Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à une initiative développée par la ville de Garges-lès-Gonesse. Afin de favoriser les collaborations entre les agents, la collectivité leur propose d’échanger leurs postes pendant une semaine. Ils sont alors responsables de toutes les tâches qui incombent à la personne qu’ils remplacent. Idéal pour apporter un regard neuf sur le fonctionnement d’un autre service, augmenter le bien-être au travail des salariés, la productivité et la transversalité entre les services.
Pour en savoir plus, nous avons rencontré Guilhem Pellet, le directeur général des services de Garges-lès-Gonesse pour en parler.
– Reportage –
L’interview de Guilhem Pellet est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.
– Mise en place du projet –
Quelle est l’origine du projet ?
Il vient d’une volonté de faire mieux travailler ensemble les directeurs de nos services à la population (sport, culture, etc.) Il y avait des personnes qui se connaissaient. Il pouvait y avoir des projets communs et nous avions observé une bonne transversalité. Mais l’idée était de voir comment il était possible de mieux travailler ensemble. Le deuxième objectif était une progression personnelle des agents. Nous voulions leur dire : « ok, vous êtes directeur de l’enfance ou de la culture. Mais avant d’être des spécialistes thématiques, vous devez être des managers capables d’agir y compris dans des domaines que vous ne connaissez pas. » L’idée était de prendre le poste d’un autre pendant une semaine et d’assumer totalement ses fonctions. C’est l’occasion de découvrir un domaine qu’ils ne connaissent pas et d’exercer leurs fonctions et leurs compétences dans un univers où ils n’ont pas forcément les compétences techniques.
Comment le projet a-t-il évolué depuis sa mise en place ?
Au début, c’était presque un jeu. Nous avons commencé au sein d’une DGA avec six directeurs. Il y avait une bonne ambiance. Il y a eu un tirage au sort puis d’excellents retours. On peut dire qu’il y a eu une dimension ludique. Progressivement, c’est devenu un projet de la collectivité. Cela a été dans un premier temps étendu à tous les directeurs de la ville. Puis les chefs de service ont voulu le faire et il y a enfin eu un intérêt des agents. Nous avons ensuite travaillé dessus avec les syndicats puis cela a été voté avec les instances paritaires. Désormais, une fois par an, chaque agent de la ville peut réaliser entre un et cinq jours, en « échange ton poste » s’ils trouvent un collègue intéressé, ou un jour en stage d’immersion dans le cas contraire.
Quels éléments ont transformé le projet en véritable réussite ?
Nous avons eu la chance que la première opération se déroule bien. Il y avait forcément des craintes. Des personnes qui pouvaient se demander si quelqu’un n’allait pas prendre une mauvaise décision ou avoir un problème avec un élu. Mais tout s’est bien passé. Le côté ludique a bien fonctionné. Au niveau des cadres, la démarche s’est diffusée rapidement. Dans le même temps, la collectivité s’est engagée dans un plan « qualité de vie au travail » avec un accent fort sur la formation et la mobilité interne des agents. Ce type d’opération est un accélérateur puissant pour cette mobilité. Si je vous prends un exemple, le premier agent à avoir réalisé une immersion était une Atsem. Elle voulait changer de métier depuis plusieurs années. Elle a été passer une semaine comme agent de guichet. Cela a confirmé son envie. Quelques mois après, nous avons eu de la chance, un poste s’est libéré. Elle a pu candidater et mettre en avant cette expérience et elle a été prise. En terme de timing, cette opération a pu correspondre à une volonté des agents et à une volonté globale de la collectivité.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Quelques petits freins logistiques auxquels nous n’avions pas pensé. Il faut bien réfléchir aux serveurs et aux ordinateurs. Il y a eu des petites choses comme ça mais elles sont faciles à résoudre de manière pragmatique. Nous avons également eu quelques craintes de la part de certains cadres. Ils pensaient ne rien connaître et ne pas y arriver. Cela a pu être le cas quand nous sommes sortis du secteur des services à la personne pour élargir la démarche. Un directeur « bâtiments » s’est retrouvé aux « solidarités » par exemple. Ce sont deux univers totalement différents. Il a fallu à chaque fois prendre le temps de rassurer et dire que les N+1 et N-1 étaient présents. Honnêtement, nous avons eu des équipes qui ont très facilement joué le jeu. Il faut insister sur le fait que c’est une opération qui ne peut pas se lancer comme cela. Il faut qu’il y ait des pré-requis en termes de connaissances inter-personnels, d’ambiance de travail entre les cadres et de confiance réciproque. Il faut d’abord construire ces fondamentaux-là. Le projet « échange ton poste » vient lui consolider ensuite la démarche.
– Le projet aujourd’hui –
Très concrètement, comment le projet fonctionne ?
Nous nous réunissons deux mois avant l’opération pour un tirage au sort. Chacun sait alors sur quel poste il va atterrir. Nous en profitons pour définir la semaine durant laquelle cela va se faire. Quelques jours avant, les personnes se préparent. Ils peuvent faire, par exemple, une journée en binôme pour préparer certains dossiers ou des réunions. Ensuite, l’idée est vraiment d’être en pleine responsabilité sur le poste attribué pendant une semaine complète. Le titulaire normal doit transférer les mails et les appels. C’est la personne présente qui assume les responsabilités.
Il y a un bilan qui est fait en fin de semaine ?
Exactement. Nous faisons un repas tous ensemble. Chacun peut évoquer ses impressions collectives sur le dispositif et le ressenti sur les collaborateurs ou la direction. C’est public et transparent. Puis les personnes se font un retour plus privé à deux. Ils y abordent les dysfonctionnements éventuels, des choses qui ont pu les étonner et sur lesquelles il est possible d’apporter du progrès.
Cela permet à chacun d’apporter un regard neuf sur le poste de l’autre…
Tout à fait. Ce n’était pas forcément un objectif en tant que tel au départ. Mais au final, lors de la première opération par exemple, le chef des sports avait pris la place du chef « logement ». Il a pu lui faire remonter un ressenti de la part des agents par rapport à certaines procédures. Il était arrivé avec un œil complètement neuf et a pu poser des questions naïves. Les agents ont également pu parler plus facilement.
Avez-vous mesuré l’impact du projet sur le territoire ?
Il n’y a pas eu de mesures statistiques ou objectives. Ce qui est intéressant, c’est le fait que quand on recommence l’année d’après il n’y a aucune réticence chez les directeurs. Le tirage au sort est toujours très attendu et la dimension ludique a été conservée. Le fait que les agents aient pu le demander et commencent à le pratiquer est assez révélateur du succès également. Enfin, il y a eu des projets communs qui sont nés de ces échanges. Cela nous donne un bon sentiment.
– Dupliquer le projet –
Pour quel type de collectivité, votre projet peut-il s’adapter ?
Il faut un soutien politique. Cela peut faire peur aux élus. Ils peuvent se dire que les directeurs à chaque poste ne vont pas être les bons… Il faut aussi que les élus puissent jouer le jeu et acceptent que pendant une semaine il peut y avoir un peu moins de réactivité. Ils y gagnent sur le long terme pour la transversalité et le travail en commun. Il faut donc bien veiller à ce que les élus soient partie prenante du projet. Cela doit faire partie du plan de la collectivité en matière de mobilité ou de formations. Cela me paraît vraiment important.
Aviez-vous le soutien de vos élus dès le départ ?
Il y avait la volonté du maire de favoriser la qualité de vie au travail et la formation. C’était un grand objectif général. Après, c’est vraiment un premier test sur six personnes qui a pu déclencher le projet. Nous avons fait la réunion bilan en présence du maire et chacun a exprimer sa satisfaction. Il a donc été convaincu et voulu laisser sa chance au produit. Après comme tout a bien fonctionné, ce sont les syndicats et les agents qui ont fait la demande. Pour les élus, dès qu’il y a eu cette demande, il n’y avait que du bénéfice à accepter l’opération.
Combien cela vous coûte ?
En coût direct, zéro euro. En revanche, il y a une perte de temps de travail et de productivité pendant un certain temps. La semaine d’échange, le nouveau directeur est forcément moins productif que le titulaire. Vous perdez en temps de travail immédiat mais vous regagnez au centuple en ambiance de travail ou en progression des collaborateurs. Vous gagnez également sur les agents sur le côté mobilité interne. Vous pouvez trouver en interne plutôt que d’aller ailleurs chercher les compétences dont vous avez besoin. C’est l’occasion de faire monter en compétences les collaborateurs et les rendre plus épanouis ou motivés.
Quels conseils donnez-vous aux communes qui vous appellent ?
Je leur demande toujours où elles se situent aujourd’hui. Est-ce qu’elles ont la culture du partage ? De la transversalité ? Quelles sont les relations entre leurs cadres ? Est-ce qu’ils se font confiance ? Il faut veiller à tout cela. Si vous avez résolu ces premiers soucis, notre projet peut être un vrai coup d’accélérateur.
Propos recueillis par William Buzy et Baptiste Gapenne