Sommaire:
– Introduction –
Qu’est-ce que le Wide Open Project ?
Wide Open Project est une recherche de terrain internationale, ayant pour but de réunir les apprentissages de nombreux écosystèmes positifs autour du monde. En immersion dans des fablabs, makerspaces, livinglabs, friches urbaines, incubateurs, la mission est double : construire une narration efficace sur le mouvement des tiers-lieux autour du monde à l’aide de vidéos et articles, ainsi qu’orchestrer une réflexion entre penseurs et acteurs de ces espaces hybrides positifs, pour l’écriture collective d’un guide pratique destiné à tous.
Comment s’est déroulée la première partie en Amériques ?
Cette première moitié d’expédition a été pleine d’apprentissages très positifs. Le projet lui-même évolue et les ambitions changent à la lumière des besoins exprimés par les acteurs de terrain. Pour être impactante, cette recherche doit être vivante et évoluer à mesure qu’elle se déploie. L’idée de constituer une équipe internationale pour relier les acteurs et réunir leurs connaissances est d’ailleurs née sur la route, au contact des équipes. Cette escale mi-parcours est l’occasion de préparer cette nouvelle page, vraiment collective, pour le Wide Open Project.
– Détroit –
A Détroit, vous avez observé le tiers-lieu PonyRide, quelles sont ses caractéristiques ?
Ponyride est un espace de co-working et tiers-lieu entreprenarial à Detroit, aux US. Il s’agit d’un espace hybride comprenant à la fois un co-working classique, une salle d’exposition, une menuiserie ouverte à tous, un studio de danse, un café ainsi que des espaces de travail pour start-ups et entreprises sociales.
En quoi ce tiers lieu est-il inclusif et durable ?
Situé dans Corktown, la banlieue proche du centre historique, Ponyride est un des seuls acteurs à impulser un développement économique incluant les communautés les plus défavorisées, à contre-pied d’un violent phénomène de gentrification du centre, se transformant peu à peu en un ilots de jeunes créatifs blancs dans une ville à 83% afro-américaine. En plus de favoriser une plus grande égalité des chances, il soutient des initiatives qui contribue à un Detroit plus inclusif et durable : économie circulaire, entreprises créant des emplois pour les plus fragiles, associations philanthropiques, l’impact indirect de l’écosystème est très conséquent.
Comment réussissent-ils à mélanger autant de projets différents dans un seul lieu ?
Ponyride est un écosystème fort et a présent reconnu internationalement, car il a su faire de la diversité de ses résidents une mine d’or de collaboration. Makers, entrepreneurs, co-workers, artistes y collaborent sur des projets concrets, apprennent les uns des autres, en se transformant eux-mêmes, ils changent dans le même temps positivement leur territoire. A Ponyride la diversité n’est pas qu’une question de parité, elle se pense en opinions, stade de développement, métiers, compétences et les décalages y sont valorisés, dans la mesure où ils laissent place au débat et à l’apprentissage de pair-à-pair.
– Montréal –
A Montréal, vous avez fait escale au Projet Young, un projet pionnier au Québec…
L’escale québécoise avait pour but de se pencher sur la question de l’urbaniste transitoire et des écosystèmes positifs temporaires, en allant à la rencontre de l’association Entremise. Cette jeune association, inspirée par des exemples internationaux comme ceux des Grands Voisins à Paris ou de No longer Empty à NY, a réussi à organiser un consortium sur la question, réunissant la ville de Montréal, la Maison de l’Innovation Sociale ainsi que la Fondation Mc Connel. Ayant réussi à faire exister l’idée que l’urbanisme transitoire peut être une réponse simple à la vacance des bâtisses patrimoniales, ils ont obtenu l’autorisation de gérer le premier projet pilote dans la ville : le projet Young. Il s’agit d’un bâtiment municipal mis à disposition pour 22 mois, co-géré par tous les résidents, un vrai laboratoire de collaboration durable pour la MIS et de nombreuses start-ups et associations locales.
Comment travaillent-ils avec les pouvoirs publics ?
La ville de Montréal a pris le pari, elle a décidé de croire au potentiel citoyen de sa ville et de se lancer dans un projet où l’expérimentation est de mise. Il faut un sacré courage politique pour laisser place à l’inconnu, car cela implique l’erreur potentielle. Cet inconnu est pourtant une donnée indispensable de l’innovation, la ville l’a bien compris et même si chaque pas présente son lot de défis juridiques, techniques ou administratifs, les acteurs publics apprennent par l’expérientiel avec des projets comme celui-ci, à penser la fabrique urbaine non plus un produit mais comme un processus, et un processus qui se doit d’être collectif et participatif.
– Mexico et Sao Paulo –
A Mexico, c’est le Laboratorio para la ciudad qui a attiré votre attention. Quel est son objectif ?
L’objectif du Laboratorio para la ciudad est de créer un pont entre la société civile et la municipalité de CDMX. Il s’agit du premier laboratoire public de ce type en Amérique latine, ce lieu unique a inspiré la création de nombreux autres labs partout sur le continent. Il s’agit d’une équipe de jeunes passionnés de leur ville, venus d’horizons divers : anthropologues, urbanistes, designers, data-analystes, philosophes, géographes. Leur dénominateur commun est la passion pour Mexico et sa population, ils créent des pilotes dans la ville pour activer le capital créatif citoyens, testent de nouvelles méthodologies de participation publique, organisent des débats et des évènements collaboratifs sur les grandes questions communes. Leur impact est conséquent puisqu’ils sont en lien direct avec la ville même, et les acteurs publics peuvent ensuite décider d’appliquer leurs pilotes à l’échelle du système.
Ce n’est jamais facile de mélanger pouvoir public et actions citoyennes, quelle est leur recette ?
La première force du lab consiste à reconstruire un lien de confiance, fortement ébranlé dans un contexte de corruption endémique du continent latino-américain, entre les citoyens et leur gouvernement. Ils ouvrent ainsi la porte au dialogue et à l’engagement citoyen : cette population très jeune et extrêmement nombreuse, ils la voient non pas comme un chaos mais comme un potentiel créatif et novateur incroyable, à même de construire sa ville main dans la main avec les pouvoirs publics. Il s’agit donc pour eux avant tout de dépolariser les débats et les rapports entre citoyens, public, privé, en offrant un espace neutre où collaborer et donner vie ensemble à leurs visions communes.
Vous avez également récemment fait étape à Sao Paulo, qu’avez-vous observé comme tiers-lieux ?
A l’image de cette ville brésilienne aux contrastes saisissants, entre grattes ciels et favelas, j’ai étudié à Sao Paulo deux écosystèmes diamétralement opposés sur le papier, qui ont pourtant beaucoup de choses en commun, notamment leur volonté de créer une réalité nouvelle, plus belle et plus créative, dans un centre historique réputé pour sa criminalité. Le premier, la Station RedBull, est porté par un groupe entièrement privé, et soutient la création artistique indépendante dans un espace hybride composé d’un restaurant, d’un fablab, d’espaces d’expositions, de résidences, d’ateliers d’artistes et d’un incubateur dedié aux innovateurs sociaux et makers de la tech. Le deuxième, l’occupation Ovidour 63, est un squat illégal de 12 étages à quelques mètres de la Station, où cohabitent et collaborent plus d’une centaine d’artistes, le lieu est ouvert à tous et organise régulièrement des workshops, ateliers, évènements culturels gratuits. L’un est entièrement privé, l’autre complètement informel et illégal et pourtant les deux écosystèmes revitalisent chacun à leur manière la ville de Sao Paulo. Puisque la différence peut être richesse, les deux espaces collaborent même ponctuellement, c’était notamment le cas lors de la dernière biennale.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne