petite collectivité n’a absolument pas les moyens de payer ce que cela coûte. Il faut être plein de financeurs pour que cela ne coûte cher à personne. Même le public paye très peu mais à force de faire des additions, nous réussissons à réaliser des projets très ambitieux.

Pour se rendre compte combien un projet d’une telle envergure peut coûter ?

Nous sommes sur des projets qui avoisinent 15 à 17 000 euros. Après il n’y a pas forcément trois mois d’ateliers puis les trois plus grands artistes du monde qui sont sur le plateau. Il y a de choses qui sont variables mais pour nous un projet long ne peut pas tomber en dessous de 10 000 euros. Notre prix moyen évolue entre 10 et 30 000 euros si on prend une échelle plus large. Mais encore une fois, nous en finançons les deux tiers afin que tout le monde puisse se l’offrir.

À quel type de communes vous adressez-vous ?

Je pense que cela s’adresse à n’importe quelle collectivité. Les seuls filtres que nous avons sont des filtres d’ordre social. Si nous venons nous chercher uniquement pour nos grands artistes, mais pas pour créer du lien avec les habitants, nous n’allons pas mettre les deux tiers de ce que nous avons pour faire quelque chose qui aura peut de retentissement sur le plan de l’appropriation par les habitants. Mais je pense qu’il n’y a pas de collectivité qui soit incompatible. Il faut juste que nous soyons sur des envies très communicantes.

Vous allez plutôt en zone rurale, en banlieue ?

Nous allons beaucoup en zone rurale. Nous adorons. Les communautés de communes sont bien regroupées et notre itinérance s’adapte bien. Nous arrivons en petits camions avec tout le matériel et les artistes, ce qui fait que les ateliers peuvent se dérouler dans tous les villages. Ainsi tous les habitants sont concernés. Nous avons également une grosse activité dans les quartiers des grandes villes ou villes moyennes. Il y a des populations enclavées et le fait que nous ayons des artistes qui soient connus permet de faire venir les personnes des centre villes dans les quartiers. Ils vont se mélanger avec tous les habitants. Il y a aussi une communion de personnes qui se rendent compte que dans le quartier, la voiture n’a pas brûlée et que la soirée s’est bien passée… Il y a des mélanges de cultures et de générations qui sont extrêmement émouvants. Au contraire, on nous demande parfois d’organiser des concerts dans le centre mais d’avoir fait les ateliers en quartier. Ainsi, c’est l’inverse, ce sont les populations des quartiers qui viennent s’approprier la salle municipale qu’elles ne fréquentaient pas. Ce sont des challenges formidables que de se dire que Schubert ou Brahms soient encore capables aujourd’hui de créer des frissons dans des populations complètes. C’est ce que nous avons envie de prouver jour après jour.

Avez-vous mesuré votre impact ?

Oui. Si on parle de chiffres, nous touchons entre 40 et 42 000 personnes chaque année. Sur toutes celles-ci il y a beaucoup de jeunes. Ils représentent 60%. Sinon nous avons réalisé des études d’impact. Il est important de savoir qu’après un concert comme celui d’aujourd’hui, nous créons des vocations. Parmi les enfants qui ont chanté, ils ont tous envie de continuer. La maitresse aussi. L’association de personnes en difficulté, c’est pareil ! Nous avons presque un taux de 100%. Les résultats sont bons.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne