Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à la Brenne Box. Derrière ce nom se cache un tiers-lieu dédié au numérique et situé en zone rurale. Il regroupe un cyber-espace, un espace de co-working et un lieu de formation aux usages du numérique. Le projet est porté par la commune de Mézières-en-Brenne (36) qui est une pionnière en ce qui concerne les investissements liés à internet. 4G, fibre optique… Les élus souhaitent grâce à cette politique innovante rendre leur territoire attractif pour ceux qui cherchent à quitter les villes.
Découvrez l’interview de Jean-Bernard Constant, responsable de la Brenne Box et de la politique Numérique sur ce territoire.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
Comment l’idée vous est-elle venue ?
Jean-Bernard Constant : Notre communauté des communes est très rurale. Nous avons 11 communes pour 4800 habitants. En 2002, les élus ont décidé d’avoir une forte politique numérique. Ils étaient convaincus qu’il ne fallait pas être écarté du numérique. Que des territoires ruraux comme le nôtre puissent être en mesure de proposer des services similaires à ceux des territoires urbains. Ils ont donc décidé de créer mon poste pour développer la politique numérique. L’idée était de travailler sur trois axes.
Quels étaient-ils ?
Le premier était : « Comment faire en sorte d’avoir accès au numérique ? ». C’est dans cette partie que nous avons réfléchi à la qualité de notre réseau. Nous avons donc mis en place un réseau alternatif. Le wifi a été proposé sur l’ensemble de nos communes. Nous avons également créé des cyber-espaces pour pouvoir accueillir les gens. Parallèlement nous avons travaillé sur le deuxième axe qui concernait les usages d’internet. Enfin le troisième axe concernait l’information et l’accompagnement de la population. Au sein de nos cyber-espaces, nous donnions des cours.Plus les gens venaient fréquenter le centre, plus nous nous rendions compte qu’ils venaient également pour autre chose. Par exemple, une population qui vit dans des résidences secondaires vient pour bénéficier d’un lieu de travail.
C’est à ce moment là que votre projet a pris forme ?
Oui en 2014, nous avons décidé de transformer nos cyber-espaces pour qu’ils soient plus ouverts. L’idée d’un espace de co-working est très vite arrivée. Mais cela n’aurait pas eu de sens de proposer de simples bureaux. Nous avons donc développé notre projet de Brenne Box qui comprend le cyber-espace, l’accompagnement des habitants dans les nouveaux usages du numérique et l’espace de co-working. Ainsi nous avons des bureaux qui sont utilisés par différentes personnes. Le lundi cela peut être un co-worker puis le mardi une assistante sociale… L’espace de co-working est ouvert 24h/24 et 7 jours/7.
En somme le projet est monté en puissance progressivement ?
Exactement. La Brenne Box est le fruit de la mutation de notre cyber-espace. Il est devenu un lieu d’orientation puis un bâtiment de vie économique. Nous voulions vraiment accompagner les mutations économiques. Jusque-là, les communautés de communes n’avaient qu’une mission obligatoire : l’économie. Les élus connaissent donc très bien tout ce qui est lié à l’immobilier et ils agissent beaucoup dans ce domaine. En revanche, ils ont moins conscience qu’ils peuvent agir également sur l’impact économique des entrepreneurs et des indépendants. Pour cela, il faut proposer autre chose que des bureaux à louer ou des terrains à bâtir. Notre Brenne Box a répondu à l’attente de ce type de personnes.
Comment cette transformation s’est-elle déroulée ?
Au moment de la création de la Brenne Box, nous avons en amont recensé les acteurs économiques susceptibles d’être intéressés par cette idée. Ce sont majoritairement des indépendants ou des télétravailleurs. Nous leur avons proposé de participer aux réunions de création. Nous étions preneurs de toutes leurs suggestions par exemple sur l’aménagement du futur lieu. Nous avons même proposé sur Facebook à toutes les personnes qui le souhaitaient de choisir le nom. Brenne Box a été soumis par un habitant. Il était important pour nous de fédérer autour du projet. Par la suite, nous avons lancé une campagne de communication avec des flyers. Nous voulions avoir une communauté très active. Pour cela nous avons été aidés par toutes les personnes qui se servaient auparavant du cyber-espace et de nos autres services. Nous étions à l’écoute de leurs besoins.
Quels étaient ces besoins ?
Actuellement, il est facile de penser que le nombre de connexions dans le cyber-espace diminue car tout le monde à un smartphone. Nous nous apercevons que ce n’est pas forcément le cas. De plus, nous avons de plus en plus de personnes qui savent gérer leurs mails mais pas utiliser internet pour réaliser leurs démarches administratives. C’est un premier besoin. Cela va de la déclaration de retraite à la carte grise en passant par un billet d’avion. Nous sommes entrés dans un accompagnement d’usage.
En zone rurale, il y a une véritable demande de formations aux outils du web ?
Je suis toujours surpris. Cela fait maintenant dix ans que nous proposons des formations sur un territoire relativement limité en population. Pourtant nos formations sont toujours pleines ! C’est un réel besoin car il y a des changements continus sur le numérique. On a commencé par la création d’un email et aujourd’hui on apprend aussi les réseaux sociaux… En revanche, nous avons arrêté les formations assez formelles. Nous préférons les ateliers où les gens viennent avec leurs questions du moment.
– Le projet aujourd’hui –
Au quotidien, comment fonctionne votre Brenne Box ?
C’est très varié. Nous avons des horaires d’ouverture qui sont les suivants : lundi, mardi et jeudi toute la journée. Et mercredi et vendredi les après-midi. Sur ces horaires, nous avons des personnes qui viennent se connecter. L’an dernier nous avons eu plus de connexions (4379) que le nombre d’habitants. C’est donc un succès. Sur la partie formation, nous avons des habitants qui viennent avec leurs besoins. Hier par exemple, c’était pour remplir une demande de carte grise. Sur cette partie, nous avons signé avec 14 partenaires. Ce sont des organismes qui nous subventionnent pour que nous aidions les administrés à remplir leurs demandes. Il y a également d’autres organismes qui interviennent chez nous comme la médecine du travail. Le but est d’offrir des bureaux à la disposition de ceux qui souhaitent rencontrer les citoyens. Enfin il y a les co-workers. Nous avons trente contrats signés. C’est plus que ce que nous attendions. Nous avons trois bureaux et un open-space.
Combien un co-worker paye pour s’installer chez vous ?
Nous ne cherchons pas à rentabiliser notre espace. Nous cherchons plutôt à développer l’économie de notre territoire. Nos tarifs défient donc toute concurrence. Le plus cher que nous avons, c’est 360 euros annuels soit 1 euro par jour pour l’accès illimité à un bureau et une très bonne connexion réseau. Pour un forfait journée, il faut compter huit euros. Nous avons plusieurs autres tarifs incluant des demi-journées… Pour ceux qui veulent utiliser plus de matériels ou privatiser des salles de réunions, nous proposons des prestations en plus.
Votre idée est de créer un dynamisme de territoire ?
Complètement. C’est un lieu de rencontre dont le dénominateur commun est le numérique. C’est un vrai défi au quotidien. Par exemple, contrairement aux espaces de co-working urbain, nous avons du mal à ce que tous les participants se lient. C’est lié au fait qu’il y a un souvent un thème par co-working. Ce n’est pas notre cas. Nos co-workers sont très disparates. Nous n’arrivons pas à fédérer tout le monde mais nous créons beaucoup de liens via des évènements. Notre animatrice essaye de flécher les personnes qui peuvent ensemble créer une émulsion.
Pour que des jeunes s’implantent, c’est important d’être présent sur le domaine du numérique ?
C’est une volonté politique. Nous voulons vraiment que de nouvelles familles s’implantent chez nous. Nos points forts sont liés à notre environnement. Nous sommes en pleine nature, il n’y a pas de bouchons, nous avons des agriculteurs pour ceux qui veulent se nourrir en circuits courts… Et l’immobilier est à un prix défiant toute concurrence. Mais pour attirer des jeunes ménages, il faut aussi qu’il retrouve certains outils des villes. C’est pour cela que nous avons beaucoup misé sur le réseau internet. Nous aurons un maillage 4G parfait en 2019, nous avons des hotspots partout… Nous espérons inciter certaines personnes à se dire qu’ils peuvent s’implanter et travailler ici. Ils vont pouvoir travailler à distance et au lieu d’avoir deux heure de routes par jour pour aller travailler ils pourront réinvestir ce temps dans des activités culturelles ou sportives. Je pense qu’il faut inverser nos vies. La plupart du temps, les Parisiens se disent il y a plein d’activités mais je n’ai pas le temps de les faire dans la semaine. Là on propose aux gens de mieux vivre la semaine et le we ils peuvent retourner à Paris ou dans une autre ville pour se détendre dans un musée… Ils feront le trajet de façon bien plus détendue !
Ce message est-il entendu ?
Je pense que oui. Nous avons trois co-workers parisiens. Ils avaient envie de changer de vie. La Brenne Box leur permet de travailler à distance. Nous aimerions aller plus loin dans la promotion de nos idées mais la communication demande un gros budget.
Comment avez vous réussi à obtenir cette performance en terme réseau internet ?
C’est un travail de longue date. Nous y travaillons depuis quinze ans. Une loi de l’époque a permis aux collectivités publiques qui le souhaitent d’investir dans des réseaux de télécommunication. Nous étions les deuxièmes à en profiter. Nous avons monté notre propre réseau. Sur la fibre, c’est pareil, nous allons être l’un des rares territoires ruraux à avoir les deux tiers de sa population reliés avec des débits qui n’ont rien à envier aux zones urbaines. Pour y arriver nous avons déployé la fibre sur plus de 20 kilomètres. Nous avons également favorisé la téléphonie mobile via l’installation de pylône. Tout cela a un coût. Notre collectivité l’a supporté et le supporte encore. Nous le faisons via un syndicat mixte porté par la commune, le département et d’autres communautés de communes. Cela a été des enjeux qui ont été pris très tôt au sérieux par nos élus.
C’est un passage à l’action…
Oui. Il faut bien imaginer que les communes rurales ont subi une double peine. Elles ont financé tous leurs réseaux via France Télécom. Puis avec la privatisation, elles ont dû remettre la main à la poche pour avoir la même chose que les villes. C’est un travail long et coûteux mais les élus ont aujourd’hui des moyens d’actions et de pressions…
… comment ?
Sur la partie réseau, les acteurs publics doivent prendre en considération que ce ne sont pas les acteurs classiques qui vont régler les problèmes actuels. Ces acteurs ne montrent aucun intérêt pour les zones rurales. Nous ne sommes pas une source de profits pour eux. S’ils ne sont pas forcés par l’Etat, ils ne vous calculent même pas. L’enjeu, c’est de gérer soit même l’implantation du réseau. En 2003, nos élus ont décidé de passer le cap et de devenir des acteurs. Nous avons couvert nous même toute notre commune par un réseau haut débit. Le lendemain Orange est venu installer son réseau. Pourquoi ? Car nous sommes entrés en concurrence avec eux. Nous leur avons forcé la main. Il y a beaucoup d’appels à projet et de demande de subvention. Il faut se battre pour aller les chercher.
– Dupliquer le projet –
Quels conseils donneriez vous à des élus qui souhaitent se lancer dans un projet comme la Brenne Box ?
Je pense que le mot le plus important, c’est : animation. C’est à dire que les élus travaillent souvent autour des investissements. C’est facile de créer un bâtiment. Mais ce qui a fait que la Brenne Box est un succès, c’est tout ce que nous avons mis en place à l’intérieur. Il y a beaucoup d’animations et d’interactions à créer. Dernièrement c’était quelque chose de très simple, nous avons fait venir un foodtruck. Et bien, sur 30 coworkers, 25 étaient présents. C’est vraiment important d’impliquer les acteurs dans le projet. Les espaces de co-working fleurissent. Il faut bien faire attention à ne pas fournir qu’un bâtiment. C’est de la co-construction.
Combien le projet de la Brenne Box a-t-il coûté ?
Tout d’abord il y a l’investissement. Cela coûté 352 000 euros pour créer le bâtiment, réaliser l’aménagement intérieur, le matériel… Nous avons bénéficié de différentes aides de la région (40%) et d’une réserve parlementaire (20 000 euros). La commune a donc pris en charge 113 000 euros. Sur le fonctionnement, nous avons également des aides de la région. Ils souhaitent aider le développement des tiers-lieux. Nous avons également 30 000 euros de subventions pour faire tourner la MSAP. Ce qui représente une grande partie des frais de fonctionnement. Enfin sur les infrastructures pour développer le réseau ce sont plusieurs centaines de milliers d’euros qui ont été investis par la commune sur les quinze dernières années. Le reste a été apporté par d’autres collectivités comme le département ou la région.
Est-ce qu’il y a eu des difficultés politiques pour porter ce projet ?
Oui. C’est toujours compliqué d’innover. Convaincre tous les élus de réaliser des investissements qui vont faire avancer les choses n’est jamais simple. Les réfractaires expliquent régulièrement que ce n’est pas notre rôle d’agir sur ce secteur. Pour réussir, il faut vraiment qu’un petit groupe d’élus y croient encore plus que les autres pour porter le projet politiquement. C’est ce qu’il s’est passé chez nous.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne