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Aveyron (12) : une collaboration entre le département et le SDIS pour lutter contre la désertification médicale

La lettre de l’impact positif vous propose de découvrir cette semaine une initiative du Département de l’Aveyron. Pour lutter contre la désertification médicale, il collabore avec le SDIS (Service départemental d’incendie et de secours) afin de rendre le territoire plus attractif pour les jeunes médecins, tout en améliorant la ressource médicale du département. Deux initiatives sont notamment à retenir. Des stages sont proposés aux jeunes internes en médecine afin de découvrir la fonction de médecin sapeur-pompier. Et des formations sont dispensées aux médecins généralistes pour qu’ils puissent intervenir en collaboration avec le SAMU lors des urgences les plus éloignées de l’hôpital.

Pour avoir plus de précisions sur cette politique, les équipes de Territoires Audacieux ont interviewé Natalie Alazard, médecin colonel pour le SDIS12 et Chrystel Teyssedre, Chargée du développement de la couverture médicale pour le Département de l’Aveyron.

– Mise en place du projet –

D’où vous est venue cette idée de faire collaborer le département et le SDIS  ?

Natalie Alazard : Je suis médecin urgentiste et cela fait un peu plus de 20 ans que je suis pompier. J’ai toujours pensé qu’il était très important d’ouvrir le SDIS à de nouvelles personnes. Nous avons besoin de faire connaître notre métier. Avec mon ancien adjoint, nous avons eu l’idée de proposer une formation aux internes en médecine. Nous l’avons donc proposée à tout ceux en stage en Aveyron. Nous voulions proposer une formation diverse avec l’idée de faire connaître notre savoir mais aussi nos contraintes. Il y a besoin de communiquer sur toutes les facettes du métier de médecin.

Chrystel Teyssedre : À notre niveau, au département de l’Aveyron, nous avons été interpellés par un professeur issu du territoire. Il est venu voir le président du Département pour lui dire que la situation n’était pas brillante au niveau de la médecine générale. Il fallait s’en préoccuper. Il y avait notamment l’idée de faire mieux connaître le département auprès des jeunes médecins en permettant aux étudiants de venir en stage chez nous. Il y a un lien possible, surtout en zone rurale, avec les sapeurs pompiers. Cela peut les aider dans leur installation en terme d’accompagnement. Les jeunes appréhendent beaucoup la gestion des urgences. Nous avons construit le stage pour répondre à cette problématique.

Quelles difficultés y avait-il sur le territoire ?

C.T. Concernant les médecins généralistes, il y avait beaucoup plus de départs que d’installations. En 2008, il n’y avait plus que deux ou trois installations par an ! Aujourd’hui, nous sommes aux alentours d’une quinzaine. Cela nous permet d’avoir un ratio positif. Par exemple depuis 2015, nous avons eu 63 installations pour 59 départs. Nous voyons bien que la promotion du département auprès de la faculté, les actions menées avec le SDIS et l’accompagnement financier qui est réalisé pour aider les jeunes à s’éloigner de la fac portent leur fruit.

À quelle problématique répond la proposition de formation pour les internes en partenariat avec le SDIS ?

N.A. Nous sommes un département particulier. Nous sommes le cinquième de France en superficie avec des paysages très différents. Nous avons même de la moyenne montagne. Certains jeunes peuvent être intéressés par la médecine rurale mais ils appréhendent beaucoup la distance avec l’hôpital. Les jeunes sont très demandeurs de formations et d’aide. Ils veulent garder un contact avec l’hôpital d’une façon ou d’une autre. Au delà de ce dispositif, nous avons donc aussi mis en place des liens avec l’ARS ou le SAMU pour mettre à disposition des médecins du matériel particulier. Par exemple, nous avons proposé des électrocardiogrammes réalisant de la télétransmission du tracé au SAMU. Pour un jeune qui s’installe, cela représente une sécurité. Cela préserve le lien. Avec notre formation, nous faisons également passer le message qu’il existe des infirmiers pompiers qui peuvent les aider.

Il y a un côté rassurant ?

C.T. Oui. Un jeune médecin peut se retrouver en difficulté sur des gestes de secouristes. Gérer un arrêt cardiaque demande de l’habitude. Quand vous êtes en campagne, il faut pouvoir se débrouiller seul. Le fait de savoir que dans un village, vous avez les pompiers qui peuvent venir vous aider, que vous avez été formé et qu’il y a du matériel, c’est extrêmement sécurisant. Cela facilite l’installation en milieu rural. Nous ne voulons pas en faire des médecins d’urgence mais nous souhaitons leur donner une expertise complémentaire en attendant que le médecin urgentiste puisse prendre le relais.

N.A. En travaillant avec le Conseil Départemental, nous avons aussi pu bénéficier de matériel pour pouvoir former les jeunes. Nous avons eu des mannequins de simulation pour les former sur l’arrêt cardiaque. Nous avons également pu obtenir un bras de perfusion. Il n’y a pas toujours d’infirmiers disponibles, il faut donc maitriser ce geste. Les jeunes sont très demandeurs de petites formations. Nous avons aussi mis en place des partenariats avec des hôpitaux pour prendre des jeunes en stage. Ils vont réapprendre certains gestes afin de se rassurer. Ils ont envie de la campagne mais il y a un côté très anxiogène.

– Le projet aujourd’hui –

Comment se déroule la formation des internes ?

N.A. En accord avec le Département Universitaire de Médecine Générale de Toulouse et en relation avec le Conseil Départemental de l’Aveyron, le SDIS propose aux internes en médecine générale en stage en Aveyron une formation à la fonction de médecin pompier. Elle se déroule sur cinq jours. Nous l’ouvrons à tous les jeunes internes en stage en Aveyron. Nous avons des promotions d’une vingtaine de personnes. La Cellule Accueil Médecins Aveyron du Conseil départemental assure la promotion et la communication du stage auprès des internes, en particulier au moment des choix des stages à Montpellier et à Toulouse. Le Département assure également un soutien financier dans l’investissement des outils pédagogiques.
Les stagiaires revoient des gestes de secourisme. Ils peuvent aussi observer comment cela fonctionne quand ils demandent de l’aide aux pompiers ou au SAMU. C’est important de savoir comment seront engagés les secours en cas de besoin. Ils en profitent aussi pour apprécier la plus-value que peuvent apporter des infirmiers. Avec la matériel mis à disposition par le département, nous pouvons ensuite réaliser des mises en situation. Nous les faisons travailler en équipe avec des pompiers. Ils peuvent se rendre compte de l’intérêt qu’il peut y avoir d’être plusieurs dans une situation d’urgence.

Le succès de ce stage vous a amené à créer des stages sur une durée un peu plus longue…

N.A. Nous avons débuté ce deuxième format en mai 2019. C’est une première en France, un terrain de stage combinant l’apprentissage de l’exercice libéral et la fonction de médecin Sapeur-Pompier à raison d’une journée par semaine chez les pompiers. Nous les appelons les « stages complémentaires ». Ils sont réservés à des personnes en fin de cursus étant chez des maitres de stage du département. Nous allons avoir deux jeunes femmes prochainement. Une journée par semaine, elles vont découvrir les différentes aptitudes et contraintes des sapeurs-pompiers. Elles sortiront également en intervention en binôme avec un médecin référent. Elles travailleront aussi avec un infirmier pompier pour voir ce qu’il peut leur apporter. Nous allons les envoyer sur toutes les formations que nous allons organiser. C’est un gros enjeux pour nous car elles souhaitent s’installer dans le département par la suite

Avec quelles compétences souhaitez-vous les faire ressortir ?

N.A. Nous souhaitons que les stagiaires aient la capacité de reconnaître une situation grave. Ils doivent être capables de gérer les vingt premières minutes d’une situation grave, en attendant l’intervention du médecin urgentiste.

Pourquoi avoir mis en place un dispositif en parallèle à disposition des médecins généralistes déjà en place ?

N.A. En Aveyron, 30 % des interventions du SAMU de l’Aveyron demandent des délais supérieurs à 30 minutes du fait des distances. L’Agence Régionale de Santé, le Service Départemental d’Incendie et de Secours de l’Aveyron et le Centre Hospitalier de Rodez se sont donc engagés par la signature d’une convention le 18 décembre 2015 afin d’apporter une réponse aux populations résidant dans les zones situées à plus de 30 min. Ce programme a été baptisé « Médecins Sapeurs-Pompiers intervenant à la demande du SAMU ».
Il est ouvert à tous les médecins exerçant à plus de 30 minutes d’un SMUR. Le cahier des charges prévoit une formation initiale et des formations annuelles dispensées par le CESU ( Centre d’Enseignement et de Soin d’Urgence rattaché au SAMU). Nous complétons avec une obligation annuelle de formation en particulier pour revoir les gestes techniques. Nous souhaitons amener une compétence, une technicité et une logistique en terme de soins d’urgence pour permettre à ces médecins d’optimiser la prise en charge de patients grave en attendant l’arrivée du SMUR.

Quelle réponse avez-vous apporté ?

N.A. Nous formons les médecins ruraux afin qu’il soit capable de faire face aux situations d’urgences. C’est pour cela que le dispositif des Médecins Sapeurs-Pompiers Intervenant à la Demande du SAMU (MSP-IDS) a été mis en place. Il vise à faire intervenir, à la demande de la régulation médicale du SAMU, une équipe composée à minima d’un médecin généraliste sapeur-pompier volontaire formé à l’urgence, d’un infirmier sapeur-pompier volontaire, appuyés par un équipage sapeur-pompier, dans l’attente de l’arrivée d’un SMUR dans des territoires éloignés de plus de 30 min des services d’urgence. Suite à son succès, ce dispositif a été prolongé entre les différents partenaires par la signature d’une nouvelle convention.

Pour un territoire, qu’est-ce qui change dans le fait d’avoir des relais de ce type sur le terrain ?

N.A. Un tiers de notre département est à plus de 30 minutes d’un SMUR et une partie est à plus de quarante minutes. Si vous faites un malaise grave et que l’hélicoptère n’est pas disponible car nous n’en avons qu’un, si le médecin de proximité ne vient pas vous donner les soins de premières nécessités cela risque de mal se passer.

C.T. Quand vous êtes médecin dans notre département, vous pouvez très vite exercer loin d’un Centre Hospitalier. Le médecin généraliste va donc possiblement devoir prendre en charge des patients dans des états graves. Pour les internes, c’est vraiment rassurant de bénéficier de formations, du matériel et de la logistique des pompiers. Ce dispositif permet d’enlever des freins dans l’installation à la campagne. Les installations que nous enregistrons aujourd’hui sont globalement en milieu rural. Nous pensons avoir permis cela grâce à notre dispositif.

Comment avez-vous réussi à convaincre la faculté ?

N.A. Au départ, la faculté pensait que nous voulions apporter une compétence de médecin d’urgence aux jeunes. Mais ce n’est pas du tout ça. Nous voulons apporter une compétence supplémentaires à nos généralistes. Ils vont être amenés à gérer des urgences. Au départ, nous avons travaillé avec la faculté de médecine de Toulouse. Elle était réticente mais nous avons finalement réussi à convaincre un des professeurs. Il a communiqué auprès de l’ensemble des maitres de stage de la région en leur disant d’envoyer leur stagiaire chez nous. Progressivement, le projet s’est installé et il y a deux ans la faculté de Montpellier s’est aussi montrée intéressée.

C’est l’idée de créer du lien entre les différents acteurs du territoire ?

C.T. Complètement. Il est important pour un territoire comme le nôtre que tous les acteurs puissent se connaître et travailler ensemble. C’est important de faire collaborer l’ordre des médecins, l’ARS, les hôpitaux, le SDIS ou le Département. Tout le monde doit tirer dans le même sens et chacun peut se donner la possibilité d’aller là où les autres ne peuvent pas le faire.

N.A. Nous avons développé des dispositifs où nous sommes dans des partenariats gagnant-gagnant avec la CPAM, l’ARS, le Conseil Départemental, l’hôpital siège du SAMU et le SDIS. Cela fonctionne car nous devons, en tant que structure, être au service des personnes. Nous devons avoir conscience d’être sur un petit département et si nous ne jouons pas ensemble, nous n’arriverons à rien.

– Dupliquer le projet –

Combien l’initiative des stages coûte-t-elle à mettre en place ?

N.A. Le SDIS est impliqué dans plusieurs formations pour des personnes qui ne sont pas pompiers et qui ne le seront peut-être jamais. Cela demande donc d’avoir une direction engagée à notre niveau. Mais c’est assez simple d’y voir l’intérêt d’un SDIS car ce sont des actions qui amènent à préserver la ressource médicale sur le territoire. Ma direction a bien vu cet intérêt. Sur un stage de 5 jours , les internes sont encadrés sur deux journées par des formateurs sapeurs-pompiers. Sur chacune de ces deux journées, sont mobilisées 3 Sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires ce qui représentera du temps de travail utilisé pour les pro ou une indemnisation pour les volontaires. Sur les trois autres journées, je m’occupe de l’encadrement avec l’aide sur certaines parties d’autres membres du service de santé qui sont volontaires et donc indemnisés. Nous avons quasiment toujours au moins deux formateurs présents donc sur les trois jours restant, je suis sur mon temps de travail et je suis appuyée par un médecin volontaire. Chrystel Teyssedre est également présente pour effectuer un travail de communication toujours apprécié par les jeunes.

C.T. De notre côté, c’est assez similaire. Il faut accepter qu’il y ait un accompagnement humain. Il est plus important que les dépenses financières qui sont de l’ordre de 100 000 euros.

Quel est l’impact mesuré ?

N.A. Depuis 2013, nous avons déjà accueilli près de 200 internes. 28 sont devenus médecins sapeurs pompiers. 40 se sont installés sur le département de l’Aveyron. Nous avons augmenté notre nombre de médecins sur le territoire. Nous le devons clairement aux stages et à la publicité réalisée par les jeunes médecins en bénéficiant. Les différents stages ont permis de faire connaître et promouvoir les fonctions du médecin sapeur-pompier et les sapeurs-pompiers de manière plus générale. Ils ont aussi été la source de plusieurs sujets de thèses sur : « l’état de santé des sapeurs-pompiers en Aveyron » ou « la toxicité des fumées ».

Quel est le coût du programme « Médecins Sapeurs-Pompiers intervenant à la demande du SAMU » ?

N.A. Pour les MSPIDS , toute la partie financière est apportée par l’ARS, le coût financier est donc blanc pour le SDIS mais il y a néanmoins une charge de travail importante pour notre pharmacien en assurant toute la logistique du dispositif (évaluée à un mois de temps de travail). Le responsable du SAMU et moi même assurons le bilan annuel du dispositif pour l’ARS et nos structures respectives.

Quels conseils donnez-vous aux collectivités qui viennent vous voir ?

N.A. Il y a une grande notion liée aux qualités humaines des personnes qui tiennent le projet. Nous avons mis à disposition de toutes les personnes qui le souhaitaient, l’ensemble de nos documents afin que ce genre d’initiatives puisse se dupliquer un peu partout. Mais cela demande beaucoup d’énergie. Du côté des sapeurs-pompiers, il faut une vision du côté de la hiérarchie pour comprendre l’intérêt qu’il y aura sur le long terme.

Quelles sont les difficultés que vous avez pu rencontrer ?

C.T. C’est un projet assez compliqué à monter. Il faut qu’il soit suffisamment attractif et en même temps que les jeunes ne soient pas déçus. C’est toujours un challenge. Nous avons par moment été victimes de notre succès. Il y avait une très grosse attente et si nous ne sommes pas en capacité de répondre, nous risquons de nous retrouver avec le revers de la médaille. Nous devons rester attractifs et c’est un challenge.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne.