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Mini-série : utilisation des drones par les pouvoirs publics

Chaque année, les drones prennent une place plus importante dans notre société. Dans cette mini-série en deux parties, nous nous pencherons sur l’utilisation des aéronefs par les acteurs publics. Dans ce premier épisode, Territoires Audacieux a décidé de s’intéresser à l’usage du drone face à la pandémie de Covid-19.

En France ou à l’étranger, la crise sanitaire du Covid-19 a jeté un coup de projecteur sur l’usage des drones par les pouvoirs publics. À quoi ont servi ces drôles d’oiseaux-robots ? Quels sont leurs avantages et leurs limites ? Comment ont-ils été adoptés par les collectivités et la population ? Décryptage.

Drones et Covid-19 : vol test pour les autorités

Baptisés « faux bourdons » (traduction de « drone » en anglais) en référence au bourdonnement cacophonique des premiers modèles militaires issus de la guerre froide, ces engins ont depuis bien changé. Aujourd’hui miniaturisés et agiles, les drones ont conquis le grand public, mais pas seulement. Depuis quelques années, ils commencent aussi à susciter l’intérêt des autorités. Et la crise sanitaire du Covid-19 a été une nouvelle étape.

En France : observation et rappel à l’ordre

CANNES – CORONAVIRUS – SURVEILLANCE DES PLAGES AVEC UN DRONE 06 QUI VIENT EN APPUI DE LA POLICE

En France, les drones ont été utilisés sur l’ensemble du territoire, par la gendarmerie et les polices nationale et municipale. À Nantes, Paris ou Toulouse l’engin a servi à guider les patrouilles de la Police municipale et à repérer des attroupements. À Charleville-Mézières (08), c’est le drone du service communication de la ville qui a été réquisitionné. Piloté par le technicien habilité du service, l’aéronef a permis de pallier le manque d’effectif policier provoqué par le confinement. Cette décision du maire Boris Ravignon a été prise sans grande difficulté, après consultation des services de sécurité de la ville. « Nous avions déjà réfléchi à l’usage d’un drone pour la Police municipale, raconte Quentin Clarin, adjoint à la sécurité à la mairie de Charleville-Mézières. Et le confinement a permis de servir de test. »

Depuis plusieurs années, la ville a mis en place un système de vidéosurveillance. Le drone y est donc perçu comme un outil complémentaire. « Nous avions fait un recensement des secteurs non couverts par la vidéo protection et propices à des rassemblements de personnes » explique Aude Bernier, Directrice Citoyenneté et sécurité à la mairie de Charleville-Mézière. Après avoir fait les demandes préalables en préfecture, le télépilote partait avec un policier municipal survoler les zones concernées. Ensuite, lorsqu’une infraction était constatée, « le policier prévenait notre centre de supervision urbain, qui pouvait lui, orienter une patrouille sur place pour une prise de contact » détaille Aude Bernier.

Sur d’autres territoires, les autorités sont allées plus loin que la simple observation. À Lille, Villeurbanne ou Ajaccio, les habitants ont pu entendre ce message résonner dans les rues avec une voix métallique : « Tous les déplacements hors du domicile sont interdits, sauf dérogation. Veuillez respecter une distance de sécurité d’un mètre entre chaque personne. » Équipés d’un haut-parleur de 100 décibels, les aéronefs étaient chargés de repérer les attroupements et d’intimer les personnes de respecter le confinement. C’est la ville de Nice, dans les Alpes-Maritimes, qui a lancé la marche. Au début du confinement, la mairie a contacté la société Drone 06, avec qui elle travaille depuis de nombreuses années. Au départ centrée sur la communication, la relation entre la mairie et la société a évoluée au fil du temps, explique Jean-Baptiste Pietri, co-fondateur de la société : « Au gré de notre développement, nous avons intégré d’autres pôles de compétences plus orientés vers la sûreté, la surveillance et la sécurité. » Mais c’était la première fois que Drone 06 était appelé à réaliser une mission avec la police. Peu à peu, le périmètre d’intervention de l’entreprise a été étendu sur l’ensemble du département. « Nos pilotes étaient mis à disposition de la Police nationale ou la Gendarmerie Nationale selon la zone d’intervention », explique Jean-Baptiste Pietri.

Concrètement, la mission était simple. Les services de police avaient identifié en amont les zones plus ou moins assujetties aux attroupements, comme la promenade des Anglais. Ils élaboraient ensuite un planning avec l’entreprise, explique Jean-Baptiste Pietri : « Le commissariat prenait rendez-vous avec l’un de nos pilotes. Celui-ci partait ensuite en mission avec deux ou trois agents. » Sur place, le pilote était exécutant. Il informait les agents des contraintes et possibilités techniques, qui sont nombreuses en milieu urbain : « Des interférences liées à des réseaux téléphoniques, des lignes à haute tension ou du béton armé peuvent affecter la communication entre l’aéronef et le télé-pilote. » explique Jean-Baptiste Pietri. Comme toute mission d’État, les pilotes bénéficient de certaines dérogations règlementaires. Ils sont notamment autorisés à dépasser la distance minimum de 100 mètres entre le télépilote et l’aéronef en agglomération. Mais « ces règles ne sont pas là pour rien, lance Jean-Baptiste Pietro. En pratique, on s’efforce de garder le drone à vue ».

Si Nice et Charleville-Mézières ont dû réquisitionner des pilotes hors des rangs des forces de l’ordre, d’autres étaient déjà équipés. La Préfecture de police de Paris forme des télé-pilotes depuis 2016. La gendarmerie nationale en est déjà équipée. Et le ministère de l’intérieur a publié le 12 avril un appel d’offre de plus de 3,5 millions d’euros pour l’achat de 650 drones. La formation nécessaire est simple. Les pilotes habilités doivent être diplômés du certificat théorique de télépilote délivré par la Direction générale de l’Aviation civile (DGAC). Ceci après avoir effectué une formation pratique de 5 à 20 jours selon les centres de formation.

À Nice comme à Charleville-Mézières, le bilan post-confinement semble positif. Outre leur rapidité et leur flexibilité, ces engins ont également un avantage sanitaire, assure Jean-Baptiste Pietri : « Le premier intérêt, c’est la sécurité des agents déployés. Cela évite de les exposer à l’épidémie. » Même bilan pour la municipalité ardennaise : « L’efficacité de l’opération nous a convaincu. Nous envisageons d’équiper notre Police municipale d’un drone et de former un agent » annonce Quentin Clarin. Mais il tempère son enthousiasme en regrettant la lourdeur administrative : « L’utilisation du drone est limitée par toutes les déclarations préalables et la nécessité de recueillir l’accord de la Préfecture pour voler. Cela rallonge les délais d’intervention et limite la flexibilité du drone. »


Quant à la population, Jean Baptiste Pietri l’assure : À Nice « il y a peut-être eu de la surprise au début. Mais il n’y a pas eu d’incident particulier ». Il ajoute : « L’usage des drones nourrit le fantasme de l’État sécuritaire. Or, qu’est-ce que le drone fait de plus qu’une simple caméra de surveillance traditionnelle ? Rien de plus. » Même enthousiasme à Charleville-Mézières, que Quentin Clarin explique par le contexte local : « Cette approbation ne me surprend pas. Ici, nous menons depuis six ans une politique de vidéos-protection dynamique. Et c’est quelque chose que réclame une grande majorité de nos citoyens. »

Pourtant, l’utilisation des drones par les pouvoirs publics ne rassure pas tout le monde. Le 18 mai 2020, le Conseil d’État a ordonné à la Préfecture de police de Paris de « cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone ». Cette interdiction, extensible à l’ensemble du territoire fait suite à la plainte formulée par La Quadrature du Net et par la Ligue des droits de l’homme (LDH).

Les deux associations de protection des libertés individuelles reprochaient à la Préfecture de police parisienne d’avoir déployé des moyens permettant de capter, enregistrer et exploiter des images d’individus « hors d’un véritable cadre légal ». Le Conseil d’État a en effet considéré qu’un tel usage des drones ne pouvait être fait sans qu’ait été adopté « un texte réglementaire, pris après avis de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) ».

Pourtant, Jean Baptiste Pietri l’assure : « Aucune image n’est enregistrée, et aucun drone n’est relié au centre de vidéo-surveillance de la ville de Nice. Ces choses sont simplement à l’étude. ajoute-t-il. Mais ça ne sert à rien de se précipiter ». Pour Quentin Clarin, aucun usage supplémentaire n’est envisagé pour le moment dans la commune ardennaise : « L’enregistrement d’images pose beaucoup trop de difficultés réglementaires, notamment au niveau de la CNIL. Pour l’instant, nous voyons vraiment le drone comme une caméra support mobile et donc plus efficace dans certaines zones. »

À l’étranger : des applications plus poussées


Si le drone a bénéficié d’un grand coup de projecteur durant le confinement, son usage n’était pas non plus une nouveauté. La Préfecture de police de Paris qui en possède une vingtaine, en utilisait déjà pendant les manifestations. En outre, l’usage du drone pendant le confinement est finalement resté assez limité en France. D’autres pays sont allés plus loin. Par exemple, en plus de l’observation et de la diffusion des consignes, certaines collectivités ont décidé de détecter les malades à distance. À l’aide d’un capteur thermique monté sur le drone, des policiers de Trevolio, dans le Nord de l’Italie étaient chargé de prendre la température des contrevenants au confinement. En Australie, l’université d’Australie-Méridionale travaille conjointement avec l’entreprise canadienne Draganfly à la mise au point d’un « drone pandémique ».

Un appareil capable de détecter la température, le rythme cardiaque et respiratoire ainsi que la toux et les éternuements d’un groupe de personnes. L’engin a notamment été testé par le département de police de Westport dans le Connecticut, aux États-Unis. En Russie, en Inde, au Maroc ou en Espagne, des aéronefs étaient chargés de pulvériser du produit désinfectant dans les rues. En France, Cannes a d’ailleurs été la seule ville à en faire de même. Contrevenant aux contrindications formulées par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), la ville a répandu dans ses rues de l’hypochlorite de sodium diluée à 0,5%. Au Rwanda, des hôpitaux se sont vu livrer par drones des médicaments que le confinement avait rendu inaccessibles. Même chose aux États-Unis en Floride, ou en Australie, où des patients étaient livrés directement chez eux.

À Dubaï, le programme baptisé Oyoon, lancé l’année dernière pour lutter contre la criminalité a été réorienté vers la lutte contre le Coronavirus. Les algorithmes d’intelligence artificielle du système ont servi à déterminer en temps réel que les citoyens étaient bien en possession de leur dérogation de déplacement. La liste des utilisations du drone contre le Covid-19 est longue. Et le pays champion semble être la Chine, qui cumule tous les usages. Jusqu’à utiliser la reconnaissance faciale, qui au pays du Soleil levant, ne fait pas débat. Couplée à des capteurs thermiques, cette technologie permet d’identifier instantanément plusieurs personnes dans une foule et de détecter les malades. Le but étant de pouvoir les isoler et suivre l’évolution de l’épidémie grâce notamment à la géolocalisation des individus.

Théo Debavelaere